Le rebond de la relation franco-allemande par la politique étrangère et de défense

A maintenant presque un siècle du début de la Première Guerre mondiale, quoi de plus symbolique que de voir l’amitié franco-allemande franchir une nouvelle étape ? Elle a clairement atteint la maturité en ce qui concerne la relation militaire et stratégique.

A maintenant presque un siècle du début de la Première Guerre mondiale, quoi de plus symbolique que de voir l’amitié franco-allemande franchir une nouvelle étape ? Elle a clairement atteint la maturité en ce qui concerne la relation militaire et stratégique. En communiquant sur leur convergence de vue en matière diplomatique et militaire, la France et l’Allemagne sortent leur relation spéciale de l’ornière pré-électorale dans laquelle elle se trouvait malgré le jubilé de leur traité d’amitié.
Bien qu’elle apparaisse évidente, immuable et stable, la relation franco-allemande n’en est pas moins, en son centre de gravité, une relation de nature diplomatique et intergouvernementale. Les échéances électorales perturbent considérablement les orientations données à la relation et là où les perspectives de long terme font défaut, la coopération s’empêtre souvent dans une communication facile qui ne reflète dans les faits aucune véritable volonté politique de fond.
L’accord de coalition, un tournant de la politique étrangère allemande ?
L’accord de coalition gouvernementale, signé entre le parti de centre-droit d’Angela Merkel (CDU) et les sociaux-démocrates (SPD) le 27 novembre dernier, efface en cela les dernières réserves allemandes sur les orientations de la politique franco-allemande. Celle-ci était devenue extrêmement frileuse dans les derniers mois du mandat de la coalition conservatrice-libérale. Que cela concerne la taxe sur les transactions financières, le soutien à l’opération malienne ou encore les demandes de Paris sur les mesures pour lutter contre le dumping social, tout avait été reporté à la constitution du nouveau gouvernement.
La chancelière Merkel saisit parfaitement les opportunités pour sa communication publique. Ce flair politique indéniable fut à l’œuvre dans la négociation du contenu de l’accord de coalition. Cet accord, que beaucoup de commentateurs ont analysé comme une reculade conservatrice, est d’abord un moyen pour la chancelière de rompre avec la pratique libérale-conservatrice de son dernier gouvernement, et de donner une tonalité européiste, clairement en faveur de l’économie sociale de marché et respectueuse des libertés publiques. Ce faisant, elle a agi d’une part pour contrer la montée en Europe et dans le monde d’un sentiment de méfiance voire de défiance par rapport à l’Allemagne ; d’autre part, elle a souhaité, en donnant une tonalité sociale à son gouvernement, exposer tout particulièrement un partenaire de coalition qu’elle sait faible et difficile à mobiliser en période électorale. Les analyses qui parlent de « victoire à la Pyrrhus » pour la CDU sont donc, en ce sens, à relativiser.
Le contenu de l’accord de coalition est, dans ses grandes lignes, très clair. Il s’agira pour l’Allemagne de continuer son européanisation, c’est-à-dire son intégration politique et économique en Europe. Sur ce plan, il faudra organiser une transition énergétique et socialement durable, qui puisse s’imbriquer dans le contexte continental. Sur le plan politique, il s’agira également de maintenir avec la France le rôle moteur du pays pour le développement du continent. En outre peut-on distinguer dans cet accord, entre les lignes relatives à la responsabilité de l’Allemagne en Europe et dans le monde, quelques éléments nouveaux d’une volonté, encore mal assumée, de devenir un acteur politique mondial de premier ordre. Ces nouvelles aspirations sont en parfaite rupture avec les théories classiques relatives à la politique étrangère de la République fédérale allemande. Elles reposent sur un faisceau d’indices qui amène à penser que l’Allemagne, acteur économique mondial, se voit contrainte de devenir un acteur politique européen et mondial de tout premier ordre, afin de gérer sa diplomatie économique et ses conséquences politiques.
Cette idée figure dans l’accord de coalition. Elle se retrouve dans le premier paragraphe de la septième partie de l’accord de coalition où l’on peut lire : « L’Allemagne est consciente de sa responsabilité internationale. Nous souhaitons être en mesure d’agir dans un contexte global. Pour cela, nous nous laissons guider par les intérêts et les valeurs de notre pays. L’Allemagne s’engage partout dans le monde pour la paix, la liberté, la sécurité, un ordre mondial juste, l’application des droits de l’homme, le respect du droit international, le développement durable et la lutte contre la pauvreté». Une telle rhétorique est effectivement en rupture avec une politique étrangère allemande, qui n’était par le passé nullement mondialisée, mais bien uniquement focalisée sur la relation transatlantique et européenne.
