La transition humanitaire. Démocratie-égalité-santé

Puisque l’avenir de la planète et la vie humaine sont aujourd’hui en question, il est temps de définir des étapes réalistes et atteignables pour que la personne humaine et son bien-être soient au cœur des politiques économiques, sociales et culturelles à venir. Pour Michel Debout, ce sont ces étapes que les socialistes doivent promouvoir à travers la « transition humanitaire ». Cette note est la première d’une série de quatre qui porteront sur la santé des habitants, la santé des travailleurs et la santé des citoyens.

Un projet pour le socialisme démocratique

2007-2017 : avoir gagné toutes les élections pour les perdre toutes… Un seul quinquennat, celui de François Hollande, a suffi pour que le Parti socialiste passe de la lumière à l’ombre, d’une majorité électorale sans conteste dominante et parfois arrogante à une débâcle sans précédent.

Comment comprendre une évolution si rapide et si radicale ? Les affres de la politique du président de la République et la grande opération politico-médiatique de l’élection présidentielle qui a fait élire Emmanuel Macron expliquent pour partie, mais pour partie seulement, comment nous en sommes arrivés là.

En 2015 déjà, en préparant le congrès de Poitiers du Parti socialiste, j’appelais à sa refondation en soulignant que nous étions en train de changer de monde, que nous avions quitté une rive mais sans encore apercevoir le nouveau rivage ; que les Français attendaient de nous, Parti socialiste (comme des autres formations politiques), de les éclairer sur notre façon de voir l’avenir. François Hollande avait axé sa campagne électorale de 2012 sur le changement !

Les ruptures qui font passer les sociétés humaines d’un monde à un autre provoquent la crainte du renouveau et l’inquiétude d’un avenir incertain et obligent les politiques – qui situent leur action dans un temps court – de cinq à dix ans – à penser le monde à moyen et long terme.

Mais pour voir loin il faut d’abord remonter le temps. Depuis la Révolution de 1789, la société française a été traversée par trois grandes questions : la question civique qui l’a occupée pendant un siècle pour installer définitivement la république démocratique ; la question sociale apparue avec l’ère industrielle, qui a trouvé sa véritable réponse dans le compromis social élaboré par le Conseil national de la Résistance et mis en œuvre après la Libération (compromis dont les grands équilibres hérités de l’après-guerre sont mis en cause par la politique d’Emmanuel Macron) ; enfin, la question humaine, qui domine aujourd’hui les choix de société et donc le débat politique. Ce n’est plus seulement le citoyen ou le travailleur qui se trouve menacé dans ses droits et son avenir, mais l’humain lui-même ; en tout cas la représentation que l’on s’en fait dans la société occidentale.

Faut-il accepter une société où le clonage humain sera rendu possible, où les manipulations génétiques seront considérées comme une banale thérapie et où l’intelligence humaine sera augmentée, les pulsions, les émotions régulées et transformées pour éviter leurs excès ? Une société où la liberté sera menacée par la vidéo-surveillance et la géolocalisation, une société enfin où ce que l’on appelle encore le travail des hommes sera réalisé par des robots humanoïdes, de plus en plus ressemblants au point qu’il faudra se demander si le modèle initial a toujours une raison d’exister ?

Ce meilleur des mondes qu’avait dépeint avec beaucoup de prescience Aldous Huxley au début du XXe siècle n’appartient plus à la science-fiction mais est désormais à la portée d’évolution de nos sociétés, et peut-être même dans un délai plus court qu’on ne peut le croire ou le craindre.

Longtemps la démocratie, le progrès écologique et social, les droits de l’homme, l’égalité des femmes et leur droit à disposer de leur corps, la marche vers une société plus juste ont été considérés comme des acquis indépassables que rien ni personne ne pourrait mettre en cause. Aujourd’hui, le repli identitaire, le terrorisme islamiste, la domination des femmes, la chasse aux migrants ont trouvé un terreau fertile dans une société percutée frontalement, au numérique, à la robotique, à la biotechnologie et… par le changement climatique.

