La gauche et les sous-préfectures : la révolte inattendue ?

Les manifestations contre le projet de réforme des retraites montrent un taux de mobilisation inédit depuis près de trente ans, y compris dans les territoires périphériques. Axel Bruneau, professeur agrégé d’histoire-géographie, et Thibault Lhonneur, commercial et conseiller municipal à Vierzon, analysent l’ampleur des manifestations de cette « France des sous-préfectures ».

Le 19 janvier 2023 a marqué le début des mobilisations contre la réforme des retraites. Entre 1,3 et 2,8 millions de personnes – selon les sources – ont manifesté contre cette réforme qui prévoit notamment l’allongement de la durée de cotisation ainsi que l’âge minimal de départ à la retraite1Valérie Mazuir, « Retraites : les points clefs de la nouvelle réforme », Les Échos, 11 janvier 2023.. Plus de la moitié des manifestants sont issus des petites et moyennes villes : un vertige inattendu quand on connaît le niveau habituel de mobilisation dans ces territoires.

Face à cette réforme donc se dresse un front syndical2« Retraites : les syndicats unis mais jusqu’à quand ? », France 24, 10 janvier 2023. inédit depuis douze ans qui court de Force ouvrière (FO) à la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC)3Les huit principaux syndicats composent la mobilisation : CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, Solidaires, FSU.. Tous rejettent en masse les nouvelles dispositions du texte. Cette unité syndicale rejoint par ailleurs le large spectre des oppositions politiques. Six des huit groupes parlementaires de l’Assemblée nationale s’opposent frontalement à la réforme, Les Républicains4Alexis Boisselier, « Comment la réforme des retraites met les députés Les Républicains à l’épreuve », Ouest-France, 31 janvier 2023. hésitent, des voix s’élèvent dans une majorité pour le moins étriquée.

Cette configuration historique favorise une mobilisation qui l’est tout autant : les manifestations du 19 et du 31 janvier 2023 ont été les plus suivies de ces trente dernières années, dépassant à leur démarrage les marches de 1995 et de 2010, elles aussi contre des réformes des retraites.

Infographie 1. Mobilisation par journée de manifestation – en millions de personnes (chiffres du ministère de l’intérieur)Source : Mathieu Lehot-Couette, « Réforme des retraites : visualisez le démarrage record de la mobilisation par rapport aux précédents mouvements », France info, 1er février 2023.
Infographie 2. Mobilisation par journée de manifestation – en millions de personnes (chiffres des organisateurs)5Source : Ibid.

Ces mobilisations interpellent notamment de par leur ampleur dans les petites et moyennes villes hexagonales : alors que la gauche politique y perd du terrain6Thibault Lhonneur, Être majoritaire : la gauche face à la fracture territoriale, Fondation Jean-Jaurès, 2 décembre 2022., que les syndicats n’ont plus vraiment la cote7Véronique Vigne-Lepage, « Pourquoi les syndicats n’ont plus vraiment la cote », La Gazette des communes, 8 février 2022.  – y compris lors des dernières élections professionnelles dans la fonction publique de décembre 20228« Fonction publique : la participation aux élections professionnelles en chute libre », Le Point, 15 décembre 2022.  – les manifestations contre la réforme des retraites rencontrent un large écho dans les territoires de la France dite « périphérique ».

Carte 1. Lieux de manifestation du 31 janvier
Réalisation : Jean-Luc Guichard.

Sur la carte, on retrouve évidemment les villes préfectorales, lieux habituels des manifestations. Mais ce qui frappe, c’est, d’une part, le nombre de manifestants dans ces villes et le nombre de petites et moyennes villes mobilisées :

  • 14 500 personnes à Rodez (12) ;
  • 1 500 personnes à Marmande (47) ;
  • 5 000 personnes à Vierzon (18) ;
  • 1 000 personnes à Saint-Marcellin (38) ;
  • 5 000 personnes à Lannion (22) ;
  • 500 personnes à Issoire (63) ;
  • 15 000 personnes à Saint-Nazaire (44) ;
  • 3 000 personnes à Villefranche-sur-Saône (69) ;
  • 4 000 personnes à Saintes (17) ;
  • 1 000 personnes à Belley et 500 à Oyonnax (01).

