L’actualité internationale a, plus que jamais, relancé les débats sur la nécessité d’une défense européenne. La guerre en Ukraine aux portes de l’Union européenne a renforcé l’attention des pays de l’Est de l’UE pour leur sécurité face aux menaces multiples. Quelles politiques de défense nationale portent-ils et quels rapports entretiennent-ils dans ce cadre au sein de l’UE et avec l’OTAN ? Renaud Bellais1Co-directeur de l’Observatoire de la défense – Orion de la Fondation Jean-Jaurès., Amélie Zima2Chercheuse spécialisée en sécurité européenne à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem)., Florent Parmentier3Secrétaire général du Cevipof, chercheur associé à HEC., Céline Bayou4Chercheuse associée au Centre de recherche Europe-Eurasie (CREE) de l’Inalco. et Thibault Delamare5Docteur en droit public. apportent des éclairages sur les questions de défense vues de Varsovie, Sofia, Tallinn et Bucarest.
Introduction, par Renaud Bellais
L’Union européenne est composée de pays d’une grande hétérogénéité en termes de perceptions de menaces, de ressources militaires, de géographie et d’histoire. Penser la défense européenne uniquement depuis Paris est, de ce fait, insuffisant. La compréhension des enjeux – et des réponses à y apporter – requiert de connaître et comprendre les positions des autres pays en Europe, en particulier lorsqu’ils sont à proximité de l’Ukraine et donc confrontés au retour de la guerre interétatique sur le sol européen.
La défense du territoire européen et des nations qui le composent doit se construire en prenant en considération cette diversité. Cette dernière constitue à la fois un défi pour converger vers une approche commune et une opportunité afin de croiser les regards et ainsi mettre en place une défense commune répondant aux attentes de l’ensemble des citoyens européens.
Ce détour par d’autres pays européens s’impose afin d’éclairer les discussions en France sur la défense nationale et les orientations collectives en Europe, car la géographie s’impose à tous. Sur un continent aussi composite que le nôtre, il est donc nécessaire de composer avec les regards de tous au risque, sinon, de ne pas être capables de construire un projet partagé de sécurité collective.
L’adoption de la Boussole stratégique de l’Union européenne a constitué un progrès notable en mars 2022, mais nous sommes loin de parvenir à un Livre blanc de la défense européenne. Pour aller plus loin, que disent nos partenaires d’Europe de l’Est ? Quelles sont leurs analyses des menaces et des besoins en sécurité internationale ? Comment envisagent-ils de se protéger et avec quels partenaires ?
Sur le chemin de Bruxelles, il est indispensable de passer par Varsovie, Sofia, Tallinn ou Bucarest pour identifier le projet de défense collective que nous, Européens, pouvons construire ensemble. L’Observatoire de la défense de la Fondation Jean-Jaurès est très heureux d’avoir pu regrouper dans cette note les éclairages d’experts renommés qui nous apportent leur lecture des enjeux de défense dans l’Est de l’Europe.
Amélie Zima analyse l’exemple de la Pologne. Docteure en science politique, Amélie Zima est chercheuse à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM). Elle a notamment publié le Que sais-je ? sur l’OTAN (PUF, 2023) ainsi que l’article « La politique de défense de la Pologne dans le contexte du Brexit : bilatérale, multilatérale ou flexilatérale ? » (Politique européenne, vol. 70, n°4, 2021).
Florent Parmentier porte son attention sur la Roumanie et la Bulgarie. Secrétaire général du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), il est chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a notamment codirigé, avec Pierre Verluise, la publication de l’ouvrage Géopolitique de l’Europe trois décennies après l’ouverture du Rideau de fer (Diploweb, 2020).
Céline Bayou apporte son expertise sur la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie. Docteure en civilisation russe et est-européenne de l’Inalco, elle est rédactrice en chef de la revue Regard sur l’Est, revue en ligne spécialisée sur l’espace post-communiste, et chercheure associée au Centre de recherches Europes-Eurasie de l’Inalco. Elle a récemment publié l’entretien « Pour les Baltes, la Russie n’a jamais cessé d’être une menace désormais primordiale » dans L’éléphant (n°41, janvier 2023) et les articles « Les États baltes et l’indispensable défaite stratégique de la Russie » (Servir, n°518, 2022) et « Pays baltes : les prochains sur la liste ? » (Politique internationale, n°175, 2022).
