Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022, le Front national (FN), devenu Rassemblement national (RN), est engagé dans une course, entamée en 2011, à la normalisation et à la crédibilisation. En cela, les élections régionales et départementales de juin 2021 ne constituent qu’une étape visant à préparer les Français à l’idée que le RN ne serait, au fond, qu’un parti parmi d’autres dans la compétition démocratique. L’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès analyse en profondeur deux éléments cruciaux qui permettent de mettre à mal cette stratégie : les candidats, objet de la présente note, et les programmes, qui seront décryptés dans une deuxième.
Élections régionales
La présentation des têtes de liste RN aux élections régionales de juin 2021 a permis à Marine Le Pen de mettre en valeur des candidats transfuges des Républicains, comme les anciens députés Thierry Mariani en PACA, ou Jean-Paul Garraud en Occitanie, ou issus de La France insoumise, comme Andréa Kotarac en Auvergne-Rhône-Alpes, ou même des anciens hauts fonctionnaires, comme l’ancien directeur de la Direction de la surveillance des territoires (DST) et ancien député Union pour la démocratie française (UDF) de la Manche Yves Bonnet en Normandie. Des choix qui tiennent aux convictions des intéressés, mais qui répondent aussi à l’objectif de présenter le RN comme « la vraie droite », par opposition aux Républicains et bien sûr à l’Union des démocrates et indépendants (UDI). Cette stratégie est allée jusqu’à accueillir sur les listes des personnalités issues d’organisations syndicales réformistes, telles que l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) ou la Confédération des travailleurs chrétiens (CFTC). Mais, au-delà des têtes d’affiche, l’analyse détaillée des listes des candidats montre une présence non négligeable de candidats appartement clairement à la mouvance d’extrême droite.
Membre du Conseil national du RN, Jean-Richard Sulzer s’est, par exemple, adressé le 5 mai 2021 à la direction de son propre parti pour protester contre la présence de candidats au passé « sulfureux » et demandait « le retrait des néonazis des listes ». Plus précisément, il regrettait dans son message que la commission d’investiture ait « laissé d’authentiques antisémites monter en grade ».
La première constatation est que le RN actuel, loin d’avoir renouvelé l’ensemble de son encadrement militant, continue à inclure sur ses listes des personnalités qui y ont été en responsabilités lorsque Jean-Marie Le Pen dirigeait le FN, ainsi Jean-Claude Barlemont (Sarthe), Brigitte Neveux (6e sur la liste du Maine-et-Loire), Jean-Romée Charbonneau (5e sur la liste de la Charente-Maritime), Jean-Michel Dubois (Val-d’Oise), Thibaut de la Tocnaye (tête de liste dans le Cher), Michel Chassier (tête de liste Loir-et-Cher), Emmanuel Camoin (Eure), l’ancien dirigeant du Front national de la jeunesse (FNJ) (2001-2005), Louis-Armand de Béjarry (Seine-Maritime), ou, dans le Cher, l’ancien dirigeant du quotidien catholique traditionaliste Présent, Francis Bergeron, militant historique depuis la fin des années 1970. Plusieurs de ces militants avaient choisi, dans la campagne interne de 2010-2011, Bruno Gollnisch et non Marine Le Pen. Ceci, ajouté à la présence d’anciens cadres du mouvement qui avaient soutenu Bruno Mégret dans sa scission de décembre 1998 – et à la différence de Christian Perez, candidat à Concarneau, président en 2010 d’un minuscule Parti populiste hostile à Marine Le Pen –, puis qui ont ultérieurement réintégré le parti, montre que, sous la houlette de Marine Le Pen, le RN a réussi une synthèse des sensibilités qui s’apparente au « compromis nationaliste » à l’origine même du FN. Cette synthèse s’étend même à la candidature – la seconde, après celle de 2014 – de Francis Dossogne, citoyen franco-belge qui est candidat à Montmédy (Meuse) et dirigea à la fin des années 1970 et au début des années 1980 le Front de la jeunesse, outre-Quiévrain.
Nous ne reviendrons pas sur le « Odoul Gate », affaire dans laquelle Julien Odoul, tête de liste RN en Bourgogne-Franche-Comté, s’est moqué avec un cynisme confondant du suicide d’un agriculteur.
En PACA, la liste du RN comporte plusieurs cas problématiques. Dans les Bouches-du-Rhône, Bernard Marandat, qui figure en 32e position, est un ancien militant du Groupe union défense (GUD) qui, en mars 2020, saluait le décès d’un ancien dirigeant de l’Action française (Guy Bertran de Balanda) par ces mots : « Le fascisme, c’est la fête». Emmy Font, qui figure en 21e position, était porte-parole de Racine d’avenir, mouvement identitaire de réunion des droites.
Dans les Alpes-Maritimes, Philippe Vardon, par ailleurs directeur de campagne de Thierry Mariani, se présente en 2e position. Le parcours (assumé) de Philippe Vardon au sein de l’extrême droite est désormais bien connu – Unité radicale, Jeunesses identitaires, Nissa Rebela… Le Niçois est aussi un grand adepte de la théorie du « grand remplacement » popularisée par Renaud Camus. En 6e position se trouve Bryan Masson, ancien président du FNJ, qui est resté proche de la mouvance identitaire. Il avait fait scandale en 2017 en traitant ses propres militants de « tapettes » et de « chochottes ».