On peut égrainer ainsi les listes de presque toutes les sous-préfectures de France, avec, à chaque fois, des records de participants. Pour les syndicalistes interrogés, c’est systématiquement du « jamais vu9Alexandre Reza Kobabi, Emmanuel Clévenot et Scandola Graziani, « “Notre corps va lâcher” : les petites villes mobilisées pour les retraites », Reporterre, 1er février 2023. » et les mémoires syndicales doivent se creuser pour trouver une trace de pareilles mobilisations.

« L’événement monstre10Pierre Nora, « L’événement monstre », Communications, vol. 18, 1972, pp. 162-172. » démontré par une multitude d’images publiées sur les réseaux sociaux et couvert par la presse locale et nationale, repris dans les notes d’analyse, adoubé par des études d’opinion11« L’opposition à la réforme des retraites s’intensifie », Elabe, 25 janvier 2023., qui, semaine après semaine, quantifient le rejet à cette réforme, nécessite quelques tentatives d’explications. Parce que dans cette France habituellement silencieuse, lorsque le bruit résonne, c’est souvent l’histoire qui déborde.

Des efforts non récompensés

Depuis mars 2020, la France vit au rythme des restrictions liées à la pandémie de Covid-19. Si la vie normale a pu reprendre progressivement, les efforts réalisés par les Françaises et les Français ont été importants pendant toute cette période. Ainsi, outre le confinement, le couvre-feu qui s’est étendu d’octobre 2020 à mai 2021 avec un durcissement net à partir de janvier 202112Géraldine John, « Covid-19 : Castex confirme que le couvre-feu débutera à 18 heures partout en France », Nord littoral, 14 janvier 2021. a placé les gens dans une situation unique de travailleurs isolés : les seules sorties autorisées concernaient la vie professionnelle. Le reste du temps, tout était fermé, que ce soit les lieux de loisirs ou les commerces. Les activités sportives, essentielles à la vie sociale intergénérationnelle13Benoît Cocquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, Paris, La Découverte, 2019., ont été arrêtées14Jérôme Bouchacourt, « Le 28 octobre 2020, le confinement sonnait l’arrêt du football amateur », Foot amateur, 28 octobre 2021. dès le début du couvre-feu et de la reprise épidémique. Les événements locaux autour de la gastronomie ou des arts n’ont repris qu’à la rentrée de septembre 2021 dans le meilleur des cas et au printemps 2022 pour les zones les plus touchées15« Covid-19 : le marché aux vins d’Ampuis est annulé », Le Dauphiné libéré, 5 janvier 2022.. Seule la vie au travail a demeuré pendant toute cette séquence, provoquant, pour les plus exposés au couvre-feu, des troubles physiques et psychologiques qui restent encore vifs16Benoît Grossin, « Covid-19 et couvre-feu : la vague de problèmes de santé mentale loin d’être retombée », France Culture, 18 octobre 2020..

Les efforts pour endiguer la pandémie se sont déclinés jusque dans la sphère intime : malgré les craintes soulevées par les rapprochements familiaux liés aux fêtes de fin d’année17« Covid-19 : ce Noël sera-t-il pire que celui de 2020 en réanimation ? », L’Express, 15 décembre 2021. en 2020 et 2021, la pandémie de Covid-19 n’a pas connu de rebond particulier à l’issue de ces moments18« Covid-19 : Jean Castex salue le comportement des Français pendant les fêtes », Ouest-France, 12 janvier 2023.. Les campagnes de vaccination et la mise en place d’un passe sanitaire puis vaccinal ont globalement été acceptées et soutenues par les Français19« Covid-19 : Les Français favorables au pass vaccinal et même à l’obligation vaccinale, selon un sondage », L’Union, 21 janvier 2022..