La question posée à nos démocraties est de savoir qui décidera de ces évolutions, de leurs régulations et de leur finalité. L’instauration de la démocratie a donné la décision aux citoyens, l’instauration du contrat social a donné la codécision aux travailleurs (dans un partage inégal avec les actionnaires) mais la question de l’avenir de l’humain échappe complètement aux populations concernées ; elle est dans la main de la techno-finance qui impose ses choix et ses projets même aux États qui, jusqu’aujourd’hui, restent le lieu de l’expression démocratique.

La puissance financière et technique des GAFA dépasse celle de beaucoup d’États, leurs représentants (leurs propriétaires devrait-on dire) disposent sans contrôle, et sans véritable contre-pouvoir, de l’avenir de nos sociétés de même que la place des personnes humaines en leur sein. Ils contrôlent tous nos faits et gestes, nous proposent des recettes pour réussir nos vies, en nous rendant « accros » à ce nouveau monde qu’ils qualifient de virtuel mais dont ils détiennent, eux, et bien matériellement, les clés. Les ordinateurs et leurs algorithmes sont situés quelque part sur la planète, non dans les nuages. Ces GAFA-entreprises ne sont pas contrôlées… sont-elles encore contrôlables ?

La finance n’est plus un outil pour le bien-être humain, mais ne sert qu’à accumuler des richesses qui ne sont jamais suffisantes pour ceux qui les possèdent. Ni les États constitués ni les peuples ni encore les élites ne semblent en mesure de s’opposer à la défense des intérêts privés de ceux qui sont devenus les véritables maîtres du monde. Depuis deux siècles, les crises financières, économiques et technologiques ont trouvé une solution dans la guerre : au XIXe siècle ce furent les guerres d’expansion, les pays européens voulant étendre leur domination sur des terres lointaines notamment africaines ; puis les guerres de libération, ces pays voulant retrouver leur souveraineté et sortir du joug européen. Aujourd’hui, ce sont les « guerres de civilisation », les dérives assassines de Daech prétendant supplanter le pouvoir de la techno-finance mondialisée. Mais ces guerres sont elles-mêmes financées et entretenues, de façon directe ou indirecte, par ceux-là mêmes qui prétendent s’en plaindre. Trop d’intérêts liés au pétrole, à l’industrie de l’armement, aux trafics et corruptions en tous genres ont besoin de la permanence de ces conflits, qui oppressent pourtant les peuples concernés ou leur imposent de se jeter à la mer vers une terre d’accueil… inhospitalière.

Et l’humain dans tout cela ?

Pourra-t-il échapper à cet infernal emballement géopolitique qui conduit le monde à un accroissement abyssal des inégalités – comme l’indiquent toutes les études économiques (1 % des individus possèdent autant de richesses que la moitié de la population mondiale) – qui menacent autant l’avenir de la planète que le réchauffement climatique, les deux étant, de plus, intimement liés ?

Tandis que les guerres, la famine, l’exil, les dictatures impitoyables ravagent la santé et la vie de centaines de millions de femmes, d’enfants et d’hommes, jamais les riches n’ont été aussi riches !

En France même, pays des droits de l’Homme et dont la politique sociale est souvent présentée comme l’une des plus avancées au monde (ce qui pousse les libéraux qui gouvernent à toujours plus de dérèglementation et de casse sociale), les inégalités se traduisent par un fait intolérable : treize ans d’écart d’espérance de vie entre les plus aisés et les plus modestes, selon l’Insee dans une note de février 2018. Cela révèle un véritable défi sanitaire qui pourtant n’a fait la une d’aucun journal télévisé du 20 heures, n’a pas non plus mobilisé les chaînes d’information en continu, ni même les médias populaires.

Alors que des salmonelles retrouvées dans le lait infantile ont été traitées comme un scandale sanitaire (qu’il était d’ailleurs juste de dénoncer), lorsqu’on vole aux Français les plus démunis treize années de vie potentielle, cela n’apparaît pas comme une question politique majeure.

