Vieillir en logement social : les défis de l’accessibilité et de l’adaptation

Dans le contexte de la proposition de loi « Bien vieillir » actuellement en discussion au Parlement et des premières recommandations du Conseil national de la refondation sur le logement qui viennent de sortir, Thomas Chevandier, conseiller de Paris se penche sur la transition démographique à venir et les enjeux d’accessibilité et d’adaptation que cela nécessitera dans les logements sociaux. Pour lutter contre l’isolement des personnes âgées, il soumet ainsi dix propositions appelant à accompagner et former les bailleurs sociaux à travers différents dispositifs – notamment « MaPrimeAdapt’ » – mais aussi à développer les résidences de seniors à vocation sociale et les projets d’habitat inclusif.

Le vieillissement de la population née du baby-boom amorce une transition démographique inéluctable aux conséquences lourdes. Les données disponibles (pyramide des âges, augmentation de l’espérance de vie) permettent d’en définir l’ampleur avec précision, de sorte qu’il est impossible, aujourd’hui, de feindre d’en ignorer la portée1Élisabeth Algava et Nathalie Blanpain, « 68,1 millions d’habitants en 2070 : une population un peu plus nombreuse qu’en 2021, mais plus âgée », Insee Première, n° 1881, novembre 2021..

La réponse politique à la hauteur des enjeux se fait toujours attendre, en témoigne la proposition de loi « Bien vieillir » actuellement en discussion et dont le manque d’ambition, malgré les propositions alternatives2Voir notamment la proposition de loi visant à garantir le droit à vieillir dans la dignité et à préparer la société au vieillissement de sa population, déposée par Jérôme Guedj et les députés socialistes., interroge. Reste que, s’agissant logement et, notamment du logement social, les outils et les idées sont là, et les acteurs se mobilisent de façon croissante depuis quelques années. Mais face à l’enjeu, il s’agit désormais de changer d’échelle.

Synthèse et enjeux

Une transition démographique inéluctable

La part des 75-84 ans dans la population totale augmentera de 50% d’ici à 2030, tandis que celle des personnes âgées de 85 ans et plus continuera d’augmenter pour dépasser les 3 millions d’habitants d’ici 20323Insee, Tableau de l’économie française, 27 février 2020, p. 24..

Dans son rapport relatif à l’adaptation de la société au vieillissement4Luc Broussy, Rapport interministériel sur l’Adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires au vieillissement de la population, mai 2021., Luc Broussy, spécialiste du vieillissement, place cette transition démographique au même niveau que la transition numérique et la transition écologique au titre des grands enjeux de cette première moitié de siècle. Et, « parce qu’elle va modifier l’équilibre de nos territoires et de nos villes, la question de la transition démographique ne peut plus se résumer aux seules politiques sociales du vieillissement5Ibid., p. 19. ».

Effectivement, quand on regarde derrière la réalité déjà impressionnante de ces statistiques, on découvre des conséquences en cascade qui nous permettent de commencer à prendre la mesure des enjeux : fragilisation du système de protection sociale qui repose sur les cotisations des actifs ; accélération de la tension du système hospitalier ; prise en charge financière, logistique, organisationnelle de la dépendance à grande échelle ; adaptation des formes urbaines, des mobilités, de l’habitat.

Vieillir chez soi

La prise en compte de la question du vieillissement, puis celle de la perte d’autonomie, ne peuvent donc se limiter à la création de places dans le secteur médico-social. Pour des raisons quantitatives d’une part ; d’autre part pour tenir compte des aspirations de la population sujette au vieillissement, qui veut vieillir à domicile.

Dès lors, il convient de regarder sérieusement la question du maintien à domicile des personnes âgées devenues fragiles, qui repose sur trois piliers : disposer d’un logement adapté ou à tout le moins accessible ; vivre dans une ville à l’environnement bienveillant ; pouvoir se déplacer aisément dans l’espace public6Ibid., p. 20..

Or, ces trois dimensions de l’environnement propice au maintien à domicile des personnes âgées sont toutes particulièrement mises à l’épreuve au sein du parc social. 

Dynamique démographique des personnes âgées dans le parc social

Une étude comparative des enquêtes logement de l’Insee permet d’objectiver le vieillissement des locataires du logement social. Ainsi, en 1984, 24% des « chefs de famille »7Notion statistique qui désigne le parent qui a sous sa responsabilité morale et matérielle l’ensemble de la cellule familiale. des ménages locataires du parc social avaient moins de 30 ans, contre 8% en 2013. 20% appartenaient à la tranche d’âge 50-64 ans, contre 30% en 2013. Et 15% avaient plus de 65 ans, contre 22%.

De fait, un important bailleur social parisien qui a déjà 46% de titulaires de bail qui ont plus de 60 ans estime que leur part va augmenter de façon constante de minimum 1% par an. Le même bailleur a aujourd’hui plus de 3000 locataires âgés de 80 ans et plus.

Tout porte aujourd’hui à croire que cette tendance qui s’est accrue jusqu’à aujourd’hui va continuer à s’approfondir8Pauline Delance, « 11 millions de personnes sont locataires d’un logement social », Insee Première, n° 1715, octobre 2018.. En premier lieu, les personnes âgées ont une forte tendance à souhaiter conserver leur environnement et en premier chef leur logement. En second lieu, la précarité touchant une part importante des personnes âgées, celles qui bénéficient déjà d’un logement social, n’auront pas la possibilité d’accéder à un logement dans le parc privé.

Un rapport de l’Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) vient ainsi objectiver cette analyse. Ainsi, près de 10% des logements sociaux ont été pris à bail il y a plus de trente ans. Et près d’un tiers de l’ensemble des logements sociaux sont occupés par le même ménage depuis plus de quinze ans. Si l’on considère que de nombreux logements ont été produits depuis quinze ou trente ans, ces statistiques deviennent très impressionnantes9 Pauline Delance, art. cit..

Ce n’est en rien surprenant, mais la mobilité décroît à mesure que l’ancienneté dans le logement augmente10Ibid., p. 8., de sorte que les personnes résidant depuis longtemps dans leur logement social sont peu enclines à en bouger, ce d’autant plus que plus on reste longtemps dans un logement moins le loyer qu’on y paie est élevé.

La croissance du nombre de locataires âgés dans le parc social constitue un fait démographique et statistique évident.

