Alors que le harcèlement scolaire et en ligne est aujourd’hui présent dans le débat public, Flora Bolter, co-directrice de l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation, met en avant la surexposition des enfants et jeunes LGBTI+ aux violences en lien avec leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leurs caractéristiques sexuelles. En effet, à partir des témoignages issus des signalements réalisés dans l’application FLAG!, l’autrice montre combien ces violences s’exercent dans l’ensemble des espaces de socialisation des enfants et jeunes LGBTI+, en particulier le cadre familial et scolaire. Théâtre d’actes anti-LGBTI+, ces derniers sont aussi des lieux de résilience qui nécessitent plus que jamais un accompagnement renforcé.
Introduction
L’enfance est souvent présentée comme un âge de tous les possibles, une période de découverte de soi et du monde, à l’abri des épreuves de la vie adulte. Le surgissement de violence dans ce cadre idéalisé semble une monstruosité, quelque chose d’impensable et d’imprévisible qui ne devrait pas exister.
Mais la violence, et en particulier la violence motivée par la haine discriminatoire, est loin d’être absente du quotidien des enfants : ne pas dire cette réalité, c’est faire la sourde oreille aux appels à l’aide des enfants1Le mot « enfants » est ici entendu, au sens de l’article premier de la Convention internationale des droits de l’enfant, comme « tout être humain de moins de 18 ans », et comprend donc les adolescentes et adolescents. Les bornes des catégories d’âge dans l’application ne permettent pas de séparer les 16-17 ans des jeunes de 18 ans. Ces derniers sont donc inclus dans l’analyse, et c’est le mot « jeune » qui sera donc utilisé pour désigner les 16-18 ans. de tous âges qui témoignent de ce qui leur arrive et cherchent désespérément une écoute et une aide de celles et ceux qui sont censés participer à leur protection.
N’en déplaise à une petite musique idéologique2Le discours selon lequel il faudrait « protéger l’enfance » des personnes LGBTI+ ou de leurs droits est un vieux ressort du discours homophobe – et désormais surtout – dans les pays occidentaux. Si ce discours est parfois tenu par des groupes prétendant œuvrer pour la protection de l’enfance, on peut incidemment remarquer que rare est l’action des groupes en question sur des sujets tels que la protection contre les violences intrafamiliales ou la pauvreté infantile, pourtant enjeux majeurs de la protection de l’enfance, lorsqu’ils n’arrivent pas à relier ces sujets à leur agenda anti-LGBTI+. qui voudrait sexualiser l’existence même des personnes LGBTI+, les enfants LGBTI+ existent, à tous les âges, et ils sont comme groupe surexposés au risque de violences en lien avec leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leurs caractéristiques sexuelles. Dans certaines circonstances, ce risque leur est même spécifique :
- dès la naissance pour les enfants intersexes3C’est-à-dire « nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins », selon la définition proposée par le Collectif Intersexe Activiste-OII France. On estime généralement à 1,7% des naissances la proportion de personnes intersexes dans la population (estimation retenue par les principales organisations internationales, voir Melanie Blackless et al., « How sexually dimorphic are we? Review and synthesis », American Journal of Human Biology, 12/2, 2000, pp. 151-66., trop souvent encore exposés à des mutilations de « conformation sexuelle », aux séquelles souvent lourdes, malgré leur interdiction de principe dans le droit français avec la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique4Voir aussi l’arrêté du 15 novembre 2022 fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital. Il est à noter cependant que, dans la pratique, ces textes encadrent des interventions plus qu’ils ne les interdisent réellement. Voir aussi Flora Bolter, Anne-Lise Savart, Défendre les droits des personnes intersexes, Fondation Jean-Jaurès, 26 juin 2020. ;
- tout au long de l’enfance et de l’adolescence à l’école et plus généralement dans les rapports avec les pairs, en lien avec la socialisation (genrée) de groupe qui produit des mécanismes d’exclusion violents (harcèlement, violence) en direction de tous ceux, toutes celles dont l’expression de genre atypique, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et les caractéristiques vraies ou supposées sont perçues comme hors de la norme ;
- autour des questionnements et de la révélation à l’entourage de son orientation sexuelle ou/et de son identité de genre, qui peut survenir très tôt, et s’accompagne encore trop souvent de violences qui peuvent aller jusqu’aux thérapies de conversion ou à l’abandon par les parents (les personnes LGBT interrogées dans l’enquête Violence et rapports de genre sont ainsi nettement plus nombreuses que dans la population générale à avoir quitté le domicile parental pour raison de conflit5Voir Elizabeth Brown, Alice Debauche, Christelle Hamel et Magali Mazuy (dir.), Violences et rapports de genre, Paris, Ined éditions, coll. « Grandes enquêtes », 2021, en particulier le chapitre de Mathieu Trachmann et Tania Lejbowicz.) qui se traduit aussi par une surexposition aux situations de rue ou de « débrouille » et aux risques associés6La surreprésentation des personnes LGBTI+, particulièrement des jeunes, parmi les personnes sans solution d’hébergement est un phénomène bien documenté et identifié par les acteurs de la solidarité en Europe, même si le sujet est peu étudié en France. Voir par exemple FEANTSA, Pride: homelessness in the LGBTIQ community, printemps 2023. ;
- éventuellement autour de l’entrée dans la sexualité, avec les risques associés à un défaut d’information sur la santé sexuelle et le consentement dans des configurations autres que le couple femme/homme.
