La « densité harmonieuse » : une solution politique à la crise du logement

Alors que le logement est devenu le premier poste de dépenses des Français, il ne fait que peu l’objet d’une politique de long terme. Pour sortir de la crise actuelle du logement, Luc Carvounas, maire d’Alfortville et porte-parole du Parti socialiste, propose une solution : la densité harmonieuse, envisagée non pas uniquement comme une question urbanistique, mais comme une notion transversale qui nous obligerait à repenser « la vie dans nos villes » dans leur globalité.

Préoccupation majeure des Français, le logement est progressivement devenu le premier poste de dépenses des ménages, fragilisant d’autant plus les conditions de vie des plus modestes. Pourtant, il est la plupart du temps absent du débat public et ne fait que peu l’objet d’une politique de long terme, même quand la crise que nous connaissons aujourd’hui risque de se transformer en véritable cataclysme social.

D’abord, tous les indicateurs indiquent une baisse très importante de la construction immobilière, phénomène aux raisons multiples qui vont de la réticence de certains territoires à construire jusqu’aux incertitudes financières des foyers. Si les chiffres fluctuent, la plupart des acteurs publics et privés s’accordent sur un besoin de 500 000 nouveaux logements par an1Tome I – Diagnostic et mesures phares, rapport de la Commission pour la relance durable de la construction de logement, sous la présidence de François Rebsamen, 23 septembre 2021. et nous n’y sommes pas, loin s’en faut.

Au rythme actuel de la construction de logements, et en tenant compte également du vieillissement de la population, il nous manquera 850 000 logements d’ici à 20302Sébastien Laye, Construire plus et mieux de logements en France : c’est possible, rapport n°28 de l’Institut Thomas More, mars 2023..

À l’autre bout de la chaîne, les chiffres sont plus inquiétants encore : le nombre de personnes sans domicile a doublé en dix ans et la réponse en matière d’hébergement d’urgence consiste essentiellement en des chambres d’hôtel ou l’ouverture de gymnases mis à disposition par les villes. Or, les 200 000 places annuelles disponibles aujourd’hui pourraient sembler suffisantes si elles n’étaient devenues, pour beaucoup d’entre elles, un logement quasi pérenne pour celles et ceux qui ne trouvent pas d’autre solution.

Dans un pays comme la France – cinquième puissance mondiale –, comment ne pas déplorer que, selon les données de l’Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) d’août 2022, on dénombre encore 42 000 enfants qui dorment dans la rue3Collectif, « Pas un seul enfant dans la rue cet hiver ! », Le Journal du dimanche, 19 novembre 2022. ?

Plus globalement, la Fondation Abbé-Pierre parle de quatre millions de mal-logés en France. Dans le même temps, notre pays compte plus de trois millions de logements vacants – dont un tiers le sont depuis plus de trois ans –, un chiffre qui a doublé en vingt ans4L’état du mal-logement en France 2023, rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre, 31 janvier 2023.. Entre les deux, le logement social vit une crise permanente qui ne fait que s’accroître : la France compte désormais 2,4 millions de ménages en attente d’un logement social, alors même que la construction de HLM stagne5« Le nombre de demandeurs de logements sociaux a atteint un record fin 2022 », communiqué de presse de l’Union sociale pour l’habitat, 12 mai 2023.. Là encore, le taux de rotation est très faible, les locataires du parc social n’arrivant plus guère à se diriger vers le parc privé ou l’accession à la propriété.

Les recommandations de la Cour des Comptes – visiblement suivies par le gouvernement – consistant à « réduire significativement le nombre des intervenants publics et parapublics dans la politique du logement »6Restaurer la cohérence de la politique du logement en l’adaptant aux nouveaux défis, note Enjeux structurels pour la France, Cour des comptes, novembre 2021. risquent d’aggraver la situation du logement social en éloignant toujours un peu plus les décideurs des territoires. En revanche – et cela peut sembler contradictoire –, une étape supplémentaire de décentralisation en la matière serait opportune, et nous ne pouvons que rejoindre le point de vue de la Cour des comptes lorsque celle-ci expose qu’il apparaît « essentiel de renforcer le pilotage local de la politique du logement »7Ibid..

Par ailleurs, de nouvelles formes d’habitats se développent. Certaines sont subies, que l’on pense au retour contraint chez les parents pour un adulte, aux « résidents annuels » des campings et mobil-homes qui se logent ainsi non pas par choix mais par nécessité, ou encore aux « relégués » de leurs villes qui partent sous l’assaut de l’essor des meublés touristiques. De nouveaux usages d’habitats peuvent être pour leur part souhaités, comme le prouvent l’accroissement des colocations – juniors comme seniors8Noa Moussa, « “Ça a changé ma vie” : dans le Val-de-Marne, des seniors heureux de vivre en colocation », Europe 1, 13 juin 2023. –, le développement du coliving, des copropriétés à usages partagés, le logement intergénérationnel ou encore les résidences services seniors.

Planifier la construction de nouveaux logements nécessite donc une véritable réflexion fine et adaptée aux nouvelles pratiques et modes de vie, ainsi qu’une essentielle prise en compte de l’évolution démographique de nos territoires.

De manière très concrète, lorsque l’on sait que 45% des couples mariés en France finiront par divorcer9Tableaux de l’économie française, Mariages – Pacs – Divorces, Institut national de la statistique et des études économiques, édition 2020., ou encore que la France comptera 25% de plus de 65 ans en 2040 puis près de 30% en 2050 divorcés10Tableaux de l’économie française, Population par âge, Institut national de la statistique et des études économiques, édition 2020., on constate que les besoins en logements pour demain ne correspondront plus à ce que nous connaissions hier.

