Espagne : bataille pour l’hégémonie à gauche

Comment expliquer l’émergence de Podemos en Espagne ? Joan Navarro, sociologue, analyse, avec Manuela Sanchez et Jaime Forero, politologues, la reconfiguration du paysage politique espagnol, qui met fin au bipartisme incarné par le PP et le PSOE, à l’issue des élections générales en décembre 2015.

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Suite à l’impossibilité des principaux partis politiques de former un nouveau gouvernement, l’Espagne se prépare à de nouvelles élections générales. En décembre dernier, aucun parti n’a atteint la majorité absolue requise pour qu’un candidat puisse être désigné président du gouvernement et l’investiture était d’autant plus compromise que divers groupes nationalistes réclamaient une forte compensation politique en échange de leur vote ou de leur abstention.

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En toile de fond, s’affirme le phénomène politique le plus important des dernières élections en Espagne : l’émergence de Podemos et Ciudadanos, deux forces électorales qui ont renversé le bipartisme dominant depuis la fin des années 1970.

Après la mort du dictateur Franco en 1975, le PSOE a joui d’une position hégémonique à gauche. L’arrivée au pouvoir de José Luis Rodriguez Zapatero en 2004, après huit ans de gouvernements conservateurs, se caractérise néanmoins par une grande tension politique, liée en partie aux attentats terroristes du 11 mars 2004 à Madrid. En 2008, après la crise financière, le déficit du pays a considérablement augmenté et l’Espagne entre en récession. À partir de 2010, le président Zapatero annonce un ensemble de mesures d’austérité inconnues jusqu’alors : augmentation de la TVA, limitation des prestations sociales, réduction de 5% du salaire des fonctionnaires, gèle des pensions.

Quelques temps plus tard, une place de Madrid, la Puerta del Sol, est occupée par les Indignés. Podemos, qui était à l’origine un groupe de jeunes professeurs de sciences politiques de l’Université Complutense à Madrid, obtient cinq eurodéputés aux élections de 2014, rassemblant 1,2 million de suffrages. Personne n’avait prévu ce changement dans la vie politique espagnole.

Progressivement, les deux mouvements émergents, Podemos et Ciudadanos, s’emparent d’importantes municipalités et obtiennent un poids non négligeable dans les parlements régionaux. Le Parti populaire, en déclin, doit faire face à la crise et à la corruption quand le PSOE peine à réunir les électeurs des classes moyennes et populaires.

En 2014, le programme politique de Podemos s’opposait à l’ancien gouvernement socialiste en proposant notamment de restructurer la dette publique en fonction des intérêts nationaux et de mettre en place un revenu de base universel. Aussi, la montée de Podemos laisse entrevoir la possibilité d’une nouvelle majorité de gauche en Espagne, presque quarante ans après la transition démocratique. En effet, quand la structure militante du PSOE est fragilisée, Podemos, au contraire, apparaît comme une organisation attrayante pour les jeunes urbains. Les perspectives d’avenir du PSOE sont mitigées : le parti a réussi à renouveler la direction du parti et à présenter un jeune leader mais l’électorat socialiste, principalement concentré dans les milieux rural et semi-urbain, a sensiblement vieilli. Toutefois, Podemos, pour apparaître comme véritable parti, doit trouver un espace idéologique où ses propositions soient crédibles et acquérir de l’expérience du gouvernement. Rien n’est encore écrit sur la scène politique espagnole.  

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