L’espérance de vie est la première richesse de chaque être humain. Toutes les autres sont contingentes.

L’inégalité de santé est la conséquence de toutes les autres inégalités : de pouvoir, d’éducation, d’habitat, de travail, de transport, de mode de vie. C’est l’inégalité la plus insupportable. Après avoir lutté contre la misère et les taudis, contre les conditions de travail meurtrières, contre les pollutions qui dégradent la santé, il reste aussi à considérer comme prioritaires toutes les dégradations de la santé psychosociale, qui provoquent dépressions et suicides dont l’onde de choc s’étend sur une grande partie de la population.

Le bien-être pour tous

Les citoyens savent se mobiliser contre l’amiante et sa centaine de milliers de victimes, contre le Mediator et ses 1500 morts ; il leur paraît même légitime que les dirigeants des entreprises concernées rendent des comptes et soient pénalement responsables des méfaits qu’ils ont causés.

Mais qu’en est-il des dirigeants d’entreprise qui n’empêchent pas les burn-out ou le harcèlement moral et sexuel dans leur entreprise ? Des politiques agricoles à l’origine de dépressions et de suicides de milliers de paysans ? De l’État employeur qui met à mal la vie de soignants, de policiers, de surveillants de prisons jusqu’au désespoir ?

Pourquoi les banquiers de Goldman Sachs à l’origine du krach boursier et de la crise financière de 2008 ne sont-ils pas tenus comme responsables d’une vague de suicides sans précédent dans le monde et des millions de familles vouées au désespoir jusqu’à la déchéance ? Pourquoi le confinement de familles démunies – très souvent issues de l’immigration – dans des logements trop exigus les condamne-t-il aux violences sexistes, familiales et de voisinage comme s’il y avait une fatalité à ce destin ? Est-ce que l’atteinte et la dégradation du bien-être psychologique social et relationnel seraient moins graves, auraient moins de conséquences morbides que la dégradation de la santé physique ou physiologique ?

La lutte pour la santé globale – c’est-à-dire pour le bien-être de chacun, physique, mental et social selon la définition de l’OMS – est devenue une ardente nécessité ; elle est la revendication la plus subversive contre le pouvoir techno-financier qui domine notre monde. L’égale santé est la première des égalités et doit aujourd’hui fédérer les luttes sociales, environnementales, au travail, dans l’habitat, dans la ville, par la confrontation démocratique ; c’est celle dont le Parti socialiste doit faire son premier étendard. Cette exigence rassemble une grande majorité de Français, parce qu’il en va de l’égalité entre les êtres humains – cette grande idée républicaine que chaque être humain a le droit à la même capacité de vivre et donc de s’émanciper.

Mais les libéraux, les tenants du capitalisme financier ne céderont pas sur cette revendication qui les attaque au cœur même de leur système politique et économique. Emmanuel Macron ne parle jamais d’égalité, il parle de libérer les entreprises – comprendre les riches – et protéger les autres. II se fait le grand défenseur de la planète et de la santé des générations à venir, au détriment de la santé des générations qui, elles, sont bien vivantes.

Cette politique ne peut être, n’a jamais été, de gauche. Elle a pu tromper ceux qui ont cru sincèrement qu’elle permettrait d’éviter la politique de droite de François Fillon et Nicolas Sarkozy, mais elle en est le faux-nez dans une opération de manipulation médiatico-politique sans précédent. Cette dernière, au prétexte de rebattre les cartes, de remettre en cause les vieilles structures partisanes soi-disant dépassées, a été dessinée, préparée et voulue par certains tenants d’une partie de la gauche social-libérale qui a abandonné la lutte pour l’égalité au profit de la logique du système libéral mondial.

