Coming out : toutes les vies comptent !

À l’occasion de son 30e anniversaire, l’association Contact, qui rassemble dans différentes régions des personnes LGBTI+ et des parents de personnes LGBTI+, a mené avec Ipsos une enquête sur le coming out et la manière dont il est accueilli par celles et ceux qui le reçoivent1Enquête réalisée du 21 au 24 juin 2024 sur un échantillon de 1896 personnes ayant reçu un coming out à propos de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle d’un proche, issues d’un échantillon de 11 820 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.. Denis Quinqueton, codirecteur de l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation, présente ici les résultats de cette étude, aujourd’hui inédite en France, à laquelle la Fondation est associée.

L’enquête détaille les circonstances, les réactions et les suites de cet exercice singulier. Le coming out est une pratique venue d’outre-Atlantique, dans le but d’être visible, donc pris en considération dans l’organisation de la société. Elle s’est développée en Amérique du Nord puis en Europe durant les cinquante dernières années. Elle peut désormais s’appréhender à l’échelle mondiale, sauf dans les pays criminalisant l’homosexualité et dans ceux dont les régimes politiques nourrissent la haine anti-LGBTI+. Cette pratique devenue courante demeure pourtant méconnue. Quand on évoque le coming out, on a des clichés en tête – ou sa propre expérience –, mais pas de vue d’ensemble de ce phénomène profondément humain et très majoritairement bien accueilli. C’est précisément ce que propose cette enquête.

Coming out : donner une clé de compréhension de sa personne

Un coming out est une parole librement déterminée d’une personne LGBTI+ qui dévoile à son entourage une part intime de sa personnalité : son orientation sexuelle ou son identité de genre. Faire un coming out, ce n’est pas ouvrir un débat sur sa propre destinée mais offrir une clé de compréhension importante de son être à un ou plusieurs membres choisis dans son entourage affectif et/ou familial. Celles et ceux qui le formulent et celles et ceux qui le reçoivent avec bienveillance en tirent du bien-être car l’obligation du secret et le silence sont psychiquement fatigants et, toutes choses égales par ailleurs, dégradent fortement la qualité de vie des personnes. 

« Coming out » : le mot, tout droit venu de la langue anglaise, est un condensé de l’expression « coming out of the closet », parfois exprimée en français par « sortir du placard », le lieu où, symboliquement, on conserve les secrets de famille pour les rendre invisibles au regard social. 

Le coming out d’une personne LGBTI+ est précédé par ce qu’on appelle un « coming in » : un dialogue intérieur qui aboutit à une prise de conscience pour soi-même. C’est le moment où l’on assume son orientation sexuelle ou son identité de genre, caractéristique de notre personne, qui participe à sa définition sans la résumer tout entière. 

Cette première enquête met en lumière la diversité des réactions des personnes en France qui ont effectivement reçu un coming outD’autres enquêtes, réalisées précédemment, n’ont fait que recueillir une réaction à une situation théorique présentée aux personnes interrogées. 

L’enquête Ipsos pour l’association Contact en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès nous révèle que l’accueil d’un coming out est assez largement positif, parfois déstabilisant ou interrogatif et met au jour des différences générationnelles, encore inhabituelles, et politiques, plus classiques.

Environ 17% des Français ont reçu un coming out d’une personne proche. Parmi eux, on note une surreprésentation des jeunes de moins de 35 ans (29%), des personnes se situant à gauche politiquement (26%) et des habitants de l’agglomération parisienne (21%). Des chiffres à analyser. 

Qui reçoit le coming out ?

Éducation à la vie affective : rendez-vous manqué avec la jeunesse

Faire son coming out auprès de personnes de la même génération peut sembler, en effet, moins inquiétant qu’auprès de personnes plus âgées, réputées plus fermées. Suivant les cas, la différence d’âge peut accentuer la distance que le lien de parenté peut peiner à compenser. Pourtant, des réponses des plus jeunes interrogés peuvent inquiéter. Une part notable des jeunes hommes demeurent fébriles à l’évocation de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre d’autrui. 

