Le souverain peut-il avoir deux corps : la nation et l’Europe ?

En cette période de crise sanitaire, beaucoup de gouvernements européens ont posé comme principal enjeu de « l’après-Covid » la nécessité de reprendre le contrôle de certaines productions pour retrouver une meilleure autonomie nationale. Mais dans le même temps, il est convenu que cette recherche d’autonomie nationale doit s’inscrire dans le cadre européen. La souveraineté peut-elle donc s’inscrire à l’échelle nationale et à l’échelle européenne de manière simultanée ? C’est ce qu’interroge Francis Wolff, à partir des résultats de l’enquête sur la souveraineté européenne menée pour la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation Friedrich-Ebert.

Nous sommes quelques-uns à avoir été surpris par une expression d’Emmanuel Macron lors de son intervention du 12 mars 2020 : « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, à d’autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. » « Une France, une Europe souveraine » : à une oreille distraite, cela pourrait sonner comme un simple effet de la rhétorique du « en même temps ». Mais n’est-ce pas plutôt une « obscure clarté » ? Car, en l’occurrence, cette expression semble moins relever du travail heureux de la synthèse que du maniement malheureux de la contradiction. En bon français, si l’Union européenne est souveraine, ses membres ne le sont pas. Et si la France est souveraine, alors elle peut signer tous les traités internationaux qu’elle veut comme s’efforce de le faire aujourd’hui la Grande-Bretagne post-Brexit, mais elle ne peut pas invoquer la souveraineté de l’Europe. D’ailleurs, ceux qu’on appelle les « souverainistes », en France (de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen) ou à l’étranger (les brexiteurs), sont justement ceux qui défendent la souveraineté nationale contre toute forme de dépendance supranationale (la concurrence sauvage à gauche, les étrangers à droite), en particulier une prétendue souveraineté européenne. L’oxymore de l’expression présidentielle a, certes, été atténué dans l’allocution du 31 décembre 2020 : « Notre souveraineté est nationale et je ferai tout pour que nous retrouvions la maîtrise de notre destinée et de nos vies. Mais cette souveraineté passe aussi par une Europe plus forte, plus autonome, plus unie. » La formulation est plus prudente. Mais peut-être retorse. Elle invoque une sorte d’étrange felix culpa : comme la chute est nécessaire à la rédemption, la dépendance ne serait, au fond, que le chemin détourné qui mène à plus d’indépendance. Le stratagème paraît trop habile, l’expression trop subtile. Ils laissent l’analyste sceptique. 

Telle n’est pas, pourtant, l’opinion des Européens. La lecture de l’enquête Ipsos sur la souveraineté européenne contient, en effet, une surprise équivalente. C’est le tableau 25 : 58% des Européens estiment qu’il est possible d’employer ces deux mots « souveraineté » et « Europe » ensemble, « car la souveraineté européenne et la souveraineté nationale sont complémentaires » ; seuls 42% d’entre eux (52% des Français seulement, serait-on tenté d’ajouter) estiment qu’« il est contradictoire d’employer ces deux mots, car la souveraineté renvoie avant tout à la nation ». Une bonne moitié des Européens adhéreraient donc à la dialectique macronienne du « en même temps », c’est-à-dire à l’idée que le souverain pourrait avoir deux visages, ou mieux deux corps : la nation et l’Union dont elle est membre.

On sait que, en France depuis le XVIsiècle, la formule caractérisant la souveraineté – c’est-à-dire l’identité, l’exclusivité et la continuité du pouvoir royal sur un territoire – était « le roi est mort, vive le roi ! » qui proclamait que le successeur est porté sur le trône par son prédécesseur en une parfaite continuité. En Angleterre, la souveraineté du pouvoir était conceptualisée par la fiction des « deux corps du roi ». Le roi a un corps mortel, soumis aux maladies et à la mort, et un corps politique, invisible, par lequel la continuité du pouvoir se trouve perpétuellement garantie par son détachement du corps naturel. Serait-ce que, pour Macron et pour une majorité d’Européens, « notre » souverain aurait, lui aussi, deux corps ? Mais, cette fois, il ne s’agirait plus, pour l’un des deux corps, d’assurer fictivement la continuitéd’une souveraineté unique, mais il s’agirait, pour un corps et celui qui l’englobe, d’assurer conjointement l’unique autorité suprême. Cela semble impossible : le sens même du mot « souveraineté » l’exclut.