L’exposition aux LGBTIphobies, à la violence, dans des années si fondamentales au développement de la personne peut avoir de lourdes conséquences sur tous les plans, tout au long de la vie. Cette surexposition aux violences et à l’adversité est bien identifiée des acteurs principaux, sur le plan international et européen, de la défense des droits des enfants, ainsi que le rappelle par exemple l’Observation générale du Comité des Nations unies sur les droits de l’enfant n° 20 (2016) sur la mise en œuvre des droits de l’enfant pendant l’adolescence (§33) :
Les adolescents homosexuels, bisexuels, transgenres et intersexués sont souvent persécutés ; ils sont notamment victimes de maltraitance et de violences, de stigmatisation, de discrimination et de harcèlement, sont exclus de l’éducation et de la formation, ne sont pas soutenus par leur famille et par la société et ont difficilement accès aux services et à l’information en matière de santé sexuelle et procréative. Dans des cas extrêmes, ils sont victimes d’agressions sexuelles ou de viols, voire d’homicides. On a établi un lien entre cette situation et une faible estime de soi et des taux de dépression, de suicide et de sans-abrisme particulièrement élevés.
Paragraphe 33 de l’Observation générale du Comité des Nations unies sur les droits de l’enfant n° 20 (2016) sur la mise en œuvre des droits de l’enfant pendant l’adolescence
La priorité accordée à l’action pour garantir aux enfants et jeunes LGBTI+ l’exercice de leurs droits (notamment celui à une vie sans violence) se retrouve ainsi dans de nombreux documents stratégiques internationaux et nationaux, notamment la Stratégie du Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant (2022-2027) et la Stratégie d’égalité LGBTIQ 2020-2025 de la Commission européenne.
Pour autant, les besoins sont encore majeurs s’agissant de l’accompagnement des parents et des enfants, et spécifiquement dans l’univers scolaire, en lien avec la lutte contre le harcèlement des pairs à l’école qui est reconnue comme une priorité. Selon l’enquête menée par l’Ifop pour la Fondation Jasmin Roy en 2019, 28% des personnes LGBT interrogées confient avoir été victimes de discrimination au moins une fois au cours de leur vie de la part d’élèves ou d’étudiants dans un établissement scolaire, et 19% ont vécu ces mêmes discriminations de la part d’enseignants au cours de leur parcours scolaire, ce qui fait du cadre scolaire en général de loin le cadre le plus insécurisant. 15% des répondantes et répondants (tous et toutes majeurs) souhaitent même changer d’établissement scolaire. De même dans l’enquête « Santé des élèves LGBTI » dirigée par Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin en 20187Voir notamment Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin, L’école des parents, vol. 2, n° 627, 2018, pp. 28-29., plus de 60% des enfants LGB et 82% des enfants trans ou intersexes ont eu une expérience scolaire négative du fait de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leurs caractéristiques sexuelles8Voir à ce sujet la note d’Arnaud Alessandrin, Flora Bolter, Stéphane Bribard, Jean-Marie Firdion, Annabel Maestre, Denis Quinqueton, Enfance et jeunesse LGBTI+ : lutter contre les discriminations à leur racine, Fondation Jean-Jaurès, 18 septembre 2019..
