Dans quelle société souhaitent vivre les Françaises et les Français se positionnant toujours à gauche de l’échiquier politique ? Comment se projettent-ils dans le futur ? Existe-t-il d’ailleurs toujours des valeurs de gauche ? Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, décrypte sous cet angle l’enquête sur la société rêvée des Français réalisée avec Ipsos et la CFDT, qui livre de précieux enseignements.
Il reste encore des gens de gauche
Tout d’abord, considérons la façon dont les Françaises et les Français se positionnent sur une échelle gauche/droite.
Graphique 1. Positionnement des Français sur une échelle gauche/droite
Comme on le voit sur le graphique 1, les Français adoptent prioritairement la position 5, intermédiaire, à 23% même si cela peut également signifier un refus de se positionner explicitement sur cette échelle en rejetant les qualificatifs de droite et de gauche. Ainsi, il est finalement plus intéressant de comparer le total des Français se positionnant à gauche (positions 1 à 4) au total des Français se positionnant à droite (positions 6 à 10) : 31% des Français se positionnent à gauche, quand 46% se positionnent à droite. Il existe donc encore des gens de gauche en France, même s’ils sont clairement en position minoritaire. Notons d’ailleurs que la situation a finalement assez peu évoluée à ce niveau depuis 2017. Ainsi, en janvier 2017, 33% de Français se positionnant sur une échelle gauche/droite se plaçaient à gauche et 45% à droite.
Venons-en maintenant au cœur de notre propos, les valeurs de cette population de gauche – entendue ainsi comme les Français se positionnant entre 1 et 4 sur l’échelle gauche/droite.
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Abonnez-vousVers davantage de démocratie directe
Quel est le système de gouvernement qui a la préférence des gens de gauche ?
Graphique 2. « Parmi les systèmes de gouvernement suivants, lequel à votre préférence ? »
Au sein de la population française dans sa globalité, une courte majorité favorise la démocratie représentative au détriment de la démocratie directe, voire à des formes plus autoritaires de gouvernement. C’est une situation inverse que l’on constate chez les Français se considérant de gauche, la démocratie directe, soit le fait que « le peuple décide directement de la loi grâce à des référendums, des assemblées citoyennes et des assemblées tirées au sort » recueille davantage d’approbation (49%) que la démocratie représentative (42%).
Quel rôle pour l’école ?
Le rôle de l’école est-il de former des esprits et des consciences, d’« élever » au sens premier du terme ou, au contraire, dans une vision plus utilitariste et fonctionnaliste, de former la jeunesse à la place qu’elle sera censée occuper dans le monde du travail ?
Graphique 3. « Selon vous, quel devrait-être le rôle premier de l’école ? »
Comme nous le voyons sur le graphique 3, les Français de gauche rejettent très largement la vision utilitariste de l’école. À 65%, ils déclarent ainsi que l’école doit en priorité « former les enfants et les jeunes à être curieux, éveillés et à avoir un esprit critique », un chiffre 18 points supérieur à ce que l’on constate dans l’ensemble de la population.
Le travail, une valeur qui perdure
Quel est le critère principal pour choisir un emploi ?
Graphique 4. Principal critère pour choisir un emploi
À dire vrai, les Français de gauche ne se distinguent pas fondamentalement de l’ensemble de la population. À 25%, ils déclarent ainsi que l’aspect intéressant et motivant du poste est le premier critère pour choisir un emploi. Cela arrive devant le salaire élevé (15% contre 17% dans l’ensemble de la population). De manière intéressante, on constate aussi que deux critères sont davantage valorisés au sein de la population de gauche : un temps de travail conciliable avec d’autres temps de sa vie (famille, engagement…) – 15% contre 11% au sein de l’ensemble de la population – et une activité en rapport avec ses valeurs – 10% contre 7% dans l’ensemble de la population. Nous aurons par ailleurs l’occasion de revenir sur l’aspect essentiel des « valeurs » dans la vie des Français de gauche.
En outre, les Français de gauche plébiscitent, encore plus que l’ensemble de la population française, la démocratie au travail. Pour 85% d’entre eux, le fonctionnement idéal dans le monde du travail est une entreprise dans laquelle le dirigeant ou l’équipe dirigeante doit trouver un accord avec les salariés pour les décisions importante et non pas décider en autonomie, un chiffre 11 points supérieur à ce que l’on constate au sein de la population française.
Enfin, les Français de gauche sont plus attirés que la moyenne des Français par le service public quand il s’agit de choisir un emploi.
Graphique 5. « Dans l’idéal, auprès de quel type d’employeur souhaiteriez-vous travailler ? »
Au sein de l’ensemble de la population française, trois types d’employeurs sont largement plébiscités et ce de manière équivalente : une grande entreprise du secteur privé (28%), une petite entreprise du secteur privé (PME-TPE) et le service public (25%). Au sein de la population de gauche, la donne est assez différente : le service public est sélectionné en premier (32%), arrivant 10 points devant les petites entreprises privées et 11 points devant les grandes entreprises privées. De la même manière, le fait de travailler pour une association ou une ONG est davantage valorisé chez les Français de gauche que dans l’ensemble de la population (12% contre 7%).