Les efforts se sont poursuivis plus récemment : l’inflation20« En décembre 2022, les prix à la consommation se replient légèrement sur un mois (-0,1%) et augmentent de 5,9% sur un an », Insee, 13 janvier 2023. a provoqué de fortes hausses des prix des produits de grande consommation21« Inflation. Les prix des produits alimentaires en hausse de près de 10% dans les supermarchés », Ouest-France, 29 septembre 2022.. La menace de coupures d’électricité a provoqué une baisse de la consommation énergétique22Julien Da Sois, « La baisse de la consommation d’électricité et de gaz en France se poursuit », Le Figaro, 4 janvier 2023., les faibles hausses de salaire ne compensant pas la perte du pouvoir d’achat, notamment pour les bas salaires. La pression sur la voiture continue à son plus haut niveau : les récents débats sur le développement des zones à faibles émissions (ZFE) ainsi que l’augmentation considérable du prix de l’essence et du diesel, qui flirte désormais avec les 2 euros le litre, sont autant d’éléments constitutifs d’une dégradation du quotidien. Il y a peu encore, les files d’attente aux pompes proposant des promotions sur le diesel pouvaient dépasser les deux ou trois heures23Fabien Hardy, « Carburant chez Total : interminable attente et stations à sec ! », L’Automobile, 5 septembre 2022..

Carte 2. Taux d’immatriculation diesel par département – 2016
Source : Autoplus.

Ces restrictions et difficultés ont accru le poids du travail dans nos existences. Insuffisamment rémunérateur pour être émancipateur, omniprésent et vecteur d’un plus grand mal-être depuis le début de la pandémie, contrainte physique pour s’y rendre, le travail a une place de nouveau interrogée dans la vie des actifs. C’est d’autant plus vrai pour les salariés et ouvriers, composant fréquemment plus de 25% des actifs dans les territoires, qui se sont sur-mobilisés face à la réforme des retraites.

Carte 3. Structure de la population active (15 à 64 ans) au sens du recensement par catégorie socioprofessionnelle en 201924Source : Insee « Structure de la population active (15 à 64 ans) au sens du recensement par catégorie socioprofessionnelle en 2019 », Insee, 27 juin 2022.

Ainsi les chiffres de la mobilisation étaient-ils parfois supérieurs en proportion dans les petites et moyennes villes que dans les métropoles : les 19 et 31 janvier dernier, les manifestations mobilisaient à Alès l’équivalent de 25% des habitants, 20% à Vierzon et Saint-Nazaire, 15% à Belley et Cambrai, 12% à Barcelonnette et Fougères. C’est nettement plus qu’à Lyon où ce chiffre ne représente que 7% de la population, ou qu’à Strasbourg (6%) ou Lille (7%), alors même que les cortèges des métropoles drainent censément les manifestations de leurs immenses banlieues.

Des salariés directement impactés

Dans ces territoires, les conséquences de la réforme des retraites sont sans aucun doute plus douloureuses : le poids des salariés exerçant des métiers manuels, industriels, de services à la personne est nettement plus important que dans les territoires métropolitains.

Les métiers exercés dans ces secteurs, commencés jeune, sont ceux pour qui la réforme est la plus injuste : en rehaussant l’âge minimal de départ à la retraite, la possibilité de partir à taux plein s’allongerait considérablement pour des salariés25Henri Sterdyniak, « Réforme des retraites : “Une hausse brutale de l’âge de départ frapperait les ouvriers en particulier” », Le Monde, 4 janvier 2023. dont les premiers emplois commencent souvent avant l’âge moyen de vingt-deux ans. De surcroît, ces métiers n’ont connu aucun aménagement depuis la pandémie : aucun cariste, aucune aide-soignante, aucune caissière ne peut bénéficier du télétravail et, lorsque le pays tout entier s’est retrouvé confiné, les secteurs de l’industrie de la grande distribution ou de l’aide à la personne ont maintenu leur activité en ayant recours à des métiers de la seconde ligne négligés par les précautions qu’exigeaient les circonstances.

Infographie 3. Catégorie socioprofessionnelle par âge en 202126Source : Insee « Catégorie socioprofessionnelle selon le sexe et l’âge », Insee, 9 juin 2022.