Les « pauvres », « ceux qui ne sont rien », n’ont pas besoin d’être protégés comme des enfants, ils veulent simplement qu’on les respecte et qu’on les reconnaisse dans leurs droits ; ils veulent avoir les moyens de vivre par leur travail, leur engagement familial et social. C’est cela le but du socialisme démocratique : permettre à chaque personne de vivre au maximum de ses possibilités, de se réaliser, de s’émanciper, pour que sa vie soit la plus longue et la plus épanouie possible.

À travers la COP 21, le monde – excepté Donald Trump, président des États-Unis honoré le 14 juillet 2017 à Paris – a pris conscience du danger lié au réchauffement climatique qui menace l’équilibre de la planète et donc de l’humanité. La population sait que la lutte contre ce réchauffement ne pourra pas se faire en un jour, mais que des étapes doivent être définies et surtout appliquées avec détermination et volontarisme par l’ensemble des États, car il en va de l’avenir de l’humain. Le franchissement de ces étapes, année après année, a pris le nom de transition : transition écologique, transition énergétique, transition numérique. Puisqu’en plus de l’avenir de la planète, la vie humaine est aujourd’hui en question, il faut urgemment définir des étapes réalistes et atteignables pour que la personne humaine et son bien-être soient au cœur des politiques économiques, sociales et culturelles à venir. Ce sont ces étapes, cette politique que les socialistes doivent promouvoir : celle de la « transition humanitaire ».

Les trois fondements de la personne humaine : biologie, écologie, communication

Défendre le bien-être humain, la santé des citoyens, suppose de connaître ce qui caractérise la personne humaine et ses besoins personnels et collectifs.

Biologie : être né de quelqu’un 

L’identité de l’individu ne se résume pas à son ADN, mais celui-ci constitue le fondement génétique à partir duquel tous les autres facteurs vont pouvoir agir. Exceptés les vrais jumeaux (et peut-être un jour les personnes issues d’un clonage reproductif), aucun individu n’est identique à un autre individu. C’est pourquoi, bien plus que le sexe, l’âge, la taille, la corpulence, c’est le recours à cette trace génétique (que l’on retrouve dans toutes les cellules de l’organisme, notamment le sang et le sperme) qui est le plus fiable pour identifier et distinguer une personne d’une autre. Il s’est imposé comme le déterminant clé de toutes les procédures d’identification judiciaire.

Bien au-delà de l’humain, l’ADN est spécifique à chaque espèce vivante. Ainsi, la connaissance des génomes de chaque graminée a comme corollaire les manipulations génétiques pour l’obtention des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui représentent une des avancées scientifiques les plus importantes (et préoccupantes) de ces dernières décennies, aussi majeure que la découverte en son temps de l’énergie nucléaire.

La possibilité de créer, demain, un « humain génétiquement modifié » n’est pas sans impact sur les citoyens. Mais les politiques ignorent totalement cette question. Par méconnaissance ou incapacité à s’en saisir, par crainte aussi de n’avoir aucune réponse à proposer, ils l’ont laissée aux scientifiques, aux chercheurs et surtout aux firmes privées, celles de l’industrie agroalimentaire, pharmaceutique et biomédicale, devenues une force technologique économique et financière colossale. Ces dernières ont ainsi la possibilité d’imposer aux générations futures ce qu’elles considèrent aujourd’hui comme le plus rentable à leur commerce. Les citoyens sont eux-mêmes, autant que les politiques, absents de ces décisions. S’ils ressentent intimement cette menace, qui peut mettre en cause les fondements biologiques de toute personne humaine, il serait bon que les dirigeants des pays, à commencer par ceux du G20, puissent également en dire quelque chose.

En toute hypothèse, ce que l’on peut en dire relève de l’éthique, nécessitant donc une approche poli(é)thique de ces questions, qui ne peuvent être valablement posées qu’au niveau mondial. L’OMS devrait s’en saisir et proposer l’écriture d’une charte mondiale en invitant chaque citoyen à s’exprimer, par l’ouverture d’une plateforme de débats adaptée à chaque pays. Lancer ce débat planétaire pourra au moins éviter que les complotistes de tout bord, les manipulateurs qui sont légion sur les réseaux sociaux viennent en dénaturer les véritables enjeux et laisser in fine les entreprises susnommées prospérer comme elles le souhaitent, sans avoir aucun compte à rendre aux populations.         