Le concept de souveraineté

En morale, la tradition aristotélicienne appelait « bien souverain » celui qui non seulement est supérieur à tous les autres (le plaisir, la prospérité, la santé, etc.) mais les achève et les réunit : c’est donc le bien absolu et parfait. Il en va de même du pouvoir souverain tel qu’il fut conceptualisé dès l’avènement de l’État moderne. Il s’agissait d’en finir avec la féodalité, c’est-à-dire avec le partage de la puissance publique avec les cités, les principautés ou les seigneuries, mais aussi avec le pouvoir du pape ou de l’Église. Les historiens datent des Six livres de la République de Bodin (1576) la théorisation de ce concept de souveraineté. Elle est cette « puissance absolue et perpétuelle » qu’a la République – ce qu’on appelle aujourd’hui l’État – « de donner et casser la loi » et, par conséquent, aussi, de sanctionner légalement la désobéissance des sujets. On s’accorde aussi pour faire de Hobbes le philosophe qui fonde cette exclusivité et cette absoluité du pouvoir de l’État, non plus sur une source sacrée mais sur la raison même des individus qu’il assujettit. Les hommes décident volontairement, contractuellement, d’abandonner tous leurs droits naturels à un souverain (une personne ou une assemblée), dont ils deviennent ainsi les sujets, afin qu’il leur garantisse la sécurité en les protégeant « de l’attaque des étranges et des torts qu’ils pourraient se faire les uns aux autres ». Cela fait, « la multitude ainsi une en une seule personne est appelée la République… Telle est la génération de ce grand Léviathan, ou plutôt, pour en parler avec plus de référence, de ce dieu mortel auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection ».  

On pourrait croire que les philosophes des Lumières allaient rompre avec ce que cette conception de la souveraineté de l’État pouvait avoir d’absolutiste. C’est vrai en un sens, pourtant, leurs apports achèvent de constituer le concept, tant philosophique que juridique, de souveraineté, c’est-à-dire de puissance exclusive de l’État. 

Montesquieu, qui n’emploie guère le vocabulaire de la souveraineté, s’efforce de protéger la liberté des sujets de toute tentative de tyrannie du souverain, en divisant le pouvoir exclusif de l’État sans porter atteinte à son exclusivité. C’est le célèbre : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser […]. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir ». Il s’agit de limiter les pouvoirs les uns par les autres, plus précisément de partager en trois la puissance souveraine de faire la loi : le pouvoir de l’élaborer, celui de la faire appliquer et celui de juger les contrevenants. Toutes les constitutions ultérieures portent la marque de ce principe, et déjà la Constitution américaine avec sa doctrine des « checks and balances »

Quant à Rousseau, il fonde la légitimité de ce pouvoir souverain sur un seul concept : le peuple. La souveraineté est « l’exercice de la volonté générale » née du contrat social. Seule la souveraineté du « peuple en corps » est légitime. Cette souveraineté est inaliénable ; en elle se réalise le suprême paradoxe du contrat social : « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. »

Le concept (ou le mythe) de souveraineté politique se trouve ainsi achevé avec ses quatre composantes : la souveraineté est la puissance exclusive de la loi de l’État sur un territoire et une population donnés (dans le même esprit, Max Weber définira l’État, on le sait, par la détention du « monopole de la violence légitime ») ; sa source est conventionnelle ; elle s’exerce constitutionnellement par la séparation des pouvoirs et trouve sa légitimité dans le peuple. Tel est le sens premier et classique du terme « souveraineté ».

Mais ce pouvoir souverain de l’État sur ceux qui lui sont assujettis n’est que la moitié du concept moderne. Rousseau a bien vu qu’il avait deux versants, interne et externe. « J’aurais voulu que personne dans l’État n’eût pu se dire au-dessus de la loi, et que personne au-dehors n’en pût imposer que l’État fût obligé de reconnaître. » La souveraineté consiste donc, à l’intérieur de l’État, à soumettre toute forme de pouvoir au règne de la loi ; et, à l’extérieur, à refuser toute forme de domination ou d’hégémonie. Comme le remarque Olivier Beaud, « les deux formes de la souveraineté de l’État sont antagoniques… La souveraineté internationale, dite aussi souveraineté “externe”, n’est pas un pouvoir… Elle en est même le contraire ». Elle n’est pas une puissance mais une liberté. Elle a pour fondement l’égalité des États : chacun, grand ou petit, est considéré comme souverain. Cela crée du même coup les conditions du droit international. « Pas plus que les États ne prétendent que [leur souveraineté] les autorise à violer [le droit international], celui-ci n’admet-il qu’ils invoquent leur souveraineté pour se soustraire à ses règles. » Et la règle de ces règles, c’est l’indépendance et l’égalité des États.

