Une société fatiguée ?

Fatigués, les Français ? Et si ce n’était pas seulement les individus qui étaient fatigués, mais la société elle-même ? Et de quoi est-ce le symptôme ? En des textes incisifs et représentatifs de la diversité des sciences sociales, douze personnalités – sociologue, philosophe, mais aussi anthropologue ou bien encore juriste – nous livrent leur regard très personnel sur cette « fatigue ».

Ouvrant les travaux du comité d’experts récemment mis en place par la CFDT et la Fondation Jean-Jaurès, ces contributions constituent ainsi la première étape d’un processus de réflexion collective destiné à redonner toute leur place aux sciences sociales dans l’action publique, alors que la crise liée à la pandémie de Covid-19 a révélé à quel point elles avaient été négligées. 

Table des matières

Préface
– Laurent Berger et Gilles Finchelstein

La fatigue d’être nous
– Henri Bergeron

Défatiguer la société
– Patrick Boucheron

Que faire de notre fatigue ?
– Pierre-Yves Geoffard

De la fatigue comme nouveau lien social
– Serge Hefez

Une fatigue éthique
– Emmanuel Hirsch

On n’est pas (tous) fatigués
– Jeanne Lazarus

De la fatigue industrielle au burn-out
– Isabelle Lespinet-Moret

Une crise de temporalité
– Hélène L’Heuillet

Fatigue de l’opinion
– Jérémie Peltier

Fatigués, pas épuisés ?
– Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky

Une société fatiguée du pessimisme
– Claudia Senik

À quoi reconnaît-on la fatigue sociale, et comment y répondre ?
– Frédéric Worms

Le comité d’experts

À la suite de la crise provoquée par la pandémie de Covid-19, la CFDT et la Fondation Jean-Jaurès ont décidé de réunir, à partir de novembre 2021, un comité d’experts en sciences sociales paritaire et interdisciplinaire composé de Henri Bergeron, sociologue, Patrick Boucheron, historien, Pierre-Yves Geoffard, économiste, Florence G’sell, professeure de droit, Serge Hefez, psychiatre, Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale, Jeanne Lazarus, sociologue, Isabelle Lespinet-Moret, historienne, Hélène L’Heuillet, philosophe, Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, anthropologue, Claudia Senik, économiste, et Frédéric Worms, philosophe. 

Ce comité a vocation à rassembler les ressources en sciences sociales et à les mettre à la disposition du débat public pour une meilleure compréhension de la crise liée à la pandémie de Covid-19 et de ses suites. Il cherche à redonner leur place aux sciences sociales dans l’action publique, alors que la crise a révélé à quel point elles avaient été négligées, au profit des sciences dites « dures »,privant ainsi de sens et d’efficacité les politiques publiques.

Préface
Laurent Berger, Gilles Finchelstein

La pandémie qui nous traverse depuis l’année 2020 laisse une empreinte durable sur nos sociétés. Empreinte sur les personnes par la maladie et le deuil, c’est évident ; empreinte économique, sans doute, même si le choc de la crise semble absorbé, sinon résorbé, à grand renfort de crédits. Mais la marque la plus profonde et paradoxalement la moins visible est peut-être dans les esprits plutôt que les corps, dans la société plutôt que dans l’économie.

Événement mondialisé, imprévisible mais qui a concrétisé une menace latente, la pandémie a d’abord interrogé notre rapport à la vie et à la mort, questionné nos modes de vie et leurs limites. Au-delà de cette première introspection collective, l’exercice des confinements a profondément affecté le lien social, le rapport au travail, à la famille, au voisinage, aux amis, à l’espace urbain également. Même la vaccination, performance scientifique et solution inespérée il y a encore un an, se révèle paradoxalement être aussi une source de tensions internes, la sourde colère des vaccinés montant au fur et à mesure que la résistance des « antivax » s’affirme, et que les foyers épidémiques persistent.

Le symptôme le plus clair de cette empreinte de la pandémie sur les esprits et la société tout entière nous semble être cette fatigue que beaucoup expriment et que chacun ressent, de façon latente ou patente, dans tous les domaines de la vie sociale, tant et si bien qu’elle paraît être moins une fatigue généralisée qu’une fatigue collective, un état du corps social autant que des individus. Exprimée à l’occasion de la pandémie de Covid-19, cette fatigue lui est sans nulle doute antérieure. Le virus l’a révélée comme un effort supplémentaire révèle la fatigue accumulée par l’organisme. Comprendre cette fatigue, c’est le point de départ d’un travail qui doit nous permettre de comprendre ce qui se passe, ce qui se manifeste, ce qui se transforme dans nos sociétés à l’occasion de la pandémie.

Cette enquête, nous avons les ressources pour la conduire, mais nous les mobilisons trop peu. L’efficacité scientifique, industrielle dans notre réponse au virus n’a eu d’égale que celle du soutien prodigué à l’économie. Mais elle contraste profondément avec une certaine réticence à recourir aux sciences dites « sociales » pour comprendre les effets psychologiques et sociaux de cette crise. Tout se passe comme si l’action publique se concentrait sur les conséquences matérielles de la pandémie et abandonnait le reste à la sphère privée ou aux individus. Cette mise à distance des sciences sociales du débat public, et peut-être plus encore de l’action publique, est à nos yeux plus qu’une carence, c’est un danger : on se prive ainsi des moyens de mieux comprendre ce que nous vivons individuellement et collectivement depuis 2020, de mieux surmonter les épreuves présentes et de mieux préparer celles qui viendront demain, de mieux nous connaître enfin, comme société et comme individus.

Mobiliser l’apport des sciences sociales à l’occasion de la pandémie, les faire connaître et entendre dans le débat public afin de transformer l’épreuve en expérience, voilà l’objectif et l’ambition de ce comité.

Des mêmes auteurs

Sur le même thème