Ces trois contributions soulignent la diversité et parfois les divergences des approches sur le territoire européen. Elles montrent à quel point les Français doivent prendre un certain recul par rapport à leur propre regard sur la défense de l’Europe. Ceci ne signifie pas d’abandonner notre compréhension des fondements de la politique de défense, mais de l’enrichir à l’aune des attentes de nos amis est-européens.
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Abonnez-vousLes États-Unis, l’Union européenne ou l’OTAN : quelles orientations pour la politique de défense de la Pologne ?, par Amélie Zima
La Pologne est souvent considérée comme le pays le plus atlantiste d’Europe centrale. Cet atlantisme semble se traduire par un alignement systématique sur les positions américaines au détriment de la solidarité européenne et par une préférence pour le matériel militaire américain. Toutefois, une analyse plus détaillée montre que l’atlantisme polonais a connu des hauts et des bas. Les relations avec les États-Unis ont atteint un point culminant avec la participation de la Pologne à l’invasion américaine de l’Irak, puis la Pologne s’est orientée vers le développement de la défense européenne et la diversification de ses partenaires stratégiques. Toutefois, lorsque l’intégrité territoriale du pays est en jeu, l’OTAN et les États-Unis restent prioritaires.
De l’Atlantisme au tournant vers l’UE
Suite à la chute du mur de Berlin, les orientations de la politique étrangère et de défense de la Pologne sont en partie influencées par le passé puisque l’objectif principal est de désencastrer la Pologne, prise entre les voisins allemand et russe qui ont causé sa ruine à plusieurs reprises. La position géographique désavantageuse de la Pologne doit être transformée en un atout en devenant une plaque tournante régionale. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement met en place une politique dite des « petits pas » : d’abord dissoudre le pacte de Varsovie et obtenir la reconnaissance par l’Allemagne de la ligne Oder-Neisse pour ensuite s’engager dans une politique d’intégration euro-atlantique et refondre la coopération régionale.
Cette période est également caractérisée par le développement de l’atlantisme. Les pressions de Washington sur le gouvernement allemand pour accélérer les négociations, après la signature du traité de paix clôturant la Seconde Guerre mondiale en 1990, sur la reconnaissance de la ligne Oder-Neisse font prendre conscience au gouvernement polonais que les États-Unis restent un acteur majeur sur la scène européenne et que leur présence peut contribuer à résoudre le dilemme de sécurité polonais.
L’atlantisme polonais se caractérise aussi par la volonté de rejoindre l’OTAN qui représente non seulement une communauté de valeurs démocratiques et libérales, mais aussi un moyen de maintenir les troupes américaines en Europe et de préserver la stabilité du continent. Cela est d’autant plus important que le début des années 1990 est marqué par des tensions et des incertitudes dues à l’émergence de nouveaux États et à la recomposition des alliances (dissolution de l’URSS, guerres en ex-Yougoslavie, partition de la Tchécoslovaquie). Il est donc nécessaire de prouver que les États-Unis et les États européens partagent les mêmes valeurs et doivent maintenir leur alliance.
La présence américaine est également considérée comme un moyen de prévenir toute faiblesse possible des pays d’Europe occidentale. En effet, certains dirigeants polonais estiment que ces pays ont été bien trop passifs lors de la Seconde Guerre mondiale, de l’invasion de la Pologne par les nazis à la mise sous tutelle soviétique. Après 1989, il existe une crainte que cette attitude ne réapparaisse en cas de tensions entre la Russie et l’Europe centrale.
Après son adhésion en 1999 à l’OTAN, la Pologne poursuit une politique étrangère et de défense atlantiste et pro-américaine. Cette politique s’incarne tant dans les achats d’équipements militaires, avec le choix en 2002 d’avions de chasse F16 fabriqués par Lockheed Martin, que dans la participation aux opérations menées par les États-Unis comme la guerre en Irak (2003-2008).