Ces connaissances génétiques offrent la possibilité de développer demain une médecine prédictive en connaissant dès sa naissance (et même dès le stade embryonnaire) les différentes pathologies auxquelles chaque individu sera exposé, puis en établissant une feuille de route le conduisant à vivre selon des recommandations précises (en termes d’alimentation, d’exposition à tel facteur pathogène, en développant une hygiène de vie adaptée…). Cette vision de la médecine prédictive n’est plus du ressort de la science-fiction. Elle se met en place jour après jour et atteindra son efficience au cours du siècle qui vient avec un effet certain sur le vieillissement de la population, donc sur le rapport que chaque individu développe avec sa santé et son âge. Les femmes et les hommes pourront conserver leurs capacités physiques mentales et relationnelles et rester plus longtemps acteurs de la société et du monde du travail.

La personne existe d’abord par son corps, et sa santé dépend en premier lieu de son bien-être physique. La qualité de l’alimentation et du sommeil, le sport et l’exercice, l’évitement du tabac, de l’alcool et des drogues en excès sont les quatre éléments clés pour le bien-être physique et physiologique et la prévention de nombreuses maladies comme l’obésité, le diabète, les maladies cardio-vasculaires… Quand une publicité, vantant les bienfaits d’une eau minérale, met dans la bouche du personnage l’expression « mon corps et moi », elle laisse à penser que la personne pourrait exister en dehors de son corps, mais le corps est la personne. Il n’y a de santé que dans une approche globale, physique, mentale, sociale – comme l’a défini l’OMS.         

Ces questions sont devant nous, elles ont un caractère décisif pour notre avenir proche.

L’écologie : être né quelque part

La biologie situe l’individu dans sa filiation ; l’écologie s’intéresse, elle, à son espace et à son environnement. Le petit enfant apprend à découvrir l’espace dans lequel il vit, à s’y mouvoir, à s’y déplacer, à en repérer les limites, et plus tard, à en comprendre les enjeux. Être né quelque part est consubstantiel à l’idée même de naissance et constitue le second marqueur identitaire – avec la filiation biologique -– de tout individu. C’est tellement vrai que la République française a instauré le droit du sol qui constitue comme française une personne dès lors qu’elle est née en France.

Chaque personne ancre son histoire dans son lieu de naissance, sa maison (l’une des premières représentations des dessins infantiles) pour découvrir le quartier, la ville, le pays puis le monde ; et il lui reste aussi à conquérir l’immensité des océans. Elle découvre aussi que la Terre des humains n’est qu’un satellite du soleil, lui-même « petite » étoile parmi les milliards d’astres célestes. La planète est animée en permanence par sa rotation sur elle-même et celle qu’elle réalise chaque année autour du soleil ; c’est ce rythme planétaire qui va rythmer à son tour la vie des hommes. Longtemps, l’humanité a cru que l’espace terrestre était à sa disposition, que les hommes pouvaient le façonner à leur guise et se servir de ses ressources « naturelles » : animaux, terre, bois, énergies fossiles… pour se développer sans limites.

Au regard des 150 000 années de vie de l’Homo Sapiens, ce n’est que depuis le milieu du siècle précèdent que nous avons pris conscience que la planète n’a pas de ressources infinies, que sa stabilité n’est pas éternelle, qu’elle est, elle aussi, en quelque sorte, une réalité vivante qu’il faut préserver. C’est pourquoi la lutte contre le réchauffement climatique doit devenir la priorité de tous les États, de toutes les politiques publiques, de tous les citoyens du monde, car il en va de l’avenir commun de tous les humains.

