Au lendemain de la rencontre entre Emmanuel Macron et Angela Merkel, Gabriel Richard-Molard revient, dans une note pour la Fondation Jean-Jaurès, sur les scrutins régionaux en Allemagne et leurs conséquences pour les sociaux-démocrates.
Pendant que le service laïc de la passation de pouvoir entre François Hollande et Emmanuel Macron se déroulait, dimanche 13 mai au matin, les électeurs de la plus grande région-État d’Allemagne, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW en allemand) étaient appelés aux urnes pour élire une nouvelle Assemblée ainsi qu’un nouvel exécutif local. Ayant lié son destin au résultat de cette élection réputée gagnée d’avance pour la gauche, Martin Schulz a-t-il perdu la main, alors même que la « Schulzmania » soulevée par son retour à la politique allemande semble progressivement s’essouffler ?
Fonte rapide du glacier SPD
À l’inverse de la célèbre tirade de Rodrigue dans Le Cid, ils partirent trois milles et ils ne se virent que cinq cent en arrivant au port. Telle est la triste situation du Parti social-démocrate qui, après dix ans à la tête de l’Assemblée de NRW, était encore donné très largement gagnant, il y a encore quelques semaines. Lorsque dimanche 14 mai au soir le couperet tombe, les premiers résultats vont bien au-delà des pires craintes du parti d’Hannelore Kraft, ministre-présidente de la région qui perd 8 points par rapport au vote de 2012 et laisse la victoire à l’Union chrétienne-démocrate (CDU), qui ces dernières semaines avait réussi l’exploit d’effectuer une remontée impressionnante en gagnant plus de 6 points dans les sondages en moins de deux mois et ce, au détriment du SPD qui en a perdu plus de 8.
À la différence de 2010, où Hannelore Kraft avait tout de même réussi après de longues et intenses discussions à créer une coalition avec les écologistes et les libéraux, cette élection régionale marque, tout comme en France, mais aussi en Sarre (un mois auparavant) d’une part un net recul des forces de gauche – Écologistes (-4,9 points), Pirates (-6,8 points) – mais d’autre part un renouveau des forces d’extrême droite qui rentrent ainsi à la Chambre avec 7,8% des voix (et donc au-delà de la barrière des 5% qui permet la représentation à la Chambre) et surtout une petite victoire des libéraux qui, après avoir longtemps traversé le désert depuis leur débandade aux élections nationales en 2013, reviennent à 12,6% (soit +4 points) et donc s’imposent comme le nouveau troisième acteur et faiseur de roi.
Le SPD perd donc « à la régulière » à quelques milliers de voix derrière la CDU (31,2% contre 33%) et doit donc céder à Armin Laschet, le futur ministre-président, la tête de la plus grande région-État allemande.
Et 1, 2, 3 – 0 pour le SPD
Dans un pays où le football est une religion, la comparaison footballistique est un exercice de style imposé à tout commentateur politique. Le SPD avait longtemps espéré que le retour de Martin Schulz, ancien président du Parlement européen, puisse profiter au parti. Malgré une couverture médiatique extrêmement positive sur ce retour, il n’a pas réussi à inverser la courbe du désamour qui suit immanquablement le SPD. Les élections perdues en Sarre, dans le Schleswig-Holstein la semaine du 7 mai et dimanche 14 mai dernier en NRW bouclent une série de défaites qui apparaissent pour beaucoup de très mauvais augure pour celui qui brigue la Chancellerie aux élections fédérales de septembre prochain. Le retour des libéraux, longtemps en disgrâce à cause de la vampirisation de leur électorat par le parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD) et l’entrée de ce dernier dans le parlement régional de NRW parachèvent un tableau compliqué dont les couleurs semblent de plus en plus mixées mais où le noir, couleur traditionnelle des démocrates-chrétiens, reste majoritaire.
Il reste maintenant un mois au nouveau ministre-président de NRW pour entamer ses négociations de coalition. Faut-il partir sur une alliance avec les libéraux, ce qui ne lui donnerait qu’un siège de majorité à la Chambre ? Ou alors demander aux sociaux-démocrates d’avoir, comme au niveau national, une grande coalition ? Cette dernière ne semble pas être dans l’intérêt du SPD et de son candidat et président, Martin Schulz, qui construit justement sa campagne sur les erreurs de cette grande coalition, notamment sur la politique migratoire et sociale.
Quels enseignements tirer de la défaite du SPD ?
Le rédacteur en chef du journal Süddeutsche Zeitung, Heribert Prantl, dans une vidéo publiée ce 16 mai au matin, rappelle que beaucoup de choses peuvent encore se passer d’ici septembre prochain. Ce mauvais résultat en NRW n’augure rien de bon néanmoins. Camouflet pour Martin Schulz qui avait rappelé publiquement ces dernières semaines que si la victoire était acquise en NRW alors celle à Berlin devrait logiquement suivre, et camouflet également pour le SPD et le programme qu’il tente de mettre en place. La tendance des élections régionales montre que l’attaque directe de la politique de la Chancelière, notamment sur la politique internationale, ne porte pas. Ayant elle-même su très habilement utiliser l’effet « Macron » en le soutenant très chaleureusement publiquement, elle a réussi à conforter encore une fois son image de mère de la nation et de gardienne de l’intérêt européen que Martin Schulz aimerait tant, fort de son expérience au Parlement européen, pouvoir lui ravir.
D’autres inconnues sont encore à déterminer. Dans quelle mesure l’AfD qui a pu, pour la première fois de son histoire, emporter des bastions sociaux-démocrates dans la Ruhr pourra-t-elle constituer un groupe parlementaire au Bundestag ? Dans la mesure où elle est créditée depuis des mois d’intentions de vote oscillant de 8 à 15%, cela lui permettrait d’obtenir au moins une quinzaine de députés et ainsi de déstabiliser tout l’édifice politique et constitutionnel allemand, celui-là même qui se construit, depuis 1949, sur une identité démocratique et antifasciste.