Comment révolutionner le budget européen pour mieux faire face aux crises ?

La pandémie de Covid-19 exacerbe les fractures existantes, notamment au sein de l’Union européenne. Florian Lafarge, ancien conseiller ministériel, propose une refonte du budget européen et de ses ressources en européanisant nos économies sur des secteurs d’avenir. Il livre une proposition détaillée pour penser l’après-crise.

L’Union européenne, déjà sous tension constante, voit ses fractures exacerbées par la crise du Covid-19. « Club Med » contre « Club des radins », « solidarité » contre « responsabilité », « réponses nationales » contre « réponse communautaire », voici quelques exemples de ces débats qui divisent au plus haut niveau de l’Europe, la plongeant une nouvelle fois dans une crise politique. 

Pourtant les défis sont nombreux et concernent tous les États membres de l’Union. Outre la réponse immédiate à apporter à la crise, il s’agit également de créer les outils de la croissance de demain. Les « coronabonds » ou autres plans de relance peuvent être une piste, mais ils ne resteront qu’une réponse conjoncturelle sans apporter de solution structurelle. De même que le projet européen a été imaginé au cœur de la guerre, c’est dès maintenant qu’il faut penser l’après-crise. 

Et cette réponse doit passer notamment par une refonte du budget européen et de ses ressources. Cette proposition de budget européen « nouvelle génération » serait indolore pour les États membres, progressif dans le temps, incitatif pour l’économie réelle et permettrait même à terme d’en finir avec la problématique du dumping fiscal entre les pays européens en « européanisant » nos économies sur des secteurs d’avenir identifiés démocratiquement par le Parlement européen. 

Son mode de fonctionnement est simple : le Parlement européen par le biais d’une commission dédiée identifie démocratiquement et en responsabilité certains secteurs d’avenir comme l’hydrogène, les batteries, l’intelligence artificielle ou la production de matériel médical essentiel. Immédiatement, ces secteurs encore embryonnaires ne seront plus soumis à une diversité de fiscalités nationales mais à une fiscalité européenne commune avec un taux suffisamment faible pour qu’il soit incitatif. Elle facilitera ainsi les investissements mais également le développement de filières intégrées à l’échelle européenne. Les États membres collecteront ces taxes pour les verser au budget européen, comme c’est déjà le cas pour les frais de douanes. Leur budget national ne sera toutefois pas impacté par cette européeanisation d’une partie de leur fiscalité puisque les secteurs identifiés sont encore économiquement marginaux.

L’Union européenne se dote ainsi d’un premier apport fiscal autonome qui aura vocation à croître à mesure que ces secteurs d’innovations prendront de l’importance. En effet, une telle mesure permettrait de créer une dynamique, un effet d’entraînement bénéfique aux économies européennes grâce au caractère incitatif de cette fiscalité. 

Ceci revêt une importance capitale. En procédant de la sorte, plus le temps passera et plus l’économie sera soumise à la fiscalité européenne à mesure que le Parlement européen définira un nombre croissant de secteurs économiques d’avenir. Il s’agit donc de revenir à la philosophie initiale des pères de l’Europe et de poursuivre le projet européen par petites touches. 

Pour faciliter sa mise en œuvre, une période de transition pourrait être proposée afin que la perte de recettes fiscales qu’elle induit pour les États membres soit compensée par une réduction d’un même montant des contributions nationales au budget européen. Les États verraient ainsi leurs contributions nationales se réduire dans le temps à mesure que l’activité des nouveaux secteurs identifiés par le Parlement européen et que le montant des taxes collectées augmenteront. De fait, les États européens récupéreront une marge de manœuvre budgétaire et contribueront de moins en moins directement au budget européen qui ne pourra plus être accusé par les mouvements populistes de coûter cher au contribuable. En s’autonomisant budgétairement, l’Union européenne pourra définir une politique industrielle d’envergure ou financer des dispositifs d’urgence dont l’absence est criante aujourd’hui. Ce dispositif fiscal n’en est pas pour autant punitif puisque tout État membre de l’Union européenne non innovant continuera à verser une contribution nationale selon le principe du statu quo qui régit le système actuel.

Cette fiscalité nouvelle génération sera incitative car plus l’État développera les secteurs d’avenir, plus sa contribution nationale diminuera. Du côté des entreprises, l’avantage d’investir dans les secteurs d’avenir est de se placer sur une fiscalité avantageuse et d’investir plus massivement. Enfin, cette fiscalité européenne nouvelle génération contribuera à mettre fin progressivement au dumping fiscal entre États membres puisque les secteurs d’avenirs de l’économie seront soumis un à un à une fiscalité unique et homogène qui déplacera la concurrence là où elle est bénéfique, c’est-à-dire en matière d’innovation, de recherche et développement et d’efficacité des processus de production. 

Il s’agit donc bien d’un budget européen d’avenir. Celui qui permettrait à l’Union européenne de financer enfin de vraies politiques industrielles et de se prémunir contre les crises à venir. Plus que jamais, l’Union européenne peut et doit être une réponse à nos problèmes… à condition d’adopter les mécanismes nécessaires au service de la société européenne. Il ne manque plus que la volonté politique pour le faire. 

 

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