Le développement industriel a rendu l’environnement hostile à l’homme : depuis quelques décennies et grâce aux mouvements écologiques, le public a pris conscience des méfaits sanitaires des pollutions liées aux industries chimiques et agro-alimentaires, aux gaz à effet de serre, aux particules fines, aux perturbateurs endocriniens, mais aussi des pollutions sonores, lumineuses, odorifères. Les personnes les plus démunies économiquement et socialement sont les plus exposées à ces risques, ce qui explique que les inégalités de santé environnementale se confondent avec les inégalités sociales de santé.

L’environnement, les espaces privés et publics sont, pour le bien de tous, les lieux de rencontres et de socialisation qui ouvrent sur la troisième dimension de la vie humaine : celle de la communication, du lien entre les individus et des échanges interpersonnels.

Communication : être né au milieu des autres

La communication est partout dans la vie – vie animale mais aussi vie végétale comme de nombreux travaux récents viennent de le démontrer. La communication est l’échange entre deux structures différenciées qui nécessitent l’existence d’un lien entre elles ; mais la « communication végétale » n’a qu’un rapport très lointain avec la communication humaine.

Le lien humain est ainsi le troisième constituant de tout individu après le biologique et l’écologique. Le nourrisson ne se nourrit pas seulement d’aliments (le lait maternel), mais des échanges émotionnels, affectifs, puis éducatifs avec ses parents. Il apprend ainsi par le corps et le toucher, par l’ouïe et la vue son rapport à l’autre. Dans cet apprentissage progressif, il « chante » (il gazouille) avant de parler, il « danse » (il se dandine) avant de marcher, il « dessine » (il gribouille) avant d’écrire. Ces trois apprentissages fondateurs précèdent et accompagnent celui de la parole puis de l’écriture. On comprend ainsi le caractère universel des trois Arts premiers – la musique, la danse et la peinture – car ils convoquent chez chaque être humain la mémoire émotionnelle et cognitive de ses tout premiers apprentissages. La pratique artistique, premier socle de la culture, se différencie peu à peu par l’apport de la langue de l’histoire des pays et des populations, elle est indéfectiblement liée à la constitution psycho-relationnelle de tout individu. La culture ne peut pas être un supplément d’âme que l’on ajouterait au politique économique et social, elle doit être au cœur même de toute politique.

Le bien-être psychologique et relationnel n’est pas simplement un ressenti subjectif renvoyant l’individu à lui-même, mais c’est une réalité vécue ; en se dégradant, il peut devenir la source d’une morbidité pouvant aller jusqu’à la mort, par accident, meurtre ou suicide. Les relations violentes dans le logement, le voisinage, les transports, le travail – que l’on nomme indistinctement agression, harcèlement, humiliation – ne sont pas seulement des questions d’ordre public, mais bien des questions majeures de santé publique. Les femmes sont les premières exposées, mais aussi les enfants, les personnes âgées, et plus globalement toutes celles et ceux qui vivent dans la précarité humaine et sociale. Le combat pour l’égalité de santé passe par la prévention des atteintes psycho-relationnelles qui dégradent le bien-être d’un trop grand nombre d’habitants de la France. 

Le temps humain

À partir de ces trois fondements biologie-écologie-communication, l’individu humain peut s’inscrire dans la quatrième dimension essentielle à sa vie : le temps. Ce rapport au temps n’est pas une donnée immanente, il se construit lui aussi à partir de ce qui fonde l’individu : le temps biologique est le temps linéaire, celui qui l’inscrit irrémédiablement vers sa propre finitude. C’est parce que chacun a conscience de sa fin annoncée (par la confrontation aux corps morts des proches) qu’il peut inscrire sa vie dans l’histoire – petite histoire personnelle et grande histoire de l’humanité.

L’écologie inscrit, elle, la vie dans le temps cyclique : celui de l’alternance jour-nuit, celui des saisons, celui du recommencement. Ce temps planétaire n’a pas de fin (à vue d’homme) mais il rythme le temps linéaire et permet d’en définir les séquences et les étapes : les journées, les mois, les années. Le corps humain lui-même réagit physiologiquement à ces alternances jour-nuit, à cette saisonnalité ; c’est l’horloge biologique dont le dérèglement est source de troubles physiologiques et psychologiques.