Prévenir l’isolement

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 et les mesures de restrictions sociales ont placé au cœur du débat la question de l’isolement des personnes âgées, et notamment de celles qui vivent dans le parc social. Dans un rapport spécifiquement dédié à ce sujet, Jérôme Guedj, aujourd’hui député, dresse le constat d’un risque accru d’isolement des personnes dans le parc social. Ainsi que le souligne l’auteur, « les bailleurs sociaux et leurs équipes en proximité ont été des acteurs clés dans la lutte contre l’isolement des personnes pendant le confinement. Le repérage systématique des situations de fragilités, la conduite d’actions visant à maintenir et renforcer le lien social et les solidarités, (…) le déploiement de dispositifs innovants et ciblés pour répondre aux besoins constituent autant de bonnes pratiques mises en place spontanément par les bailleurs et qui ont participé à la sécurité et au bien-être des locataires et fragiles11Jérôme Guedj, « Déconfinés mais toujours isolés ? La lutte contre l’isolement, c’est tout le temps ! », Rapport final remis au ministre des Solidarités et de la Santé, 16 juillet 2020. ».

De fait, la crise sanitaire a mis la société face à la question de l’isolement des personnes âgées et souligné les atouts et les défis auxquels seront singulièrement exposés les bailleurs sociaux. 

Face à l’urgence, l’absence de volonté politique de la majorité

Ainsi, après deux années de Covid-19, en plein scandale sur la gestion des Ehpad, dans un contexte de vieillissement de la population, la question de l’adaptation du parc social à la transition démographique a vocation à devenir un objet politique déterminant. Ce sentiment d’urgence émerge dès lors que l’on prend la mesure de la part des personnes âgées résidant dans le parc social et des spécificités de ce dernier pour faire face à la question du grand âge.

S’il est cependant vrai que la prise de conscience des bailleurs sociaux est réelle, la course contre la montre de l’adaptation et de l’accessibilité des logements sociaux est loin d’être gagnée.

Pour autant, le logement social dispose d’atouts suffisants pour accompagner ses locataires vieillissant dans la lutte contre l’isolement, voire pour devenir un champ d’innovations sociales utile à toutes les franges de la société dans son appréhension de la transition démographique.

Reste que, en dépit de ce constat, la prise de conscience de l’urgence liée à la transition démographique en cours ne semble pas prise à bras le corps par la majorité actuelle.

La proposition de loi « Mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France », actuellement en discussion au Parlement après une adoption en première lecture à l’Assemblée, témoigne d’un manque de vision globale et surtout, la faiblesse des moyens alloués montre l’absence de volonté politique du gouvernement de se saisir de cet enjeu.

La majorité aurait d’ailleurs pu profiter du dépôt, le 4 avril 2023, de la proposition de loi visant à garantir le droit à vieillir dans la dignité et à préparer la société au vieillissement de sa population, déposée par Jérôme Guedj et les députés socialistes pour donner plus d’ambition à ses politiques relatives au vieillissement. Celle-ci comporte un paquet de mesures relatives à l’adaptation des logements au vieillissement de la population. Elle propose notamment l’intégration de cet enjeu au sein des grandes orientations et textes réglementaires (type plans locaux d’urbanisme) portés par les collectivités.

Elle traduit également dans la loi les propositions issues du rapport Broussy de 2021, qui sont également reprises ci-après, notamment celles qui concernent les résidences autonomie et les différents modèles d’habitat inclusif. Enfin, ses articles 14 et 15 visent spécifiquement à donner des outils aux bailleurs sociaux pour être en mesure de répondre au vieillissement de leurs locataires.

Un logement social accessible et adapté : équation impossible ?

Dans son rapport annuel de 2018, l’ANCOLS estimait que le monde du logement social n’avait pas encore pris la mesure des enjeux liés au vieillissement de ses locataires et que « plus d’un logement sur deux est potentiellement concerné par le vieillissement d’au moins un de ses habitants à court ou moyen terme12Agence nationale de contrôle du logement social, Rapport public annuel de contrôle 2018. ». L’agence soulignait alors la « nécessité d’une attention et d’une mobilisation accrues de la part des organismes », notamment en passant d’« une logique de réponses ponctuelles à une approche globale et proactive ».

Ce ne serait cependant pas faire justice au monde du logement social de considérer qu’il est resté inactif face à l’enjeu, tant concernant la question de l’adaptation du logement que celle de la gestion locative. De fait, un logement accessible ou adapté doit répondre à un certain nombre d’obligations, ce qui met particulièrement sous pression les bailleurs sociaux, qui doivent transformer leur bâti et faire évoluer la gestion de leur patrimoine.

Logement social accessible, logement social adapté : définitions, état des lieux et contraintes

Définitions et distinctions

Il convient de bien distinguer les notions d’accessibilité et d’adaptation. L’accessibilité suppose que la personne peut se déplacer, quelles que soient ses contraintes et handicaps, de l’entrée de la parcelle à la porte de son appartement. L’adaptation suppose que le bâti et les équipements de son appartement permettent de faciliter l’autonomie de la personne en perte de capacité.

Les principaux critères retenus pour qualifier un logement accessible sont issus du cadre réglementaire s’appliquant désormais à toute construction neuve, de sorte que l’immense majorité des logements sociaux neufs sont accessibles, et de nombreuses résidences plus anciennes le sont, notamment lorsqu’elles sont équipées d’ascenseurs.

À l’inverse, un logement est dit adapté lorsqu’il respecte les obligations du code de la construction et de l’habitation. Il doit, à cet effet, permettre l’accès à l’immeuble sans obstacle, l’accès à l’appartement (pas d’obstacle, des portes suffisamment larges), la circulation effective pour un fauteuil au sein du logement, des aménagements des pièces d’eau et de nuit. L’adaptation d’un logement suppose le plus souvent une expertise préalable d’un ergothérapeute, voire d’un architecte. En outre, il s’avère souvent nécessaire d’équiper le logement d’installations de domotique.

Un logement peut donc être accessible, s’il est situé dans un immeuble doté d’un ascenseur qui dessert les étages (et non les demi-étages) et dont l’entrée est de plain-pied sur l’extérieur (et donc sans trois marches). Mais un logement accessible n’est pas forcément un logement adapté, puisque de très nombreux immeubles sont accessibles mais tous ne comportent pas – et loin de là – tout ou partie de logements adaptés.

