Alors que le 8 avril 2013, le président de la République installait l’Observatoire de la laïcité, l’historien Ismail Ferhat revient sur les rapports que les socialistes entretiennent, depuis le Congrès d’Epinay, à la laïcité, pilier identitaire du Parti, particulièrement dans les périodes troublées.
Le Parti socialiste (PS), dès ses origines, s’est nourri de laïcité, en faisant un pilier identitaire. Pour les socialistes, elle constitue plus qu’une référence intellectuelle, représentant une source de stabilité et de continuité surtout dans les périodes les plus troublées. De même, elle a été un enjeu interne pour la SFIO, puis le PS.
Cette racine, plongée profondément dans l’histoire du socialisme français, a connu une évolution paradoxale du Congrès d’Epinay en 1971 à la loi sur les signes religieux à l’école en 2004. Cet attachement a été régulièrement questionné depuis les années 1980 par la place importante que la laïcité a eue dans le débat hexagonal. Ce questionnement a connu trois strates successives.
La première période, pendant les années 1970, a été celle d’une référence laïque forte, confrontée à une hétérogénéité croissante des publics socialistes. Si le Congrès d’Epinay ne constitue pas une rupture dans le lien entre PS et laïcité, il suscite deux transformations : le rôle des courants s’accroît dans le jeu interne du PS et se constitue le premier courant « chrétien » du PS. Avec l’adhésion des chrétiens de gauche au PS (1971-74), le positionnement du Parti en matière de laïcité devient plus complexe, notamment à partir de 1977.
La seconde période, allant de 1981 à 1989, déstabilise le PS quant au périmètre d’application de la laïcité et est marquée par la querelle sur la loi Savary, qui signe l’affaiblissement de la galaxie laïque au sein de la gauche. Cette évolution est liée à la reconnaissance par le PS des « consommateurs d’école ». Dans cette période, la culture politique des socialistes change aussi au contact du pouvoir et des mutations sociales. Les nouveaux membres du PS sont marqués par les valeurs du « libéralisme culturel ». Le retrait de la loi Savary, en 1984, a entraîné au sein du PS une « coexistence pacifique » et clôt le chapitre des affrontements entre gauche et enseignement catholique. A partir de 1984, c’est la question de l’islam qui remplace ce conflit. Le changement de la perception à l’égard de cette religion est catalysé par « l’affaire du foulard » (1989), qui prend rapidement une ampleur nationale et suscite des divisions au sein des rangs socialistes.
A partir de là s’ouvre une troisième période qui est le moment d’un débat sur la laïcité dite « ouverte ». « L’affaire du foulard » éclaire brusquement certaines tensions internes au PS. Au Congrès de Rennes (1990), le camp fabiusien tient une position hostile aux signes religieux à l’école. A l’opposé, une partie des socialistes affirment vouloir une « laïcité ouverte », mais pour les militants laïques cette notion est inacceptable. A la fin des années 1990, après des mouvements de balancier, le consensus interne au PS revient à son centre de gravité historique sur le sujet laïque. Puis ce consensus vient à nouveau être interrogé à partir de 2003 avec le resurgissement de la question de foulard à l’école. Le débat fait réapparaître des divergences entre socialistes. Le rapprochement est favorisé par l’établissement de la commission Stasi (2003), première étape vers le vote consensuel des députes et sénateurs du PS en faveur de la loi sur les signes religieux à l’école publique du 15 mars 2014.