Depuis août dernier, le Bélarus est entré dans une vague de protestations dans l’ensemble du pays, suite à la réélection du président Loukachenka. Alors que l’opposition est aujourd’hui en exil, et que la répression du pouvoir en place se poursuit auprès des manifestants qui en appellent à une démocratisation des institutions et à des élections transparentes, quelle est la perception de la Russie et de l’Union européenne, acteurs internationaux incontournables dans la résolution de cette crise? Marylia Hushcha, chercheuse assistante à l’Institut international pour la paix à Vienne, et Magda Stumvoll, vice-présidente de Ponto, think tank autrichien pour la politique européenne et étrangère, et chercheuse associée au Centre franco-autrichien pour le rapprochement en Europe, décryptent la situation.
Introduction
La crise politique au Bélarus vient d’entrer dans son dixième mois. Depuis le 9 août 2020 où les résultats prétendus de l’élection présidentielle ont déclenché une vague de protestations à travers le pays, plus de 32 000 Bélarusses ont été arrêtés pour leur participation à ces manifestations. Environ 2500 affaires criminelles ont été ouvertes sur la base d’accusations à motifs politiques et plus d’un millier de cas de torture de manifestants en prison ont été répertoriés jusque-là. Actuellement, 290 personnes ont été reconnues comme prisonniers politiques. Au moins huit en sont mortes. En miroir à ce contexte répressif, pas une seule affaire n’a été ouverte contre la police ou les membres du gouvernement responsables de la violence à l’encontre des manifestants.
Le Bélarus s’est enfoncé dans une crise politique dont il n’est très certainement pas près de voir la fin prochainement. Le rôle des acteurs internationaux – en particulier la Russie et l’Union européenne (UE) – prend de l’importance dans cette crise prolongée. Cette note se penche brièvement sur la situation et le mouvement de contestation en Bélarus, en traitant plus en détail des perceptions de la crise et des réponses qui y sont apportées de la part de la Russie et de l’UE.
Le mouvement de protestation et l’opposition en exil
La protestation et les activités citoyennes se poursuivent au Bélarus jusqu’à ce jour. Elles ont changé de nature et diminué en taille mais n’ont jamais cessé. En raison de la répression brutale du régime à l’encontre des protestataires, ces derniers ne sont plus en mesure d’organiser des manifestations de masse, mais ils continuent à se rassembler dans leur voisinage et à organiser des événements de moindre ampleur. Le dur climat de l’hiver a également contribué à la diminution en taille et en régularité des manifestions. La désobéissance civile se poursuit sous la forme de grèves d’entreprise, d’activités étudiantes et d’affichage de symboles de protestation dans les lieux publics. Ces dernières ont donné bien du mal aux services de nettoyage municipaux, contraints aux pires acrobaties sur glace et sur des bâtiments de plusieurs étages pour décrocher les drapeaux blancs et rouges arborés par les manifestants. Le déploiement des forces de sécurité a empêché la tenue des grandes manifestations prévues pour le « Jour de la liberté », célébré par l’opposition bélarusse le 25 mars 2021. Malgré tout, au moins 250 personnes furent arrêtées à l’occasion des manifestations qui n’ont pas atteint le niveau de celles de l’automne 2020.
Une étude de janvier 2021 montre que beaucoup de Bélarusses conservent une opinion positive de la protestation contre le régime actuel (environ 44%) et croient que Aliaksandar Loukachenka quittera ses fonctions de présidents d’ici la fin 2021, voire plus tôt encore (environ 37%). Dans le même temps, environ 45% pensent que Loukachenka restera en place jusqu’à la fin du mandat présidentiel en cours jusqu’en 2024, voire encore au-delà. Environ 36% des répondants avaient une opinion négative vis-à-vis de la protestation en cours.
Les personnalités les plus en vue de la contestation bélarusse sont pour certaines en prison ou ont été contraintes de quitter le pays. Les procédures judiciaires concernant les dirigeants de l’opposition emprisonnés ne sont pas encore achevées et vont probablement durer longtemps. Leur sort est incertain, mais il est peu probable qu’ils soient libérés de sitôt.