C’est pour mieux comprendre les faits de haine anti-LGBTI+ auxquels sont confrontés les enfants, et pour faire entendre (par le biais des verbatims) la parole qu’ils ont confiée dans l’application FLAG! depuis son lancement que nous avons choisi d’étudier de manière détaillée, par une approche mixte mêlant analyse quantitative et regard qualitatif, les signalements laissés par et pour les victimes de 18 ans et moins, hors faits sur internet.
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Abonnez-vousLes enfants victimes : portrait démographique des signalements dans l’application FLAG!
Depuis la mise en fonctionnement de l’application, 177 signalements (terminés) concernent des victimes jusqu’à 18 ans. Ils correspondent à des faits commis dans l’espace physique (par opposition à la haine en ligne). Une vingtaine de signalements concernent des faits sur internet en 2022 et 2023 : leur étude est mise à part du traitement quantitatif en raison d’une inégale quantité d’informations sur ce type de signalements (notamment s’agissant de signalements pour des contenus visant les enfants LGBTI+ en général, qui pour des raisons techniques pourraient fausser l’analyse démographique s’ils étaient inclus) mais les verbatims peuvent être réutilisés dans l’étude qualitative.
L’analyse de ces 177 signalements apporte un premier constat : comme pour les faits qui se sont produits dans l’espace physique en général, les personnes qui font le signalement sont en grande majorité les victimes elles-mêmes : seul un signalement sur cinq est fait par un témoin. C’est toutefois légèrement supérieur, sur la même période, à la proportion de signalements faits par des témoins dans l’espace physique tous âges confondus (un sur six), ce qui peut s’expliquer par l’implication active de certains parents et enseignants.
Du point de vue de la répartition par âge et par genre, il s’agit, comme pour les victimes signalées dans l’application en général, d’une population majoritairement composée de garçons cisgenres (57%). Cette majorité est cependant moins prononcée que pour les signalements similaires sur la même période pour l’ensemble des tranches d’âge, où la part des hommes cisgenres est de 65%. La part des filles (cisgenres) parmi les victimes enfants est symétriquement plus élevée (22%) que pour l’ensemble des victimes dans l’espace public sur la même période (15%). La part des victimes trans, intersexes ou « autres » (modalité principalement retenue par des personnes non binaires selon l’examen des informations complémentaires) est quant à elle sensiblement similaire, de l’ordre de 15%. En revanche, là où les femmes trans sont deux fois plus nombreuses que les hommes trans parmi les victimes toutes tranches d’âge confondues, on peut noter que les garçons trans sont plus de quatre fois plus nombreux que les filles trans s’agissant des signalements pour des enfants (mais est concerné un échantillon sans représentativité statistique s’agissant de ces derniers).
En termes d’âge, on peut constater une progression linéaire, les 0-11 ans étant moins nombreux que les 12-15 ans qui sont eux-mêmes moins nombreux que les 16-18 ans, ce qui est logique compte tenu du caractère évolutif dans le temps aussi bien de l’affirmation de soi que de l’usage d’outils comme l’application FLAG! (Figure 1).
Figure 1. Enfants (0-18 ans) victimes dans les signalements enregistrés par l’application FLAG! au 12 avril 2024 par âge et par genre (faits dans l’espace physique)
Les faits et leur contexte
Les faits signalés dans l’application FLAG! pour des victimes de 18 ans et moins sont aussi divers que graves vis-à-vis des victimes dans leur ensemble, sinon que les discriminations institutionnelles et professionnelles sont nettement moins nombreuses, ce qui peut être relié au fait que les interactions institutionnelles et professionnelles des 0-18 ans sont sans doute plus limitées que pour les autres tranches d’âge que nous avons étudiées dans les précédents rapports. Les infractions liées à la parole (atteintes à l’honneur, provocation, harcèlement et menaces…) représentent une majorité (57%) des faits signalés, suivis par la violence physique (25%), le harcèlement et les menaces (21%), les violences sexistes et sexuelles (9%), les atteintes aux biens (6%), et la violence intrafamiliale (3%). Il n’y a pas de différence particulièrement notable dans ces ordres de grandeur entre les faits dont sont victimes les enfants et les adultes, sinon la moindre présence de l’ensemble des discriminations : les enfants, dans leur ensemble, ne sont donc pas particulièrement préservés d’un type d’infractions par rapport à un autre (Figure 2).