37% des hommes de 18 à 24 ans ayant reçu un coming out ont une mauvaise image des personnes LGBTI+ (18% sur l’ensemble de l’échantillon). 32% disent avoir été déstabilisés par le coming out (19% sur l’ensemble de l’échantillon). 22% expriment de la confusion après avoir reçu un coming out (12% sur l’ensemble de l’échantillon). Et 15% estiment que le coming out a eu un impact négatif sur la relation avec la personne concernée (8% sur l’ensemble de l’échantillon).

Ces chiffres sont d’autant plus frappants qu’ils corroborent d’autres enquêtes sur des sujets proches comme l’égalité entre les femmes et les hommes, l’engagement féministe ou l’appréciation du mouvement #MeToo. C’est la marque préoccupante d’un rendez-vous manqué avec l’éducation affective, relationnelle et sexuelle qui, en évoquant ces sujets sans fard et subtilement, pourrait ramener de la sérénité. 

La loi Aubry du 4 juillet 2001 établit l’obligation légale de trois séances annuelles dédiées dans les écoles, collèges et lycées. Précisons à toutes fins utiles que le propos est adapté aux âges des élèves. Reste que cette obligation n’est pas mise en œuvre sérieusement. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rappelé en avril dernier que seuls 15% des élèves y avaient accès2Synthèse des contributions écrites et de la journée délibérative du 2 avril 2024. Saisine « Éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle », Conseil économique, social et environnemental, 16 avril 2024..

De même, dans son évaluation du plan gouvernemental de lutte contre la haine anti-LGBT, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) déplorait « le manque d’effectivité d’un grand nombre de mesures prévues par le plan en matière de lutte contre les LGBTIphobies en milieu scolaire : les observatoires des LGBTIphobies dans les académies ne sont que très peu mis en place et, dans les rares cas où ils le sont, ne sont pas fonctionnels ; les référents égalité ne sont généralement ni formés ni sensibilisés aux questions LGBTI ; la circulaire du 30 septembre 2021 sur l’accueil des personnes trans en milieu scolaire n’est pas appliquée sur l’ensemble du territoire ; l’accès des associations agrémentées aux établissements scolaires n’est pas garanti ; les manuels scolaires traitent peu des questions LGBTI et en usant encore souvent de stéréotypes3CNCDH, Évaluation du Plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ (2020-2023), adopté à l’unanimité lors de l’Assemblée plénière de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, 30 novembre 2023. ».

Les chiffres de l’enquête confirment l’urgence du chantier de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle et de la lutte contre les préjugés, notamment LGBTIphobes. La puissance publique doit mieux s’organiser dans ce but.

Le coming out mieux accueilli à gauche qu’à droite : un clivage politique classique

Que les personnes situées à gauche politiquement soit plus nombreuses à recevoir un coming out est affaire d’atmosphère familiale ou amicale. Alors que la droite et l’extrême droite continuent d’ériger les questions LGBTI+ en élément identitaire de leur spectacle politique, la gauche a, malgré ses défauts et ses accès de frilosité, renoncé depuis plusieurs décennies à régenter la vie affective des citoyennes et de citoyens4On pourra se reporter au prix de la Fondation Jean-Jaurès 2022 : Quentin Sciarra, Les gens du troisième sexe ou la gauche et la question homosexuelle de 1970 à 1982, mémoire de master 2 soutenu en septembre 2022 à l’université d’Orléans sous la direction de Noëlline Castagnez (à paraître).

Ce qui reste étonnant pour la droite, c’est qu’elle maintient une approche outrancière des questions LGBTI+, qui vire parfois au complotisme, malgré les échecs retentissants de ce positionnement lors de la création du Pacs (1999), de l’ouverture du mariage pour tous (2013) ou de l’ouverture de l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) (2021). Les éléments de langage catastrophistes largement répétés à chaque fois se sont, avec une grande constance, avérés sans le moindre fondement sérieux. Ils sont, en général, inassumables quelques années plus tard. Les piteux remords de Gérald Darmanin ou de Catherine Vautrin sur le mariage pour tous sont, de ce point de vue, édifiants. 

Toujours est-il que les décalages en fonction des affinités politiques déclarées par les personnes interrogées témoignent de l’écho de ces positionnements politiciens au sein du cercle familial ou amical. De quoi engendrer souffrance, rejet et violence. Si 82% des répondants n’ont pas « une mauvaise image des personnes LGBT+ », ce chiffre chute à 61% parmi les personnes se situant à l’extrême droite. Les chiffres sont pires encore s’agissant du « soutien à la cause des personnes LGBT+ ». 94% des personnes s’identifiant à la gauche radicale disent soutenir ladite cause, 87% pour la gauche. Seulement à peine plus de la moitié (51%) des sympathisants d’extrême droite font de même.

