Un mouvement commun a vu le jour en France et en Italie pour remettre en place à Paris la statue du général Dumas, père de l’écrivain Alexandre Dumas, et pour ériger la statue à Rome d’Andrea Aguyar, lieutenant et homme de confiance de Garibaldi. Simon Clavière-Schiele, artiste, et Jocelyn Fiorina, professeur à La Sapienza et Centrale Supelec et secrétaire général de la Société des amis d’Alexandre Dumas, reviennent sur les débats autour de ces deux statues.
Le général Dumas et Andrea Aguyar sont liés par une destinée : nés esclaves, devenus officiers républicains, ils ont défendu avec ardeur les valeurs universelles qu’ils partageaient. Ils sont aussi liés par les aventures italiennes d’Alexandre Dumas. Ces deux héros de la liberté ont été racontés par l’écrivain. C’est en lisant les Mémoires de Garibaldi publiés par Alexandre Dumas que l’on peut admirer un magnifique portrait d’Andrea Aguyar, l’ancien esclave devenu homme libre, combattant en Uruguay aux côtés de Garibaldi qu’il suivit en Italie où il mourut pour la défense de la jeune république de Rome. En racontant l’histoire du fidèle compagnon de Garibaldi, l’écrivain a-t-il pensé à son père auquel il était profondément attaché et dont il avait raconté les aventures héroïques ? Pour nombre de biographes, le souvenir du général Dumas se retrouve même dans Le Comte de Monte-Cristo et Les Trois Mousquetaires. Claude Ribbe qualifie le général Dumas de D’Artagnan républicain, Tom Reiss fait le parallèle entre les aventures d’Edmond Dantès, notamment son emprisonnement dans le château d’If avec l’abbé Faria, et les aventures du général Dumas et son emprisonnement dans le château maritime de Tarente avec le savant Dolomieu. Rappelons que, revenant de la campagne d’Égypte, le bateau du général Dumas subit une avarie, il fit escale à Tarente pensant arriver en pays ami, mais la toute jeune république de Naples qu’il croyait trouver venait de tomber et le général Dumas fut emprisonné et empoisonné par les sbires du roi Ferdinand 1er. Soixante ans plus tard, c’est aussi pour venger son père qu’Alexandre Dumas s’engage aux côtés de Garibaldi pour chasser les Bourbons de Naples. Ainsi, pour venger le général Dumas, Alexandre Dumas se retrouve-t-il aux côtés de Garibaldi, c’est-à-dire sur les pas d’Andrea Aguyar.
Alliés au-delà des frontières et du temps par leurs combats, Andrea Aguyar et le général Dumas ont brisé les chaînes qui entravent et défendu les principes républicains qui nous unissent.
Qu’est-ce qui coince avec la statue du général Dumas ?
Plutôt que déboulonner, il s’agit ici de reboulonner un monument à l’endroit où il fut érigé en 1906 auprès des statues de son fils et son petit-fils, sur la place du Général-Catroux dans le 17e arrondissement de Paris. De gauche à droite, tout le monde semble unanime sur la pertinence de l’initiative. Sauf que cela fait plus de dix ans que le projet n’a pas vu le jour. La faute à qui ?
L’art de graver ou sculpter dans le marbre est une pratique qui demande à la fois de la force, de la délicatesse et surtout beaucoup de temps. Un rapport au temps qui se prolonge, d’autres diront qui se cristallise dans la fonction même des statues, des monuments et bien évidemment des tombes qu’on lui commissionne.
Édifier un monument c’est, en figeant le temps, honorer, célébrer voire imposer la mémoire d’un homme, le souvenir d’une victoire, la puissance d’une idée ou d’une nation dans l’espace. Et quand cet espace est public, qu’il se trouve au cœur d’une ville, dans un lieu fréquenté, et que celui qui y passe n’a d’autre choix que d’y poser le regard, l’œuvre sculptée entre paradoxalement en action dans son immuabilité. Bien plus qu’illustrer le roman national comme pourrait le faire une gravure dans un ouvrage de Michelet, elle le forge, le martèle, le placarde, en domptant notre regard de gré ou de force.
Cependant, dans le cas de la réédification de la statue du général Thomas Alexandre Dumas, abattue par les nazis en 1942 en raison des origines haïtiennes – Haïti étant une colonie française de Saint-Domingue à l’époque de sa naissance) – de celui-ci, il est bien difficile de comprendre ce qui bloque. Il n’existe en effet pas d’opposants à ce projet, il bénéficie bien au contraire du soutien de plusieurs associations et des plus hauts responsables publics locaux et nationaux. Édouard Philippe, à l’époque Premier ministre, en avait même fait une affaire personnelle.
Rien n’empêche qu’une réparation soit faite puisque le modèle réduit de la statue du général Dumas existe et que rien ne s’oppose à sa réalisation à l’identique, comme l’a déclaré André Bellon, ancien député et membre de la Société des amis de Dumas lors de la conférence consacrée aux statues du général Dumas et d’Andrea Aguyar à la mairie du 17e arrondissement le 12 octobre dernier. Une position que défend l’actuel maire Geoffroy Boulard, qui présidait la rencontre.
La volonté est donc là mais on attend le déclic. Aux côtés de la mairie du 17e, l’État et la mairie de Paris auraient ces mois-ci tout intérêt à faire avancer le dossier à la lumière d’une fin de quinquennat qui enchaîne les séquences mémorielles.
Lors de la rencontre du 12 octobre dernier, Paolo Masini, ancien adjoint à la mairie de Rome, a expliqué le projet dont il est le co-promoteur pour la mise en place d’une statue à l’effigie d’Andrea Aguyar à Rome. Il a rappelé l’importance d’une telle initiative qui entre en résonance avec des sujets de fond pour la société italienne d’aujourd’hui, comme le débat sur la question du droit du sol qui n’existe pas encore en Italie ou les récents heurts avec l’extrême droite. La présidente sortante de la municipalité I de Rome, Sabrina Alfonsi, a diffusé un communiqué de presse à l’issue de la conférence rappelant l’importance de ces initiatives jumelée entre Rome et Paris et s’engage à poursuivre la mise en place du buste d’Aguyar à Rome sur le Janicule.
En célébrant la mémoire du général Dumas et d’Andrea Aguyar, nous célébrons aussi ce qui nous unit : notre histoire, les principes républicains, la culture, la littérature et les valeurs humaines.