Figure 2 : Grands types de faits signalés pour des victimes de 0 à 18 ans, hors internet, au 12 avril 2024
Cependant, lorsqu’on analyse en détail, on peut constater que la violence sexiste et sexuelle n’est pas un phénomène uniforme selon le genre des victimes. Les garçons cisgenres, majoritaires dans les signalements, ne sont ainsi que 3% à rapporter des violences sexistes et sexuelles, contre 13% des filles cisgenres et 21% des enfants trans, intersexes et autres. De manière moins marquée, la part de la violence physique est également inégalement répartie : elle correspond à 22% des actes rapportés pour des signalements concernant des filles cisgenres, et 26% pour les enfants trans, intersexes et autres. Enfin, la part relative des infractions « par la parole », et plus particulièrement les atteintes à l’honneur, suit une progression inverse : 60% au total pour les garçons cis, 55% pour les filles cis, et 49% pour les enfants trans, intersexes et autres.
S’agissant du contexte des actes signalés, il s’apprécie au regard des auteurs rapportés dans les signalements. À cet égard, on peut d’emblée constater la part très importante de l’école comme espace de victimation (c’est-à-dire les signalements désignant comme auteurs des faits des élèves, camarades de classe, enseignants ou autre personnel scolaire), qui atteint 26% des signalements chez les 0-18 ans, et celle de la famille (9%), alors que ces catégories représentent chacune moins d’1% des signalements dans l’espace physique au global (tous âges confondus, même période). Ce sont en effet les premiers espaces de socialisation des enfants. Les personnes non connues seules sont a contrario nettement moins représentées parmi les auteurs (12% contre 22% au global), de même que les différents types d’interlocuteurs institutionnels et professionnels. Dans l’ensemble, les enfants sont plus souvent victimes de personnes qu’ils identifient que de personnes inconnues, la part des personnes non connues (seules ou en groupe) s’élevant à moins d’une personne sur trois pour des victimes de 0 à 18 ans (Figure 3).
Figure 3. Auteurs rapportés dans les signalements pour et par des victimes de 0 à 18 ans, hors internet, au 12 avril 2024
La voix des enfants victimes d’actes anti-LGBTI+
Pour les moins de 18 ans, l’école et la famille sont les premiers lieux de socialisation par l’importance du temps qu’ils y passent et par le caractère central qu’ils jouent pour leur construction personnelle. Ce sont aussi, on l’a vu dans l’analyse quantitative, des contextes particulièrement importants des atteintes dont ils sont victimes. Et cette ampleur presque disproportionnée se retrouve en miroir dans la souffrance décrite en détail et en texte libre par les victimes et les témoins.
La famille
La violence exprimée dans ce qui est signalé est parfois avant tout celle de l’enfant envers lui-même, comme conséquence des violences subies dans l’environnement familial et scolaire.
Tentative de suicide par défenestration d’un jeune de 17 ans dont la famille turque et pratiquante n’accepte pas l’homosexualité. En urgence vitale. A sauté du deuxième étage de son lycée.
Témoignage d’une association pour un jeune de 16-18 ans en 2023.
Dans le cas de ce jeune, la souffrance ressentie dans le cadre familial s’est traduite par le passage à l’acte autodestructeur, qui plus est dans le lycée (et sur le temps scolaire), exposant ainsi les autres élèves à un traumatisme grave et durable. Si ce signalement ne donne pas de détails sur la violence du milieu familial, qui n’est pas moins grave ou déstructurante quand elle est psychologique/affective que quand elle est physique, plusieurs autres témoignages font état d’une violence qui peut aller de la violence physique (avec abandon/mise à la rue souvent à la clé) aux thérapies de conversion, voire à l’empoisonnement/la tentative de meurtre.
Mon père m’a frappé de plusieurs coups de poing lorsqu’il a découvert que j’étais bi et que mon copain est venu à la maison. Il m’a ensuite viré de chez moi et je me suis retrouvé à la rue.
Un jeune de 16-18 ans en 2022.
Mon père avec qui je me suis disputé est venu dans ma chambre et m’a frappé une vingtaine de fois avec sa ceinture. Il ne supporte pas que je sois gay et m’a viré de mon foyer. Étant à la rue, j’ai déposé plainte.
Un garçon de 12-15 ans en 2022.
Mes parents ont découvert que j’étais lesbienne et ne le supportent pas au nom de la religion. Mon père m’a frappée après que ma mère le lui ai dit. Ma mère m’a menacée de tous les maux selon la religion et envisage de me faire consulter un imam pour me soigner. J’ai déposé plainte.