Alors, dans cette période de crise du logement qui mêle à la fois incertitudes économiques, transformation des usages et des pratiques, manque de réactivité du pouvoir exécutif et affaiblissement des capacités d’action des collectivités locales, beaucoup de maires se battent avec le peu de moyens qu’il leur reste. Mais selon tous les observateurs, le marché immobilier ne se régule pas tout seul. Nous avons donc besoin d’une grande politique nationale en la matière, que ce soit pour le parc locatif privé, intermédiaire ou social, ou encore l’accession à la propriété.

Lorsque le président de la République estime que le logement constitue un « système de sur-dépense publique » inefficace11Pierre-Henri de Menthon et Nicolas Domenach, « Emmanuel Macron : « Réindustrialiser la France, c’est la mère des batailles » » Challenges, 10 mai 2023., il ne semble pas considérer l’activité économique et les emplois créés par ce secteur, ni l’argent que cela rapporte à l’État chaque année. Qui plus est, pour 1 000 euros de dépense publique, l’État ne dépense que 15 euros pour le logement (quand il en dépense 26 pour la culture ou 47 pour les transports)12Que financent 1 000 euros de dépenses publiques ?, Agence France Trésor., qui est pourtant rappelons-le, le premier poste de dépense des ménages français.

Véronique Bédague, professionnelle reconnue et respectée – qui refusa Matignon en 2022 pour rester dirigeante d’une grande entreprise privée de l’immobilier13Véronique Chocron, « Véronique Bédague, Nexity plutôt que Matignon », Le Monde, 16 février 2023. –, s’exprimait en ces termes sur France Inter, en avril 2023, pour résumer la gravité de la situation : « 100 000 mal-logés de plus, 10% de plus de personnes à la rue, 100 000 demandeurs de logements sociaux en plus l’année dernière, l’effondrement de la construction et le blocage complet du marché de la location »14« Véronique Bédague : « La crise du logement est un poison lent mais extrêmement sûr » », France Inter, 24 avril 2023..

L’État doit donc prendre conscience et agir très vite sur les leviers qui sont les siens, législatifs, fiscaux et financiers, faute de quoi la « bombe sociale »15Raphaël Legendre, avec Matthieu Deprieck et Marc Vignaud, « Le logement, bombe sociale à retardement », L’Opinion, 25 avril 2023. pourrait bien exploser. Et les conclusions du Conseil national de la refondation (CNR)-Logement présentées par la Première ministre le 5 juin 202316Conseil national de la Refondation – Logement, dossier de presse, 5 juin 2023. semblent avoir provoquées une déception à la hauteur des attentes auprès de ses participants et des protagonistes du secteur, élus locaux, bailleurs publics et acteurs privés.

Néanmoins, sans attendre tout de l’État, je suis convaincu qu’il appartient également aux élus locaux – et notamment aux maires – de prendre leur part active contre la crise du logement. Oui, il est possible pour un maire d’allier à la fois une action efficace pour la transition écologique et la résolution de la crise du logement. Les opposer serait d’ailleurs mortifère. Pour les Français d’une part, qui se logeraient de plus en plus difficilement, et pour la cause écologique d’autre part qui serait une nouvelle fois brocarder comme étant « punitive » et non inclusive pour les plus défavorisés. 

Il est une solution politique qui peut nous extraire de cette impasse : bâtir la « densité harmonieuse » dans nos villes. Mais avant de l’évoquer, revenons sur les racines de la crise du logement.

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De multiples facteurs responsables de la crise du logement 

Plusieurs facteurs bien identifiés, et cumulatifs, peuvent expliquer la crise du logement que nous connaissons actuellement.

Tout d’abord, la remontée des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne – relevés de plus de quatre points depuis juillet 2022 – verrouille de plus en plus l’accès à la propriété immobilière, en bloquant l’accès au crédit des ménages.

Par répercussion, le parc locatif se fige peu à peu puisque celles et ceux qui souhaitaient acquérir un nouveau logement – donc libérer le leur – ne le peuvent plus. On constate ainsi une baisse de 17% de l’offre de biens à louer au niveau national au premier trimestre 2023 comparé au premier trimestre 202217Véronique Chocron et Claire Ané, « Logement : aux racines d’une crise que le gouvernement tarde à affronter », Le Monde, 10 mai 2023..

Il est aussi important de constater l’avalanche de logements mis en vente récemment – classés F et G en termes de diagnostic de performance énergétique (DPE) – concernés par les futures interdictions à la location (en 2025 pour les G, en 2028 pour les F). Ainsi en Île-de-France, quand 57,8% des biens immobiliers mis en vente en 2021 étaient classés énergétiquement F ou G, ils étaient pour leur part 81,7% en 202218Candice Doussot, « Passoires énergétiques : en Île-de-France , les propriétaires ont massivement décidé de vendre », Le Parisien, 1er décembre 2022..

Il nous faut aussi évoquer la transformation d’appartements – qui peut parfois s’avérer aussi massive que nocive dans certaines villes touristiques ou les métropoles – en meublés touristiques, faisant ainsi reculer l’offre de logements accessibles pour des habitants « autochtones » obligés de s’expatrier hors de leur ville d’origine pour cause de raréfaction et de renchérissement du coût du logement. Une injustice sociale de plus.