Ainsi, un ouvrier dans la métallurgie d’Alès n’ayant connu aucune période de chômage et ayant commencé à vingt ans devra s’acquitter de six mois supplémentaires27Simulation réalisée sur le site Sapiendo-retraite.. Une auxiliaire de vie sociale de Pontarlier avec deux enfants, ayant commencé à l’âge de vingt-deux ans devra, de son côté, exercer deux ans de plus.

Les salariés de ces secteurs industriels et de service à la personne convergent avec les titulaires d’emplois administratifs nombreux et dont le niveau d’encadrement syndical décline moins vite : à Montluçon, où l’on a recensé plus de 5 000 personnes lors de la deuxième journée de mobilisation, l’entreprise Safran constitue le premier employeur privé. Une partie de ses 1 000 salariés ont rejoint dans la rue ceux de l’hôpital et de la mairie, premiers employeurs publics avec respectivement 1 000 et 700 emplois. Ces structures importantes favorisent donc un investissement collectif dans la mobilisation et ce d’autant plus que tous les syndicats sont opposés à la réforme28Marie Astier, « Voici pourquoi les petites villes se mobilisent », Reporterre, 31 janvier 2023.. La force d’inertie de ces grandes masses prolonge le mouvement : dans la fonction publique, le nombre de grévistes n’a que très peu baissé entre les deux dates de mobilisation29« Réforme des retraites : 2,8 millions de manifestants en France selon la CGT, 1,27 million d’après la police », France Bleu, 31 janvier 2023..

Et c’est ainsi qu’ouvriers et salariés du privé et du public ont été ensemble dans les cortèges des deux premières journées de manifestations.

Débordement et fenêtre d’opportunité

Dans un contexte où les inégalités ne cessent de s’accroître, où les efforts consentis ont été nombreux et douloureux, et alors que l’unité syndicale facilite l’incitation collective proche, les classes moyennes et populaires des villes moyennes et populaires, salariés du privé et du public, se sont retrouvés massivement dans la rue les 19 et 31 janvier. La réforme des retraites permet aujourd’hui une convergence de colères qui se structurent depuis plusieurs mois, que l’élection présidentielle, où seul un Français sur cinq a voté pour le président sortant, n’a pas tranchée.

Cette crise sociale se transforme donc en crise politique : les cortèges vont largement au-delà de la gauche sympathisante et militante et rappellent, en leur temps, une certaine proximité avec ce que le mouvement des « gilets jaunes » a pu être dans ses premiers samedis de mobilisations en novembre et décembre 2018.

À Montbard, ville « gilets jaunes30« Avant l’anniversaire, des gilets jaunes de plus en plus nombreux à Montbard », Le Bien public, 9 novembre 2019. » et sous-préfecture de la Côte-d’Or (21), Marine Le Pen est arrivée en tête au premier tour de l’élection présidentielle et, pourtant, plus de 1 000 personnes se sont retrouvées le 31 janvier dans les rues de la ville pour exprimer le rejet de la réforme des retraites. Arles, dans les Bouches-du-Rhône, Alès dans le Gard, ou encore Montluçon dans l’Allier comptent toutes les trois un député du Rassemblement national et ont aussi vu des niveaux de participation sans précédent.

Ce qui se déroule donc actuellement, c’est un retour dans la rue d’une partie des cortèges « gilets jaunes », mais accompagnés cette fois-ci par les syndicats et les mouvements politiques de gauche. Et ce débordement, sans aucun doute inattendu, est celui des « travailleurs réels », pour reprendre la formule de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT31Marc Endeweld, « Retraites : Les Républicains hésitent face à la colère de la France des sous-préfectures », La Tribune, 3 février 2023.. C’est une fenêtre d’opportunité pour la gauche d’autant plus large que le Rassemblement national prospère dans la France des sous-préfectures sur la base d’un programme social très fragile, qui n’a que l’apparence d’une politique redistributive. Marine Le Pen proposait, en effet, lors de sa campagne présidentielle, d’augmenter le pouvoir d’achat des Français par des baisses massives de cotisations sociales, revenant ipso facto sur un aspect fondamental de l’État social français : les cotisations sociales représentent une partie différée du salaire que le travailleur touche lorsqu’il est malade, au chômage ou à la retraite. On peut également relever que le Rassemblement national proposait en 2022 de limiter le nombre d’administratifs à 10% des postes ouverts dans les hôpitaux32Projet présidentiel pour la France de Marine Le Pen, livret santé, p. 9., ne rompant ainsi pas fondamentalement avec la logique comptable mise en place pour limiter le coût des services publics. Le Rassemblement national ne séduit donc pas les catégories populaires maltraitées par la mondialisation grâce à ses propositions économiques mais en dépit de celles-ci.