Incompatibilité des deux souverainetés, nationale et européenne

On peut penser que, lorsque les enquêtés entendent « souveraineté », ils pensent d’abord « souveraineté externe » et donc « indépendance ». C’est en ce sens que l’invoquent régulièrement certains leaders politiques (« regagnons notre souveraineté », etc.) à chaque crise globale (crise économique de 2008, pandémie de 2020-2021, etc.). C’est en partie ce qu’on constate, en effet, en regardant les tableaux 11, 12, 13 et 27 de l’enquête Ipsos. Mais en partie seulement. Parmi les associations sémantiques du mot « souveraineté » c’est bien le mot « indépendance » qui arrive en tête pour l’ensemble des Européens interrogés. L’association avec le mot « puissance », en deuxième position, est ambiguë car elle peut s’accorder avec les deux versants de la souveraineté. Mais ce sont les tableaux 6 et 12 (comparaison de résultats internationaux) qui sont les plus intéressants de ce point de vue. Car, pour les habitants des pays de l’Europe du Sud (France, Italie, Espagne), les associations sémantiques penchent nettement du côté interne (« puissance », « nationalisme ») et pour les autres pays du côté externe (« indépendance », « autodétermination », « liberté »). Le tableau 6 est particulièrement significatif : en Allemagne « indépendance » (Unabhängigkeit) et « indépendant » (Unabhängig), constitutifs de la souveraineté comme liberté, sont privilégiés, tandis qu’en France, ce sont « roi » et « pouvoir » – donc la souveraineté comme domination – qui s’imposent. Cela s’explique, dans les deux cas, par des questions de langue et de tradition constitutionnelle. En français, « souverain » signifie d’abord « ce qui est au-dessus des autres », selon Le Robert, qui note que « souveraineté » renvoie primitivement à « l’autorité suprême d’un souverain » ; le mot a donc des connotations monarchiques. En allemand, la notion de souveraineté est aujourd’hui traduite littéralement par Souveränität (au sens d’indépendance) alors que le concept juridique classique (interne) est souvent mieux rendu par Staatsgewalt, lié davantage aux notions de pouvoir, de domination (Herrschaft) et de puissance publique (MachtGewalt). Il est clair aussi que la « monarchie républicaine », propre à la Ve République française, marquée par la personnalité de son fondateur et par l’importance de la fonction présidentielle, ne compte pas pour rien dans ces associations. Ainsi, Olivier Beaud a pu noter que Jean Lacouture a nommé le volume de la biographie de de Gaulle consacré à la Ve république « Le souverain ») : de là la prégnance de la face interne de la souveraineté pour les Français (la puissance de l’État). Par opposition, on notera que l’histoire récente de l’Allemagne invite plutôt les Allemands à associer la « souveraineté » à leur indépendance (difficilement reconquise après la Seconde Guerre mondiale, et puis après la réunification). En outre, la constitution fédérale s’oppose à toute connotation absolutiste de la notion de souveraineté interne et incite les Allemands à une réflexion permanente sur les compétences respectives (et donc l’indépendance relative) des Länder et de l’État fédéral. 

Quoi qu’il en soit, il paraît de toute façon impossible de soutenir que l’Union européenne préserve la souveraineté des États membres, que celle-ci soit conçue comme puissance interne ou comme indépendance externe.

Le principal trait de la souveraineté interne est, en effet, la monnaie. Or, depuis l’indépendance de la Banque centrale européenne et la création de l’euro, les États de la zone euro ont perdu leur souveraineté monétaire. Cette Banque centrale européenne peut même être considérée comme une entité authentiquement fédérale née d’un transfert de leur souveraineté monétaire par les États membres. On remarquera également, et pour le regretter, que ces institutions monétaires européennes, notamment celles qui composent l’Eurogroupe, ont tous les attributs de la souveraineté (la toute-puissance exclusive) sur la zone euro, sans avoir la légitimité démocratique qui devrait être associée à cette idée, car, comme on a pu le remarquer, le gouvernement « de la zone euro fonctionne hors des traités européens et n’a donc aucun compte à rendre au Parlement européen, ni a fortiori aux parlements nationaux ». 

Un autre trait essentiel de la souveraineté est la capacité à faire des lois (au triple sens de Montesquieu : législatif, exécutif et judiciaire) dont la légitimité dépend en dernière instance de cours suprêmes. Or, on ne peut plus dire de la Cour de cassation ou du Conseil d’État en France qu’ils ont un « pouvoir souverain » puisque la Cour de justice de l’Union européenne (dite de Luxembourg) et la Cour européenne des droits de l’homme (dite de Strasbourg) peuvent remettre en cause leurs décisions. Selon le « principe de primauté », le droit européen a une valeur supérieure aux droits nationaux des États membres et interdit à ceux-ci d’appliquer une règle nationale qui serait contraire au droit européen. Et le « principe d’effet direct » permet aux particuliers d’invoquer directement le droit européen devant les tribunaux, indépendamment de l’existence de textes issus du droit national.