Dans la liste de David Rachline, maire de Fréjus, on retrouve Frédéric Boccaletti (3e), président du groupe RN de PACA, qui, entre autres faits d’armes, a réédité l’ouvrage de Charles Maurras Anthinéa, d’Athènes à Florence, dans lequel le fondateur de l’Action française dénonce la démocratie comme un régime entraînant les peuples à la catastrophe. En 2000, alors secrétaire départemental adjoint du Mouvement national républicain (MNR) de Bruno Mégret, il avait été condamné à un an de prison, dont six mois ferme, pour « violence en réunion avec arme », puis incarcéré pendant quatre mois et demi à la prison Saint-Roch de Toulon. Amaury Navarranne, qui se présente en 7e position, est, par ailleurs, co-actionnaire avec Yvan Benedetti, figure bien connue de l’extrême droite identitaire, d’une entreprise d’édition enregistrée dans le Rhône.
Enfin, dans le Vaucluse, en 7e position, figure Marie Thomas de Maleville, qui s’est illustrée en 2015 pour une comparaison entre la Shoah et la guerre d’Algérie.
En Auvergne-Rhône-Alpes, dans le Rhône, figure en 29e position Pierre Giglio, un des fondateurs en 1995 de Terre et Peuple, un groupuscule néopaïen racialiste se réclamant de la mouvance « völkisch », dirigé par Pierre Vial et dont ont été proches Gilles Pennelle (tête de liste en Bretagne) et Agnès Belbeoch’ (candidate aux élections départementales dans le Finistère, à Pont-l’Abbé). Dans la Loire, en 6e position, nous retrouvons aussi Juliette Planche, qui a été suspendue le 13 juin dernier – suspension n’ayant aucun effet pratique en droit, car ne pouvant être retirée des listes déposées en préfecture – pour avoir relayé de nombreux tweets antisémites d’Yvan Benedetti ou encore de comptes comme « Bourgogne Nationaliste » ou « Paris Nationaliste », comptes eux aussi affiliés à Yvan Benedetti.
En Pays de la Loire, le choix de la tête de liste Hervé Juvin n’est pas anodin. Ancien conseiller de Raymond Barre et de Corinne Lepage, Hervé Juvin s’est rapproché du FN jusqu’à devenir député européen. Il prône l’écologie nationaliste ou de « civilisation », qui suppose la fermeture des frontières et la fin du libre-échange. Il crée ainsi, en décembre 2020, le Parti localiste avec Andréa Kotarac, lui aussi tête de liste RN aux élections régionales en Auvergne-Rhône-Alpes. C’est d’ailleurs à ce titre de partisan du localisme qu’il s’était rendu en 2010 à un colloque du Bloc identitaire, mouvement identitaire d’extrême droite.
En Occitanie, en Haute-Garonne, figure en 15e position Romain Carrière, militant historique de la mouvance identitaire toulousaine et proche de Génération identitaire, association dissoute en mars 2021.
En Nouvelle-Aquitaine, sur la section de la Gironde, Marta Le Nair, qui est également candidate aux élections départementales sur le canton Bordeaux 5, a été suspendue par son propre parti pour avoir tenu des propos antisémites sur Facebook. Cette suspension n’ayant aucun effet pratique en droit, elle reste donc pleinement candidate.
Élections départementales
Dans sa volonté d’assurer une présence maximale sur le territoire, le RN a été peu regardant sur la qualité de ses candidats. Rappelons, en effet, que le mode de scrutin en vigueur depuis 2015 impose de présenter un binôme femme/homme de candidats doté de suppléants. Dans la précipitation, le RN a investi plusieurs candidats sans trop de vérifications, ce qui l’a amené à faire marche arrière.
Dans la Creuse, Geneviève Veslin, candidate RN dans le canton d’Ahun, s’est, elle aussi, vu retirer son investiture après avoir tenu des propos racistes et antisémites sur les réseaux sociaux. C’était aussi le cas en Corrèze, à l’encontre de Danièle Delavaud, candidate dans le canton d’Uzerche, pour un tweet en 2017 dans lequel elle se disait « OK pour faire sauter » des mosquées.
Le RN a, par contre, donné en toute connaissance de cause son investiture dans la Somme au cadre identitaire Damien Rieu (canton de Péronne) et dans l’Essonne à Stéphane Wulleman, fondateur en 1998 du fanzine Fier de l’être, au confluent de la mouvance skinhead et du rock identitaire français. Passé au MNR mégretiste en 2000, ayant ensuite été de nouveau accepté au FN, il était en 2020 secrétaire local du Syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés.
Citons également André-Yves Beck, candidat dans le Vaucluse et directeur de cabinet de Robert Ménard de 2014 à 2016, après avoir été directeur de la communication de la ville d’Orange sous Jacques Bompard, d’abord FN puis Ligue du sud. Beck est issu du FNJ puis des groupes nationalistes révolutionnaires Troisième Voie (avant que Serge Ayoub en prenne le contrôle) et Nouvelle Résistance. Il a ensuite rejoint Unité radicale et participé à la réflexion qui a conduit à la création du Bloc identitaire.
Conclusion
Le RN aura beau jeu de pointer quelques cas isolés. Le problème est qu’une quinzaine de candidats pose de sérieuses difficultés quand on les confronte avec l’idée d’un parti en voie de banalisation ou de normalisation. À l’évidence, et cette petite recension l’illustre, le RN n’est pas un parti comme les autres, au sens où ses candidats, en dépit d’un effort de communication intense, prônent à des degrés divers une idéologie incompatible avec les valeurs de la République.