Élections européennes : point d’étape à quelques jours du vote

À l’approche des élections européennes, la cinquième vague de l’Enquête électorale française 2024 publiée par la Fondation et ses partenaires permet à Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, d’apporter une analyse des enjeux principaux de cette campagne. 

Dans quelques jours, les électeurs français seront appelés aux urnes pour élire leurs députés européens. Nous livrons dans cette note les enjeux de cette dernière semaine de campagne en nous basant sur la toute dernière vague de l’Enquête électorale française réalisée du 27 au 30 mai sur un échantillon de plus de 11 000 personnes représentatives de la population française. Quatre enjeux principaux seront étudiés dans cette note : les dynamiques de participation (I), les dynamiques électorales (II), les motivations d’un vote qui s’annonce extrêmement élevé pour le Rassemblement national (III) et le duel pour la seconde place entre la liste de Valérie Hayer et celle de Raphaël Glucksmann (IV).

Les dynamiques de participation

Concentrons-nous tout d’abord sur l’évolution de l’intérêt pour ces élections auprès de l’électorat français (graphique 1).

Graphique 1. Évolution de l’intérêt pour les élections européennes

Comme on le constate sur le graphique 1, les Français se déclarent de plus en plus intéressés par le scrutin : le niveau de « fort intérêt » passe ainsi de 57% en avril à 62% en mai 2024. Néanmoins, cette évolution à la hausse de l’intérêt pour le scrutin n’est pas corrélée à une hausse de l’intention de se rendre aux urnes le 9 juin prochain. Seulement 47% des Français sont certains de mettre un bulletin dans l’isoloir, un chiffre qui n’a augmenté que de quatre points depuis novembre 2023. L’abstention s’annonce donc massive, potentiellement à un niveau légèrement plus élevé que celui atteint en 2019 (49,9%).

Indéniablement, l’abstention n’est pas identique dans les différentes catégories de la population. On le voit ainsi dans les graphiques 2 et 3, montrant l’abstention potentielle selon l’âge et la catégorie socio-professionnelle.

Graphique 2. L’abstention potentielle selon l’âge des Français

L’abstention pourrait atteindre 66% chez les 18-24 ans et même 69% chez les 25-34 ans. Au-delà de cette catégorie d’âge, l’abstention décline, atteignant « seulement » 43% chez les 60-69 ans et 36% chez les 70 ans et plus. Les générations plus anciennes pèsent donc un poids beaucoup plus important dans les urnes que leur poids réel dans la population. C’est une situation inverse que l’on constate au sein des jeunes générations.

Graphique 3. L’abstention potentielle selon la catégorie socio-professionnelle des Français

L’abstention ne se répartie également pas de la même manière au sein des différentes catégories socio-professionnelles : 73% chez les agriculteurs, 63% chez les employés et 62% chez les ouvriers, alors qu’elle serait potentiellement de 53% chez les cadres supérieurs et de 39% chez les retraités, catégorie de la population la plus mobilisée.

Outre ces déterminants structurels de l’abstention électorale, notons également qu’il existe une déception, majoritairement partagée par l’électorat vis-à-vis de cette campagne : pour 77% des Français interrogés, cette campagne « ne leur a pas permis d’apprendre grand-chose sur les programmes et les personnalités des têtes de liste ».

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Les dynamiques électorales

Concentrons-nous maintenant sur les dynamiques électorales en prenant les intentions de vote des électeurs certains de se déplacer le 9 juin prochain (graphique 4).

Graphique 4. Évolution des intentions de vote, chez les électeurs certains d’aller voter

Comme on le constate sur le graphique 4, les intentions de vote pour la liste de Jordan Bardella sont encore en augmentation, atteignant désormais 33%, soit plus du double de la liste arrivant toujours en seconde position, celle de Renaissance menée par Valérie Hayer (16%). Le match pour la seconde place est d’ailleurs plus indécis que jamais, l’écart avec la liste de Raphaël Glucksmann n’étant désormais plus que de 1,5 point. Nous aurons l’occasion de revenir sur cet élément ci-dessous. Notons également que trois listes, celle de Reconquête ! (5%), celle d’Europe Écologie-Les Verts (6%) et celle des Républicains (7%), flirtent avec la limite des 5% minimum pour avoir des députés. Nous ne sommes ainsi pas à l’abri d’une surprise avec une ou plusieurs de ces trois listes ne se retrouvant avec aucun député européen au soir du 9 juin.

Notons également qu’à seulement quelques jours du scrutin, le vote est loin d’être cristallisé : 32% des électeurs certains d’aller voter déclarent que leur choix de bulletin n’est toujours pas arrêté, avec des différences assez nettes selon le candidat envisagé (graphique 5).

Graphique 5. Pourcentage de chaque électorat déclarant que son choix est définitif

Si les électeurs du Rassemblement national (85%) et de Renaissance (77%) sont très majoritairement certains de leur choix de vote, cela est bien moins le cas pour certains autres candidats : les électeurs potentiels des Républicains (51%) et d’EE-LV (45%) sont encore particulièrement indécis. S’ils venaient à changer d’avis dans les derniers jours du scrutin, cela pourrait avoir des implications majeures sur le résultat de l’élection. Nous aurons à nouveau l’occasion d’y revenir un peu plus loin.

Le Rassemblement national à 33% : une véritable vague d’extrême droite 

Voir le Rassemblement national culminer à 33% des intentions de vote est évidemment un phénomène qui ne doit pas être pris à la légère. Indéniablement, cela montre la porosité d’une partie de la population française aux idées du parti de Marine Le Pen. Nous avions déjà eu l’occasion de le souligner dans de précédents travaux (sur les conséquences électorales de la dédiabolisation de Marine Le Pen ou sur la société rêvée de ses électeurs). Néanmoins, cette victoire annoncée du Rassemblement national doit de notre point de vue être relativisée sur deux points.