Obstacles principaux à l’accessibilité du parc social

De fait, selon le baromètre Qualibel, les principales raisons de l’inadaptation des logements sociaux aux personnes âgées sont la présence d’escaliers et de marches (l’accessibilité donc, pour 76% des sondés), puis l’inadaptation de la salle de bain (53%). Ainsi, 49% des personnes de plus de 60 ans pensent que leur logement n’est pas adapté pour une personne âgée, mais plus des deux tiers des personnes de la même tranche d’âge souhaitent passer le reste de leur vie dans leur logement13Baromètre Qualibel, 2020..

Sans aller jusqu’à remplir le cahier des charges défini par le code de la construction et de l’habitation, un logement adapté au vieillissement, c’est avant tout, on l’a vu, un logement accessible, c’est-à-dire « un logement où sont possibles les mobilités verticales ». Or « 50% des Français vivant en logement collectif n’ont pas accès à un ascenseur en raison du sous-équipement chronique français et de l’ancienneté moyenne des bâtiments ». Pire, seuls 37% de l’ensemble des logements sociaux seraient desservis par un ascenseur14Luc Broussy, op.cit., p. 59.. S’appuyant sur les données du recensement de 2015, Luc Broussy souligne que 46,7% des locataires du parc social âgés de 60 à 79 ans vivent dans un appartement non desservi par un ascenseur. Ils sont 44,4% pour les personnes âgées de 80 ans et plus !

En sus de la rareté, la vétusté du parc d’ascenseurs des logements sociaux les expose à davantage de pannes, qui constituent autant d’entraves à la bonne mobilité de l’ensemble des locataires, et singulièrement des plus âgés.

Enjeux principaux liés à l’adaptation du logement

Outre la question de son accès, le logement doit également être envisagé, notamment lorsque l’on l’aborde sous l’angle du vieillissement de ses occupants, comme un espace propice à la bonne santé et à l’hygiène de ces derniers, et dont les installations sont individualisées en raison de leur perte d’autonomie. Il doit donc être bien isolé, afin de garantir régulation thermique (y compris l’été !) et protection contre les nuisances sonores. Il doit en parallèle être aéré, pour prévenir la dégradation des appartements et veiller au bon renouvellement de l’air.

C’est là que se pose la question de l’accès des équipements de la salle de bain et la prévention des chutes. Dans une étude publiée en 2020, Santé publique France identifie les facteurs principaux d’accidents à domicile et, plus particulièrement, au sein des salles de bain. Cela concerne les sols, l’éclairage, la sécurisation de la douche (accès, barre d’appui). Il en ressort que l’adaptation du logement, et singulièrement de la salle de bain, permet de faire baisser très fortement le risque de chute.

En ce sens, l’adaptation d’un logement ne peut pas être standardisée, car elle doit tenir compte des difficultés de la personne. Sur ce point cependant, on ne peut que constater la forte volonté des bailleurs et des collectivités, qui accompagnent chaque réhabilitation d’un volet adaptation individualisée du logement.

Transformer le bâti pour rendre accessibles et adaptés les logements sociaux

Une montée en puissance tardive mais réelle des bailleurs sociaux

Un grand bailleur social parisien estime à 5% le nombre de logements adaptés à la perte d’autonomie, pour plus de 40% de son parc accessible.

Si le taux de logements accessibles est trop faible compte tenu de l’ampleur de la transition démographique à venir et nécessitera notamment d’importants travaux d’installation d’ascenseurs ou de rampes d’accessibilité, l’effort à fournir pour présenter un taux de logements adaptés à la hauteur de l’enjeu semble vertigineux et témoigne du retard pris.  

De fait, avec des obligations juridiques plutôt limitées et des aides insuffisantes, l’essentiel de l’effort d’adaptation du parc de logements sociaux au vieillissement de leurs locataires repose donc sur les offices. Pour autant, dès 2012, ceux-ci ont commencé à adapter des dizaines de milliers de logements1565 000 entre 2012 et 2014, selon la Convention 2017-2019 entre l’État et l’Union sociale pour l’habitat (USH) relative à l’adaptation des logements et du cadre de vie du parc social à la perte d’autonomie des résidents liée au vieillissement ou au handicap, p. 3..

Cette prise de conscience se matérialisait déjà dans les productions de l’Union sociale pour l’habitat (USH) bien avant les recommandations de l’ANCOLS. Ainsi, en 2015, l’USH relevait que « la prise en compte des questions liées au vieillissement est donc clairement identifiée par les organismes comme un enjeu important des décennies à venir », rappelant la nécessité de « poursuivre l’adaptation de leur parc, développer des partenariats avec les acteurs de l’accompagnement du vieillissement qui peuvent délivrer les services permettant le maintien à domicile16Union sociale pour l’habitat, Accompagnement du vieillissement – les enseignements de la 1re édition du concours « Les HLM partenaires des âgés », février 2015. ».

En 2017, l’USH a signé une convention avec l’État relative à l’adaptation des logements et du cadre de vie du parc social à la perte d’autonomie des résidents liée au vieillissement ou au handicap, visant à identifier le parc de logements adaptés, à développer des formules d’habitats spécifiques et à construire des partenariats opérationnels.

La transversalité de la réponse à apporter à l’enjeu du vieillissement, recommandation de l’ANCOLS, semble faire partie des préoccupations des bailleurs. Dans une récente publication spécifiquement dédiée au sujet, l’USH soulignait que « les bailleurs sociaux gagnent en expérience sur le sujet du vieillissement en tirant les enseignements des expérimentations menées depuis dix ans. Par ailleurs, le cadre réglementaire soutenant le maintien à domicile apporte un contexte favorable aux actions entreprises17USH, Prise en compte du vieillissement des locataires HLM et engagements des bailleurs sociaux, Repère n° 84, avril 2021, p. 12. ».

Du reste, on peut également souligner que les grands plans de réhabilitation, type plan climat, s’accompagnent souvent d’une réfection des pièces humides, donc des salles de bain, qui se fait en fonction de la situation du locataire et donc, le cas échéant, en prenant compte de sa santé. Ces grandes réhabilitations qui visent en premier lieu à limiter l’empreinte carbone du bâti sont donc souvent l’occasion d’adapter des logements déjà accessibles, ou à tout le moins de changer le mobilier des pièces d’eau, de remplacer les baignoires par des douches, etc.