Une jeune de 16-18 ans en 2023.
Ma mère a découvert mon homosexualité à travers des photos et des échanges avec un autre homme. Elle m’a alors menacé de mort en voulant me pousser dans la Seine et m’a forcé à boire un verre d’eau de Javel. J’ai réussi à recracher et suis allé au commissariat pour dire les faits.
Un garçon de 12-15 ans en 2022.
Si la violence dans le huis clos familial a un impact dévastateur sur les enfants et les jeunes, les parents peuvent cependant aussi être source de résilience. C’est notamment le cas pour les parents qui signalent eux-mêmes les faits sur l’application, parfois pour des enfants très jeunes.
(…) Ma fille de 15 ans a subi durant trois années de collège des attaques homophobes et transphobes. L’année dernière en 3e cela a pris un autre tournant avec un harcèlement de sa CPE. Elle est actuellement en dépression sévère et a fait une TS au mois de décembre. Du compte-rendu de l’hôpital ressort un mal-vivre lié aux événements survenus avec la CPE. J’ai un dossier complet des événements. C’est l’asso Y qui m’a parlé de vous pour mon dépôt de plainte que je n’ose faire. Merci.
Témoignage d’un parent pour une fille de 12-15 ans en 2022.
Je tiens à signaler une personne qui s’amuse à créer des comptes et à harceler en groupe ma fille de 11 ans à peine. Cela dure depuis quelque temps j’ai peur pour mon enfant.
Témoignage d’un parent pour sa fille de 11 ans en 2023 (faits sur internet).
Un tag a été rédigé sur le mur d’une école face au collège où est scolarisé mon fils. Il était écrit le prénom et le nom de mon fils suivi de GROS PD. J’ai déposé plainte au commissariat.
Témoignage d’un parent pour son fils de moins de 12 ans, en 2022.
Ces témoignages soulignent bien à quel point les parents se sentent démunis et craignent pour leur enfant, ce d’autant que l’école n’est pas envisagée par eux comme un recours face à cette violence, voire est perçue comme un lieu hostile à leur enfant (voir aussi plus bas).
Enfin, dans certains cas, enfants et parents sont solidaires face à l’adversité, mais dans un sens inversé, l’enfant étant exposé à des violences dans le cadre scolaire à l’encontre de ses parents ou d’un de ses parents. Dans ce cas encore, le besoin d’aide est explicite.
Ma mère est homosexuelle et vit en couple avec une autre femme. Ma famille ne le supporte pas et on se fait constamment insulter, menacer. Je reçois tous les jours de leur part des messages haineux et homophobes. J’ai besoin d’aide.
Une jeune de 16-18 ans, en 2020.
L’école
L’école, l’autre cadre particulièrement notable des atteintes envers les 0-18 ans, est, elle aussi, un contexte qui devrait apporter une protection mais se révèle surtout un lieu de solitude face à une violence souvent exercée en groupe.
Une lettre d’un collégien comportant une déclaration d’amour à l’intention de l’un de ses camarades lui a été volée dans son sac de cours au sein du collège pendant une récréation (la section d’entreposage des cartables n’est pas surveillée). Le groupe d’élèves auteur du vol exerce des moqueries et des menaces d’outing. La famille a géré la crise seule.
Signalement par un témoin pour un garçon de 12-15 ans en 2020.
Les atteintes signalées sont le plus souvent le fait de pairs, c’est-à-dire de camarades de classe ou d’autres élèves. Ils sont également souvent présentés comme répétés, se produisant en toute impunité par rapport aux adultes présents.
Propos transphobes et lesbophobes vis-à-vis de moi, sexisme, injures liées à mon autisme, outing trans, propos à caractère sexuel sexistes, transphobes et lesbophobes. Harceleurs : camarades de classe.
Un garçon trans de moins de 12 ans en 2022.
J’étais à la même table que lui et il m’a dit « Dégage sale lesbienne » ou encore « Monsieur, je veux pas d’elle ! » envers un adulte de l’établissement.
Une fille de 12-15 ans en 2023.
Notre fils de 15 ans et demi a été victime d’agression et de propos homophobes au sein de l’internat de son lycée. Il a été coincé et enfermé, [on lui a tenu] des propos homophobes et à caractère sexuel avec des propositions indécentes.
Des parents témoignant pour leur fils de 12-15 ans en 2023.