Les dirigeants de l’opposition en exil poursuivent leur travail depuis l’étranger. Sviatlana Tsikhanouskaya – considérée par beaucoup comme la véritable gagnante des élections d’août 2020 – a activement défendu la cause de l’opposition auprès des dirigeants occidentaux, auxquels elle a demandé à plusieurs reprises de prendre des sanctions plus sévères à l’encontre de Loukachenka et de ses proches, et de soutenir l’appel à de nouvelles élections et à l’arrêt des violences. En mars 2021, Tsikhanouskaya a appelé à l’ouverture du dialogue entre l’opposition et le régime de Loukachenka avec l’aide de la médiation internationale. Si cet appel a pu stimuler le moral de ses partisans au Bélarus et attirer davantage l’attention des dirigeants occidentaux sur la situation dans le pays, il n’a guère été entendu par le régime bélarusse. Ce dernier fonctionne encore largement comme en gestion de crise : beaucoup d’énergie et d’argent sont consacrées à la répression à l’égard de la société, car elle est perçue comme cruciale pour la survie du régime. Entre-temps, la situation économique et sanitaire du pays est devenue encore plus désespérée.
Malgré la pression continue de l’opposition, le régime a de plus en plus le sentiment d’avoir pris le dessus sur l’opposition, en dépit du désordre général. Les dirigeants en exil ont peu de moyens de pression pour forcer Loukachenka à s’asseoir à la table des négociations. Les manifestations de masse semblent être le seul outil susceptible de lui redonner un sentiment d’insécurité. Si le retour d’un leader de l’opposition au Bélarus peut déclencher des manifestations de masse, il n’est pas certain qu’elles débouchent sur des concessions immédiates, à savoir des négociations. Pour les leaders de l’opposition eux-mêmes, leur retour au Bélarus signifierait l’emprisonnement.
Si Loukachenka lui-même peut jouer l’indifférence face aux appels au dialogue et aux protestations de la rue, c’est son principal allié – la Russie – qui représente une inquiétude bien plus grande pour son avenir politique.
La crise politique bélarusse et la Russie
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles la Russie a décidé de soutenir Loukachenka en août 2020, alors qu’il était confronté à un affrontement majeur avec la société bélarusse. Tout d’abord, il est une figure bien connue, même si peu appréciée, dans les cercles politiques moscovites. Il a été considérablement affaibli par les protestations des Bélarusses et a perdu sa légitimité auprès de la majorité des habitants du pays. Malgré cela, il a réussi à rester au pouvoir en s’appuyant sur ses proches loyalistes et sur l’appareil sécuritaire. Un Loukachenka affaibli n’a pas d’autre choix que de s’appuyer sur la Russie et est plus susceptible de céder à ses exigences. Tsikhanouskaya et d’autres membres de l’opposition ont affirmé être favorables à la Russie, mais ils sont des figures largement inconnues au Kremlin et représentent donc une plus grande incertitude. S’ils devaient prendre la tête du Bélarus, ils bénéficieraient également du soutien de l’Occident et auraient donc plus de poids en termes de négociations vis-à-vis de la Russie.
Poutine et Loukachenka sont tous deux des dirigeants autoritaires. Laisser Loukachenka tomber au Bélarus voisin à la suite d’une manifestation de masse créerait un précédent pour la population russe qui pourrait se sentir encouragée à reproduire une tentative similaire. Ce point est particulièrement sensible aujourd’hui, car la situation intérieure en Russie est tendue en raison de l’affaire Navalny et de ses retombées. Enfin, du point de vue du Kremlin, Loukachenka n’a pas besoin de rester président bien longtemps. Mais pendant la courte période où il sera encore au pouvoir, il pourrait assurer une transition du pouvoir conforme aux intérêts russes.