On dira qu’il n’en va pas de même de la souveraineté externe puisque le fait de s’engager librement, en toute indépendance et à égalité avec les autres États, dans des traités internationaux en est la manifestation par excellence. Les vingt-sept États de l’Union européenne ont bien signé et ratifié souverainement les traités qui définissent les compétences et le fonctionnement de cette Union : cet ensemble, rappelons-le, c’est le traité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (1951), ceux de Rome (1957), de l’Union européenne (dit traité de Maastricht, 1992), et de Lisbonne (2007) après le rejet du traité établissant une constitution pour l’Europe (TECE) par la France (référendum du 29 mai 2005) et les Pays-Bas. Cette interprétation juridique trouverait a contrario sa preuve dans le Brexit (application de l’article 50 du traité de Lisbonne) : s’il est possible de regagner sa liberté (avec quels efforts et à quel prix !), c’est qu’on ne l’avait pas perdue. Cet argument apparaît paradoxal : la preuve qu’on était déjà souverain et qu’on n’a jamais cessé de l’être, c’est qu’on peut le (re)devenir ! 

On objectera cependant que, même si l’acte de ratification des traités constituant l’Union européenne était bien une manifestation de la souveraineté externe des États membres, leur contenu était une entorse indiscutable à leur souveraineté interne puisqu’il n’a pas fallu moins de six modifications constitutionnelles depuis 1992 (traité de Maastricht) pour que la France puisse intégrer licitement l’Union. Ce fut généralement suite à des décisions du Conseil constitutionnel qui relevaient l’incompatibilité des engagements européens avec l’exercice de la souveraineté nationale : clauses contraires à la Constitution, remise en cause des droits et libertés constitutionnellement garantis, etc.

Ajoutons que ladite souveraineté externe ne pourrait être considérée comme absolument respectée dans le cadre de l’Union que si toutes les décisions y étaient prises à l’unanimité – qui seule garantit que chaque État pèse d’un poids égal à celui des autres – ce qui revient à le doter d’un droit de veto, au risque (par ailleurs déploré) de paralyser l’action collective. Ce mode de décision est encore imposé au Conseil : c’est cette règle de l’unanimité qui a permis aux « États frugaux » de bloquer des décisions concernant le partage de la dette, ou à la Hongrie et à la Pologne de bloquer pendant plusieurs semaines le crédit de 750 milliards d’euros du « plan de relance » post-Covid-19 pour s’opposer à sa conditionnalité aux critères de « l’État de droit ». Mais certaines décisions se prennent désormais à la majorité qualifiée, notamment dans la gestion du marché unique (cette procédure a été utilisée, par exemple, au moment de la crise migratoire en 2015, pour imposer la répartition des réfugiés par quotas entre les pays de l’Union européenne malgré l’opposition de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Hongrie et de la Roumanie), ou peuvent être empêchées par une « minorité de blocage » (comme ça a été longtemps le cas contre la révision de la directive sur les travailleurs détachés).

On ne peut donc pas soutenir que la souveraineté des États, qu’elle soit interne ou externe, soit préservée par l’Union européenne.

Quant à la « souveraineté européenne », elle est juridiquement tout aussi imaginaire que la souveraineté nationale. L’Union européenne n’aurait de souveraineté, qu’elle soit interne ou externe, que si elle devenait un État indépendant ayant une omnicompétence supranationale ; et cette souveraineté n’aurait de légitimité que si toutes les instances décisionnelles émanaient du suffrage populaire direct des Européens. Seule la solution fédéraliste donnerait une telle souveraineté à l’Union européenne. 

On peut donc conclure : il n’y a pas plus de sens à parler de la souveraineté européenne que de souveraineté nationale et, de toute façon, celle-ci est forcément incompatible avec celle-là.

Comme on l’a souvent remarqué, l’Union européenne est, en effet, un « régime » hybride. Ni une simple confédération issue de traités internationaux passés entre États souverains, où toutes les décisions sont adoptées à l’unanimité par les représentants des gouvernements (comme du temps de la Communauté économique européenne, avant Maastricht) ; ni un État fédéral, fondé par une Constitution, où les lois votées par un Parlement s’appliqueraient directement à tous les citoyens. Pour désigner cette forme mixte, ou inachevée, Olivier Beaud a proposé le concept de « fédération d’États ».

Souveraineté ou puissance ?

Qu’est-ce qui justifie donc l’idée chimérique présente dans le discours d’Emmanuel Macron de mars 2020, que le souverain pourrait avoir deux corps, l’un national, l’autre européen, et l’un dans l’autre ?