Cela participe donc du grand mouvement de prise de conscience et d’organisation des bailleurs en vue de prévenir les conséquences de la transition démographique en cours. Reste que, compte tenu du retard à l’allumage, c’est une ambition à la hauteur de celle visant à mieux isoler le bâti qu’il faut pour rendre accessible le parc des logements sociaux et adapter le maximum de logements. Et évidemment, celle-ci ne peut se faire sans un accompagnement significatif par l’État.

Des dispositifs à renforcer pour accompagner les bailleurs dans l’adaptation de leur parc

Dans un cadre juridique et réglementaire très peu coercitif ou incitatif, on vient de voir qu’il est injuste de considérer que les bailleurs sont restés inactifs face au sujet du vieillissement de leurs locataires. Ils investissent massivement pour l’adaptation des logements et ont adopté une vision transversale de la question.

Reste que la massification nécessaire des travaux d’adaptation et d’accessibilité ne sera possible qu’à la condition que les bailleurs soient accompagnés financièrement. À rebours donc des choix des cinq dernières années, qui ont plutôt contribué à les fragiliser financièrement. L’accessibilité étant la condition première de l’adaptabilité, tant qu’il restera une telle part d’appartements occupés par des personnes âgées, privés d’ascenseurs, la bataille de l’adaptabilité du parc social ne pourra être gagnée.

S’agissant du parc neuf, la loi ELAN est porteuse de progrès sensibles, notamment au travers de l’obligation d’ascenseurs pour tous les logements en R+3 et plus. Elle a aussi inscrit l’obligation d’accessibilité de toutes les parties communes des immeubles et des toilettes et séjours, ainsi que le caractère évolutif des autres pièces, pour les rendre plus facilement adaptables le moment venu. Pour autant, on a vu que l’essentiel du sujet porte sur l’adaptation et l’accessibilité du parc existant et que la question du financement est centrale.

Améliorer l’accessibilité du bâti

Rappelons que près de 50% des logements sociaux ne sont pas accessibles aux personnes en perte d’autonomie18Luc Broussy, op. cit.. Se concentrer uniquement sur l’adaptation et non l’accessibilité, c’est écarter une part importante des locataires qui, avant l’adaptation de leur logement, s’interrogent sur son accessibilité. Mais la mise en accessibilité du bâti existant coûte extrêmement cher et suppose des travaux de structure importants.

La question de l’accessibilité doit être intégrée aux grandes réhabilitations et aux plans climat, faute de quoi, et compte tenu de l’ampleur de la transition démographique en cours, de nouvelles réhabilitations seront nécessaires à moyen terme pour rendre le bâti accessible. Ainsi, les aides financières proposées pour la rénovation de l’habitat doivent inclure un volet portant sur l’installation et la rénovation d’ascenseurs, au moyen, par exemple de l’instauration d’un dispositif du type « MaPrimeRénov’ Ascenseur ». Dans le même sens, les surélévations permettant de dégager des marges de manœuvre pour financer les réhabilitations thermiques doivent également être envisagées en vue d’améliorer la mobilité verticale, là où cela est techniquement possible et conforme aux exigences des PLU.

Améliorer l’adaptation des logements

Il convient aujourd’hui de franchir une nouvelle étape, en rendant obligatoire l’adaptation des logements des locataires de plus de 60 ans, dès lors que ceux-ci en font la demande. Cette obligation, à la charge des bailleurs, serait compensée par une hausse de l’abattement sur la taxe foncière sur le bâti dont bénéficient déjà les bailleurs qui engagent ce type de travaux (dont le plafond est aujourd’hui de 2 800 euros par logement adapté), et par un élargissement des dépenses éligibles (aujourd’hui limitées aux équipements).

Dans le même sens, le conventionnement entre les bailleurs et les CARSAT (déclinaisons régionales de la CNAV), ce qu’on appelle le « Pack Habitat Social », doit être rendu obligatoire. Notons d’ailleurs que ces conventions permettent également de financer des dispositifs visant à lutter contre l’isolement des seniors (cf ci-dessous).

Enfin, dans l’hypothèse où le dispositif serait bel et bien lancé dans les mois qui viennent, cette future aide financière qui s’adressera aux personnes âgées de plus de 70 ans aux revenus modestes qui souhaitent financer des travaux d’adaptation de leur logement, sur le modèle de MaPrimeRénov, devrait également bénéficier aux bailleurs sociaux et pas uniquement aux propriétaires privés qui souhaitent adapter leur logement.

Faire évoluer la gestion locative des bailleurs pour tenir compte du vieillissement

La gestion locative des bailleurs est un levier essentiel qui leur permet de faire face à la transition démographique, en permettant notamment de mieux identifier les locataires âgés et en perte d’autonomie, en améliorant les systèmes de mutations internes et en rendant plus réactives les procédures liées aux travaux d’adaptation.

Connaître son parc de logements et aller vers les locataires âgés

Luc Broussy identifie de fait plusieurs axes à suivre par les organismes afin qu’ils relèvent le défi du vieillissement19Luc Broussy, op. cit., p. 55., et notamment une connaissance précise de l’état du parc, afin « d’évaluer le potentiel de mise en accessibilité des parties communes et d’adaptation des logements pour permettre aux bailleurs sociaux de définir une véritable stratégie patrimoniale ». Cette connaissance du parc constitue l’étape préalable d’une gestion locative permettant d’attribuer les logements adaptés aux personnes en ayant besoin.

Une piste qui revient régulièrement est celle consistant à redéfinir les missions des gardiens, afin de « les former à l’accompagnement des personnes âgées et fragiles », par exemple en permettant aux bailleurs « de facturer des services via des charges individualisables pour pouvoir servir des prestations plus ciblées aux plus âgés20Ibid., p. 56. ». De fait, le maintien des gardiens dans les résidences constitue à la fois un facteur de tranquillité, de bonne gestion et d’accompagnement des locataires les plus fragiles. 

Au-delà des gardiens, il est à souligner que les équipes des bailleurs sociaux sont de plus en plus sensibilisées à la perte d’autonomie, notamment au travers de formations spécifiques, qu’elles repèrent les fragilités de plus en plus tôt. En tout état de cause, la question du repérage des fragilités par les bailleurs doit être un axe de réflexion, pour qu’ils adoptent systématiquement des politiques d’« aller-vers » en direction des personnes âgées, pour prévenir et anticiper au mieux la perte d’autonomie.

Certains bailleurs adaptent même leurs organisations pour prendre en compte l’enjeu du vieillissement de leurs locataires en mettant en place des services de gestion locative spécifiquement dédiés aux seniors.