Ce phénomène de groupe, constitué de « microviolences répétées », d’« oppression quotidienne » rejoint les principaux éléments définissant le harcèlement en milieu scolaire (notamment dans les travaux d’Éric Debarbieux9Auteur notamment du rapport Refuser l’oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l’École remis au ministère de l’Éducation nationale en 2011. Une synthèse récente et accessible de ses travaux peut être trouvée sous la forme d’un entretien pour le Café pédagogique en 2023.), et expliquent en partie son caractère destructeur pour l’enfant. Plusieurs situations dramatiques d’enfants LGBTI+ qui se sont ôté la vie en lien avec un harcèlement en milieu scolaire ont fait l’actualité ces dernières années. S’il est heureux que le harcèlement scolaire comme tel fasse l’objet d’une attention soutenue, sa nature le cas échéant discriminatoire doit plus clairement être étudiée et travaillée par les politiques publiques : la proportion importante voire majoritaire (selon les enquêtes envisagées) d’adultes LGBTI+ qui ont été victimes jeunes devrait à elle seule alerter sur la situation des enfants et jeunes LGBTI+ (ce d’autant que les répondants, eux, y ont survécu) La peur de parler de cela à ses parents, l’absence de soutien à attendre de la famille, voire l’écho ou le paroxysme de ces violences dans le cadre familial créent toutes les conditions pour que ce harcèlement en milieu scolaire, sur ces victimes en particulier, ait un retentissement maximal.
En l’état actuel des formations et outils disponibles, de leur diffusion ou non-diffusion à géométrie variable selon les établissements, le personnel scolaire et les adultes qui pourraient – devraient – représenter un recours n’ont pas nécessairement les bons réflexes, les bons mots, la bonne approche face aux parents et aux enfants, même quand ils souhaitent réagir. Dans la plupart des témoignages, les enfants se sentent bien seuls face au harcèlement en milieu scolaire, le personnel scolaire étant au mieux inconscient de ce qui se passe. Dans certains cas, le personnel scolaire est lui-même hostile ou harcelant, jusqu’à se permettre des propos pouvant relever de « thérapies de conversion », sous couvert d’accompagnement.
Je suis un homme trans/enby. Ma CPE avait pris l’habitude de me convoquer dans son bureau seule à seul pour me traiter de malade mentale, m’inciter à voir un psy, car d’après elle, être trans, c’est pas possible pour moi. Elle pense que je suis trans car je manque d’attention alors que je suis out depuis le collège à mes amis et elle me harcèle depuis que j’ai essayé de changer mon prénom d’usage sur la liste d’appel. Elle m’a humilié aussi devant mon petit ami et outé à sa mère LGBTphobe.
Un jeune trans de 16-18 ans en 2020.
Si la CPE en question a pu se sentir légitimée par le prétexte de bien faire, le brouet à prétention psychanalytique dont elle a abreuvé un jeune sous sa responsabilité (discours accessoirement contraire aux positions de l’OMS) est un argument malheureusement répandu (et infondé) dans la psychologie de comptoir aujourd’hui, et il est puissamment transphobe. Une information claire et accompagnée par le biais de formation pourrait pourtant permettre aux personnels de bonne foi de ne pas maltraiter les enfants sous leur responsabilité. À défaut, ce genre d’attitudes, dans la posture d’un adulte représentant l’école, tend à rendre l’institution complice des harcèlements vécus par les enfants.
La vie du quotidien : les transports, l’espace public, internet
Si la famille et l’école sont des lieux particulièrement importants pour comprendre la victimation des enfants et des jeunes LGBTI+, les violences familiales et les effets de harcèlement en milieu scolaire sont d’autant plus délétères qu’ils sont confirmés ou répétés à l’échelle de la société « des adultes », avec parfois la même impunité. Personnes à part entière avec des droits à part entière, les enfants participent aussi à part entière à la vie du quotidien. Ils sont usagers et usagères de l’espace public, des transports, des espaces d’expression sur internet. Cette participation, en lien avec les droits garantis par la Convention internationale des droits de l’enfant, doit être facilitée et protégée : ces espaces ne doivent pas être des espaces de non-droit. La protection des enfants et des jeunes peut en d’autres termes certes passer par quelques mesures de restriction d’accès ou de contenus, mais il serait illusoire et contraire aux droits des enfants d’en faire l’alpha et l’oméga de leur protection. La prévention des actes anti-LGBTI+ en général doit inclure celle des actes visant les enfants, et les actions en direction des enfants sont plus efficaces lorsque la lutte contre les discriminations est effective pour tous et toutes. De nombreux témoignages d’enfants ou de jeunes traduisent un niveau élevé de violences auquel ils sont exposés dans tous les espaces publics partagés avec les adultes.