La compatibilité des deux « souverainetés » peut se comprendre en recourant à un usage élastique et abâtardi du mot « souveraineté » qui, d’une part, le réduirait à son sens externe (majoritaire en Europe, on l’a vu) et qui, d’autre part, ôterait toute connotation absolue au concept d’indépendance. Un État pourrait alors être « plus ou moins souverain » s’il disposait d’une plus ou moins grande autonomie (économique, énergétique, sanitaire, etc.) d’une plus ou moins grande puissance relativement aux autres. Avec ces réserves, il peut être légitime de soutenir que, en un sens, l’Union européenne diminue l’autonomie de chaque État membre et, en un autre sens, la renforce. Ainsi, les États gagnent en puissance relative en se présentant unis dans les négociations internationales, par exemple commerciales. C’est ce que notait Mario Draghi à l’université de Bologne le 22 février 2019, après avoir rappelé que l’Europe à elle seule ne constituait plus que 7 % de la population mondiale et qu’elle devait naviguer entre une Chine conquérante et les États-Unis : « Les pays d’Europe doivent travailler ensemble » s’ils veulent « disposer de l’aptitude à façonner son destin que l’on appelle la souveraineté. » Il ajoutait : « Peu de pays européens ont une taille leur permettant […] de peser sur des négociations commerciales internationales. » Dans les domaines où « l’État-nation n’a guère de pouvoir seul […], l’Union européenne n’empiète en rien sur la souveraineté de ses membres, elle leur offre la possibilité d’en reconquérir ». Il en va de même, aussi, de la défense nationale (l’Europe puissance), de la taxation des GAFAM, de l’imposition d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe, etc. Et, en ce sens, les suites du Brexit devraient offrir un argument à l’Union européenne si, comme il est probable, la Grande-Bretagne peine à retrouver les avantages commerciaux qui étaient les siens quand elle en était membre. La Grande-Bretagne aurait ainsi perdu une part de sa souveraineté externe (au sens de poids international), notamment commerciale, en voulant recouvrer sa (supposée) souveraineté interne.

Peut-on aller plus loin et dire que les États gagnent en liberté en aliénant librement la liberté qui était la leur avant l’Union européenne ? On touche là un problème philosophique classique. En philosophie politique, la réponse des théories contractualistes, antiques ou modernes, est affirmative. Le fondement rationnel de la société politique est, selon elles, le suivant : les individus étaient à l’état naturel dotés d’une liberté illimitée mais sans cesse menacée ; ils ont librement accepté le passage à l’état civil pour bénéficier de la toute-puissance d’un État protecteur. Selon le pacte de Hobbes, chaque individu y gagne ainsi la sécurité : il lui permet d’exercer sa liberté, certes désormais limitée, mais de l’exercer pleinement et réellement. C’est là fonder une souveraineté de l’État réduite aux fonctions régaliennes (ordre public, sécurité intérieure et extérieure). Chacun y gagne en échangeant une liberté a priori illimitée mais sans cesse menacée contre la sécurité a posteriori qui la rend effective. On peut soutenir qu’il en va de même, mutatis mutandis, des traités fondateurs de l’Union européenne ratifiés par les États souverains : en aliénant une part de leur souveraineté (interne et externe) pleine mais impuissante, chaque État gagnerait en indépendance réelle par rapport au reste du monde – les grandes puissances (Chine, États-Unis, Russie), les multinationales, les GAFAM, etc. Le raisonnement est légitime. Mais il faut noter qu’il mène nécessairement au fédéralisme. Ce n’est que lorsqu’ils seront unis en une fédération que les États membres gagneront en souveraineté externe effective et qu’ils pourront soutenir que c’est leur Union qui fait leur force. Mais ce n’est pas encore le cas. On pourrait même dire, sans paradoxe, que le poids de la souveraineté nationale des États est encore trop lourd pour qu’ils bénéficient collectivement de la vraie souveraineté internationale que leur donnerait l’Union.

C’est ce que peut confirmer un autre modèle contractualiste. Rousseau a, en effet, donné à son contrat social une portée plus ambitieuse que celui de Hobbes. Il conçoit une association qui permette à chaque associé de gagner en protection sans rien perdre de sa liberté initiale : « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ». La solution de Rousseau à ce problème passe par le concept (ou le mythe) de la « volonté générale ». C’est celle qu’exprime le peuple quand il parle d’une seule voix car « il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun ; l’autre regarde à l’intérêt privé, et n’est qu’une somme de volontés particulières ». Et « tant que plusieurs hommes réunis se considèrent comme un seul corps, ils n’ont qu’une seule volonté qui se rapporte à la commune conservation et au bien-être général ». Qu’est-ce qu’impliquerait la transposition de cette idée au niveau des États ? Ce serait substituer au régime actuel de l’Union européenne dans lequel chaque État s’efforce de défendre son intérêt (c’est ainsi que fonctionne le Conseil) un régime où tous les conseillers, en corps, s’efforcent de parler d’une seule voix au nom de l’Europe comme telle. Ce serait donc un régime où les citoyens européens éliraient au suffrage universel direct un Parlement central souverain. On serait là, au-delà même de l’État fédéral, au-delà des États-Unis d’Europe, dans un État post-national, réunissant une population multiculturelle, multilinguistique, et comptant beaucoup plus de cultures et de langues que l’Europe compte aujourd’hui d’États (considérés comme) souverains.

