Les inconnues italiennes

Qu’ont révélé les résultats des élections municipales en Italie? Pour Marc Lazar, directeur du Centre d’Histoire de Sciences Po et président de la School of government de la Luiss à Rome, ces élections confirment un certain nombre de tendances en cours sur la scène politique en Italie avec le PD en difficulté, le Mouvement cinq étoiles qui subit un revers, et le centre-droit qui bénéficie de la perte de vitesse de Matteo Renzi. Mais l’incertitude reste totale quant à l’issue du scrutin lors des élections législatives en 2018.

Les élections administratives partielles qui se sont déroulées en Italie les 11 et 25 juin 2017 ont été marquées par quelques faits saillants : un haut taux d’abstention, une progression du centre-droit, un recul du Parti démocrate et un échec du Mouvement 5 étoiles. Cela serait pourtant une erreur que de tirer des plans sur la comète à partir de ce scrutin qui présente nombre de particularités, à commencer par un mode de scrutin majoritaire à deux tours qui ne sera pas en vigueur lors des prochaines élections politiques prévues, normalement, l’an prochain. Toutefois, ces élections confirment un certain nombre de tendances en cours dans la vie politique italienne.

Le Parti démocrate (PD) est en difficulté. L’échec cinglant le 4 décembre dernier du référendum – plus de 59% de non – sur la réforme constitutionnelle qui entendait mettre fin au bicaméralisme intégral avait contraint son promoteur, Matteo Renzi, à démissionner de la présidence du Conseil. Il a été remplacé par Paolo Gentiloni du même parti, qui, à son tour, a formé un gouvernement de coalition avec diverses composantes de centre-gauche et du centre. Le PD est apparu plus divisé que jamais et les adversaires de Matteo Renzi qui avaient mené campagne pour le non au référendum ont continué à l’accuser de tous les maux. Une partie d’entre eux, emmenée par des anciens dirigeants du Parti communiste à l’instar de Massimo D’Alema et de Pierluigi Bersani, a décidé de quitter le PD et de fonder un nouveau mouvement qui se situe sur la gauche de celui-ci. L’impact de la scission dans les rangs du PD s’avère limité, les intentions de vote pour cette nouvelle formation sont faibles mais l’effet politique auprès des électeurs est assez lourd de conséquences. Matteo Renzi a présenté sa démission de secrétaire du PD le 20 février puis a facilement gagné les primaires du 30 avril (avec plus de 69% des voix) convoquées pour désigner le nouveau secrétaire. Si celles-ci ont moins mobilisé qu’auparavant, plus d’un million 800 000 électeurs se sont toutefois rendus aux urnes. Par ailleurs, sa victoire l’a certes relégitimé mais elle n’a pas mis fin aux divergences internes qui portent principalement sur la politique à mener (à propos de l’Union européenne et des mesures à prendre pour relancer la croissance, continuer de diminuer le chômage et de réduire les inégalités), la stratégie du PD (doit-il agir seul ou rechercher des alliés et lesquels ?) et surtout sur sa personne comme sur sa façon de faire de la politique.

Les critiques ont redoublé après l’échec aux municipales dont Matteo Renzi est rendu responsable par ses rivaux quand bien même il s’était bien gardé de participer à la campagne. Par ailleurs, sa popularité auprès des Italiens est en baisse. Parce que son bilan comme président du Conseil (2014-2016) reste controversé, notamment avec ses réformes du marché du travail, de l’école et des institutions. Et parce que son style très personnel s’avère fort clivant. Cependant, ce florentin dispose d’un atout : pour l’instant, malgré ses déboires, il n’a pas de vrai rival ni dans son parti, ni sur sa gauche, ni chez ses opposants d’autres bords. Quoi qu’il en soit, le PD doit vite clarifier sa stratégie, reformuler un programme, redéfinir son identité, réformer son organisation qui est en déliquescence dans toute une partie du pays.

Sur sa gauche, une galaxie de mouvements qui dénoncent ce qu’ils appellent le passage à droite du PD de Matteo Renzi s’efforce de s’organiser, de créer un espace politique et de se mettre d’accord en vue des prochaines échéances électorales. Mais les désaccords politiques, idéologiques et stratégiques – faut-il ou pas s’allier au PD et si oui à quelles conditions ou bien envisager un accord avec le Mouvement 5 étoiles ? –, les rivalités entre ces petites formations et les querelles de personnes constituent autant d’obstacles infranchissables, du moins pour l’instant.