Le troisième temps de l’individu est le temps de la communication, temps social qui organise le quotidien et permet de se projeter dans l’avenir. Ce temps de l’échange est celui des rendez-vous – rendez-vous amoureux, rendez-vous professionnels… Ce temps oblige à l’illusion d’éternité, comme l’observait Sigmund Freud, que l’on peut qualifier aussi de besoin de sérénité car il faut se penser encore vivants le jour, le mois ou l’année d’après pour organiser sa vie en lien avec les autres, et la société elle-même.

Ce temps social est aussi celui des ruptures, des séparations, des deuils, des changements sociaux et politiques. Le temps humain conjugue ainsi ces trois temps biologique, écologique et social et permet de donner du sens à chaque existence. Souhaiter inscrire sa vie dans un temps long est consubstantiel à la réalité de la personne humaine qui ne peut vivre pleinement que par et dans ses projets. Vivre sous le dictat de l’immédiateté comme l’imposent les sondages, les réseaux sociaux et l’information en continu ne peut que créer un besoin addictif « à l’image de la vie », qui vient se substituer à la vie réelle.

À l’heure où la mode est prétendument à ce qui dure (développement durable, construction durable, planète durable), il paraît impérieux de revendiquer pour chacun d’être « le plus durable possible ». Comment comprendre alors cette injonction des économistes libéraux (qui ont souvent le mot durable à la bouche !) de rendre le travail des hommes précaire au nom, disent-ils, de la bonne santé des entreprises ? La précarité du travail asservit l’homme à l’économie, quand les CDI lui permettent de construire dans le temps long son avenir personnel, familial et social. Avec quelle arrogance certains leaders politiques, convertis depuis peu au libéralisme économique, dénoncent « le contrat à vie » des cheminots comme si c’était là la marque d’un monde dépassé et injuste, d’un privilège insupportable ! Ce qui est insupportable, c’est que bien trop de salariés, d’agriculteurs, d’artisans et commerçants (en dehors des cheminots et des fonctionnaires) soient obligés de vivre professionnellement sous la menace de la perte d’emploi (licenciements, dépôts de bilan) pendant que les actionnaires de leur côté comptent bien sur la pérennité des dividendes que leur procure leur patrimoine financier.

1 + 1 = 3 : l’identité humaine

Cette équation, fausse arithmétiquement, est l’équation de la vie biologique, psychologique, relationnelle et symbolique. Tout être humain naît nécessairement de la rencontre de ses deux parents et cette triangulation est à la base de toutes les constructions personnelles, sociales et culturelles. La dualité des parents est une nécessité qui empêche toute relation fusionnelle et impose, au contraire, la relation et le partage entre les individus.

Chaque personne construit son identité – qui est unique – à partir de l’affection, l’éducation que lui offrent ses parents ; le nourrisson et le petit enfant ont besoin de cette dualité parentale qui peut être parfaitement assumée par d’autres adultes que les parents biologiques.

Rien ne sert de nier que la PMA, et encore plus la GPA, viennent impacter cette réalité biologique en provoquant un questionnement, parfois même un véritable rejet chez certains citoyens. Nous devons répondre à leurs inquiétudes d’autant que nous avons comme projet de permettre à chaque femme de recourir à la PMA, qu’elle vive ou non en couple hétérosexuel. L’homosexualité en tant qu’amour entre deux êtres du même sexe est aujourd’hui mieux acceptée par la société française, et ce depuis le PACS mis en place par le gouvernement de Lionel Jospin, puis le mariage pour tous instauré sous la présidence de François Hollande et la majorité socialiste ; il reste à convaincre celles et ceux qui se questionnent encore que la PMA pour tous ne remet pas en cause l’un des fondements essentiels de toute personne humaine : sa dualité d’origine. Quant à la GPA, elle interroge la liberté des femmes et leur propre désir, que la marchandisation de leur grossesse met obligatoirement en cause ; elle ne devra être légalisée (si elle doit l’être) que dans des cas très exceptionnels où existe un lien humain et affectif très fort entre la mère porteuse et le couple qui accueillera l’enfant.