Mieux lutter contre la sous-occupation et rendre attractives les mutations

La protection des personnes âgées face aux cas de déchéance du droit au maintien évoquée plus haut a toutefois eu pour conséquence fâcheuse de brider la rotation du parc et la libération de grands logements par des personnes âgées et isolées. Les organismes HLM ont réagi à cette difficulté en mettant en place de nombreux outils d’échanges de logements, tels que les bourses du logement.

Reste que l’incitation est souvent insuffisante et, dès lors qu’ils en ont les moyens, les locataires âgés préfèrent rester dans leur logement, quand bien même celui-ci est trop grand. Il convient donc d’envisager de rendre plus attractive la mutation dans les cas de sous-occupation.

Cela peut passer par l’engagement du maintien du prix au m2 en cas d’emménagement dans un appartement plus petit21Cela peut sembler aller de soi mais, dans la réalité, il est fréquent que les appartements proposés dans de telles situations soient à un prix au m2 supérieur car le logement proposé est dans une autre catégorie., accompagné de l’installation d’un package domotique et d’une aide au déménagement. Cette opération serait à coût nul puisque les bailleurs récupéreraient des appartements de grande surface loués à des prix très inférieurs aux prix actuels de la location dans le parc locatif social et les investissements effectués pourraient être facilement remboursés sur le long terme par l’ajustement du prix du loyer du logement laissé vacant par la personne âgée ayant déménagé.

Dans le même sens, les bailleurs pourraient identifier un ensemble de T2 ou T3 au sein de leur parc accessible, qu’ils équiperaient de mobilier adapté et connecté, ce qui inciterait fortement les locataires concernés à changer d’appartement.

Enfin, il devient nécessaire que les bailleurs fassent évoluer les procédures internes de gestion des demandes de travaux, leur permettant ainsi de gérer dans les meilleurs délais possibles toutes les demandes de travaux urgents : soit pour faire face à une dégradation du bâti rendant le logement soudainement inadapté (incendies, dégradations, fuites, pannes d’ascenseur), soit parce que la perte d’autonomie survient parfois soudainement, à l’issue d’une hospitalisation, après un accident, une chute, un AVC, et que la réactivité du bailleur est un impératif au retour au sein du logement dans de bonnes conditions.

Les bailleurs peuvent donc s’adapter plus efficacement au vieillissement de leurs locataires en mettant en œuvre le triptyque suivant : formation de leurs personnels, et notamment des gardiens, qui pourraient prendre en charge des demandes et prestations individuelles ; politique plus proactive d’incitation à la mutation vers des logements plus petits, en échange de l’adaptation de ce dernier ; meilleure réactivité pour faire face aux demandes de travaux.

Là encore, cela suppose des moyens, un savoir-faire et une volonté. Si les bailleurs ne manquent pas des deux derniers, la mise en œuvre d’une politique de gestion locative efficace pour faire face au vieillissement des locataires du parc social ne se fera pas sans investissements importants.

Autour du logement : prévenir l’isolement des âgés

Les locataires du parc social présentent des fragilités particulières qui les distinguent du reste de la population vieillissante.

En premier lieu, leur profil type les singularise sensiblement des autres seniors. Ce sont principalement des femmes seules ou des personnes défavorisées, près de 75% des retraités du parc social étant d’anciens ouvriers ou employés. En outre, 40% d’entre eux déclarent un handicap ou une gêne quotidienne, contre à peine plus de 25% de la moyenne nationale des retraités22 ANCOLS, Rapport public annuel de contrôle, 2018, p. 181 et suivantes..

En second lieu, ils vivent essentiellement dans des quartiers populaires, ce qui constitue, selon le Conseil national des villes (CNV), une difficulté supplémentaire, étant considéré que « les caractéristiques même de l’environnement et des populations âgées qui y vivent font que l’éventail de leurs possibilités est restreint (…). Il implique une réduction des sorties, et l’environnement potentiellement hostile peut amplifier la tentation de repli sur le foyer. Ces contraintes marquent un décalage entre la réalité de ces personnes âgées et l’image valorisée des retraités des classes moyennes23Conseil national des villes, Vieillir en QPV – Un enjeu de société, septembre 2021, p. 7. ». Ainsi, le vécu de ces personnes « s’articule autour d’un double stigmate : celui d’être âgé dans un quartier où la jeunesse est prédominante ; celui d’appartenir à des catégories sociales modestes et pauvres, objectivées par leur lieu de vie24Ibid. ».

Si la question de l’isolement des personnes âgées touche toutes les catégories sociales (27% des personnes de plus de 75 ans sont en situation d’isolement objectif25Fondation de France, Les solitudes en France, 2014.), les personnes âgées vivant en quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) sont encore davantage isolées.

Bref, la question de l’adaptation des logements sociaux à l’enjeu du vieillissement ne se résume pas à la seule question des qualités du lieu de vie et du bâti, elle suppose aussi une prise en compte de l’ensemble des déterminants de l’isolement des personnes âgées. L’expérience des confinements lors de la crise liée à la pandémie de Covid-19 permet de considérer que les bailleurs sociaux disposent d’un savoir-faire certain en matière de lutte contre l’isolement.

Effectivement, Jérôme Guedj rappelle que « les bailleurs sociaux et leurs équipes en proximité ont été des acteurs clés dans la lutte contre l’isolement des personnes pendant le confinement. Le repérage systématique des situations de fragilités, la conduite d’actions visant à maintenir et renforcer le lien social et les solidarités, (…) le déploiement de dispositifs innovants et ciblés pour répondre aux besoins constituent autant de bonnes pratiques mises en place spontanément par les bailleurs et qui ont participé à la sécurité et au bien-être des locataires et fragiles26Jérôme Guedj, « Déconfinés mais toujours isolés ? La lutte contre l’isolement, c’est tout le temps ! », Rapport final remis au ministre des Solidarités et de la Santé, 16 juillet 2020, p. 34. ».

De fait, les bailleurs sociaux disposent d’une culture de la proximité et de l’accompagnement social qui est particulièrement précieuse pour accompagner le vieillissement des locataires de leur parc. Ceci étant dit, les dispositifs d’habitat collectif, cruciaux pour lutter contre l’isolement, à destination des personnes âgées au sein du parc social peuvent être sensiblement améliorés. En revanche, les bailleurs disposent d’une capacité d’ouverture aux innovations sociales qu’ils mettent tout particulièrement au service de la lutte contre l’isolement des personnes âgées et qui constitue une source d’optimisme quant à leur capacité à gérer la grande transition démographique à venir. 