À gauche, la préférence pour l’égalité
Venons-en maintenant à un point central, la question des inégalités.
Graphique 6. Positionnement relatif aux inégalités
Les trois graphiques précédents présentent ainsi l’opinion de la population de gauche et de l’ensemble de la population sur trois aspects : (1) est-ce que les inégalités qui existent dans notre société sont naturelles, (2) est-ce qu’elles sont légitimes, (3) est-ce qu’elles sont au bon niveau ?
Indéniablement, il existe des différences assez nettes sur ce point entre les Français de gauche et la moyenne de la population. Tout d’abord, à gauche, on estime bien moins que les inégalités sont naturelles (56% contre 70%). Ensuite, une petite part seulement de citoyens de gauche considère les inégalités comme légitimes (47% contre 30%). Enfin, 81% des Français de gauche pensent que les inégalités dans notre société ne sont pas au bon niveau, un chiffre 14 points supérieur à ce que l’on constate dans l’ensemble de la population.
Cette volonté de vouloir combattre des inégalités jugées trop importantes au sein de la société se perçoit également de manière concrète, lorsqu’on demande aux répondants de choisir entre les deux options suivantes : vaut-il mieux une société qui mise sur la liberté d’entreprendre mais au détriment de la protection sociale et avec des inégalités fortes ou, au contraire, vaut-il mieux une société dans laquelle la protection sociale est plus importante et les inégalités peu développées, mais au détriment de la liberté laissée aux entreprises et aux initiatives individuelles ? À gauche, 79% préfèrent la seconde option – la lutte contre les inégalités et un système social très développé –, soit 17 points de plus que dans l’ensemble de la population.
Plus encore, quand on demande aux participants quel devrait être l’écart maximal de salaire dans la société, les Français de gauche optent pour des positions plus égalitaristes que l’ensemble de la population : alors que 26% de la population française accepterait volontiers des écarts de rémunération de 50 ou plus, ce n’est le cas que de 17% de la population de gauche.
Graphique 7. Les écarts de rémunération maximaux qu’il est souhaitable d’avoir dans une société
Réussir sa vie
Dans quelles circonstances peut-on dire que l’on a réussi sa vie ? Quels sont les critères d’accomplissement personnel ? Comme on le constate, il existe des différences assez notables entre les Français de gauche et l’ensemble de la population française.
Graphique 8. Les critères d’une vie réussie
À gauche, le fait de « vivre en accord avec ses valeurs » est, de loin, l’élément le plus mis en avant, à 52%. C’est 9 points de plus que la moyenne de la population française. Le fait d’« avoir du temps libre pour profiter de la vie » est également un peu plus valorisé à gauche (29%) que dans l’ensemble de la population (26%). Au contraire, le fait d’avoir fondé une famille (29% contre 35%), d’avoir de l’argent (10% contre 13%) et d’avoir une carrière professionnelle réussie et intéressante (14% contre 19%), sont des éléments moins mis en avant par la population de gauche.
L’écologie comme valeur cardinale de la gauche
Enfin, les Français de gauche sont davantage sensibles à la question écologique que ne l’est l’ensemble de la population française.
Graphique 9. « Afin de protéger l’environnement faut-il fixer une limite aux déplacements annuels en avion par individu afin de ne pas dépasser une certaine empreinte carbone ? »
Faut-il par exemple fixer une limite aux déplacements annuels en avion par individu afin de ne pas dépasser une certaine empreinte carbone ? 45% de la population de gauche y est favorable (17% y est hostile), pour 37% au sein de l’ensemble de la population (22% d’hostilité).
Ce sont des écarts assez similaires que l’on retrouve sur d’autres dimensions, comme l’interdiction de la vente de produits alimentaires hors saison, en provenance de pays très éloignés.
Graphique 10. « Afin de protéger l’environnement faut-il interdire totalement la vente de produits alimentaires hors saison, qui sont produits et importés depuis des pays très éloignés ? »
À nouveau, les sympathisants de gauche y sont davantage favorables (42%) que l’ensemble de la population (38%).
Conclusion
Suite à cette étude, à quoi ressemblerait la société idéale pour les Français de gauche ?
Elle aurait les caractéristiques suivantes :
- une société plus démocratique, où la démocratie directe serait beaucoup plus qu’aujourd’hui associée à la démocratie représentative ;
- une école davantage tournée vers le développement individuel des enfants que vers l’objectif de leur assigner une place au sein de la société et sur le marché de l’emploi ;
- une société dans laquelle il serait possible d’avoir plus de sens dans son travail et de se sentir utile à la société ;
- une société plus égalitaire, où l’État pratiquerait une politique plus interventionniste afin de garantir cette égalité ;
- une société plus écologique, qui opterait pour des mesures plus radicales ;
- enfin, au point de vue plus individuel, une société qui garantirait la capacité de vivre selon ses valeurs et qui permettrait d’articuler les différents aspects – personnels et professionnels – de sa vie.