Le Mouvement 5 étoiles accuse le coup après ses revers aux dernières municipales partielles où il a presque partout été éliminé au premier tour et n’a emporté qu’une ville de moyenne importance en Toscane. Le Mouvement 5 étoiles montre ses limites au niveau local dues à l’absence d’enracinement territorial, à son incapacité à avancer des programmes précis et à son déficit de candidats aptes à diriger des administrations. Au niveau national néanmoins, il bénéficie toujours de fortes intentions de vote. Parti qui se veut différent d’un parti traditionnel, il associe l’autorité de son fondateur Beppe Grillo et la pratique du numérique supposée faire vivre une démocratie directe. Il surfe sur le rejet de la classe politique et des institutions. Il avance des propositions classiques de gauche, d’autres de facture plus post-moderne en matière d’environnement, des argumentaires de droite extrême sur l’immigration, le droit du sol qu’il refuse et le soutien à la légitime défense. Enfin, il fustige l’Europe et l’euro. De ce fait, il ratisse large, attire des électeurs qui se situent au centre mais souvent sur des positions assez radicales, pénètre dans toutes les catégories sociales à l’exception des retraités et des ménagères et se répartit équitablement sur l’ensemble de la péninsule, avec cependant une nette progression dans le Mezzogiorno. Toutefois, le Mouvement 5 étoiles est confronté à de sérieux dilemmes : doit-il lui aussi rester dans un splendide isolement ou envisager des alliances, sachant qu’une partie de ses électeurs a voté pour les candidats de centre-droit aux dernières municipales ? Doit-il rester dans la pure logique de la protestation et de l’anti-système ou faut-il qu’il s’institutionnalise davantage en formant des cadres compétents puisque l’inexpérience de la maire de Rome, Virginia Raggi, a fait du tort à la crédibilité du Mouvement ?

Lorsqu’il est uni, le centre-droit – soit Forza Italia de Silvio Berlusconi, la Ligue du Nord et Fratelli d’Italia, un parti d’extrême droite – réalise de bons scores, ainsi que cela a été prouvé lors des municipales de ce mois de juin. Il bénéficie de l’érosion de la popularité de Matteo Renzi et du PD et d’un désir d’alternance des électeurs de droite après quatre années de gouvernement dirigé par des responsables du PD (Enrico Letta, Matteo Renzi et désormais Paolo Gentiloni). Mais cette dynamique favorable est entravée par au moins deux problèmes. D’abord, celui du leadership : Silvio Berlusconi, à bientôt 81 ans, aspire à revenir au premier plan mais cela ne fait pas consensus. Ensuite, celui de la ligne politique car les divergences sont considérables en particulier sur l’Europe et plus généralement entre les partisans d’une politique modérée et ceux qui se situent dans une perspective d’une droite dure.

Les partis sont donc affaiblis, le Mouvement 5 étoiles est toujours fort, et la défiance envers la politique reste fortement ancrée comme en a attesté le fort taux d’abstention aux municipales. L’incertitude est donc totale. Si aucun accord n’est trouvé sur une modification du mode de scrutin, comme Matteo Renzi croyait l’avoir obtenu au printemps dernier, les Italiens voteront en 2018 avec une loi électorale différente pour la Chambre des députés et le Sénat. Mais la proportionnelle sera en tout état de cause la règle. Et donc vraisemblablement aucun parti ne pourra disposer d’une majorité absolue. Toutes les combinaisons possibles sont de ce fait envisageables. La plus probable pourrait être celle liant le PD à Forza Italia, ce qui ne manque pas de susciter des controverses à gauche comme à droite. Mais d’autres possibilités (Mouvement 5 étoiles et Ligue du Nord, ou gauche de la gauche et Mouvement 5 étoiles) ne sont pas à exclure totalement même si elles semblent improbables pour l’instant. En tout état de cause, le futur gouvernement risque d’être faible, peu apte à engager les réformes qui s’imposent. Et ce alors que le malaise politique est intense, la situation économique et financière peu avantageuse (notamment avec un système bancaire fragile) et la détresse sociale réelle. L’avenir de l’Italie s’avère peu lisible actuellement, ce qui est préoccupant pour ce pays et pour l’ensemble de l’Europe.

 

Une version courte de cette note a été publiée sur le site de Libération (13 juillet 2017).

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