La dimension stratégique et militaire de l’amitié franco-allemande
Dans ce contexte, la relation franco-allemande est un démultiplicateur et à la fois un vecteur de développement de cette nouvelle forme de politique étrangère. Grâce à la garantie morale qu’elle représente, elle permet une émancipation du cadre historique par la valorisation d’objectifs collectifs et communs au couple franco-allemand. Le ralliement allemand aux positions françaises en matière de politique de défense et sécurité illustre bien cette dynamique. Lors du déclenchement de l’opération Serval au Mali, une minorité de la classe politique allemande, principalement quelques sociaux-démocrates, soutint le gouvernement français. En contrepoint, en pleine campagne législative, la chancelière, ainsi que son opposant concurrent direct, le social-démocrate Peer Steinbrück, s’opposèrent avec vigueur à une telle action (les Allemands étant majoritairement en défaveur des opérations militaires extérieures).
L’accord de gouvernement signé et les prestations de serment des différents ministres effectuées, le nouveau gouvernement allemand a fait vivre à sa politique étrangère et de défense une mini-révolution. Le 5 décembre 2013, dans la foulée de la résolution de l’ONU sur l’envoi de troupes en Centrafrique, le ministère de la Défense allemand annonce le soutien logistique de la Bundeswehr à l’armée française. Le 18 décembre suivant, soit un jour après la prestation de serment du gouvernement, Angela Merkel et son nouveau ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, sont à Paris pour définir les nouveaux grands axes des politiques de défense et étrangère franco-allemande. Ce déplacement, dont la rapidité d’exécution s’explique par la tenue du conseil européen de défense les 19 et 20 décembre 2013, est surtout l’occasion pour les acteurs franco-allemands de la politique étrangère et de défense de faire converger leurs vues dans l’optique de présenter un front commun en matière de stratégie européenne de sécurité et de défense.
Les orientations du conseil des ministres franco-allemands du 19 février : la coopération stratégique et le reste
Le conseil des ministres franco-allemands du 19 février dernier est un révélateur supplémentaire de cette convergence croissante en matière de politique extérieure. Au-delà d’annonces intéressantes mais très générales en matière de politique économique, industrielle et énergétique, Angela Merkel et François Hollande ont surtout eu l’occasion de s’exprimer longuement sur la politique commune de sécurité et de défense, ainsi que sur la politique de voisinage, avec le développement en l’espèce d’une position commune sur l’Ukraine. L’annonce, connue depuis l’avant-veille grâce à des fuites des milieux militaires, fut celle de l’envoi de la brigade franco-allemande sur le terrain centrafricain. Cette annonce, concomitante, à deux jours près, avec le déplacement commun en Ukraine des ministres français et allemands des Affaires étrangères, renforce considérablement la thèse d’un nouvel acte de cette relation spéciale ayant pour noyau central la coopération stratégique et de défense, comme le prouve la déclaration du Conseil franco-allemand de défense et sécurité.
La relation franco-allemande a trouvé dans les questions stratégiques une voie pour rebondir et pour développer une nouvelle dynamique. Cela est dû certainement en grande partie à la solidité effective de la relation entre les ministres des Affaires étrangères français et allemands qui découle premièrement du changement de majorité politique et deuxièmement du professionnalisme et de l’expérience des deux hommes. Le rééquilibrage de la stratégie franco-allemande sert indéniablement les velléités d’évolutions de la politique étrangère allemande et celles de stabilisation et de développement de la politique étrangère française. En cela, la relation spéciale que les deux pays entretiennent devient plus pragmatique et moins idéologisée que ce qu’elle a pu être par le passé. Cela se perçoit clairement dans les conclusions du dernier conseil des ministres commun. Les quinze autres pages des conclusions traitent pêle-mêle, par de grandes orientations, de climat et d’énergie, de coopération industrielle et technologique, de coopération économique, fiscale, sociale et en matière de transports, et de politique étrangère, de sécurité et de défense.
A l’approche des élections européennes, moment politique fort d’une Europe unie que la France et l’Allemagne ont porté sur les fonts baptismaux, il aurait été juste de parler davantage des citoyens, de leurs difficultés et des moyens que le politique peut mettre en œuvre pour les aider (droit de la famille franco-allemand, harmonisation de la fiscalité, etc.). Sur les seize pages de ces conclusions, une seule traite directement du rapprochement des peuples. Mais n’est-ce pas là justement le vrai carburant de la relation franco-allemande ?

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