Dans ces conditions, 70% de la population française serait potentiellement éligible à entrer dans le logement social, et 2,3 millions de ménages sont en attente d’un logement social. Pour autant, la production de logements sociaux ne fait que reculer elle aussi, avec moins de 100 000 agréments comptabilisés en 2022 contre 120 000 prévus initialement19Ibid..

À cela s’ajoute la réservation de logements neufs en chute libre, et nous savons que les logements livrés aujourd’hui correspondent bien souvent à des permis de construire délivrés avant la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Depuis, nous constatons une baisse manifeste des permis de construire accordés, et la période préélectorale de 2026 vers laquelle nous approchons risque fort d’amplifier cette tendance.

Car il est vrai que certains maires se montrent de plus en plus frileux en termes de construction de logements sur leurs communes, pour diverses raisons. Elles peuvent être idéologiques et même dogmatiques – aussi bien à gauche qu’à droite – mais elles peuvent être parfois aussi pragmatiques. Un exemple concret : quand le président de la République décide de supprimer la taxe d’habitation, il prive les villes de recettes fiscales qui permettent justement de construire du logement en anticipant budgétairement le service public qui sera nécessaire à la livraison de ces nouveaux logements (écoles, maisons de santé, gymnases…).

L’ensemble des raisons présentées ci-dessus – et sans être exhaustives – permettent de dresser un rapide panorama des facteurs cumulatifs qui sont à l’origine de la crise du logement en France. Elles sont connues des décideurs publics, alertés depuis longtemps maintenant, pourtant aucune volonté politique forte ne semble s’imposer chez nos gouvernants actuels pour résoudre cette brûlante question, alors que des propositions – pour certaines intéressantes – avaient été présentées en octobre 2021 par la ministre du Logement d’alors, Emmanuelle Wargon, dans son rapport « Habiter la France de demain », mais qui n’a malheureusement pas été suivi d’effets.

Des mesures gouvernementales qui ne sont pas à la hauteur des enjeux 

Très attendues, les conclusions du CNR-Logement rendues en juin dernier semblent témoigner d’une réelle prise de conscience du pouvoir exécutif sur la crise que traverse le secteur actuellement, mais malheureusement les actions proposées ne sont pas assez ambitieuses pour y répondre globalement.

Pour la Première ministre Élisabeth Borne, le logement fait face à « une situation d’urgence, pour bon nombre de nos concitoyens (…), qui exige une mobilisation collective » car « nous traversons actuellement une crise du logement »20Conclusions du CNR-Logement par Élisabeth Borne, 5 juin 2023..

Promoteur de la « densité harmonieuse », je partage aussi les propos de la cheffe du gouvernement lorsqu’elle affirme qu’il nous faut non pas « étendre la ville, mais continuer à reconstruire la ville sur la ville, en utilisant tous les leviers à notre disposition »Ibid.. Là aussi, le propos est pertinent, mais sa déclinaison opérationnelle laisse un goût d’inachevé.

De manière synthétique, avec ses propositions rendues dans le cadre des conclusions du CNR-Logement, le gouvernement cherche à favoriser l’accession à la propriété (prolongement du prêt à taux zéro jusqu’en 2027 même si le dispositif est réduit et recentré ; développement du bail réel solidaire) et l’accès à la location (développement du logement locatif intermédiaire ; travail sur une remise à plat de fiscalité des locations pour favoriser les locations longue durée, même si rien de concret n’est proposé ; doublement du nombre de bénéficiaires de la Garantie Visale).

Le gouvernement souhaite aussi soutenir la production et la rénovation de logements sociaux et relancer la production de logements (avec par exemple la levée de blocages sur la délivrance des permis de construire en zone tendue, mais qui reste à préciser) ; enfin, le gouvernement exprime une volonté d’amplifier la rénovation énergétique et thermique des logements privés, même si la poursuite du développement de « MaPrimeRénov’ » avec un objectif de 200 000 rénovations en 2024 ne conduira pas à une révolution en la matière, alors que c’est un impératif écologique – pour réduire notre empreinte carbone – et social – pour préserver le pouvoir d’achat des Français les plus modestes.

Que ce soient les élus locaux, les professionnels de l’immobilier ou les acteurs du logement social, chacun s’accorde à dire que les conclusions du CNR-Logement ne sont pas à la hauteur des enjeux soulevés. 

Par exemple, pour les maires franciliens, les conclusions du CNR-Logement « n’ont rien d’une refondation. (…) À ce jour, beaucoup de maires souhaitent aller plus loin dans la production de logements mais se retrouvent bloqués pour des raisons financières (baisse des dotations, transferts de compétence non compensés financièrement, suppression de la taxe d’habitation). » Or, « on ne construit pas un logement sans service associé : écoles, commerces, transports21« Aveugle aux difficultés des acteurs du logement, la Première ministre annonce une liste de mesurettes décevantes », communiqué de presse de l’Association des maires d’Île-de-France (AMIF), 6 juin 2023.. »

Pour assurer l’avenir du logement social, les maires des villes de strates entre 10 000 et 100 000 habitants auraient souhaité une « programmation budgétaire pluriannuelle », car « les marges de manœuvre financières des bailleurs sociaux démontrent un réel problème de visibilité pour eux en termes de capacité d’investissement et pour les collectivités en termes de projection sur l’avenir de leur territoire»22Lettre de Gil Averous, président de Villes de France, à la Première ministre, 14 juin 2023..