Ce grand écart de l’extrême droite n’est pas récent : même lorsque le Front national cherchait à se présenter comme le principal défenseur des catégories salariales les plus modestes, les initiatives de ses parlementaires soulignaient la solidité de la doxa libérale au sein du parti : au moment de la loi El Khomri, en 2016, plusieurs amendements de ses sénateurs, Stéphane Ravier (Bouches-du-Rhône) et David Rachline (Var), proposaient la suppression du compte pénibilité, le doublement des seuils sociaux ou encore la limitation du « monopole syndical33François Vignal, « Loi travail : les sénateurs FN défendent des mesures libérales et défavorables aux syndicats… puis les retirent », Public Sénat, le 10 juin 2016. ».

Au-delà, le Rassemblement national se heurte à un défaut d’insertion dans le mouvement social. Par nature, l’extrême droite peine à accompagner un mouvement dont elle récuse les cadres syndicaux et les formes traditionnelles d’action : Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, a déclaré ne pas vouloir manifester dans la rue son opposition à la réforme et a affirmé que les dirigeants des principaux syndicats étaient en réalité des soutiens au président Macron34Sud Radio, 18 janvier 2023..

L’intense mobilisation contre la réforme de retraites constitue donc une occasion pour la gauche : sur la question sociale, c’est le moment pour elle tout à la fois de se mobiliser et de faire entendre des propositions infiniment plus cohérentes dans la perspective de reconstruction d’un État protecteur.

En effet, si la gauche au sens large peut ponctuellement se diviser sur la stratégie à adopter face aux institutions financières, européennes, ou, de façon plus anecdotique, sur la place à accorder à la question de la consommation de la viande, la question sociale représente le point essentiel sur lequel les clivages en son sein s’effacent. Les autres débats s’étiolent quand il s’agit de défendre les grands acquis sociaux. Sans exception, les partis politiques se retrouvent dans la rue pour défendre la valeur du travail en dénonçant le transfert de plusieurs points de PIB du travail vers le capital dans les dernières années. Tous s’accordent pour dire qu’un effort minime de prélèvement sur les entreprises permettrait une pérennisation du système des retraites. Ainsi le mouvement social dans la France des sous-préfectures, des ronds-points et des pavillons offre-t-il une occasion unique pour la gauche de renouer avec toute l’épaisseur sociale du territoire français. Il l’invite à penser en profondeur la répartition géographique du salariat dans une France tertiarisée où l’allongement des chaînes logistiques a remplacé les grandes usines. Il l’invite à penser une nouvelle coalition majoritaire : les quartiers populaires, la jeunesse écologiste, les professions intermédiaires urbaines et enfin le prolétariat des sous-préfectures. Le ferment politique de cette décennie continue donc de s’inscrire dans cette fracture territoriale : la France des sous-préfectures se rappelle une fois de plus au bon souvenir d’une élite qui ne s’attendait pas à devoir l’affronter. La réforme des retraites vient cristalliser des colères latentes et récentes qui convergent contre sa mise en place.