Chaque être humain est dépositaire d’une part de l’humanité tout entière, ce qui lui donne sa dignité de sa naissance jusqu’à sa mort, que rien ni personne ne peut mettre en cause. La personne humaine se définit comme un « singulier semblable » et est, à ce titre (femme ou homme quel que soit son lieu de naissance et son origine), porteur des droits de tous les humains. La société humaine – celle qui est l’objet du discours politique – se construit donc à partir d’individus qui possèdent cette double dimension, celle de leur singularité et celle de leur appartenance indéfectible au groupe social.

Le socialisme est un humanisme qui met l’accent sur les règles qui rattachent les humains les uns aux autres en construisant la société des hommes ; être socialiste c’est vouloir agir sur ces règles pour que la vie de chaque individu puisse exprimer sa richesse singulière dans une égalité de droits et de moyens avec les autres. Le socialisme n’est pas un collectivisme, il n’est pas non plus un individualisme, même si au cours de son histoire récente il a mieux intégré la nécessité de défendre avec la même rigueur et la même vigueur les droits des individus et les aspirations collectives.

Le besoin d’identité n’est ni narcissique ni égoïste, il est tout simplement essentiel pour que chacun se vive comme une personne à part entière. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler que les esclaves, eux, n’avaient pas d’identité et que trop de femmes dans le monde, encore aujourd’hui, dépendent totalement dans leur vie quotidienne de l’identité de leur mari. L’identité de chacun se construit par strates successives, par étapes traversées, qui font de chaque individu un singulier par sa filiation, son lieu de naissance et de vie, son éducation, son métier, et un semblable par son appartenance à son immeuble, son quartier, sa ville, son entreprise, sa culture, son pays, son Europe… et sa planète.

Une nouvelle identité se construit sous nos yeux, l’identité numérique ou cyber-identité. Il n’y a plus de vie sociale possible sans une adresse électronique et les réseaux sociaux tendent à s’approprier toute la communication humaine. Le défi du monde qui vient, c’est d’éviter que la société de l’image et du virtuel ne vienne se substituer à celle du corps et du vécu ; avec le risque de provoquer une détresse profonde des individus lorsque la dureté du réel viendra fragiliser leur édifice psycho-relationnel.

L’identité permet l’accueil des autres, l’échange et le partage, mais lorsqu’une menace, réelle ou ressentie, vient la contester, alors se manifestent le repli sur soi et souvent le rejet des autres. Quand les quartiers n’ont plus d’âme, quand les centres-villes se vident de leurs commerces et que les zones rurales se désertifient, quand les métiers disparaissent, quand – parfois avec de bonnes raisons – on recommande les CV anonymes pour faciliter l’embauche, quand l’Europe n’est plus un rempart contre la mondialisation libérale, alors il ne reste à certains, pour se rassurer, que l’illusion d’une Nation idéalisée ou d’une religion radicalisée.

La gauche a perdu la bataille pour l’identité, en laissant le champ libre au Front national et autres extrêmes qui l’ont transformée en lutte identitaire opposant identité nationale et accueil des étrangers. Il y a quatre décennies, la gauche avait perdu la bataille pour la liberté en laissant à la droite cette valeur républicaine majeure, pourtant associée depuis toujours aux combats du socialisme démocratique. Plutôt que de s’en prendre à ceux qui ne se sentent ni reconnus, ni intégrés, ni sereins, en les qualifiant, parfois à tort, de fascistes ou de racistes, il faut retrouver avec eux et pour tous le chemin du bien-être personnel et collectif. Ce bien-être, chaque personne doit pouvoir le trouver, dans les trois « espace-temps-lien » qui organisent son quotidien, comme habitant, travailleur et citoyen.

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