Les perspectives de l’élite russe concernant la crise bélarusse
La Russie considère les manifestations et la crise politique au Bélarus comme une tentative de mener une nouvelle « révolution de couleur ». Les élites politiques russes considèrent généralement que les révolutions de couleur sont fomentées depuis l’extérieur. Selon elles, les sociétés post-soviétiques sont incapables de s’auto-organiser à une échelle de masse et ont besoin d’un soutien extérieur pour provoquer un bouleversement politique. Toute forme d’agitation publique est également perçue comme une menace existentielle pour l’État. Cette perception est fondée sur l’évaluation de la propre expérience de la Russie en matière de transformations politiques radicales au cours du siècle dernier. Aujourd’hui, les élites perçoivent les années 1917 et 1991 comme des catastrophes et des effondrements de l’État national.
En gardant cela à l’esprit, les élites politiques russes voient la protestation bélarusse comme un projection de l’Occident. Les manifestations au Bélarus sont perçues comme des ingérences étrangères menées par la Pologne et les États baltes, où se trouvent désormais Tsikhanouskaya et de nombreux membres du Conseil de coordination, un organe d’opposition institutionnalisé, issu des manifestations. En outre, la chaîne populaire Nexta sur la plateforme de messagerie Telegram, utilisée par les manifestants pour se coordonner, et la chaîne de télévision bélarusse Belsat opèrent toutes deux depuis Varsovie, ce qui est avancé par les autorités russes comme une preuve supplémentaire de l’implication étrangère dans les manifestations bélarusses. Le fait que de nombreux dirigeants européens, dont le président Macron, aient rencontré Tsikhanouskaya pour discuter de la situation au Bélarus est également considéré comme une tentative de déstabilisation politique dans ce pays, en recevant un dirigeant « illégitime » à un niveau aussi élevé.
Les fonctionnaires et les médias d’État en Russie encouragent cette rhétorique, qui est liée à la perception qu’a la Russie de son rôle dans son voisinage. La Russie perçoit le Bélarus, ainsi que d’autres pays post-soviétiques, comme ayant obtenu leur indépendance uniquement grâce à la dissolution de l’Union soviétique. En outre, la propre identité de la Russie est fluide et va volontiers au-delà des frontières de l’État. Par conséquent, du point de vue russe, le soutien de l’UE au peuple bélarusse est considéré comme une intervention étrangère, tandis que le soutien de la Russie à Loukachenka est considéré comme légitime. En tant que frère slave – et certainement l’aîné des deux –, la Russie estime qu’elle a pour rôle d’empêcher sa famille de s’effondrer. Quoi qu’il en soit, c’est la leçon qu’elle a tirée du cas ukrainien.
La réforme constitutionnelle bélarusse et les intérêts de la Russie
La réponse de Loukachenka à la protestation a été d’annoncer une réforme constitutionnelle. Il a mentionné cette réforme pour la première fois en 2018, alors qu’il était encore un dirigeant fort et qu’il envisageait une transition de pouvoir contrôlée, vers un dauphin qui lui soit fidèle. Une réforme constitutionnelle se déroulerait aujourd’hui dans un environnement complètement différent. En février 2021, Loukachenka a annoncé à l’Assemblée populaire du Bélarus – un rassemblement de fidèles du régime triés sur le volet – que les propositions détaillées de cette réforme constitutionnelle seraient présentées d’ici la fin de l’année. Cela démontre une fois de plus sa volonté de ralentir le processus afin de ne pas réaliser cette réforme de sitôt. Loukachenka lui-même veut rester au pouvoir, même si ce n’est pas nécessairement en tant que président. Si la réforme constitutionnelle – dont les contours restent encore flous – est menée à bien sous Loukachenka, elle se résumera à une série de changements purement décoratifs. Les manifestants et l’opposition ne prennent de toute façon pas cette annonce au sérieux, car elle ne répond pas à leur revendication centrale, à savoir de nouvelles élections équitables sans Loukachenka.
Moscou a également intérêt à un changement constitutionnel au Bélarus. Toutefois, leurs visions de ce changement peuvent différer considérablement. L’intérêt de Moscou pour la réforme résiderait dans la décentralisation du système politique. Si la verticalité du pouvoir de Loukachenka est décomposée en plusieurs centres, ceux-ci pourraient être occupés par des personnes plus arrangeantes vis-à-vis de la Russie. Cela concerne non seulement le gouvernement et le parlement, mais aussi les entreprises publiques qui pourraient être privatisées, les médias, le domaine de l’éducation, etc.