À ce titre, les acteurs du logement social – par la voix des COOP’HLM – estiment qu’avec les conclusions du CNR-Logement « pour le logement social, notamment pour l’accession sociale à la propriété, le compte n’y est pas »23« CNR-Logement : pour le logement social, notamment pour l’accession sociale à la propriété, le compte n’y est pas ! Il faut aller plus loin et vite ! », communiqué de presse, Les COOP’HLM, 6 juin 2023..

Les professionnels de la construction de logements sont également « très déçus » des mesures « homéopathiques » du CNR-Logement. Pour la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI), il aurait fallu davantage « aider les maires bâtisseurs en les incitant financièrement à délivrer des permis de construire » ; et pour débloquer le marché locatif en accompagnant les primo-accédants dans leur achat, « il est très regrettable que rien ne soit proposé concernant les taux d’emprunt et le taux d’usure24Sébastien Thomas, « “On va dans le mur” : le patron de la fédération “très déçu” par les mesures de Borne », Le Parisien, 4 juin 2023.. »

Je rejoins aussi les regrets de Jean-Philippe Dugoin-Clément, vice-président de la Région Île-de-France et vice-président de l’AMIF, sur « la restriction du prêt à taux zéro (PTZ), l’absence de mesures fortes sur la location saisonnière ou sur le rehaussement du bâti existant25Bertrand Gréco, « Le vice-président de la Région Île-de-France : “Je plaide pour un emprunt immobilier sur 50 ou 60 ans” », Le Journal du dimanche, 17 juin 2023.. » Si la présentation ci-dessus des critiques adressées aux conclusions du CNR-Logement ne sont pas exhaustives, elles démontrent néanmoins l’insatisfaction de l’ensemble des acteurs concernés. Si le constat est partagé par tous, les solutions proposées ont provoqué autant d’attentes que de déceptions.

Pourtant, de nombreuses propositions opportunes auraient pu être reprises par le gouvernement. Si tel n’est pas le cas aujourd’hui, elles méritent néanmoins notre attention, et il n’est pas exclu qu’elles puissent trouver un jour un débouché politique efficace.

Des propositions pertinentes malheureusement laissées de côté par le CNR-Logement

Pour résoudre la crise du logement, des objectifs sont clairement identifiés : construire davantage de logements, se donner les moyens de faire de la rénovation thermique des logements une triple opportunité – écologique, sociale et économique – et débloquer le marché locatif. À ce titre, des propositions pertinentes auraient mérité d’attirer davantage l’attention du gouvernement.

Concernant le soutien à apporter aux maires pour construire davantage de logements, l’Île-de-France est révélatrice du problème. Elle est la région la plus peuplée de France avec plus de 12 millions d’habitants, pour seulement 23% de maisons individuelles26Ibid.. Elle est aussi la région qui compte le plus de mal-logés : 1,2 million, selon une enquête de la Fondation Abbé-Pierre publiée en octobre 2019271,2 million de mal-logés en Île-de-France, Fondation Abbé-Pierre, octobre 2019.. Sans un soutien à la construction et aux maires qui assument politiquement de construire des logements dans leur commune, cette situation est appelée à s’aggraver en raison du coût du foncier et de l’attractivité de la région qui accueille entre 50 000 et 60 000 nouveaux habitants chaque année28Thomas Poncelet, Philippe Louchart, Sandra Roger, Éric Chometon, Anne-Laure Wittmann, Benoît Chantoiseau, Henry Ciesielski, Évolutions conjointes du parc de logements et de la population en Île-de-France. Deux scénarios à l’horizon 2035, Institut national de la statistique et des études économiques, 11 décembre 2018..

D’un point de vue financier, cela représente un coût très important pour les budgets municipaux car elle implique la construction de nouveaux équipements – écoles, crèches, services sociaux, maisons de santé, police municipale, palais des sports… – et entraîne une augmentation des effectifs municipaux afin d’assurer le bon fonctionnement des services publics.

Ajoutons que, depuis plusieurs années, les capacités financières des communes ont été fortement dégradées. Cette situation est le résultat de la baisse des dotations, des transferts de compétences non totalement compensés financièrement et de la fin de la taxe d’habitation dont la suppression a fortement réduit la dynamique entre les ressources des communes et l’arrivée de nouveaux habitants.

Avec les maires d’Île-de-France – par la voix de l’Association des maires d’Île-de-France (AMIF) –, nous plaidons pour que l’État instaure un dispositif de financement participant à l’investissement et au fonctionnement des équipements publics à construire29Contribution de l’Association des maires d’Île-de-France (AMIF) au Conseil national de la Refondation (CNR)-Logement, 15 mars 2023.. Il s’agit du levier principal pour donner un coup d’accélérateur à la production de logements en Île-de-France, comme dans d’autres régions d’ailleurs.

Ainsi, « l’instauration d’une recette pérenne apparaît essentielle afin de rétablir un lien dynamique et durable entre l’arrivée de nouveaux habitants et les recettes des communes30L’AMIF demande le rétablissement de l’aide aux maires bâtisseurs, communiqué de presse, Association des maires d’Île-de-France, 26 mai 2023.. » Cette aide aux maires engagés contre la crise du logement pourrait se composer d’une dotation d’investissement afin de financer en partie les équipements publics afférents. Elle serait suivie d’une bonification de la dotation globale de fonctionnement (DGF) afin de couvrir les besoins en budget de fonctionnement. Ce dispositif pourrait reprendre le critère du nombre de mètres carrés développés afin de calculer « l’aide socle », car il permet d’encourager la production de logements dont la surface est suffisante à l’accueil des familles.