Ruraux contre les urbains : un cliché pas simple

La surreprésentation des habitants de l’agglomération parisienne est une traduction de la différence de mode de vie entre les métropoles et les espaces périurbains ou ruraux. Il n’est pas rare de voir ces derniers dépeints comme des reliquats de la société passée, moins modernes, figés dans un passé révolu, comme si des réflexes archaïques étaient restés coincés dans les murs de vieilles bâtisses et se diffusaient comme un bâton d’encens qui se consume. Fameux cliché, un brin condescendant qui mérite un peu de distance. Car la sous-représentation des espaces périurbains et ruraux raconte aussi ce que sont les conditions de vie. Dans une métropole, on se sent assez vite autonome – et parfois isolé aussi d’ailleurs – en raison du niveau de services accessibles. On dépend très peu les uns des autres, pour aller au travail, pour faire ses courses ou pour avoir des loisirs culturels et sportifs. 

Dans les espaces périurbains et ruraux, les conditions de vie font que l’on s’engage beaucoup plus dans des systèmes solidaires d’interdépendance, réseaux de relations indispensables à la vie quotidienne qui pallient l’absence de services et d’équipements communs, publics ou privés. On peut légitimement penser qu’un coming out peut être anticipé, dans ce contexte, comme une source de complication et que l’éviter peut, dès lors, paraître comme une solution. C’est une solution qui a un coût personnel – mais chacun arbitre en fonction de ses propres enjeux – d’autant que les sociabilités LGBTI+ ne sont pas absentes des territoires ruraux et périurbains – autre cliché. Elles s’inventent, dans la foulée de la multiplication des marches des fiertés dans les petites villes5En 2024, pas moins de 80 marches des fiertés ont eu lieu en France, comme à Agen (32 500 habitants), Ancenis (7 500 habitants), Guéret (13 500 habitants), Molines-en-Queyras (304 habitants) ou Rodez (24 000 habitants)… et des initiatives associatives6Voir, à ce sujet, Célia Laborie, envoyée spéciale à Masgot (Creuse), « Des ”cafés queer” pour ”voir du monde” : à la campagne, les lieux LGBT+ remèdes à la solitude », Le Monde, 3 août 2024..

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Un large soutien social : 3 personnes sur 4 soutiennent la cause des personnes LGBTI+ 

Le coming out : un prolongement politique

Nous avons vu que 82% des répondants et répondantes n’ont pas « une mauvaise image des personnes LGBT+ ». Mieux, 75% « soutiennent la cause des personnes LGBT+ ». Les coming out portent leurs fruits.

Ils ont en effet un prolongement politique. En incarnant la réalité des personnes LGBTI+, ils ont pour but de casser les clichés. Harvey Milk7Harvey Milk (1930-1978), militant ouvertement gay, est élu dans le quartier de Castro Street « supervisor » de la ville de San Francisco en 1977. Il sera, pour cette raison, assassiné le 27 novembre 1978 à la mairie de San Francisco par un autre élu municipal, Dan White, qui tua également le maire de San Francisco, George Moscone. rappelait ironiquement dans un discours le 10 mars 1978 : « Il y a environ six mois, Anita Bryant8Anita Jane Bryant est une chanteuse américaine née en 1940, membre d’une église baptiste, davantage connue pour ses campagnes grand public en faveur de lois discriminant les homosexuels dans les années 1970 que pour ses cordes vocales. a dit dans son « discours à Dieu” que la sécheresse qui a frappé la Californie était due aux homosexuels. Le 9 novembre, le lendemain de mon élection, il a commencé à pleuvoir ! (…) Il pleut depuis ce jour et les gens de San Francisco pensent que le seul moyen d’arrêter la pluie est de signer une pétition exigeant mon renvoi. C’est une blague locale9Randy Shilts, The Mayor of Castro Street: the life and times of Harvey Milk, 1988, traduit en français par Aurélien Tremblay, M6 Éditions, 2009, p. 424. ». S’il n’avait pas été un élu ouvertement homosexuel, il n’aurait pas pu tourner en dérision les inepties de la chanteuse recyclée en prêcheuse.

