L’entrée de l’AfD au Bundestag: un séisme politique en Allemagne

Comment analyser les résultats des élections fédérales en Allemagne ce 24 septembre? Si Angela Merkel arrive en tête avec 33% des voix, la CDU ne sort pas pour autant gagnante de ce scrutin tout comme le SPD de Martin Schulz, les deux partis de la droite et de la gauche ayant perdu une baisse conséquente de leur base électorale. C’est bien la percée du parti d’extrême droite, l’AfD, qui  avec 12,6% des voix chamboule le paysage politique en Allemagne. Explication avec Gabriel Richard-Molard, en partenariat avec Libération.

Il est un peu après 18h30, dimanche 24 septembre, et Angela Merkel prend la parole au siège du parti conservateur, la CDU. En tête, encore et toujours après trois mandats consécutifs, son ton est satisfait mais alerte. Les deux grands partis de l’après-guerre – le sien et les sociaux-démocrates du SPD – viennent de perdre respectivement 8,6 et 5,2 points par rapport aux élections législatives de 2013. Ce qui semblait inconcevable mais prévisible est arrivé. L’AfD, jeune parti d’extrême droite, engrange 12,6% et bouleverse fondamentalement l’équilibre politique de la République fédérale d’Allemagne. Analyse et perspectives suite à ce tremblement de terre politique sans précédent.

C’est arrivé près de chez vous

L’Histoire semble se répéter. Alexander Gauland, tête de liste de l’AfD, avait tranquillement déclaré à la fin d’un meeting électoral à la mi-septembre que si les Français étaient encore fiers de Napoléon, « nous Allemands, devrions également être fiers de la performance de nos soldats à l’occasion des deux guerres mondiales ». Gauland et son parti sont arrivés, le 24 septembre au soir, en troisième position des élections législatives allemandes. Cette élection fédérale marquera une rupture profonde dans l’histoire de la République fédérale. Imprimant et consacrant son identité politique dans le marbre de sa Loi fondamentale, la poussée de l’extrême droite fait trembler tout l’édifice politique construit sur l’alternance entre la gauche et la droite. Ce sont bien en effet la droite et la gauche traditionnelles qui sortent éreintées de cet exercice électoral. Les petits partis s’en tirent bien avec respectivement 9,2% pour la Linke, 8,9% pour les Verts et 10,7% pour le Parti libéral. La grande nouveauté est donc l’entrée de cette AfD avec 93 députés à la Chambre, qui aura réussi comme tous les nouveaux partis qui fleurissent en Europe à siphonner des millions de voix aux partis traditionnels.   

Mercato politique

« Pourquoi n’avez-vous pas voté pour Angela Merkel ou pour Martin Schulz ? » : c’est la question que l’Allemagne, sonnée, se pose et se posera encore pour quelques années. Les premières réponses sont diverses mais semblent tourner toujours autour de la question des migrants, de la politique économique et sociale et de l’intégration européenne qui semble être beaucoup moins consensuelle qu’elle a pu l’être par le passé en Allemagne. Ce qui frappe encore, c’est que ce sont les actifs ayant des professions manuelles (30-60 ans) et non les plus âgés, comme au Royaume-Uni pour le Brexit, qui sont le cœur électoral de l’AfD. Cet électorat traditionnellement réparti entre la CDU et le SPD est définitivement parti et, comme en France, est devenu l’illustration d’une génération européenne d’adultes xénophobes qui se sent trahie par des élites qu’elle juge mondialistes et socialement trop libérales.

Quel gouvernement pour l’Allemagne après le 24 septembre ?

Même forte de 93 députés au Bundestag, l’AfD aura bien du mal à devenir une véritable force politique de premier plan dans l’hémicycle. Celle qui servira de repoussoir à tous les autres partis aura peut-être pour effet justement de donner un coup de fouet aux vieux ensembles politiques qu’elle critique. La question qui se pose cependant est celle de la coalition qui dirigera le pays dans les prochains mois ; les négociations visant à sa constitution ont débuté dès dimanche soir et vont certainement durer des mois. Balayant de la main solennellement (mais peut-être aussi stratégiquement ?) une nouvelle grande coalition, le candidat du SPD Martin Schulz semble avoir exclu toute coopération avec les conservateurs qui permettrait cependant une coalition majoritaire (399 sièges). Disant cela, il met sous pression la Chancelière qui, pour éviter des élections anticipées, devra mettre d’accord dans sa majorité les libéraux et les Verts, au sein d’une majorité de 393 sièges. C’est une véritable gageure, tant leurs projets politiques sont en dissonance. Si, en tout cas, les négociations devaient aboutir à une coalition « jamaïquaine » avec les Verts et les libéraux, la politique européenne d’Angela Merkel aura un tout autre visage que celui souhaité par le président Macron, notamment sur le volet économique et de la gouvernance de la zone euro déjà esquissée lors de son discours d’Athènes (Lindner, le leader des libéraux, s’étant déjà fermement prononcé contre). Mais de celle-ci, l’on ignore encore les autres axes, car le président français, bien conscient de la faiblesse de la France en dehors du couple franco-allemand, présentera sa feuille de route, humblement appelée « une feuille de route européenne pour les dix prochaines années » uniquement le 26 septembre à la Sorbonne et ce, une fois que le nuage de poussière des élections allemandes sera retombé sur la coupole du Reichstag. 

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