D’autres proposent dans cet esprit que l’État partage les 20% de TVA qu’il perçoit sur la construction de logements avec les villes concernées, soit 10% chacun.

Si la construction de nouveaux logements est une nécessité, enclencher un plan massif de rénovation – notamment thermique – des bâtiments devrait aussi être notre priorité. Pour cela, il faut une véritable volonté politique, et s’en donner les moyens.

Comme le rappelle la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), il faudrait rénover « 500 000 logements tous les ans pendant dix ans pour éradiquer les 5,2 millions de logements étiquetés F et G »31Nathalie Coulaud, Agnès Morel et François Simoneschi, « Diagnostic, travaux, financement : 11 questions sur le DPE… et leurs réponses », L’Obs, 9 mars 2023.. On estime que la moitié d’entre eux sont situés dans le parc locatif, et que ce sont pour la majorité des logements privés.

En Île-de-France, par exemple, la situation pourrait vite devenir dramatique dans la mesure où, selon une récente étude de l’Insee et de l’Institut Paris Région (IPR)32Kevin Chaput, Philippe Serre, Ivan Tissot, Franziska Barnhusen, Sandrine Beaufils, Sans travaux de rénovation énergétique, près d’un logement francilien sur deux bientôt interdit à la location, Institut national de la statistique et des études économiques et Institut Paris Région, 13 octobre 2022., environ la moitié des logements de la région sont menacés par la future interdiction de louer des biens énergivores (interdiction de location pour les logements classés G en 2025, les F en 2028, et les E en 2034). La rénovation thermique des bâtiments devient donc non seulement une nécessité écologique, mais plus encore en l’état de la législation une urgence sociale.

Pourtant, le déficit d’investissement reste chronique en la matière alors que – plus qu’une contrainte – nous pourrions la transformer en une triple opportunité : environnementale, pour faire baisser notre bilan carbone ; sociale, pour lutter contre les passoires thermiques et l’habitat indigne ; et économique, en matière de création d’emplois et de préservation du pouvoir d’achat des ménages en faisant baisser leurs factures d’énergie33En 2017, les Français ont dépensé en moyenne 1683 euros pour chauffer leur logement, un chiffre établi à partir des données de consommation communiquées par 17 766 particuliers au cours de l’année 2017 via le simulateur de chauffage QuelleEnergie.fr..

Mais force est de constater que les dispositifs actuels d’aide à la rénovation demeurent inadaptés ou insuffisants. Au rythme actuel, la neutralité carbone ne sera pas atteinte avant 2080.

La « prime pour le climat », défendue par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale, vise à « massifier la rénovation énergétique du parc de logements privés pour atteindre effectivement l’objectif de neutralité carbone à horizon 205034Jean-Louis Bricout et Boris Vallaud, « Prime pour le climat. Lutter contre la précarité énergétique », dossier de presse, Primeclimat.fr, mai 2020. ».

Pour y arriver, la « prime pour le climat » se fixe pour objectif d’accompagner, dans le parc privé, « l’ensemble des propriétaires dans la réalisation de travaux améliorant significativement la performance énergétique du logement. Elle constitue une avance remboursable de 100% du montant total des travaux et équipements. La subvention acquise au bénéficiaire peut atteindre 50%. Le remboursement du solde est différé dans le temps »35Ibid., à la mutation du bien par exemple. 

Si nous nous fixons l’objectif politique d’éradiquer les passoires thermiques en dix ans, nous pourrions sortir 12 millions de personnes de la précarité énergétique.

En construisant davantage de logements et en rénovant énergétiquement nos bâtiments, nous disposons de solutions efficaces à moyen et long et terme pour répondre à la crise du logement, mais il nous faut aussi en complément des mesures à plus court terme pour débloquer le marché locatif.

La proposition du vice-président de la région Île-de-France Jean-Philippe Dugoin Clément – inspirée des modèles scandinaves et suisse – d’un « emprunt très longue durée »36Ibid., sur cinquante ou soixante ans, qui reposerait non plus sur la personne mais sur le bien immobilier en lui-même – transmis aux acheteurs suivants – mérite par exemple d’être étudiée avec attention.

De son côté, le dispositif Pinel+ pour encourager l’investissement locatif, de l’avis de l’ensemble des professionnels de l’immobilier, ne fonctionne plus car il est trop restrictif. Il nous faudrait donc créer un dispositif d’incitation fiscale beaucoup plus large et desserrer l’étau de la règle rigide, imposée par le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), du « 35% d’endettement des ménages » pour accéder au crédit en fonction des situations – très diverses – des emprunteurs.

Dans un autre registre, le président de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) propose d’inventer des dispositifs – comme pour les véhicules – de location avec option d’achat (LOA), car « on peut imaginer des solutions équivalentes pour l’immobilier. Il existe des voies alternatives à la pleine propriété, qui permettent de faire converger les intérêts de ceux qui aspirent à acheter (…), et ceux d’acteurs institutionnels prêts à investir en sortant des schémas classiques (…) »37Collectif, « La crise du logement est une chance à saisir », Le Journal du dimanche, 15 mai 2023..

Des villes proposent d’ailleurs ce type de dispositifs alternatifs, qui prouvent leur efficacité – notamment en matière d’accession sociale – comme à Rennes par exemple, où l’on peut acheter les murs de son logement sans en acquérir le terrain, et ainsi en faire baisser les coûts de revient. La métropole de Rennes qui l’a déjà mis en place pour les ménages modestes souhaite étendre cette pratique à tout le foncier public dès 202438« Dissocier le bâti du foncier : Rennes souhaite généraliser cette pratique dès 2024 », Batiweb via AFP, 3 février 2023..