Si l’on balaye rapidement le chemin qui a façonné notre pays, tel que nous le connaissons aujourd’hui, disons depuis la Révolution française, on note que la répression de l’homosexualité n’a cessé qu’il y a seulement quarante ans. Sous les monarchies, les empires et les républiques qui se sont succédé, les homosexuels et homosexuelles sont pourchassés par la police, vilipendés par la très puissante église catholique, moqués par la société tout entière. L’homosexualité et la transidentité étaient d’inépuisables sources de clichés, des sujets de spectacles encanaillants, un « vice allemand » ou un « vice anglais », suivant les vicissitudes de la géopolitique et l’ennemi héréditaire du moment. On parlait, on moquait les personnes LGBTI+ sans qu’elles aient la possibilité de s’exprimer, parce qu’elles n’avaient pas la possibilité de s’exprimer publiquement, à de trop rares exceptions près.

Elles occupaient une place peu enviable dans l’imaginaire social dont des traces tenaces demeurent aujourd’hui. On ne s’affranchit pas impunément du rempart réputé infranchissable qui sépare les genres ainsi que les rôles et fonctions qui leur sont assignés, d’autant que la citoyenneté – capacité juridique, droit de vote – est très longtemps restée l’apanage des hommes au détriment des femmes. Le rempart détermine une hiérarchie et les dominants ne plaisantent pas avec la domination !

Les résultats de l’enquête confirment un chemin parcouru. La large majorité des répondants déclarent avoir, après avoir reçu un coming out, une bonne image des personnes LGBTI+. Toutefois, les hommes en général demeurent moins ouverts sur ces questions : 24% des hommes ont cette mauvaise image, contre seulement 13% des femmes. C’est une constante qui s’observe sur le temps long.

Des réactions complexes mais largement bienveillantes

Les implications personnelles du coming out sont conditionnées par les réactions émotionnelles qu’il génère. Elles sont, elles aussi, largement bienveillantes. 84% des personnes interrogées ont ressenti des émotions positives (amour, affection, fierté, sérénité, soulagement). C’est une bonne nouvelle de cette enquête qui confirme une société qui a envie d’être inclusive. D’ailleurs, pour 91% des répondants, le coming out a eu un impact positif ou neutre sur la relation avec la personne concernée.

On note également des émotions traduisant l’inquiétude, la confusion, l’embarras, la tristesse (entre 14 et 7%)… Cela peut s’expliquer par l’atmosphère sociale alimentée par un débat public et médiatique hystérique qui voit un regain de fantasmes hostiles à l’égard de l’homosexualité et de la transidentité. C’est d’ailleurs confirmé par les réponses à la question cherchant à identifier la cause de l’inquiétude. Celle-ci tient d’abord aux discriminations, à la violence et au regard des autres que pourrait subir la personne concernée. C’est encore plus vrai, notamment chez les parents, face aux coming out d’identité de genre.

Les réactions très négatives – la colère, le rejet, le dégoût, le déni – sont marginales, citées par 2 à 4% des répondants et répondantes. 2% mentionnent la culpabilité, ce qui témoigne d’un faible reliquat de la croyance en des déterminants parentaux de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. Il est visiblement très largement répandu que la seule chose que l’on maîtrise, c’est la manière dont on la vit ou, si on reçoit un coming out, la manière dont on l’accueille.

D’une manière générale, les coming out ont un effet positif global. Moins de 10% des répondants déclarent que le coming out a eu un impact négatif sur leur relation avec la personne. Le temps fait aussi son œuvre en la matière. L’acceptation de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre confiée dans le coming out passe de 90% sur le moment à 92% aujourd’hui. Cette évolution positive est plus marquée chez les jeunes hommes de moins de 25 ans : le « refus » – qu’il faudrait plutôt qualifier de déni – du coming out passe, respectivement, de 21% à 15%. De même, s’agissant d’un coming out d’identité de genre, le niveau de « refus » passe, avec le temps, de 15% à 11%.

Comment exprime-t-on un coming out ?

