Emmanuel Macron et l’Amérique latine : le grand gâchis

L’Amérique latine a suscité, selon les présidences françaises, un plus ou moins grand intérêt géostratégique. Les soubresauts politiques ces dernières années de nombreux pays du sous-continent sud-américain incitaient à porter un regard attentif et à prendre davantage « position ». Pour le politologue Pierre Lebret, cela semble ne pas avoir été le cas sous la présidence Macron.

À quatorze mois de l’élection présidentielle, la Covid-19 ne pourra pas toujours être le prétexte du gouvernement pour se défendre des multiples échecs et des décisions prises, cela valant aussi pour le champ diplomatique. Notre pays dispose pourtant d’hommes et de femmes diplomates mondialement reconnus pour leurs capacités d’analyse, d’anticipation, de résolution de crise, mais aussi pour leur humanisme.

Cependant, par méconnaissance ou désintérêt élyséen, la voix de la France en Amérique latine et aux Caraïbes n’aura pas été à la hauteur des enjeux et des dangers. Elle n’aura pas été non plus source d’espoir pour des milliers de femmes et d’hommes qui souffrent depuis plusieurs années du poids des politiques néolibérales et de la violence exercée par les gouvernements néoconservateurs. Il y a quarante ans, quand les dictateurs avaient les mains tachées de sang, les peuples latino-américains pouvaient compter sur une France solidaire, humaniste et consciente. C’était la France « mitterrandienne ».

Aujourd’hui, la stratégie d’Emmanuel Macron vis-à-vis de l’Amérique latine est inexistante, ce qui représente un véritable recul par rapport au bilan diplomatique de son prédécesseur. En effet, avec près de dix voyages présidentiels en Amérique latine, François Hollande aura inscrit cette région du monde au cœur de son action de politique étrangère – l’un des points majeurs de sa mandature étant d’ailleurs la visite officielle à La Havane en tant que premier chef d’État européen à se rendre sur l’Île depuis l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro. La France était audible, volontariste, présente.

Depuis plusieurs années, la situation en Amérique latine s’est profondément dégradée. L’arrivée au pouvoir de gouvernements néoconservateurs aura signifié, et signifie toujours dans certains cas, un retour à la case départ après plusieurs années de progrès social. Des gouvernements, comme ceux de Jair Bolsonaro (Brésil), Ivan Duque (Colombie), Sebastián Piñera (Chili) ou Lenin Moreno (Équateur), imposent un libéralisme économique outrancier et prônent l’atomisation de l’État au détriment des plus vulnérables dans une région qui reste une des plus inégales au monde – même si fort heureusement, la situation politique change dans certains pays, notamment en Argentine et récemment en Bolivie avec, respectivement, les victoires d’Alberto Fernandez et de Luis Arce.

Mais où était la France quand la crise sociale a éclaté au Chili en octobre 2019, faisant une trentaine de morts, plus de 3500 blessé·e·s, sans oublier cette descente des chars militaires dans les rues de Santiago, rappelant les heures sombres de 1973 ? Le pays compte à ce jour encore plusieurs dizaines de prisonniers politiques. Où était la France lors du coup d’État contre Evo Morales en Bolivie, faisant plusieurs morts et des dizaines de blessés ? Où est la France pour condamner les massacres à répétition contre des hommes et des femmes leaders paysans et/ou écologistes en Colombie, au Brésil et en Amérique centrale ? Où est la France pour exiger le respect de l’accord de paix de La Havane entre l’État colombien et l’ancienne guérilla des FARC ?

Il en est assez des responsables politiques qui préfèrent fermer les yeux au nom des intérêts économiques et financiers qui finissent toujours par profiter aux élites. La politique étrangère de la France mérite mieux qu’une balance commerciale.

Dans la langue de Gabriel Garcia Marquez et de Violeta Parra, il y existe un refrain populaire : « el que calla, otorga ! » – le silence vaut consentement ! Il est vrai que condamner le gouvernement chilien de Sebastian Piñera pour violations des droits humains, sachant que la France est elle-même condamnée pour violences policières par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, tout cela n’aurait bien évidemment pas de sens. Voilà donc où nous en sommes aujourd’hui, nous ne pouvons plus pratiquer une diplomatie humaniste et cohérente avec les droits humains, car nous n’en avons pas la légitimité.

Il y a aussi la question vénézuélienne. Les choses doivent être claires, une solution diplomatique, seul recours possible, ne passe pas par la reconnaissance d’un président par intérim afin de pousser vers la sortie Nicolas Maduro. Quand la France a choisi de s’aligner avec les États-Unis de Donald Trump sur une question aussi délicate, elle méconnaît l’histoire du pays de Bolivar, elle ne mesure pas les risques, et elle ne veut pas voir les conséquences d’une telle aventure. Cette arrogance occidentale vis-à-vis du Sud de notre monde, bafouant les principes régissant la communauté internationale, n’aura été qu’une perte de temps impardonnable sur le dossier vénézuélien.

Dans une période comme celle vécue par plusieurs peuples latino-américains, ce que l’on devrait attendre, c’est un soutien aux populations touchées, ce sont des condamnations diplomatiques fortes, la mise en place de mécanismes et d’alliances afin de trouver des sorties de crise crédibles. Beaucoup seront ceux qui, en Amérique latine, n’oublieront pas les silences à convenance. La non-condamnation des violations des droits humains dans certains pays latino-américains pendant le mandat de l’actuel président français restera un lourd et regrettable précédent pour la diplomatie française.

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