Pourquoi le pouvoir d’achat est-il devenu l’un des principaux sujets de préoccupation des Français ? A-t-il une couleur politique ? Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’Opinion de la Fondation, livre son analyse.
La question du pouvoir d’achat a fait une entrée spectaculaire dans la campagne présidentielle française, et l’augmentation du coût de la vie semble désormais être une préoccupation majeure des Français. C’est sur ce point en particulier que des réponses fortes de la part des candidats à la magistrature suprême sont attendues.
Les différentes vagues de l’enquête électorale menée par Ipsos et la Fondation Jean-Jaurès confirment largement cette impression. Lors de la dernière vague, nous demandions ainsi aux Français quels étaient les trois enjeux qui les préoccupaient le plus. À ce niveau, le pouvoir d’achat arrive largement en tête, en étant cité par près de 52% des répondants. C’est un chiffre plus de vingt points supérieur à ce que l’on constate pour les trois enjeux suivants : le système de santé, l’environnement et l’immigration.
Graphique 1. Les enjeux jugés prioritaires par les Français (février 2022)
Or, il est frappant de constater à quel point la donne a changé de manière extrêmement rapide à ce niveau. En septembre dernier, nous montrions ainsi que le pouvoir d’achat n’était cité comme enjeu principal de préoccupation que par 40% des Français et était devancé par la question du système social, de la délinquance et de l’environnement.
Graphique 2. Les enjeux jugés prioritaires par les Français (septembre 2021)
Cette évolution n’est pas sans conséquence. Comme la littérature en science politique l’a montré depuis de nombreuses années, les citoyens votent généralement en fonction de l’enjeu ou des quelques enjeux qu’ils jugent prioritaires, en choisissant le candidat qu’ils jugent le plus compétent pour répondre à cette question.
Dans cette note, nous nous proposons ainsi d’analyser le rôle du pouvoir d’achat dans la campagne électorale française. À qui profite l’arrivée de cet enjeu sur le devant de la scène ? Pour qui les personnes jugeant cet enjeu prioritaire ont-elles l’intention de voter en avril prochain ?
Le pouvoir d’achat, un enjeu qui transcende les clivages partisans
Le fait de considérer le pouvoir d’achat comme un enjeu prioritaire ne vient pas modifier de manière spectaculaire les équilibres partisans. C’est un point essentiel.
Graphique 3. Intentions de vote au premier tour de la présidentielle en fonction du fait de considérer le pouvoir d’achat comme un enjeu prioritaire versus intentions de vote dans l’ensemble de l’électorat
Lecture : Jean-Luc Mélenchon obtient 11% des intentions de vote chez les Français préoccupés par le pouvoir d’achat, alors qu’il n’est qu’à 9% dans l’ensemble de l’électorat.
Les personnes considérant le pouvoir d’achat comme un enjeu prioritaire vont certes voter légèrement plus pour Jean-Luc Mélenchon (il passe de 9% à 11%) et légèrement moins pour Emmanuel Macron (de 24% à 23%), Valérie Pécresse (de 16% à 14%) et Éric Zemmour (de 15% à 13%), mais les différences sont pour le moins assez marginales.
Cela montre clairement qu’aucun candidat ne « possède » cet enjeu au point de faire en sorte que toutes les personnes qui en seraient préoccupées voteraient très majoritairement pour ce candidat.
Le « tout culturel » de Zemmour contre le versant social de Le Pen
La donne change néanmoins sensiblement lorsque l’on croise la question du pouvoir d’achat avec celle de l’immigration. Premièrement, les Français préoccupés par ces deux enjeux votent quasiment systématiquement pour des candidats de droite ou d’extrême droite. Mais plus encore, on observe un sur-vote très important pour Marine Le Pen, créditée de 34% des intentions de vote au sein de cet électorat, soit quatre points de plus que son rival d’extrême droite.
Graphique 4. Intentions de vote au premier tour de la présidentielle des personnes préoccupées par le pouvoir d’achat ET par l’immigration
Or, il est frappant de constater que la situation est bien différente chez les personnes préoccupées uniquement par les questions d’immigration et plus encore chez celles préoccupées à la fois par les questions migratoires et de lutte contre la délinquance.
Graphique 5. Intentions de vote au premier tour de la présidentielle des personnes préoccupées par l’immigration versus préoccupées par l’immigration et par la lutte contre la délinquance
Alors que Marine Le Pen se détachait nettement dans le vote des personnes préoccupées à la fois par les questions d’immigration et de pouvoir d’achat, la donne est clairement différente ici. Éric Zemmour dépasse d’une courte tête Marine Le Pen (33% contre 29%) au sein de l’électorat préoccupé uniquement par les questions migratoires. Mais lorsque l’on s’intéresse aux électeurs préoccupés par les questions d’immigration et d’insécurité, l’écart est encore plus manifeste. Éric Zemmour écrase en effet la concurrence pour arriver à 41% d’intentions de vote, soit un écart de 14 points avec la candidate du Rassemblement national.
Conclusion
- Si le pouvoir d’achat est devenu de manière spectaculaire dans cette campagne l’enjeu jugé prioritaire par les Français, il ne possède pas de couleur politique. En effet, les citoyens préoccupés par cet enjeu votent finalement de la même manière que l’ensemble des électeurs. À lui seul, le pouvoir d’achat n’est donc pas à même de porter la dynamique victorieuse d’un candidat ou d’une candidate.
- Marine Le Pen confirme sa stature de candidate radicale sur les questions culturelles, mais à la rhétorique plus sociale sur les enjeux économiques. Les Français préoccupés à la fois par le pouvoir d’achat et l’immigration se reportent très largement sur elle.
- Éric Zemmour est au contraire le candidat du « tout culturel », il est en position de force au sein de l’électorat préoccupé à la fois par les questions migratoires et d’insécurité. Preuve s’il en est que sa campagne, focalisée quasiment uniquement sur ces questions, a bel et bien réussi à infuser dans l’électorat.