Selon Moscou, Loukachenka est un acteur acceptable pour mener à bien la transition, mais il devrait quitter la scène politique par la suite. Il est, en effet, considéré comme un partenaire peu fiable du Kremlin, ayant construit toute sa campagne préélectorale sur des sentiments anti-russes, repoussant et demandant l’aide de Moscou au gré de l’assise de son pouvoir au Bélarus.
Dans le même temps, les relations politiques de la Russie avec le Bélarus sont passées par l’intermédiaire de Loukachenka au cours des vingt-six dernières années. Il n’est donc pas facile pour le Kremlin de trouver une alternative à ce dernier, même s’il est considéré comme un partenaire difficile. Aussi faible que semble être la position du dirigeant bélarusse vis-à-vis de la Russie à l’heure actuelle, il dispose encore d’une certaine marge de manœuvre. C’est pourquoi, outre la réforme constitutionnelle qui pourrait être concédée par Loukachenka, la Russie cherche également des moyens de le contraindre à une intégration plus forte par le biais de l’Union de la Russie et du Bélarus, un projet confédéral lancé en 1997.
Une présence russe potentiellement encore plus forte au Bélarus pourrait ne pas être bien accueillie par la société. Si la population bélarusse a une attitude globalement amicale à l’égard des Russes, une identité nationale bélarusse distincte a émergé au cours des trente dernières années et a été renforcée par le mouvement de protestation de 2020-2021. Dans le même temps, la Russie a considéré comme acquise son influence au Bélarus après l’effondrement de l’URSS, investissant peu de ressources dans des politiques pertinentes au cours des années suivantes. En soutenant Loukachenka, la Russie s’oppose à l’opinion publique bélarusse qui a évolué. Les données d’enquête de novembre 2020 montrent que la proportion de Bélarusses soutenant l’union avec la Russie a chutée de 11% par rapport à septembre. Cela pourrait indiquer la formation d’une nouvelle tendance, selon le sociologue bélarusse Andrey Vardamatski.
La crise politique bélarusse et l’Union européenne
Ce n’est qu’après près de deux mois de protestations pacifiques de la société bélarusse que l’Union européenne est finalement parvenue à un accord pour imposer les premières mesures restrictives – interdiction de voyager et gel des avoirs – à l’encontre de certaines personnalités du régime. Il a fallu attendre un mois de plus pour que Loukachenka lui-même soit sanctionné. Au total, à la fin du mois de décembre 2020, l’UE a imposé des sanctions à l’encontre de 88 fonctionnaires et de 7 entreprises, opérant pour la plupart dans le secteur militaire, contre 243 individus et 32 entreprises en 2010-2011 imposées dans un même contexte, bien que le recours à la violence par le régime soit cette fois sans précédent. Un embargo sur les armes à destination du Bélarus est déjà en vigueur depuis 2011. Outre les sanctions de l’UE, la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) ont temporairement cessé la plupart de leurs activités au Bélarus.
Les sanctions européennes de 2020 contre le Bélarus ont été jugées trop faibles par l’ensemble de la communauté internationale, notamment parce qu’elles ont été imposées trop lentement. D’une part, cela est dû au fait que l’UE ne voulait pas envoyer un message d’emblée trop dur vis-à-vis du régime, car le président Macron et la chancelière Merkel espéraient que l’Union pourrait devenir un médiateur dans le conflit. D’autre part, le problème de l’unanimité dans les affaires étrangères a empêché l’UE de prendre une décision plus rapidement. La réaffectation de l’argent prévu pour l’État bélarusse directement à la société civile en août (53 millions d’euros, y compris le fonds d’urgence pour lutter contre le coronavirus) et en décembre 2020 (24 millions d’euros) a constitué en revanche un soutien bienvenu. De manière générale, l’une des premières réactions du côté de l’UE a été l’appel lancé par le Haut Représentant de l’UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, à la Russie pour qu’elle n’intervienne pas au Bélarus.