  • 1
    Valérie Mazuir, « Retraites : les points clefs de la nouvelle réforme », Les Échos, 11 janvier 2023.
  • 2
    « Retraites : les syndicats unis mais jusqu’à quand ? », France 24, 10 janvier 2023.
  • 3
    Les huit principaux syndicats composent la mobilisation : CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, Solidaires, FSU.
  • 4
    Alexis Boisselier, « Comment la réforme des retraites met les députés Les Républicains à l’épreuve », Ouest-France, 31 janvier 2023.
  • 5
    Source : Ibid.
  • 6
    Thibault Lhonneur, Être majoritaire : la gauche face à la fracture territoriale, Fondation Jean-Jaurès, 2 décembre 2022.
  • 7
    Véronique Vigne-Lepage, « Pourquoi les syndicats n’ont plus vraiment la cote », La Gazette des communes, 8 février 2022.
  • 8
    « Fonction publique : la participation aux élections professionnelles en chute libre », Le Point, 15 décembre 2022.
  • 9
    Alexandre Reza Kobabi, Emmanuel Clévenot et Scandola Graziani, « “Notre corps va lâcher” : les petites villes mobilisées pour les retraites », Reporterre, 1er février 2023.
  • 10
    Pierre Nora, « L’événement monstre », Communications, vol. 18, 1972, pp. 162-172.
  • 11
    « L’opposition à la réforme des retraites s’intensifie », Elabe, 25 janvier 2023.
  • 12
    Géraldine John, « Covid-19 : Castex confirme que le couvre-feu débutera à 18 heures partout en France », Nord littoral, 14 janvier 2021.
  • 13
    Benoît Cocquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, Paris, La Découverte, 2019.
  • 14
    Jérôme Bouchacourt, « Le 28 octobre 2020, le confinement sonnait l’arrêt du football amateur », Foot amateur, 28 octobre 2021.
  • 15
    « Covid-19 : le marché aux vins d’Ampuis est annulé », Le Dauphiné libéré, 5 janvier 2022.
  • 16
    Benoît Grossin, « Covid-19 et couvre-feu : la vague de problèmes de santé mentale loin d’être retombée », France Culture, 18 octobre 2020.
  • 17
    « Covid-19 : ce Noël sera-t-il pire que celui de 2020 en réanimation ? », L’Express, 15 décembre 2021.
  • 18
    « Covid-19 : Jean Castex salue le comportement des Français pendant les fêtes », Ouest-France, 12 janvier 2023.
  • 19
    « Covid-19 : Les Français favorables au pass vaccinal et même à l’obligation vaccinale, selon un sondage », L’Union, 21 janvier 2022.
  • 20
    « En décembre 2022, les prix à la consommation se replient légèrement sur un mois (-0,1%) et augmentent de 5,9% sur un an », Insee, 13 janvier 2023.
  • 21
    « Inflation. Les prix des produits alimentaires en hausse de près de 10% dans les supermarchés », Ouest-France, 29 septembre 2022.
  • 22
    Julien Da Sois, « La baisse de la consommation d’électricité et de gaz en France se poursuit », Le Figaro, 4 janvier 2023.
  • 23
    Fabien Hardy, « Carburant chez Total : interminable attente et stations à sec ! », L’Automobile, 5 septembre 2022.
  • 24
    Source : Insee « Structure de la population active (15 à 64 ans) au sens du recensement par catégorie socioprofessionnelle en 2019 », Insee, 27 juin 2022.
  • 25
    Henri Sterdyniak, « Réforme des retraites : “Une hausse brutale de l’âge de départ frapperait les ouvriers en particulier” », Le Monde, 4 janvier 2023.
  • 26
    Source : Insee « Catégorie socioprofessionnelle selon le sexe et l’âge », Insee, 9 juin 2022.
  • 27
    Simulation réalisée sur le site Sapiendo-retraite.
  • 28
    Marie Astier, « Voici pourquoi les petites villes se mobilisent », Reporterre, 31 janvier 2023.
  • 29
    « Réforme des retraites : 2,8 millions de manifestants en France selon la CGT, 1,27 million d’après la police », France Bleu, 31 janvier 2023.
  • 30
    « Avant l’anniversaire, des gilets jaunes de plus en plus nombreux à Montbard », Le Bien public, 9 novembre 2019.
  • 31
    Marc Endeweld, « Retraites : Les Républicains hésitent face à la colère de la France des sous-préfectures », La Tribune, 3 février 2023.
  • 32
    Projet présidentiel pour la France de Marine Le Pen, livret santé, p. 9.
  • 33
    François Vignal, « Loi travail : les sénateurs FN défendent des mesures libérales et défavorables aux syndicats… puis les retirent », Public Sénat, le 10 juin 2016.
  • 34
    Sud Radio, 18 janvier 2023.

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