Je m’appelle [prénom], j’ai 14 ans. Hier j’ai publié une vidéo sur [réseau social] qui a été relayée avec des commentaires homophobes par deux comptes de pseudo-[influenceurs], [compte vidéo 1] et [compte vidéo 2]. Rapidement leurs followers m’ont incendié d’injures homophobes. J’ai prévenu l’association [partenaire X] qui a fait suspendre le commentaire et l’un des comptes sur [réseau social] mais je n’ai pas de retour sur [plateforme vidéo].
Un garçon de 14 ans en 2022 (sur internet).
Il y a eu des coups de pied donné à mon égard, une bouteille jetée, l’agresseur nous a suivis, des insultes homophobes, menace de mort… « harcèlement ». Depuis, l’agresseur me suit souvent… Il y a déjà eu un dépôt de plainte.
Un garçon de 12-15 ans en 2022.
Insultes homophobes « PD, pédophile », injures de mort « on va te tuer, tu vas t’en prendre plein la gueule », coup de pied dans le dos et coups de poing, bousculade.
Un jeune homme de 16-18 ans en 2023.
Il a souhaité à mon amie d’aller se faire violer, que c’était une pute car elle portait des jupes. Qu’un homme qui veut devenir une femme reste un homme. Que l’homosexualité était contre-nature.
Une fille de 12-15 ans, témoin, en 2021 (sur internet).
La personne m’a fait des menaces de mort et a dit des choses comme ceci : « je vais te kidnapper sale pédale, on va venir chez toi, on a ton IP »…
Un garçon de 12-15 ans en 2022 (sur internet).
J’étais dans le train. L’individu, visiblement sous l’emprise de produits illicites, s’est assis à côté de moi et a commencé à me parler. Au fil de la discussion, il m’a mégenré. Je l’ai corrigé, il m’a dit que je mentais sur mon genre. Il m’a fait peur, j’ai acquiescé son point de vue, j’ai souhaité aller aux toilettes, il m’en a empêché. La contrôleuse est intervenue et l’individu en question s’en est pris à cette dernière. J’en ai profité pour me cacher dans les toilettes jusqu’à mon arrivée.
Un garçon trans de 12-15 ans en 2023.
Conclusion
L’école, la famille et les espaces publics (physique et virtuel) peuvent ainsi être des lieux d’expression d’une haine anti-LGBTI+ qui, à ses victimes, semble souvent régner impunie. Lorsque l’ensemble de ces espaces est saturé de la même violence, les effets de harcèlement peuvent avoir les conséquences les plus désastreuses.
Agir contre ces atteintes suppose de donner des moyens pour celles et ceux qui peuvent renforcer la résilience de l’enfant, prévenir les violences et y répondre, parmi le cercle familial, les enseignants et le personnel scolaire, les camarades de classe et les élèves. Pour cela, il faut bien sûr développer les outils permettant la bienveillance et l’écoute pour tous les enfants. Mais nier qu’il y ait une spécificité des actes visant les enfants LGBTI+ et refuser de se donner les outils pour accompagner ces enfants en fonction de leurs besoins réels, sous prétexte d’un discours généralisant et idéologique sur l’enfance qui voudrait nier la place des inégalités et des discriminations, serait une erreur particulièrement grave au regard de l’état des connaissances – dont ce bref focus thématique est un énième écho.
La prévention à l’école est un outil efficace, l’OCDE a même pu le constater s’agissant des interventions de SOS Homophobie. Le soutien à la parentalité, particulièrement en direction de parents en difficulté face à des enfants LGBTI+, est également un outil précieux qui a démontré son efficacité dans l’amélioration des situations. Il serait inacceptable qu’une frilosité politique accepte de délayer les politiques en direction des plus jeunes en la matière, ou de ne pas nommer les discriminations qui participent au harcèlement. L’existence de groupes de pression, parfois constitués en association, qui prétendent aujourd’hui – parfois même dans les établissements scolaires – bouter toute présence ou mention des personnes LGBTI+ des écoles est un fait indéniable, et les procédés que certains d’entre eux utilisent peuvent légitimement inquiéter au sein des établissements scolaires. Pour autant, ne pas aborder clairement ces questions par crainte de leur ire, c’est manquer à l’obligation que portent les institutions et les adultes envers les droits fondamentaux de tous les enfants. Chercher un « juste milieu » avec ces groupes pour éviter de « faire des vagues » serait illusoire et porterait atteinte aux droits légitimes des enfants ici et maintenant. Parfois, la seule issue, c’est aussi d’aller de l’avant.
