Telle qu’elle est vécue par les milieux populaires, la société d’aujourd’hui n’est pas seulement marquée par les difficultés quotidiennes, le chômage, l’injustice, le pessimisme ou le « déclassement ».
Cette enquête nous enseigne qu’elle est dominée par un retournement de sens : l’Etat garant manque à sa place, la promesse dont était porteuse la République est devenue menace. L’ascenseur social est en panne, entend-on. Faux. Il fonctionne. Mais à l’envers. Il descend, il tire vers le bas. La violence est un excès que l’on doit réprimer ? Insuffisant. La violence est vécue comme ce qui a envahi l’espace social et peut surgir à tout instant, de toute part. L’intégration est globalement réussie à quelques exceptions, minoritaires ? Ce n’est pas le raisonnement des milieux populaires pour qui les échecs de l’intégration, fussent-ils minoritaires, remettent en cause la viabilité de la société dans sa globalité. Cette force d’attraction vers le bas, non seulement l’Etat n’en protège plus, mais il semble l’institutionnaliser à travers le fonctionnement de ses services publics de l’emploi ou de l’école et le renoncement de fait à son « monopole de la violence ». A-t-on pris la mesure de cette expérience sociale dans laquelle se forgent les opinions de milieux populaires ? Sait-on assez qu’ils sont constitués de quinze millions d’ouvriers et d’employés sur-exposés aux crises de la société française et que leurs votes ont joué un rôle déterminant dans les résultats du 21 avril 2002 et du 29 mai 2005 ? La connaissance des milieux populaires nous semble aujourd’hui défaillante ; leur reconnaissance démocratique est plus que jamais une urgente nécessité.