La Bolivie embrasse la démocratie et punit le coup d’État

Suite à la victoire en Bolivie de Luis Arce, le candidat de gauche, Mauricio Jaramillo, professeur à l’université de Rosario (Colombie), et le politologue Pierre Lebret, spécialiste de l’Amérique latine, reviennent sur le bilan des présidences précédentes et les circonstances de la crise ayant poussé Evo Morales à quitter le pouvoir en novembre 2019.

Un an après le coup d’État qui s’est terminé par l’exil du président Evo Morales et la persécution politique de dizaines de partisans du Mouvement vers le socialisme (MAS), le peuple bolivien s’est exprimé avec encore plus de détermination, donnant une large victoire à l’ancien ministre de l’économie Luis Arce. 

Il y a quinze ans, le pays s’était engagé sur la voie de la refondation. En décembre 2005, Evo Morales avait réussi à obtenir 53% des voix et devenait le premier indigène à accéder au pouvoir en Bolivie, et le Mouvement vers le socialisme, son parti, avait obtenu la majorité au sein du Parlement. Le pays sortait d’une grave crise de gouvernance. Gonzalo Sánchez de Lozada et Carlos Mesa avaient quitté le pouvoir avant même de terminer leur mandat suite aux soulèvements populaires dus à la mauvaise gestion des ressources du pays, qui possède notamment les plus grandes réserves de gaz des Amériques, mais dont l’extrême pauvreté à cette époque atteignait plus de 38% de la population.

Dans un contexte euphorique suscité par la victoire de la gauche dans plusieurs pays de la région, comme ce fut le cas en Argentine, au Brésil, en Équateur et en Uruguay entre autres, et dont le discours pionnier semblait être celui d’Hugo Chávez qui avait fait irruption dès 1999, la Bolivie tente alors une refondation de son système politique et économique. Dans une période marquée par la polarisation et des épisodes de violence, la rédaction d’une nouvelle constitution aura duré trois ans et celle-ci n’a pu entrer en vigueur qu’à partir de 2009. Depuis lors, le soi-disant miracle économique bolivien s’est produit, un schéma économique qui, contrairement à ce qui allait se passer au Venezuela, a prouvé sa viabilité à long terme. Pendant les mandats d’Evo Morales, l’extrême pauvreté est passée de 38% à 15%, la pauvreté a été réduite de plus de 30% et la concentration des revenus mesurée selon le coefficient de Gini est passée de 54,5 en 2005 à 44 en 2019. Des chiffres à célébrer dans une région considérée comme étant l’une des plus inégalitaires au monde.

En 2016, soutenu par une vague de popularité sans précédent depuis le retour de la démocratie en 1982, Evo Morales a proposé une réforme de la constitution lui ouvrant la possibilité d’une seconde réélection. Cela a fait l’objet d’une consultation populaire à l’issue de laquelle le «non» s’est imposé. Evo Morales a alors saisi la justice, qui lui a étonnamment accordé le droit de se présenter pour un troisième mandat au scrutin présidentiel d’octobre 2019. Dans un contexte de tension et de polarisation, Evo Morales a été donné vainqueur face à Carlos Mesa, qui n’a pas reconnu le résultat. Plusieurs catégories de la population ont appelé à manifester pour dénoncer la « manipulation électorale ». L’Organisation des États américains (OEA), qui avait une mission d’observation sur place, a publié un rapport dans lequel elle laissait entendre qu’il y aurait pu y avoir une fraude en faveur de la réélection d’Evo Morales et a donc suggéré de recommencer l’élection, ce que le gouvernement a d’ailleurs accepté. Cependant, l’armée a fait pression et a menacé directement le président Morales afin qu’il quitte le pouvoir. Le rapport de l’OEA s’est plus tard avéré truffé d’erreurs et d’incohérences, comme en a témoigné quelques mois plus tard le Center for Economic and Policy Research et le MIT Electoral Science and Data Laboratory, qui ont publié des études indépendantes révélant de graves inexactitudes dans le rapport de l’OEA.

Suite au coup d’État, le gouvernement intérimaire de Jeanine Áñez est dénoncé sur la scène internationale pour persécution contre des membres, des militants et des sympathisants du MAS. Selon Human Rights Watch, le gouvernement a mené plus de 150 enquêtes pénales avec des accusations non fondées, des violations de la liberté d’expression et des recours arbitraires et excessifs liés aux détentions préventives. Selon plusieurs sources, le Mouvement vers le socialisme prépare une procédure judiciaire contre la présidente de facto et plusieurs ministres pour les massacres prepétrés à Sacaba (Cochabamba) et Senkata (El Alto).

La victoire de Luis Arce au premier tour avec plus de 55% des voix est synonyme d’espoir pour les secteurs les plus vulnérables du pays. Un succès électoral qui redonne un souffle pour reprendre la voie des réformes afin de lutter contre la pauvreté et les inégalités, et poursuivre le chemin vers un modèle économique axé sur le développement industriel local. Un programme que les auteurs du coup d’État de 2019 avaient abandonné pour privilégier le libéralisme économique et imposer la discrimination des peuples indigènes comme moteur d’action.  

Après l’élection d’Alberto Fernández en Argentine l’année dernière, et suite à la victoire du MAS en Bolivie, le virage à droite en Amérique latine semble remis en cause. Contrairement aux pronostics, le cycle progressiste, loin de s’achever, paraît s’approfondir et s’adapter aux nouvelles circonstances. Reste désormais à savoir ce qu’il va se passer lors des prochaines élections au Chili et en Équateur. Ces résultats seront en effet déterminants pour consolider une nouvelle ère politique dans cette région aux plaies encore ouvertes. La démocratie et la justice sociale sont définitivement la voie à suivre pour surmonter plusieurs années d’injustices, de violation des droits humains et de politiques d’austérité.

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