Résidences sociales pour personnes âgées

Une telle note resterait incomplète si elle n’intégrait pas la problématique du logement des seniors en résidences autonomie ou en résidences seniors, sortes d’ensembles de logements privatifs associés à des services collectifs, souvent bien intégrées au tissu urbain.

Les résidences services seniors ont pour particularité d’être gérées par des structures privées (de nature commerciale ou associative) et les résidents y sont locataires ou propriétaires du logement. Les résidences autonomie sont, quant à elles, essentiellement gérées par des structures publiques (au niveau notamment des CCAS) ou associatives et elles ont une vocation sociale. Les résidents y paient alors un loyer, des charges locatives liées au fonctionnement de la structure et le coût individualisé des services auquel le locataire a recours. Elles peuvent donc constituer un objet utile pour lutter l’isolement et la perte d’autonomie des seniors vivant dans le parc social.

Elles présentent toutefois un premier handicap lié aux modalités de leurs créations qui demeurent trop encadrées et doivent avoir par exemple recours à l’appel à projet pour se développer, restreignant ainsi la montée en puissance de ce dispositif pourtant apte à permettre la prise en compte de l’autonomie des personnes âgées à revenus modestes.

Pour pallier cette difficulté, certains groupes, notamment d’économie sociale et solidaire, se sont associés avec des bailleurs sociaux pour proposer une sorte de modèle alternatif de résidences à vocation sociale, mais celui-ci se heurte à l’impossibilité légale de réserver l’attribution de logements sociaux à une catégorie de population27Cette interdiction a été en partie levée par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, qui autorise la priorisation dans l’attribution des logements neufs mais après autorisation préalable du préfet. et à l’impossibilité pour toute structure privée à but lucratif de gérer des logements très sociaux, c’est-à-dire financés au moyen des prêts comme les Prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) et Prêts locatifs à usage social (PLUS).

Pourtant, ces résidences à vocation sociale ne sont pas des lieux de mixité sociale aboutie en ce qu’elles ne peuvent compter que des logements financés par le Prêt locatif social (PLS), soit la catégorie la moins sociale du logement social. C’est là un obstacle qui pourrait être aisément levé pour permettre à de telles résidences pour seniors à vocation sociale de se développer.

À côté, et en dépit du fait qu’elles sont essentiellement (mais pas exclusivement) financées en PLS, les résidences autonomie font figure de parent pauvre et les bailleurs sociaux ont là une responsabilité, 70% d’entre elles étant la propriété des bailleurs sociaux « qui, pour beaucoup d’entre eux, n’ont rien fait pour les moderniser28Luc Broussy, op. cit., p. 42. ».

Luc Broussy explique ainsi que « en réalité, les logements foyers (ancien nom des résidences autonomie) ont été pendant trente ans pris en tenaille entre un bailleur social qui ne réinvestissait pas en attendant tranquillement la fin de sa période d’investissement et un gestionnaire qui, n’étant pas propriétaire, n’avait ni envie, ni les moyens d’entamer les travaux nécessaires29Ibid., p. 43. ».

Plusieurs pistes peuvent donc être envisagées pour favoriser la création de logements dans les résidences de seniors à vocation sociale. La possibilité ouverte par la loi d’adaptation globale de la société au vieillissement dite ASV de réserver des logements pour les personnes âgées doit être étendue aux résidences seniors à vocation sociale déjà existantes.

S’agissant des résidences autonomie, il convient principalement de lever les contraintes liées à leur création. La priorité reste cependant de lancer un plan de modernisation des résidences autonomie, mais, là encore, cela suppose l’attribution de moyens suffisants aux bailleurs.

De nouvelles manières d’habiter

Face à l’ampleur du besoin et à la diversité des situations, les résidences autonomie ou les résidences de seniors à vocation sociale ne peuvent pas constituer l’unique réponse en vue de lutter contre l’isolement des personnes âgées dans le parc social. La loi ELAN a constitué un nouveau point de départ, donnant un cadre juridique et une portée nationale à deux dispositifs permettant de lutter contre l’isolement et ayant fait leurs preuves préalablement au moyen d’innovations sociales très localisées : la cohabitation intergénérationnelle et l’habitat inclusif.

La « cohabitation intergénérationnelle » permet à tout locataire du parc social âgé de 60 ans et plus, ayant préalablement informé son bailleur, de sous-louer sous contrepartie financière une partie de son logement à une personne de moins de 30 ans. La contrepartie financière est fixée librement entre le locataire et le sous-locataire dès lors qu’elle n’excède pas une somme correspondant au prorata de la surface mise à disposition.

La cohabitation intergénérationnelle peut constituer un modèle pertinent en ce qu’il n’est pas coûteux et permet d’apporter des réponses à beaucoup de problèmes. D’une part, il permet aux personnes âgées en sous-occupation dans un grand logement de rester là où ils ont fait leur vie, sans payer leur loyer au prix plein et de sortir de la sous-occupation. D’autre part, il permet d’offrir l’accès à un logement à bas coût à destination de jeunes et d’étudiants qui, sans cela, auraient du mal à accéder à un logement autonome. Reste que le succès n’est pas forcément au rendez-vous, du moins chez les grands bailleurs de la Ville de Paris, et qu’il conviendra de s’interroger sur la pertinence de ce modèle à terme.

Quant à l’habitat inclusif, il repose sur des logiques différentes, mais permet également de lutter contre l’isolement des personnes. Il permet à des locataires, qu’ils soient ou non en situation de handicap ou de perte d’autonomie, de vivre ensemble, dans des sortes de grandes colocations, où les espaces de vie sont partagés et les chambres, toilettes et salles d’eau privatives.

Cette dernière forme d’habitat collectif est portée par une forte volonté politique mais dont l’accompagnement financier reste relativement limité30Pour en savoir davantage, le rapport de Luc Broussy est particulièrement complet sur ce thème, p. 45.. De fait, il y a un modèle économique à trouver, notamment dans les métropoles et en zones tendues, où les prix du foncier et de la construction rendent difficiles la conciliation entre innovation et vocation sociale des projets. Dans la recherche de la solution à cette équation complexe, Luc Broussy propose notamment d’ouvrir la possibilité, pour les associations, de sous-louer des logements sociaux destinés à des personnes âgées, pour y développer des projets d’habitat inclusif, via notamment la mise en œuvre des dispositions de l’article 20 de la loi ASV, c’est-à-dire la possibilité d’attribuer des logements en priorité aux personnes en perte d’autonomie.