Quoi qu’il en soit, le concept de « souveraineté » s’avère aussi impuissant à caractériser la situation actuelle des États dans l’Union européenne que celle de l’Union européenne elle-même. L’Union européenne peut d’autant moins « nuire » à la « souveraineté nationale » qu’elle est, dans le monde actuel, un mythe, comme « nation » elle-même. Ce sont des mots qui, pour reprendre ce que disait Paul Valéry de la liberté, « ont plus de valeur que de sens, qui chantent plus qu’ils ne parlent ». Comme « nation » chante aux oreilles des nationalistes, « souveraineté » ravit ceux qui, « souverainistes », entretiennent l’illusion de l’autosuffisance nationale, croient, ou plus sûrement font croire (comme l’ont fait les brexiteurs) qu’il est possible de revenir à une « indépendance nationale » (économique, politique, stratégique, militaire, sanitaire) qui n’a jamais existé, même à l’époque des grands empires européens, lorsque la « nation française » s’étendait « de Dunkerque à Tamanrasset » et l’Europe « de l’Atlantique à l’Oural »; ou qu’il serait possible, sans désastre économique, politique ou social, de bénéficier en autarcie des bienfaits de la mondialisation (scientifiques, techniques, culturels, juridiques, commerciaux), ou de contrecarrer sans alliés ses méfaits (économiques, sociaux ou médiatiques).

Ce qui nuit à la « souveraineté » des États (même au sens abâtardi de ce mot) n’est pas l’Union européenne, ou quelque organisation intergouvernementale supérieure, c’est, au contraire, l’absence de contrôle par les États, et plus encore par l’Union européenne ou par quelque autorité publique supranationale, de ces toutes-puissantes multinationales privéesqui n’obéissent qu’aux lois – ou aux dérèglements – des marchés, que ce soit les marchés économiques et financiers ou les marchés de l’information (GAFAM, BATX) ou des niches à rumeurs incontrôlables que sont les réseaux sociaux aux milliards d’abonnés. La question n’est donc pas : comment un État-nation peut affirmer (ou retrouver) sa (prétendue) souveraineté, mais quel pouvoir public peut s’imposer contre ces puissances privées ? Et plus ce contrôle public sera supranational, plus il sera puissant. L’Union européenne n’est donc pas le problème, mais (une partie de) la solution, ou du moins devrait l’être. 

L’Union européenne au-delà de la souveraineté

Pour évaluer les apports (ou les dangers) de l’Union européenne, il faut donc se passer de l’idée de « souveraineté », ou du moins cesser de la penser seulement comme un bien à atteindre ou à reconquérir, pour l’envisager comme un obstacle à contourner afin d’affronter les problèmes globaux : pandémies, réchauffement climatique, épuisement des ressources naturelles, extinction des espèces, catastrophe nucléaire, crise économique mondiale, inégalités planétaires croissantes, idéologies complotistes internationales, etc. 

Que peut représenter l’Union européenne à cette échelle globale ? Les Européens pressentent bien qu’il ne peut pas y avoir de réponse nationale à ces problèmes globaux. Ils pressentent ce que disait Habermas : « Ou nous parvenons à forger une identité européenne, ou le vieux continent disparaîtra de la scène politique mondiale ». Cependant, en quoi une Europe non fédérale pourrait-elle avoir la moindre puissance internationale ? Plus précisément, en quoi l’Union européenne, cette forme hybride, instable ou inachevée, peut-elle contribuer dès maintenant à répondre à ces risques globaux, c’est-à-dire à garantir la souveraineté du contrôle public sur la toute-puissance du privé ?

Réponse : l’Union européenne crée d’ores et déjà de l’universel.