Un échange direct, de vive voix, devant peu de personnes

Les modalités du coming out confirment, même à l’ère des réseaux sociaux, que c’est un événement suffisamment profond pour que les personnes privilégient largement l’échange direct, si possible en présence de la personne qui reçoit l’annonce. 70% des coming out sont annoncés directement, en face-à-face, dont 89% de vive voix et seulement 10% par messagerie instantanée. Les réseaux sociaux sont très peu utilisés (4%). Notons que 61% des répondants s’attendaient au coming out qui leur fut annoncé…

On voit donc que les personnes faisant leur coming out recourent relativement peu aux réseaux sociaux et aux messageries instantanées. Ces derniers proposent un échange désincarné qui s’avère à peu près l’opposé de la notion de rencontre. Ce n’est pas une affaire de génération mais de réalité humaine. Un échange de vive voix, en face-à-face, engage une communication plus riche, pas simplement verbale.

Le choix de la personne à qui on fait son coming out n’est pas fait au hasard, bien évidemment. L’enquête témoigne que c’est la proximité affective qui prime dans ce choix. Pour 64% des répondants, la personne qui a fait son coming out était un membre de la famille dont on est proche, hors parent, ou un ou une ami·e. Dans un peu plus d’un cas sur deux, le coming out se joue dans le cercle familial.

Attention à l’outing !

60% des répondants ont discuté du coming out avec la personne concernée et la même proportion avec l’entourage familial, amical ou professionnel. Mais 40% ne sont pas certains d’avoir obtenu l’accord explicite de la personne avant d’en parler à d’autres. C’est l’occasion de s’arrêter un instant sur cette subtilité cruciale : même mise en mots à l’occasion d’un coming out, l’intimité d’une personne LGBTI+ lui appartient, comme à toute autre personne. Pour être précis, le droit à la vie privée est un droit humain codifié à l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par les Nations unies en 1948. 

C’est pourquoi il est nécessaire de demander à une personne qui a fait son coming out si on peut évoquer le sujet avec d’autres personnes. À défaut, on se retrouve à pratiquer, volontairement ou par inadvertance, un outing, c’est-à-dire la diffusion, contre le gré de la personne concernée, de son orientation sexuelle ou de son identité de genre.

Un besoin d’aide et de dialogue 

C’est au cœur du projet de Contact : l’enquête révèle un besoin d’aide pour accueillir un coming out. Un certain nombre de répondants ont dit qu’elles et ils ne se sentaient pas préparés à entendre et accueillir un coming out. Il faut entendre ce besoin de dialogue, d’échange sur un sujet qui peut rester complexe à appréhender.

Dans ce but, les associations ont bonne réputation dans l’esprit des répondants et sont citées à égalité avec les professionnels (santé, travailleurs sociaux, psychologues, médecins généralistes). 72% des personnes interrogées indiquent que cela les aurait aidées d’en parler avec des associations. Ce chiffre monte à 90% si le coming out s’est fait dans le cadre d’une dispute, 86% parmi celles qui disent l’avoir reçu difficilement ou avoir été déstabilisées.

Mais les personnes répondantes ne veulent pas forcément en parler avec des tiers. 65% d’entre elles déclarent qu’en parler avec la personne qui a fait son coming out les aurait aidées. Ce chiffre monte à 81% parmi les personnes qui ont été déstabilisées et à 76% parmi celles qui ont une mauvaise image des personnes LGBTI+. C’est sans doute le moment de rappeler que si le dialogue est bienvenu, sa finalité est de comprendre la confidence, pas de manipuler ou de violenter la personne qui a fait son coming out.

Toutes les vies comptent !

Le coming out est une étape importante de la vie des personnes LGBTI+, car comme l’écrivit André Gide dans Corydon il y a plus d’un siècle, « ce n’est pas le sens commun, c’est la vérité qu’il ne faut pas heurter10André Gide, Corydon, Paris, Gallimard 1924, réédité dans la collection Folio en 2024, p. 19. André Gide a débuté l’écriture de Corydon au début des années 1910. ». Les personnes LGBTI+ le ressentent comme un moment de bascule libérateur. Il intervient assez tôt dans la vie, en général. 53% des coming out évoqués par les répondants concernent une personne âgée de moins de 24 ans et 81%, une personne de moins de 34 ans. 15% des coming out en question ont été faits par des mineurs.