Si l’on ne peut mettre la cohabitation intergénérationnelle et l’habitat inclusif sur un pied d’égalité, il s’agit là de deux dispositifs en vogue pour améliorer les conditions de vie des seniors dans le parc social tout en luttant contre leur isolement. 

L’innovation au service de la lutte contre l’isolement

Au-delà de ces nouvelles manières d’habiter, le milieu du logement social cherche aujourd’hui à valoriser au maximum les innovations sociales de leurs bailleurs qui permettent de lutter contre l’isolement des seniors. L’USH identifie à ce titre trois composantes – technologique, sociale et architecturale31USH, op. cit., p. 18. – pour une innovation mise au service de la lutte contre l’isolement des personnes âgées.

Les innovations technologiques, issues du secteur de la domotique, permettent d’améliorer le confort et la sécurité des âgés et n’ont pas un rôle immédiat dans la lutte contre l’isolement. Elles ne sauraient se substituer aux personnels. Bien au contraire même, elles permettent une montée en compétence de certains métiers des bailleurs sociaux les rendant de fait plus attractifs.

Les innovations sociales, quant à elles, sont particulièrement dirigées à lutter contre l’isolement des locataires âgés. Ainsi en est-il, par exemple, de dispositifs ambulants mis en place par les bailleurs et permettant d’aller vers les locataires isolés ; ou encore d’activités ouvertes au public et destinées notamment aux personnes âgées, tels que la démultiplication des jardins partagés au sein du patrimoine des bailleurs ; s’inscrivent dans cette dynamique également toutes les opérations mixtes permettant d’accueillir dans les mêmes résidences des seniors, des actifs, des étudiants.

Ainsi que le souligne l’USH, ces innovations sociales se traduisent par « l’association croissante des seniors et de leur entourage à la conception des projets pour identifier les besoins, à la mise en œuvre et au suivi des projets dans le cadre de démarches évaluatives32USH, op. cit., p. 18. ».

Plus encore, l’ensemble de ces démarches visent à s’inscrire dans un cadre partenarial et territorialisé. Les projets ainsi portés par les bailleurs permettent de mobiliser une forte diversité d’acteurs, des collectivités évidemment, qui mettent à disposition des moyens, mobilisent leurs CCAS, les associations, qui interviennent dans le domaine culturel, ou dans la prévention.

Ces démarches tendent à se multiplier, et le monde du logement social semble s’engager dans une logique vertueuse, mais on est encore loin d’une généralisation. C’est pourtant « dans l’hyper-proximité, avec l’élu local comme ensemblier du dispositif de maintien du lien social, que se joue le repérage et la réponse aux situations de fragilité et d’isolement33Jérôme Guedj, op. cit., p. 31. ». Ainsi, le récent développement des « tiers-lieux » intergénérationnels de proximité offre un exemple du caractère vertueux des logiques partenariales.

Le département de Seine-Saint-Denis a ainsi lancé un appel à projets pour constituer un réseau de tiers-lieux « autonomie dans mon quartier » au niveau du département pour favoriser l’inclusion des personnes âgées et handicapées. Ces espaces auront vocation à diversifier et renforcer les services au quotidien et à développer le lien social, au plus près, dans le but, notamment, de faciliter le maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie. Concrètement, il s’agit par exemple d’un rez-de-chaussée laissé vacant depuis longtemps et repris à cette fin par une association locale d’insertion ; ou encore de la restructuration du projet social d’un café associatif déjà existant en lien avec une amicale de locataires ; les activités peuvent être de toute nature, cours de cuisines, représentations artistiques, ateliers, etc. Le budget envisagé par le département (un million d’euros pour soutenir la création de 25 tiers-lieux de cette nature) permet d’envisager une reprise de ce modèle à grande échelle, tout en tenant compte des contraintes financières pesant sur les collectivités. Il s’appuie en grande partie sur des projets déjà existants, qui sont ainsi incités à réorienter leurs activités en direction des personnes âgées.

Conclusion : quels contours pour un plan vieillissement dans le parc social ?

Le vieillissement massif des locataires du parc social est un fait social central que l’on peut encore anticiper. Voilà quelques années que les bailleurs sociaux, suivant l’impulsion de l’USH, entreprennent des travaux d’adaptation du bâti et intègrent à leurs réhabilitations massives un volet adaptation au vieillissement. Les bailleurs ont également su adapter leur organisation territoriale et la pandémie de Covid-19 a été le révélateur de leur capacité à effectuer à un suivi social efficace et opérationnel de leurs résidents en perte d’autonomie et en voie d’isolement.

Reste que cette dynamique ne peut suffire à elle-même et les bailleurs n’ont plus les marges de manœuvre financières suffisantes pour poursuivre l’effort d’isolation thermique de leur patrimoine et, en même temps, se hisser à la hauteur des enjeux en termes de prise en compte du vieillissement de leurs locataires.

Permettre la mise en œuvre d’un grand plan vieillissement des locataires du parc social, c’est avant tout revenir sur les choix budgétaires du précédent quinquennat. Dès lors, il sera possible de mener à grande échelle les travaux d’adaptation du bâti, d’un vaste plan ascenseur à une rénovation systématique des appartements des personnes âgées.

Évidemment, la donnée n’est pas que budgétaire. La gestion locative des bailleurs peut d’ores et déjà être tournée vers la prise en compte de la transition démographique à venir, en redéfinissant les missions des personnels de proximité ou en améliorant sensiblement les dispositifs de mobilité pour que les locataires âgés déménagent vers des logements adaptés à la taille de leur ménage.

Enfin, un certain nombre d’innovations sociales doivent être identifiées comme porteuses de solutions face aux enjeux de cette transition. Ainsi, les modes d’habitat collectif doivent être encouragés, des résidences seniors aux colocations intergénérationnelles, en passant par l’habitat participatif.

L’adaptation du parc social à l’inéluctable vieillissement massif de ses locataires est un choix de société. Le volontarisme des bailleurs ne suffira pas à répondre à l’ampleur du problème. La solution est d’ordre réglementaire, budgétaire et, presque, culturelle. En un mot : politique.