Contrairement aux actions, la rhétorique de l’UE fut très claire dès le début : l’Union et ses États membres ont refusé de reconnaître Loukachenka comme président du pays après les élections d’août 2020. L’UE a condamné à plusieurs reprises le recours à la violence, les poursuites criminelles et la torture des manifestants au Bélarus. En outre, après les élections, de nombreux chefs d’État et de gouvernement ainsi que des ministres des Affaires étrangères ont rencontré Sviatlana Tsikhanouskaya. Ils lui ont promis de soutenir la société civile et se sont associés à son appel en faveur de nouvelles élections, de la libération immédiate de tous les prisonniers politiques et de la fin des violences.
L’UE doit toutefois rester réaliste : si les sanctions sont un signe important de soutien à la société civile bélarusse et un signe de mécontentement à l’égard du régime, elles n’auront pas l’effet de levier nécessaire pour modifier le comportement de Loukachenka. Le marché de l’UE est également important pour le Bélarus, mais le pays est bien plus dépendant de la Russie.
La réponse des États membres de l’UE
Tout en laissant à Bruxelles le soin de régler les questions stratégiques relatives aux relations entre le Bélarus et l’UE, plusieurs États membres ont commencé à apporter une aide à court terme à la société bélarusse afin de maintenir les contacts entre les peuples et de ne pas isoler le pays.
Dès le début du mois de septembre 2020, les États baltes qui, géographiquement et historiquement, entretiennent des relations étroites avec le Bélarus ont uni leurs forces et émis une interdiction d’entrée sur leur territoire à l’encontre de Loukachenka et de 29 autres fonctionnaires bélarusses. Diverses ambassades et consulats, notamment les représentations polonaise, estonienne, lettone et lituanienne, ont commencé à délivrer des visas à des fins professionnelles et humanitaires de manière très rapide et non bureaucratique. En outre, de nombreuses universités de l’UE – par exemple dans les pays baltes, en Pologne, en Slovaquie et en République tchèque – ont offert des bourses d’études aux étudiants bélarusses qui avaient été expulsés de leurs universités après avoir pris part aux manifestations dans leur pays.
En réponse à ces actions, le Bélarus a expulsé des diplomates lituaniens et polonais. En signe de solidarité, de nombreux États membres européens, dont la France, ont rappelé temporairement leurs ambassadeurs. Ces actions représentent un soutien important pour la société civile bélarusse qui affecte sa perception de l’UE.
La perspective de l’UE concernant la crise bélarusse
Les médias des États membres de l’UE ont constamment associé les manifestations à un changement et à un soulèvement démocratique du peuple bélarusse. Cependant, les efforts de la société bélarusse, surtout au début du soulèvement, n’étaient pas nécessairement liés à une démocratisation du système : les protestations ne semblaient pas se nourrir d’une vision politique de quelque couleur que ce soit et n’avaient rien d’un choix évident entre système démocratique et système autocratique. Une étude montre qu’en janvier 2020, 52% des Bélarusses pensaient que leur pays allait dans la mauvaise direction, alors que seuls 29% étaient confiants dans la voie de Loukachenka. La mauvaise gestion de la pandémie de Covid-19 n’était que la pointe de l’iceberg dans un système global au fonctionnement calamiteux. Les Bélarusses voulaient faire entendre leur voix, avoir le droit d’exprimer leur opinion et élire eux-mêmes un dirigeant. La colère et le mécontentement des citoyens à l’égard du système actuel peuvent être perçus comme la source du soulèvement public, c’est pourquoi l’UE considère les protestations comme une affaire purement intérieure, contrairement à la Russie qui y a vu là une ingérence de la part des États baltes et de la Pologne. Ce n’est qu’avec la création du Conseil de coordination que la « démocratisation » est devenue un objectif plus clair de la part du mouvement de protestations.