La liberté des multinationales (extraterritoriales) s’appuie sur la défense de leurs intérêts – c’est-à-dire généralement de leurs actionnaires. Il en va de même de la « souveraineté » (externe) des grandes puissances (territoriales) : elle vise à la défense des intérêts de ces États, ou, souvent, de leurs oligarchies ou de leurs dirigeants. Mais les valeurs sur lesquelles l’Union européenne s’appuie pour dessaisir les États membres de leur souveraineté territoriale (interne) ou extraterritoriale (externe) sont des valeurs universelles : chaque État abandonne une part de la défense de ses intérêts nationaux, pour défendre les intérêts non de l’Union elle-même mais des citoyens européens considérés individuellement. Et, pour ce faire, l’Union européenne s’appuie sur des valeurs universelles ou sur des normes valables pour l’humanité entière.

Cela a été le cas dès les prémices. Sans doute, la construction d’un grand marché a-t-il été à l’horizon dès le départ. Mais il s’agissait grâce au libre-échange d’assurer les conditions d’une paix durable. « Il ne s’agissait pas d’abolir la souveraineté des États, mais de faire en sorte que la coopération et l’arbitrage se substituent à l’arrogance et à l’agressivité. » 

Mais cette vocation universaliste de l’Union européenne, on la voit surtout, au jour le jour, dans sa capacité à fixer des normes sanitaires et environnementales plus exigeantes que celles de tous les autres États-nations ou de toute autre entité supranationale : par exemple en matière de sécurité alimentaire, de qualité de l’air, d’eau potable, de biodiversité ; sur l’usage des substances chimiques, sur la sûreté des jouets ; sur la protection de la vie privée (le Règlement général sur la protection des données a fixé la norme mondiale de protection sur le web), etc. Certes, sur toutes ces matières (notamment le réchauffement climatique), on est encore assez loin du compte, mais il faut se réjouir que ces exigences normatives servent de modèles, au-delà de l’Europe, à toute l’humanité. Au-delà de ses propres citoyens, les normes de l’Union européenne visent à préserver l’humanité elle-même et au-delà, à défendre les droits de tous les êtres humains.

Il en va ainsi, encore plus clairement, sur le plan juridique. Ce que les cours naguère suprêmes (Conseil d’État et Cour de cassation) ont perdu en souveraineté l’a été au profit d’entités juridiques qui s’appuient, non sur les principes, les valeurs et les droits propres à l’Europe, mais sur des principes ayant valeur universelle. Ainsi en va-t-il de la Cour de justice de l’Union européenne : ses décisions ne peuvent s’appliquer qu’à des habitants de l’Europe, mais elles se fondent sur les valeurs universelles énoncées par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : droit au respect de la vie privée et familiale, de la pratique religieuse, droit à accéder à un tribunal impartial, principe ne bis in idem, etc. Il en va de même, a fortiori, de la Cour européenne des droits de l’homme qui s’appuie sur la Convention européenne des droits de l’homme : elle défend les droits fondamentaux, civils et politiques, non seulement des ressortissants des pays signataires mais de toutes les personnes relevant de sa juridiction. Elle garantit notamment le droit à la vie, les libertés fondamentales (expression, pensée, conscience, religion, respect des biens), interdit la torture, l’esclavage et le travail forcé, les peines ou traitements inhumains ou dégradants, les discriminations dans la jouissance des droits et libertés, etc.

Dans ces conditions, on doit s’indigner, plus que s’étonner malheureusement, de la déplorable pusillanimité avec laquelle l’Union européenne a répondu à la crise des réfugiés depuis 2015 et de la brutalité avec laquelle elle traite la question migratoire. On connaît les critiques récurrentes de la part des ONG de défense des droits humains à l’égard de l’Agence européenne Frontex. La quasi-fermeture des frontières de l’Europe est-elle un signe de souveraineté externe ? Non, plutôt d’absence de souveraineté interne. Car cette politique d’asile et d’immigration défaillante (et pas seulement à cause de la position xénophobe des pays orientaux), et dont la conséquence la plus visible est une gestion erratique et indigne des camps de réfugiés, dont Moria n’est que la partie émergée de l’iceberg), est clairement en contradiction avec ses propres valeurs universalistes. Elle se fait au mépris, non seulement des Déclarations des droits humains, mais du droit international et de la Convention de Genève (1951) sur le statut des réfugiés. Or, c’est bien la défense par les États de leur (prétendue) souveraineté qui empêche l’Union européenne d’avoir à ce sujet une politique claire. On peut penser qu’une Europe réellement unie aurait une puissance internationale suffisante pour adopter en la matière une politique à la hauteur de ses propres principes.

Car si l’on s’en tient à ces principes, qu’ils soient éthiques, juridiques ou même politiques, ce qui se dessine et pourrait ainsi s’ébaucher, au-delà de la souveraineté des États-nations, ce n’est pas la souveraineté de l’Union européenne elle-même. C’est bien plus : c’est le modèle d’un nouvel ordre international possible. Un ordre post-souveraineté, post-national, où le principe de subsidiarité qui prévaut dans l’Union européenne pourrait être appliqué à l’échelle globale.