D’abord l’apanage des gays et des lesbiennes, les coming out couvrent aujourd’hui une réalité plus diversifiée. 82% concernent des coming out relatifs à l’orientation sexuelle et 16% des coming out relatifs à l’identité de genre.

Extrêmement marginaux, au XIXe siècle, rares dans la première moitié du XXe, les coming out sont progressivement devenus un fait social à partir des années 1960. Ce fait social produit des effets sur la vie des individus et sur la société. Il y a moins « de gamins perdus qui se trahissent, qui se haïssent et qui ne sauront jamais qu’ils auraient pu réussir11Ouissem Belgacem (avec Éléonore Gurrey), Adieu ma honte, Paris, Fayard, 2021, p. 238. », comme dit Ouissem Belgacem dans son magnifique Adieu ma honte.

Faire son coming out, c’est devenir visible. Visible pour ses proches, mais visible aussi dans la société. Visible, comme tout un chacun et chacune. Harvey Milk, dans le discours qu’il a prononcé lors de la Gay Freedom Day Parade, le 25 juin 1978, soulignait que « les noirs n’ont pas conquis leurs droits en restant calmement assis au fond du bus. Ils en sont sortis ! (…) Nous n’obtiendrons pas nos droits en restant calmement dans nos placards. Faisons notre coming out ! Faisons notre coming out pour combattre les mensonges, les mythes, les inexactitudes ! Faisons notre coming out pour dire la vérité sur les gays. Car je suis fatigué de la conspiration du silence12Randy Shilts, op. cit., p. 430. ».

La « conspiration du silence » a nettement reculé, même si elle a son lot de nostalgiques. Et tout n’est pas réglé pour autant. Les violences et les agressions restent à un niveau préoccupant, les discriminations demeurent tout comme les préjugés. Les discours complotistes sur « l’idéologie LGBT+ » (sic) sèment la confusion. La tolérance de la société reste à géométrie variable, les résultats de cette enquête le rappellent. L’identité de genre est moins bien comprise que l’orientation sexuelle. La transidentité est maltraitée, et mal traitée, dans un débat public en grande perte de sens. 

Mais grâce aux coming out, en quelques décennies, les personnes LGBTI+ sont passées de groupe fantomatique, fantasmé et mutique à un groupe social en capacité de peser dans notre société démocratique et de porter l’exigence, basique mais pas si évidente, que toutes les vies comptent !