10 propositions pour un parc social plus accessible et des logements mieux adaptés

  1. Mettre l’accessibilité au cœur de la rénovation du bâti
    Pour améliorer l’accessibilité du bâti, les aides financières proposées pour la rénovation de l’habitat devront inclure un volet portant sur l’installation et la rénovation d’ascenseurs, au moyen, par exemple, de l’instauration d’un dispositif du type « MaPrimeRénov’ Ascenseur » cumulable avec les autres aides existantes.
    Les surélévations permettant de dégager des marges de manœuvre pour financer les réhabilitations thermiques doivent également être envisagées en vue d’améliorer la mobilité verticale et de permettre l’installation d’ascenseurs, là où cela est techniquement possible et conforme aux exigences des PLU.
  2. Rendre obligatoire l’adaptation des logements des locataires de plus de 60 ans, dès lors que ceux-ci en font la demande, à la condition qu’ils ne soient pas en situation de sous-occupation.
  3. Ouvrir le dispositif « MaPrimeAdapt’ » aux bailleurs sociaux et non seulement aux propriétaires privés.
  4. Redéfinir les missions des gardiens, afin de les former à l’accompagnement des personnes âgées et fragiles, par exemple en permettant aux bailleurs de facturer des services via des charges individualisables pour pouvoir servir des prestations plus ciblées aux plus âgés.
  5. Accompagner les bailleurs vers la création de services de gestion locative spécialement dédiés aux seniors.
  6. Rendre plus attractive la mutation dans les cas de sous-occupation en rendant obligatoire le maintien du prix au m2 en cas d’emménagement dans un appartement plus petit, accompagné de l’installation d’un package domotique et d’une aide au déménagement.
  7. Développer les résidences de seniors à vocation sociale
    Pour favoriser la création de logements sociaux dans les résidences de seniors à vocation sociale (modèle intermédiaire entre les résidences senior privées et les résidence autonomie gérées par les bailleurs sociaux), étendre la possibilité ouverte par la loi ASV de réserver des logements pour les personnes âgées dans des structures de cette nature.
    Autoriser leur financement au moyen des prêts PLAI et PLUS.
  8. Assouplir les contraintes liées à la création des résidences autonomie et accompagner les bailleurs sociaux dans la mise en œuvre d’un grand plan de modernisation de ces structures.
  9. Permettre aux associations dédiées de sous-louer des appartements aux bailleurs sociaux pour y développer des projets d’habitat inclusif, via notamment la mise en œuvre des dispositions de l’article 20 de la loi ASV.
  10. Faire de la lutte contre l’isolement des seniors l’un des axes centraux de la gestion stratégique des pieds d’immeubles des bailleurs sociaux et lancer des appels à projet pour y créer des lieux de vie et de partage à leur destination.
  • 1
    Élisabeth Algava et Nathalie Blanpain, « 68,1 millions d’habitants en 2070 : une population un peu plus nombreuse qu’en 2021, mais plus âgée », Insee Première, n° 1881, novembre 2021.
  • 2
    Voir notamment la proposition de loi visant à garantir le droit à vieillir dans la dignité et à préparer la société au vieillissement de sa population, déposée par Jérôme Guedj et les députés socialistes.
  • 3
    Insee, Tableau de l’économie française, 27 février 2020, p. 24.
  • 4
    Luc Broussy, Rapport interministériel sur l’Adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires au vieillissement de la population, mai 2021.
  • 5
    Ibid., p. 19.
  • 6
    Ibid., p. 20.
  • 7
    Notion statistique qui désigne le parent qui a sous sa responsabilité morale et matérielle l’ensemble de la cellule familiale.
  • 8
    Pauline Delance, « 11 millions de personnes sont locataires d’un logement social », Insee Première, n° 1715, octobre 2018.
  • 9
    Pauline Delance, art. cit.
  • 10
    Ibid., p. 8.
  • 11
    Jérôme Guedj, « Déconfinés mais toujours isolés ? La lutte contre l’isolement, c’est tout le temps ! », Rapport final remis au ministre des Solidarités et de la Santé, 16 juillet 2020.
  • 12
    Agence nationale de contrôle du logement social, Rapport public annuel de contrôle 2018.
  • 13
    Baromètre Qualibel, 2020.
  • 14
    Luc Broussy, op.cit., p. 59.
  • 15
    65 000 entre 2012 et 2014, selon la Convention 2017-2019 entre l’État et l’Union sociale pour l’habitat (USH) relative à l’adaptation des logements et du cadre de vie du parc social à la perte d’autonomie des résidents liée au vieillissement ou au handicap, p. 3.
  • 16
    Union sociale pour l’habitat, Accompagnement du vieillissement – les enseignements de la 1re édition du concours « Les HLM partenaires des âgés », février 2015.
  • 17
    USH, Prise en compte du vieillissement des locataires HLM et engagements des bailleurs sociaux, Repère n° 84, avril 2021, p. 12.
  • 18
    Luc Broussy, op. cit.
  • 19
    Luc Broussy, op. cit., p. 55.
  • 20
    Ibid., p. 56.
  • 21
    Cela peut sembler aller de soi mais, dans la réalité, il est fréquent que les appartements proposés dans de telles situations soient à un prix au m2 supérieur car le logement proposé est dans une autre catégorie.
  • 22
    ANCOLS, Rapport public annuel de contrôle, 2018, p. 181 et suivantes.
  • 23
    Conseil national des villes, Vieillir en QPV – Un enjeu de société, septembre 2021, p. 7.
  • 24
    Ibid.
  • 25
    Fondation de France, Les solitudes en France, 2014.
  • 26
    Jérôme Guedj, « Déconfinés mais toujours isolés ? La lutte contre l’isolement, c’est tout le temps ! », Rapport final remis au ministre des Solidarités et de la Santé, 16 juillet 2020, p. 34.
  • 27
    Cette interdiction a été en partie levée par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, qui autorise la priorisation dans l’attribution des logements neufs mais après autorisation préalable du préfet.
  • 28
    Luc Broussy, op. cit., p. 42.
  • 29
    Ibid., p. 43.
  • 30
    Pour en savoir davantage, le rapport de Luc Broussy est particulièrement complet sur ce thème, p. 45.
  • 31
    USH, op. cit., p. 18.
  • 32
    USH, op. cit., p. 18.
  • 33
    Jérôme Guedj, op. cit., p. 31.

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