Cette note a pu compter sur l’apport d’un conseil scientifique composé de représentantes et représentants d’institutions – le Défenseur des droits (DDD), la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) et le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) – et de personnalités qualifiées, chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales, représentantes et représentants d’organisations de la société civile, disposant d’une expertise sur ces questions – Arnaud Alessandrin, sociologue (université Bordeaux Segalen, Laboratoire Culture-Éducations-Sociétés, LACES), Amandine Clavaud, co-directrice du secteur Études, directrice de l’Observatoire Égalité femmes-hommes de la Fondation Jean-Jaurès, Denis Quinqueton, co-directeur de l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean-Jaurès, et Vanessa Ricoul, présidente de FLAG!.
- 1Le mot « enfants » est ici entendu, au sens de l’article premier de la Convention internationale des droits de l’enfant, comme « tout être humain de moins de 18 ans », et comprend donc les adolescentes et adolescents. Les bornes des catégories d’âge dans l’application ne permettent pas de séparer les 16-17 ans des jeunes de 18 ans. Ces derniers sont donc inclus dans l’analyse, et c’est le mot « jeune » qui sera donc utilisé pour désigner les 16-18 ans.
- 2Le discours selon lequel il faudrait « protéger l’enfance » des personnes LGBTI+ ou de leurs droits est un vieux ressort du discours homophobe – et désormais surtout – dans les pays occidentaux. Si ce discours est parfois tenu par des groupes prétendant œuvrer pour la protection de l’enfance, on peut incidemment remarquer que rare est l’action des groupes en question sur des sujets tels que la protection contre les violences intrafamiliales ou la pauvreté infantile, pourtant enjeux majeurs de la protection de l’enfance, lorsqu’ils n’arrivent pas à relier ces sujets à leur agenda anti-LGBTI+.
- 3C’est-à-dire « nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins », selon la définition proposée par le Collectif Intersexe Activiste-OII France. On estime généralement à 1,7% des naissances la proportion de personnes intersexes dans la population (estimation retenue par les principales organisations internationales, voir Melanie Blackless et al., « How sexually dimorphic are we? Review and synthesis », American Journal of Human Biology, 12/2, 2000, pp. 151-66.
- 4Voir aussi l’arrêté du 15 novembre 2022 fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital. Il est à noter cependant que, dans la pratique, ces textes encadrent des interventions plus qu’ils ne les interdisent réellement. Voir aussi Flora Bolter, Anne-Lise Savart, Défendre les droits des personnes intersexes, Fondation Jean-Jaurès, 26 juin 2020.
- 5Voir Elizabeth Brown, Alice Debauche, Christelle Hamel et Magali Mazuy (dir.), Violences et rapports de genre, Paris, Ined éditions, coll. « Grandes enquêtes », 2021, en particulier le chapitre de Mathieu Trachmann et Tania Lejbowicz.
- 6La surreprésentation des personnes LGBTI+, particulièrement des jeunes, parmi les personnes sans solution d’hébergement est un phénomène bien documenté et identifié par les acteurs de la solidarité en Europe, même si le sujet est peu étudié en France. Voir par exemple FEANTSA, Pride: homelessness in the LGBTIQ community, printemps 2023.
- 7Voir notamment Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin, L’école des parents, vol. 2, n° 627, 2018, pp. 28-29.
- 8Voir à ce sujet la note d’Arnaud Alessandrin, Flora Bolter, Stéphane Bribard, Jean-Marie Firdion, Annabel Maestre, Denis Quinqueton, Enfance et jeunesse LGBTI+ : lutter contre les discriminations à leur racine, Fondation Jean-Jaurès, 18 septembre 2019.
- 9Auteur notamment du rapport Refuser l’oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l’École remis au ministère de l’Éducation nationale en 2011. Une synthèse récente et accessible de ses travaux peut être trouvée sous la forme d’un entretien pour le Café pédagogique en 2023.