Coming out littéraire au début du XXe siècle
Ce sont quelques lignes à cheval sur les pages 70 et 71 de l’austère ouvrage juridique d’un professeur à la faculté de droit de Paris publié en 1867. Quelques lignes croquignolesques d’une violente diatribe à l’encontre les relations sexuelles entre hommes : « Un amour sans nom, ou plutôt un vice infâme, était honoré dans toute la Grèce comme une vertu. On en peut voir la preuve dans tous les philosophes grecs, depuis Solon jusqu’à Plutarque : il me répugne de citer les textes et de m’arrêter sur un sujet si odieux. Il faut le dire à la honte de la Grèce : sa corruption était telle que les Romains, tout dégénérés qu’ils étaient eux-mêmes, en eurent horreur ; jamais, même au plus bas degré de leur décadence, ils n’arrivèrent à méconnaître à ce point les sentiments de la nature ; s’ils s’abandonnèrent eux aussi au plus honteux des vices, du moins ce ne fut pas avec l’assentiment et les louanges de leurs philosophes et de leurs législateurs. »
Ce professeur de droit plumitif, c’est Paul Gide13Paul Gide, Étude sur la condition privée de la femme dans le droit ancien et moderne et en particulier sur Sénatus-consulte velléien, suivi du “Caractère de la dot en droit romain” et de “Condition de l’enfant naturel et de la concubine dans la législation romaine”, 1867, réédité en 1885 par L. Larose et Forcel, libraires-éditeurs., le père du futur prix Nobel de littérature14André Gide (1869-1951), écrivain, prix Nobel de littérature en 1947.. On dit que c’est notamment la lecture outragée de ces lignes, écrites avant sa naissance, qui engagea André Gide à mettre en chantier, au début du XXe siècle, ce qui deviendra Corydon15André Gide, Corydon, Paris, Gallimard, 1924., un essai en forme de dialogues socratiques16Genre littéraire inspiré de l’Antiquité qui, mettant en scène un dialogue imaginaire, stimule la pensée critique. consacré à ce que l’on commence à désigner par le terme d’« homosexualité17Le premier emploi du mot « homosexuel », en allemand, est attesté en 1869 dans une lettre ouverte et anonyme de l’écrivain Kertbeny au ministre de la Justice prussien Adolph Leonhardt, pour s’insurger contre la répression de l’homosexualité dans la législation prussienne en passe d’inspirer le sinistre paragraphe 175 du Code pénal de l’empire allemand proclamé le 18 janvier 1871. ». À travers quatre dialogues, André Gide entame de donner une voix à « l’amour sans nom ».
Aujourd’hui, le texte peut paraître un peu daté, tant nous avons collectivement progressé sur la connaissance de l’humanité, c’est-à-dire de nous-mêmes. Il reste intéressant et demeure imprégné d’une joie de vivre insolente. Dans le premier quart du XXe siècle, aborder ainsi ouvertement le sujet suffisait pour que l’auteur soit assimilé à son œuvre et se change de fondateur de la NRF18Nouvelle Revue française, revue littéraire et collection d’ouvrages fondées en 1909 et devenues fleuron des éditions Gallimard à partir des années 1920. en écrivain sulfureux.
Dans la préface, écrite en novembre 1922, André Gide indique d’ailleurs qu’il mesure bien ce qu’il fait : « mes amis me répètent que ce petit livre est de nature à me faire grand tort. Je ne pense pas qu’il puisse me ravir aucune chose à quoi je tienne (…). Je ne tiens qu’à l’estime de quelques rares esprits, qui, je l’espère, comprendront que je ne l’ai jamais mieux méritée qu’en écrivant ce livre et qu’en osant le publier. Cette estime, je souhaite de ne pas la perdre ; mais certainement, je préfère la perdre que de la devoir à un mensonge, ou à quelque malentendu. »
Harvey Milk : « Et finalement, il ne s’agit que de cela : il s’agit de donner de l’espoir »
L’atmosphère de l’époque était telle qu’Harvey Milk était hanté par le pressentiment qu’il serait la cible d’un meurtre politique. Il enregistra trois cassettes (l’ancêtre des « vocaux »…) à n’« écouter que [s’il était] assassiné ». Voici un extrait du décryptage de la cassette enregistrée le 18 novembre 1978, neuf jours avant son assassinat.
« L’autre aspect des cassettes concerne l’évidence de ce qui se passerait si j’étais assassiné. Je ne peux pas empêcher les gens de ressentir de la colère ou de la frustration et de la folie, mais j’espère qu’ils utiliseront cette frustration et cette folie au lieu de manifester ou de faire quelque chose de ce type. J’ose espérer qu’ils prendront le pouvoir, et j’ose espérer que cinq, dix, cent, mille d’entre eux se soulèveront. Je voudrais voir tous les avocats gays, tous les architectes gays faire leur coming out, se lever et dire cela au monde entier. Cela ferait bien plus pour mettre fin aux préjugés que quiconque peut imaginer. Je les supplie de le faire. Je les supplie de faire leur coming out. Ce n’est que de cette façon que nous commencerons à obtenir nos droits. (…) Je demande au mouvement de continuer, je lui demande de se développer, car la semaine dernière, j’ai reçu un coup de téléphone d’Altoona en Pennsylvanie, et mon élection a donné espoir à quelqu’un d’autre, à une personne de plus. Et finalement il ne s’agit que de cela. Il ne s’agit pas de gain personnel, d’égo, de pouvoir : il s’agit de donner de l’espoir à ces jeunes gens d’Altoona en Pennsylvanie. Vous devez leur donner de l’espoir. »
Pour aller plus loin
Un certain nombre d’ouvrages méritent le détour à propos du coming out, pour réfléchir, comprendre, mieux appréhender cette annonce singulière :
Xavier Héraud, Le petit guide du coming out, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre : la confier ou l’accueillir, Paris, First Editions, 2024
Élise Goldfarb, Julia Layani, Coming out, témoignages, Paris, Stock, 2023
Baptiste Beaulieu, Sophie Nanteuil, Histoires de coming outParis, Albin Michel, 2021
Élodie Font, Carole Laurel, Coming inParis, Payot Graphic, 2021
Ouissem Belgacem (avec Éléonore Gurrey), Adieu ma honte, Paris, Fayard, 2021
Paul Parant, Osez faire votre coming out, Paris, La Musardine, 2012