Premièrement, comme nous l’avons souligné, l’abstention s’annonce massive. Si les résultats présentés le soir du 9 juin prochain ne tiendront compte que des bulletins exprimés, il est néanmoins nécessaire de remettre en perspective les scores de chaque parti dans l’ensemble des personnes inscrites sur les listes électorales (graphique 6).

Graphique 6. Score des différentes listes chez l’ensemble des inscrits sur les listes électorales

Ainsi, rapportée à l’ensemble des inscrits (et non pas des personnes qui vont voter le 9 juin), la liste de Jordan Bardella ne réalise qu’un modeste 13%. C’est certes bien plus que les scores de ses poursuivants, mais cela est néanmoins de nature à relativiser fortement l’idée d’une « vague d’extrême droite » lors de ces élections.

Deuxièmement, il nous semble essentiel de déterminer les raisons du vote pour la liste de Jordan Bardella lors de ces élections européennes. Cela nous est permis grâce à la richesse des données de cette enquête électorale. Nous avons ainsi effectué une modélisation statistique1Régression logistique binomiale. en distinguant les intentions de vote pour le RN d’une part et les intentions de vote pour les autres partis d’autre part. Grâce à un raisonnement « toutes choses égales par ailleurs », cela nous permet donc de déterminer les raisons selon lesquelles, entre deux électeurs identiques en termes d’âge, de catégorie socio-professionnelle, de niveau de diplôme et de niveau de revenus, l’un choisit de voter pour le Rassemblement national et l’autre choisit de voter pour un autre parti.

Graphique 7. Facteurs influençant le fait de voter Jordan Bardella plutôt que n’importe quel autre candidat

Lecture : un coefficient supérieur à zéro indique que la variable joue positivement dans le fait de choisir Jordan Bardella plutôt qu’un autre candidat. Un coefficient inférieur à zéro indique que la variable joue négativement dans le fait de choisir Jordan Bardella plutôt qu’un autre candidat.

Le graphique 7 montre ainsi à quel point le vote Bardella est bien plus un vote de rejet des autres partis que d’adhésion au projet et aux propositions du Rassemblement national. Le fait de voter par rejet des autres listes plutôt que par adhésion au projet d’un candidat augmente de 27% la probabilité de voter RN aux européennes. Plus spécifiquement, le Rassemblement national capitalise sur le fort rejet d’Emmanuel Macron en captant le vote d’opposition : le fait d’être insatisfait de l’action du président augmente de 25% la probabilité de voter Bardella plutôt que n’importe quel autre candidat.

Autre point marquant, le fait de voter pour la personnalité d’un candidat augmente de 40% la probabilité de voter Bardella, quand le fait de voter en fonction de l’action des élus au Parlement européen baisse de 23% la probabilité de voter RN et quand le fait de voter en fonction des idées et du programme baisse également de 11% la probabilité de voter Bardella.

Enfin, le candidat du RN capte en premier lieu un électorat déclarant voter en priorité sur des enjeux nationaux et non européens. Par ailleurs, les électeurs de Jordan Bardella, plus que tous les autres, considèrent que les élections européennes sont la bonne occasion « pour faire entendre leur voix ». Tout cela combiné remet donc très largement en perspective les scores actuels du Rassemblement national.

Hayer vs Glucksmann : quid de la deuxième place ?

Il existe un dernier enjeu de taille pour ces élections européennes, le duel entre la liste Renaissance conduite par Valérie Hayer et celle du Parti socialiste et de Place publique menée par Raphaël Glucksmann. Alors que d’un côté la liste Renaissance est en chute libre depuis novembre dernier, passant de 20% des intentions de vote à 16%, celle de Raphaël Glucksmann est en constante augmentation, passant de 10,5% des intentions de vote à 14,5% sur la même période. En l’espace de six mois, l’écart entre les deux listes est donc passé de 9,5 points à 1,5 point.

Nous ne reviendrons pas ici sur les motivations du vote Glucksmann, nous avons déjà eu l’occasion de traiter ce point dans une précédente note. Il s’agit plutôt de répondre à la question suivante : un croisement des courbes est-il possible ?

Voir Raphaël Glucksmann en deuxième position le 9 juin prochain est en effet possible. Il existe, tout d’abord, un premier argument « structurel » : LREM (puis Renaissance) est une formation politique extrêmement personnalisée autour de la figure d’Emmanuel Macron, qui réussissait à agréger des personnalités mais également des électorats assez différents. Que le président en exercice ne puisse pas se représenter en 2027 marque indéniablement une rupture et peut être à l’origine d’une reconfiguration d’une opposition gauche-droite plus classique où un parti socialiste de centre gauche aurait toute sa place.

Mais regardons de plus près les conditions selon lesquelles Raphaël Glucksmann pourrait arriver en deuxième position lors de ces élections européennes. Nous l’avons dit, 32% des électeurs certains de se déplacer ne sont pourtant toujours pas certains de leur bulletin de vote. Dans ces conditions, nous avons donc demandé à ces électeurs hésitants pour qui ils voteraient s’ils venaient finalement à ne pas se tourner vers leur choix initial. Raphaël Glucksmann arrive ainsi en première position chez les hésitants de Léon Deffontaines (34%) et de Marie Toussaint (40%) et en seconde position chez les hésitants de Valérie Hayer (29%) et de Manon Aubry (23%). Pour le dire autrement, si la moitié des hésitants basculent vers leur second choix, Raphaël Glucksmann obtiendrait 16,5% des suffrages exprimés, dépassant alors Valérie Hayer. Les jeux pour la seconde place sont donc encore loin d’être faits.

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    Régression logistique binomiale.

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