Kant a inventé un nouveau droit (ni étatique, ni international) qu’il nommait « cosmopolitique » : les hommes doivent être ainsi considérés à la fois comme citoyens de leur propre État et comme citoyens du monde. Transcrit en termes européens, cela se dit : les hommes seront considérés à la fois comme citoyens de leur propre État – avec tous les droits qui en résultent – et citoyens européens avec tous les droits de tous les êtres humains en général. Le « principe de non-discrimination selon la nationalité » qui, depuis le traité de Lisbonne, s’applique à tous les citoyens européens en quelque pays qu’ils résident, séjournent ou travaillent, consacre ainsi, à l’intérieur des frontières de l’Union européenne, un principe moral de justice globale post-national : s’il est injuste de discriminer les êtres humains selon leur naissance (race, sexe, etc.), il est injuste de les discriminer selon leur lieu de naissance. L’Union européenne est encore loin d’être souveraine. Mais, par les principes sur lesquels elle s’appuie, et par les valeurs qu’elle met en œuvre, elle est déjà post-souveraine. 

La construction progressive de l’Union européenne et sa fédéralisation croissante permettent, en effet, de réfléchir aux conditions d’une gouvernance globale, et en tout cas supranationale, sur tout domaine d’intérêt global (écologie, climat, réseaux sociaux, sécurité alimentaire, sanitaire, droits humains, etc.).

On objectera : ne risque-t-on pas, ainsi, d’exacerber les réactions souverainistes ou nationalistes ? En effet, les replis identitaires et xénophobes, les radicalisations religieuses, les revendications communautaristes semblent bien la réaction inévitable des peuples face à une globalisation anonyme et hors-sol. Le national paraît le meilleur refuge face au global.

Cette crainte serait fondée si l’État-nation était le meilleur défenseur des identités. Or, c’est le contraire qui est vrai. Les langues régionales n’ont pu renaître et se développer que grâce à l’Europe. Les cultures locales doivent plus leur protection à l’Union européenne qu’aux États centralisateurs. Tel est d’ailleurs le vrai visage de la « souveraineté nationale » – au sens premier et classique du terme : la puissance exclusive d’un État uniformisateur sur un territoire.

L’État-nation n’a rien d’éternel : il y eut des cités-États sans frontières nettes, des Empires aux confins obscurs réunissant cultures, langues et nationalités diverses, il y a des unions, des fédérations, des autonomies locales, régionales, etc. L’Europe a inventé hier la souveraineté de l’État-nation, exportée tant bien que mal, un peu partout, et souvent avec des résultats catastrophiques comme en Afrique, en Asie centrale, dans les Balkans ou au Proche-Orient. Elle est (ou était, ou devrait être) en train d’inventer une forme politique inédite post-nationale qui fasse exploser le cadre traditionnel de la « souveraineté », interne ou externe, dans le respect des langues, des cultures locales et régionales, de la mémoire et des traditions des peuples du continent. N’est-elle pas, de ce fait même, en train de montrer ce que pourrait être, à terme, une citoyenneté cosmopolitique, par la confédération d’États fédérés, selon son propre principe de subsidiarité ?

D’une enquête à l’autre, et en dépit de toutes les défenses populistes de la prétendue « souveraineté nationale », on constate une adhésion de plus en plus forte des citoyens européens à la construction européenne et même à l’idée (plus ou moins bien comprise) de souveraineté européenne. Sur la question de savoir si l’Europe est effectivement souveraine, les citoyens européens se montrent très partagés, ce qui met bien en évidence l’ambiguïté de cette idée. En revanche, comme le montre le tableau 22, une majorité d’Européens (52%) considèrent positivement l’idée de « souveraineté européenne » (contre seulement 26% qui la considèrent négativement). Mieux encore : pour une écrasante majorité d’entre eux (73%), « il faut renforcer la souveraineté européenne ». On peut s’en réjouir. Et sur le fond, on peut leur donner raison, mais peut-être pour des raisons opposées à celles que suggère l’enquête. Car s’il convient de défendre la souveraineté européenne, ce n’est pas parce qu’elle est compatible avec la souveraineté nationale mais parce qu’elle est incompatible avec elle. Mieux : il faut la défendre parce qu’elle met en péril l’idée même de souveraineté au profit de l’idéal cosmopolitique qu’elle contribue à définir. La souveraineté a longtemps servi de justification à l’absolutisme. Elle est aujourd’hui l’euphémisation du nationalisme. Le souverain n’a pas deux corps. Au contraire du roi du conte, il n’a pas du tout de corps. C’est plutôt une bonne nouvelle.

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