Résoudre la crise du logement aujourd’hui pourrait donc se faire par des mesures légales, fiscales ou économiques. Mais anticiper les nouveaux besoins pour le « logement de demain » et ses nouvelles manières d’habiter – conjointes aux nouvelles préoccupations politiques des populations – nécessitera de mener une bataille culturelle pour ce que je nomme la « densité harmonieuse ».

Il nous revient maintenant à la définir et d’en présenter ses déclinaisons concrètes.  

Bâtir la « densité harmonieuse » : une solution politique à la crise du logement 

Qu’on la nomme « dense » ou « compacte »39Marc-Olivier Padis, Hadrien Bajolle, Philippe Clergeau, Richard Traptizine et le groupe « ville » de Terra Nova, La ville compacte, Terra Nova, 2 février 2022., la ville du XXIe siècle se doit de maîtriser son aménagement spatial et l’organisation de ses services, d’être attractive, de mélanger et de proposer les activités qui caractérisent la qualité de vie urbaine.

On peut notamment évoquer une baisse des déplacements contraints pour ses habitants, l’existence d’une mixité sociale réelle et partagée, la présence de logements variés et adaptés à tous les âges de la vie, la préservation et le développement de l’emploi local ou encore la végétalisation des villes.

En luttant ainsi à la fois contre l’étalement urbain – donc contre la ségrégation spatiale – et l’artificialisation des sols – donc pour la préservation de la biodiversité et de l’accès à la nature en ville –, nos territoires renforcent leur résilience territoriale.

Aujourd’hui, les 22 métropoles françaises représentent 2,5% du territoire tout en regroupant 29% de la population française et en concentrant 36% des emplois du pays40Yann Lasnier et Dominique Riquier-Sauvage, Les métropoles : apports et limites pour les territoires, Conseil économique, social et environnemental, octobre 2019.. Ces dernières ont d’ailleurs connu une plus forte croissance démographique que les autres types d’intercommunalités entre 2013 et 201941« Les métropoles ont gagné plus d’habitants que les autres territoires entre 2013 et 2019 », Batiactu via AFP, 18 janvier 2023..

Dès lors, promouvoir la densité harmonieuse est à la fois vecteur de progrès social et de protection de la nature. Dans nos métropoles, les « maires bâtisseurs » ont le courage d’affronter certains discours démagogiques contre la construction de logements, quand ces mêmes détracteurs oublient que seules l’artificialisation des sols – dont 70% résulte de la construction de logements – ou la ségrégation spatiale et sociale permettent d’y pallier.

Nous devons donc assumer la centralité de la question du logement – dont 70 000 nouveaux sont nécessaires chaque année en Île-de-France, à titre d’exemple – qui est bien souvent la première demande du citoyen envers son maire.

Une ville qui ne construit pas de logements est un territoire où de nouvelles familles ne s’installeront pas, ce qui entraîne moins d’enfants dans ses écoles, donc une fermeture programmée de classes ; c’est aussi moins de commerces et moins de services – de santé par exemple –, moins de recettes fiscales donc moins de services publics. Au bout de la chaîne des conséquences, c’est la paupérisation d’un territoire, le vieillissement d’une ville, et donc une résilience très affaiblie.

Quelques grands principes guident alors la densité harmonieuse : réduire la fracture inégalitaire ; inventer de nouvelles solidarités territoriales ; réarmer nos services publics ; adapter nos territoires aux nouveaux modes de vie (logements, transports, télétravail, environnement, numérique…).

Partir des réalités et des besoins, tel est l’objectif. Et si la densité reste finalement une réponse urbanistique, technique et opérationnelle, c’est bien la notion d’harmonie qui importe le plus dans la densité harmonieuse.

Elle se conçoit tout d’abord comme une ville proposant à ses habitants des logements abordables et bas carbone. Pour y arriver, divers outils sont à la disposition des maires : les « permis de louer » pour lutter contre l’habitat indigne et insalubre, l’encadrement du prix du foncier, la lutte contre l’obsolescence des bâtiments avec la mutation de leurs usages, la transformation des friches, des « verrues urbaines » ou des « dents creuses », la limitation réglementaire des meublés touristiques, ou encore l’adoption de « chartes qualité habitat durable » pour contraindre les promoteurs à construire du logement de qualité et sobre énergétiquement, tout en rendant de la « pleine terre » au territoire.

Pour que la densité soit harmonieuse, la construction de logements doit être à la fois volontariste, cadrée et maîtrisée. Elle permet par exemple de préserver le tissu pavillonnaire de nos villes, car comme le relatait encore un récent article de presse, dans de nombreuses villes métropolitaines, « il ne se passe pas une semaine sans que les propriétaires de certains quartiers pavillonnaires soient sollicités pour vendre leur bien. Avec parfois des techniques critiquables42Véronique Beaugrand, « “Le sentiment d’avoir affaire à des prédateurs” : l’appétit vorace des promoteurs immobiliers inquiète », Le Parisien, 3 mai 2023. ». Ainsi, on arrive à des situations comme à Chasse-sur-Rhône – située à une vingtaine de minutes de Lyon – où la mairie interdit tout démarchage des promoteurs sans son aval.

De plus, il nous faut aussi améliorer la qualité des logements neufs : respecter et agrandir les surfaces minimales, prévoir des hauteurs de plafond suffisantes et des espaces extérieurs privatifs, éviter les mono-orientations pour permettre les courants d’air en cas de fortes chaleurs.