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    Enquête réalisée du 21 au 24 juin 2024 sur un échantillon de 1896 personnes ayant reçu un coming out à propos de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle d’un proche, issues d’un échantillon de 11 820 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
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    Synthèse des contributions écrites et de la journée délibérative du 2 avril 2024. Saisine « Éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle », Conseil économique, social et environnemental, 16 avril 2024.
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    CNCDH, Évaluation du Plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ (2020-2023), adopté à l’unanimité lors de l’Assemblée plénière de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, 30 novembre 2023.
  • 4
    On pourra se reporter au prix de la Fondation Jean-Jaurès 2022 : Quentin Sciarra, Les gens du troisième sexe ou la gauche et la question homosexuelle de 1970 à 1982, mémoire de master 2 soutenu en septembre 2022 à l’université d’Orléans sous la direction de Noëlline Castagnez (à paraître).
  • 5
    En 2024, pas moins de 80 marches des fiertés ont eu lieu en France, comme à Agen (32 500 habitants), Ancenis (7 500 habitants), Guéret (13 500 habitants), Molines-en-Queyras (304 habitants) ou Rodez (24 000 habitants)…
  • 6
    Voir, à ce sujet, Célia Laborie, envoyée spéciale à Masgot (Creuse), « Des ”cafés queer” pour ”voir du monde” : à la campagne, les lieux LGBT+ remèdes à la solitude », Le Monde, 3 août 2024.
  • 7
    Harvey Milk (1930-1978), militant ouvertement gay, est élu dans le quartier de Castro Street « supervisor » de la ville de San Francisco en 1977. Il sera, pour cette raison, assassiné le 27 novembre 1978 à la mairie de San Francisco par un autre élu municipal, Dan White, qui tua également le maire de San Francisco, George Moscone.
  • 8
    Anita Jane Bryant est une chanteuse américaine née en 1940, membre d’une église baptiste, davantage connue pour ses campagnes grand public en faveur de lois discriminant les homosexuels dans les années 1970 que pour ses cordes vocales.
  • 9
    Randy Shilts, The Mayor of Castro Street: the life and times of Harvey Milk, 1988, traduit en français par Aurélien Tremblay, M6 Éditions, 2009, p. 424.
  • 10
    André Gide, Corydon, Paris, Gallimard 1924, réédité dans la collection Folio en 2024, p. 19. André Gide a débuté l’écriture de Corydon au début des années 1910.
  • 11
    Ouissem Belgacem (avec Éléonore Gurrey), Adieu ma honte, Paris, Fayard, 2021, p. 238.
  • 12
    Randy Shilts, op. cit., p. 430.
  • 13
    Paul Gide, Étude sur la condition privée de la femme dans le droit ancien et moderne et en particulier sur Sénatus-consulte velléien, suivi du “Caractère de la dot en droit romain” et de “Condition de l’enfant naturel et de la concubine dans la législation romaine”, 1867, réédité en 1885 par L. Larose et Forcel, libraires-éditeurs.
  • 14
    André Gide (1869-1951), écrivain, prix Nobel de littérature en 1947.
  • 15
    André Gide, Corydon, Paris, Gallimard, 1924.
  • 16
    Genre littéraire inspiré de l’Antiquité qui, mettant en scène un dialogue imaginaire, stimule la pensée critique.
  • 17
    Le premier emploi du mot « homosexuel », en allemand, est attesté en 1869 dans une lettre ouverte et anonyme de l’écrivain Kertbeny au ministre de la Justice prussien Adolph Leonhardt, pour s’insurger contre la répression de l’homosexualité dans la législation prussienne en passe d’inspirer le sinistre paragraphe 175 du Code pénal de l’empire allemand proclamé le 18 janvier 1871.
  • 18
    Nouvelle Revue française, revue littéraire et collection d’ouvrages fondées en 1909 et devenues fleuron des éditions Gallimard à partir des années 1920.

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