Le degré d’observation des protestations et de la répression violente au Bélarus varie en sein de l’UE. Les voisins directs du pays, la Lituanie et la Pologne, qui partagent également une histoire commune, sont les plus ardents défenseurs de la société civile bélarusse. Dans de nombreux pays d’Europe, des manifestations de solidarité ont été organisées à différentes échelles et fréquences, souvent à l’initiative de la diaspora bélarusse qui, dans de nombreux pays, n’a commencé à se former que pendant les manifestations.
Conclusion
La méfiance générale à l’égard de la politique internationale – le multilatéralisme dans les enceintes internationales étant remis en cause par un certain nombres d’États – et les tensions accrues entre la Russie et l’UE réduisent encore l’espace pour une discussion commune sur l’avenir du Bélarus.
La perception du soulèvement bélarusse à l’Est et à l’Ouest est très différente. Les élites russes considèrent que la contestation du pouvoir est orchestrée par l’Occident, tandis que l’UE la considère comme une question purement nationale. La Russie porte un grand intérêt au Bélarus, en termes de sécurité, d’économie, de culture, etc. Pour l’UE, la stabilité dans ces pays voisins est essentielle. En outre, elle doit poursuivre l’objectif clair de la Commission actuelle pour mettre en place une politique européenne globale, une UE « géopolitique » et stratégiquement autonome. L’UE ne pourrait pas promouvoir une implication plus forte sur d’autres continents tout en restant affaiblie en Europe même. Elle est consciente que sa présence comparativement moindre au Bélarus dans les années précédant la crise politique en est la cause, c’est pourquoi il est peu probable qu’elle puisse renverser le cours des événements. Après tout, pour être durable, le changement doit venir de l’intérieur du pays. Et c’est ici que le soutien de l’UE à la société civile au Bélarus, ainsi que la réduction des ressources du régime s’avèrent très précieux.
La Russie, quant à elle, dispose clairement d’un moyen de pression au Bélarus. Le Bélarus a été membre de tous les projets multilatéraux dirigés par la Russie, notamment l’Union économique eurasienne, l’Organisation du traité de sécurité collective, la Communauté des États indépendants et l’Union de la Russie et du Bélarus. Le pays accueille deux installations militaires russes qui revêtent une importance stratégique pour la présence russe dans le monde. Le pays est également très dépendant des ressources énergétiques russes et la Russie est le principal partenaire commercial du Bélarus. Les deux pays sont également proches sur le plan culturel.
On peut néanmoins se demander combien de temps encore Loukachenka restera au pouvoir, car il n’est pas un partenaire prometteur, ni pour la Russie, ni pour l’UE, ni pour le peuple bélarusse. La Russie a tout intérêt à ce que le Bélarus, son partenaire dans divers formats multilatéraux, continue d’avoir un dirigeant pro-russe. Parallèlement, l’UE cherche à établir de bonnes relations avec le Conseil de coordination nouvellement formé. Le Conseil de coordination a indiqué qu’il n’avait pas l’intention de modifier la politique étrangère du pays, ce qui montre qu’il a toujours l’intention d’entretenir des relations amicales avec la Russie. Toutefois, ses liens étroits avec l’UE en font un partenaire moins probable pour le Kremlin, surtout dans le contexte des relations globalement tendues entre l’UE et la Russie. Dans une certaine mesure, la crise au Bélarus est déjà devenue une partie du conflit géopolitique plus large entre la Russie et l’Occident, du moins dans la perception de Moscou et de certains États membres de l’UE, notamment la Pologne ou la Lituanie. La géopolitique mise à part, pour les citoyens bélarusses, le point de non-retour a déjà été franchi : la mentalité des citoyens bélarusses a changé et ils ne supporteront plus en silence les choses qu’ils n’approuvent pas. Ainsi, Loukachenka ne retrouvera pas la légitimité populaire et ne parviendra à rester au pouvoir qu’en s’appuyant sur des répressions continues – un scénario malheureusement très probable pour les mois, voire les années à venir. L’UE devrait s’engager à soutenir les Bélarusses à tous les niveaux possibles, en prenant en compte la situation dans son ensemble : en soutenant les forces démocratiques aujourd’hui, l’UE investirait dans une présence plus forte au Bélarus à l’avenir et donc, dans un voisinage plus stable.