La densité harmonieuse nous invite également à revisiter notre rapport à la vitesse, à la distance et à la hauteur. Il nous faut imaginer une autre manière de « faire la ville ».

Une étude bien connue chez les urbanistes – produite en 1991 par les chercheurs australiens Peter Newman et Jeffrey Kenworthy – met en relation deux variables, la dépendance automobile et la densité des villes : « la conclusion ressort clairement. Pour diminuer la dépendance automobile dont les effets négatifs sont inacceptables, il convient d’accroître la densité des villes, c’est-à-dire de revenir à des formes urbaines moins étalées43Gabriel Dupuy, « “Cities and automobile dependence” revisité : les contrariétés de la densité », Revue d’économie régionale & urbaine, 1er février 2022. ». 

Dans Énergie et Equité44Ivan Illich, Énergie et Équité, Paris, Arthaud poche, 2018., Ivan Illich démontrait que généralement « les gens travaillent une bonne partie de la journée seulement pour gagner l’argent nécessaire pour aller travailler ».

Les crises sociales actuelles – avec celle des « gilets jaunes » pour paroxysme – démontrent que ce modèle décrit par Illich n’est plus adapté au monde d’aujourd’hui. D’autant plus que le transport demeure le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre, dont 70% de son volume sont consacrés au transport de passagers45Ibid..

La densité harmonieuse vise donc à réduire les distances à parcourir pour les activités de la vie quotidienne (transport, travail, garde d’enfants, courses, activités de loisirs, accès aux services publics…). Elle permet ainsi de réduire notre vitesse journalière et de décélérer, d’éviter d’ajouter du stress à la vie quotidienne et, tout simplement, de « prendre le temps de prendre le temps ».

Pour réduire la vitesse, il convient de réduire nos distances parcourues, donc de passer à une logique d’aménagement horizontal – l’étalement urbain – à une logique d’aménagement vertical : la « ville compacte ».

Dès lors, chaque territoire devrait à son échelle proposer une réflexion globale de « chrono-aménagement » ou, pour le dire autrement, de mettre en place une véritable « politique des temps ».

Nous pouvons en donner quelques exemples non exhaustifs : mise en place du télétravail et d’horaires aménagés, installation de tiers-lieux, partage des espaces publics ou des équipements multi-usages, promotion des mobilités douces, développement des micro-crèches et des « villages seniors », organisation de la « ville plateforme » pour réaliser ses démarches administratives et ses paiements en ligne, ouverture de certains services le dimanche sur la base d’une concertation collective (comme par exemple les médiathèques).

Offrir de la proximité, c’est garantir un ralentissement de notre rythme collectif, donc favoriser la sobriété – énergétique notamment – dans le même temps. 

Aussi la notion de densité maîtrisée – contraire d’une densité diffuse et anarchique – permet-elle d’anticiper les conflits d’usages au sein de la ville compacte. Densité choisie ou densité subie, tout est affaire d’anticipation et d’organisation. Il faut trouver un subtil équilibre des aménagements afin que la perception de la densité soit ressentie comme une chance et non comme un désavantage.

C’est toute l’importance de la qualité de vie proposée, de la qualité des espaces publics et de l’accès aux services publics, aux commerces et aux loisirs.  

La ville de demain ne doit pas dévorer l’énergie de ses habitants (bruit et stress, transports longs et contraints, services peu accessibles, nuisances diverses), elle doit leur en rendre (sérénité et accessibilité).

Pour le résumer d’une formule : les maître-mots d’une densité harmonieuse sont la proximité et la réversibilité, quand celui de la densité subie devient la promiscuité.

Les politiques de chrono-aménagement produisent alors de la densité harmonieuse par l’organisation collective concertée des temps individuels.

Elle se construit avec les habitants. Mais il nous faut trouver le bon équilibre entre la juste consultation de la population et le risque de paralysie des aménagements par quelques personnes constamment mobilisées contre toute évolution.

Préserver le cadre de vie ne peut pas revenir à créer de l’immobilisme, au risque d’entrer dans un cercle vicieux conduisant à la paupérisation d’un territoire.

De plus, lorsque l’on prospecte sur le futur de l’aménagement des villes, la densité harmonieuse peut apparaître comme une réponse positive à un autre enjeu fondamental : le boom démographique à venir du grand âge, alors que 16 millions et demi de Français auront 65 ans et plus en 2030, et 19 millions en 204046Ibid..

L’approche du vieillissement est souvent perçue sous le seul angle du médico-social. On parle des Ehpad, mais moins des résidences autonomes qui tombent en désuétude alors que de plus en plus de gens souhaitent finir leur vie à domicile.

Avec l’association de maires, d’élus locaux et de professionnels de l’action sociale que je préside – l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (UNCCAS) –, nous appelons l’État à bâtir avec les collectivités locales un grand plan national pour préparer la société du bien-vieillir. Au-delà du seul spectre médico-social, il convient de garantir à nos aînés d’aujourd’hui et de demain des logements résilients et connectés, mais aussi, et c’est là le rôle de la densité harmonieuse, la proximité avec les commerces et les lieux d’animation, les services publics, un espace urbain adapté, accessible et inclusif, des modes de mobilité universels et des infrastructures et personnels spécialisés à la hauteur47Contribution de l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (UNCCAS) au Conseil national de la Refondation (CNR) « Bien vieillir dans la cité », avril 2023..

De surcroît, les aidants – 8 à 11 millions de personnes aujourd’hui – doivent également disposer d’un statut, d’un accompagnement, d’une reconnaissance, alors que nous pouvons tous être amenés à jouer ce rôle auprès de nos proches. La densité harmonieuse se doit donc aussi de prévoir des logements spécifiques et appropriés pour permettre aux aidants de se retrouver à proximité de leurs proches, même si c’est parfois juste pour quelques jours ou quelques semaines.

Le conseiller de Paris Thomas Chevandier a traité de son côté de la transition démographique à venir et des enjeux d’accessibilité et d’adaptation nécessaires aux logements sociaux dans une note forte intéressante publiée récemment à la Fondation Jean-Jaurès48Thomas Chevandier, Vieillir en logement social : les défis de l’accessibilité et de l’adaptation, Fondation Jean-Jaurès, 3 mai 2023.. Dans ses propositions, outre la formation des bailleurs sociaux à travers différents dispositifs comme « MaPrimeAdapt’ » ou le développement des résidences seniors à vocation sociale et des projets d’habitat inclusif, je partage la nécessité de favoriser la rotation du parc social afin qu’à chaque âge de la vie corresponde le logement social adapté à sa situation. Ainsi, les bailleurs sociaux pourraient « s’adapter plus efficacement au vieillissement de leurs locataires en mettant en œuvre le triptyque suivant : formation de leurs personnels, et notamment des gardiens, qui pourraient prendre en charge des demandes et prestations individuelles ; politique plus proactive d’incitation à la mutation vers des logements plus petits, en échange de l’adaptation de ce dernier ; meilleure réactivité pour faire face aux demandes de travauxIbid.. »

Il est un exemple qui pourrait rester anecdotique s’il n’entraînait pas le décès de 10 000 personnes âgées par an : les chutes domestiques49Plan antichute des personnes âgées, dossier de presse, ministère chargé de l’Autonomie, 21 février 2022.. De manière générale, l’adaptation massive des logements aux seniors nécessitera de régler aussi ce type de questions très concrètes et, au-delà du réaménagement des logements, l’utilité sociale de la technologie domotique pourrait ici, comme ailleurs, faire ses preuves.

Mais attention, si les solutions technologiques peuvent être d’une aide précieuse dans la construction de la densité harmonieuse d’une ville, il reste certainement « plus intelligent de simplifier et de ralentir nos modes de vie. Ce n’est pas de l’intelligence experte dans l’exploitation des data dont nous avons d’abord besoin, mais d’intelligence collective pour aménager des villes et des vies plus satisfaisantes. (…) Plus largement, ce ne sont pas les techniques qui importent en premier lieu. Ce sont les réalités sociales, les modes de vie et les modalités d’aménagement du territoire50Julien Damon, Vers la ville stationnaire ?, Telos, 5 avril 2023.. »

La ville à la densité harmonieuse propose ainsi une « République des proximités ». Par son aménagement maîtrisé, par ses activités et services proposés, la ville du XXIe siècle passe ainsi de la « ville fonctionnelle » – triptyque métro-boulot-dodo – à la « ville relationnelle », où il fait bon vivre et passer son temps libre, et qui porte une attention particulière à chacun, du nouveau-né au centenaire.

Elle se doit de maîtriser son aménagement – dans une logique verticale – tout en insufflant un « esprit village ».

La densité harmonieuse dans un territoire, c’est de la mixité sociale et intergénérationnelle, un bon accès aux divers modes de transports propres, une qualité architecturale et intérieure des logements livrés, une culture du vivre-ensemble et des espaces partagés, de la tranquillité publique, de l’accès à la nature en ville, de la mixité fonctionnelle des équipements et des politiques de chrono-aménagement.

De plus, avec la multiplication des « burn-out, dépression, charge mentale, fatigue numérique, épuisement professionnel, fatigue d’être soi… [l]a fatigue semble avoir marqué de son sceau le début de notre XXIe siècle et avoir pris une nouvelle ampleur avec les restrictions liées à la pandémie51Comité d’experts CFDT/Fondation Jean-Jaurès, Une société fatiguée, CFDT, Fondation Jean-Jaurès, 26 novembre 2021.. » La ville à la densité harmonieuse devient alors une réponse à cette « société fatiguée » en ce qu’elle permet à ses habitants de ralentir le rythme.

Mais attention, la densité harmonieuse n’encourage pas pour autant à réduire les distances et rendre du temps individuellement pour se recroqueviller sur soi – ce qui a trait à la santé mentale – ni à se sédentariser – pour évoquer la santé physique. Elle vise à libérer du temps pour aller vers ses prochains et pour prendre soin de soi, physiquement comme mentalement.

C’est en quoi la densité harmonieuse s’impose dans une « vie relationnelle » et une « ville solidaire, conviviale et sportive ».

Pour le dire clairement, pour que le temps gagné grâce à la densité harmonieuse ne conduise ni à s’empâter ni à déprimer, elle se doit aussi de proposer activement des espaces relationnels, d’aider son tissu associatif et ses centres sociaux, d’investir dans la culture, d’organiser des fêtes populaires et familiales, de favoriser la pratique sportive aussi bien en termes d’équipements publics que d’accompagnement des clubs.

C’est une ville qui promeut la relation plutôt que la consommation, l’intérêt collectif plutôt que particulier, l’engagement citoyen plutôt que l’égoïsme individuel.

La densité harmonieuse ne s’envisage donc pas uniquement comme une question urbanistique, mais bel et bien comme une notion transversale qui nous oblige à repenser « la vie dans nos villes » dans leur globalité.

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