Cependant, cette position atlantiste ne conduit pas la Pologne à négliger ses propres capacités. La modernisation des forces armées est alors une priorité nationale quel que soit le gouvernement et reflète la volonté de faire entendre sa voix dans les organisations internationales telles que l’OTAN et l’Union européenne (UE) grâce à sa puissance militaire. Concernant le rapport entre ces deux organisations que la Pologne rejoint respectivement en 1999 et 2004, les politiciens polonais ont conceptualisé un partage du fardeau : l’OTAN assure la sécurité territoriale alors que l’UE, à laquelle les Polonais sont toujours très favorables, garantit les autres aspects de la sécurité tels que la sécurité économique et énergétique.
Si la guerre en Irak marque l’apogée de l’atlantisme polonais, elle est suivie d’une réorientation de la politique étrangère et de sécurité. En effet, le soutien aux actions américaines n’apporte pas les dividendes escomptés. Les entreprises polonaises ont obtenu peu de contrats pour la reconstruction de l’Irak et Washington a refusé de lever l’obligation de visa pour les citoyens polonais. De plus, la politique de « Reset », lancée en 2009 par l’administration Obama, qui vise à améliorer les relations entre les États-Unis et la Russie, ainsi que le désengagement américain de l’Europe au profit du Pacifique ont conduit à une rétrogradation de l’importance de l’Europe centrale dans l’agenda américain. Ces déceptions coïncident avec l’élection du gouvernement libéral pro-européen de la Plateforme civique (PO) en 2007 et à l’adoption de nouvelles orientations.
La PO, emmenée par l’ancien Premier ministre Donald Tusk, soutient un rééquilibrage de la relation transatlantique par le développement de la politique de défense de l’UE. De plus, la Pologne souhaite ainsi renforcer sa position au sein de l’UE en jouant l’une des cartes dont le pays dispose en tant que puissance militaire régionale. C’est ainsi que le renforcement de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) est l’une des principales priorités de la présidence polonaise du Conseil de l’UE en 2011. Néanmoins, cet engagement n’aboutit pas à des réalisations concrètes : la proposition polonaise de créer un Quartier général européen reste lettre morte, principalement en raison de l’opposition britannique.
L’orientation pro-européenne de la PO se heurte aussi à l’annexion de la Crimée par la Russie et au déclenchement de la guerre dans le Donbass ukrainien. Le gouvernement PO opère alors un basculement vers l’OTAN. Dès 2014, le ministre de la Défense demande le renforcement du flanc oriental de l’Alliance atlantique et le stationnement permanent de forces de l’OTAN en Pologne. Ainsi l’Alliance reste considérée comme la seule à même de garantir la défense territoriale de la Pologne.
Le gouvernement PiS, au pouvoir entre 2015 et 2023, a entériné une place secondaire pour l’UE dans la politique de défense. Si la Pologne a rejoint le Fonds européen de défense et la Coopération structurée permanente, cette dernière doit servir à compléter les capacités de défense de l’OTAN. La Boussole stratégique est considérée de façon positive car elle évite toute concurrence entre l’UE et l’OTAN. Plus généralement, le Premier ministre Morawiecki a énoncé le rôle secondaire de l’UE en affirmant qu’elle faisait partie des garanties de sécurité sous l’égide de l’OTAN.
La guerre en Ukraine : vers la construction de la première armée d’Europe ?
Suite à son arrivée au pouvoir en 2015 et plus encore depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, le gouvernement conservateur PiS a maintenu et renforcé son orientation atlantiste de la Pologne.
D’une part, le gouvernement a créé le « service militaire volontaire » (le service militaire ayant été aboli en 2009 par le gouvernement PO). Ce nouveau service est basé sur une formation de douze mois et suscite des vocations en raison d’incitations fortes dont les principales sont un salaire versé dès le premier mois et une priorité pour l’accès aux emplois publics dès la fin du contrat avec l’armée, sous réserve d’avoir les diplômes requis et de faire face à un candidat qui n’aurait pas fait le service. Depuis sa mise en place, plus de 14 000 recrutements ont été enregistrés. Cette loi doit permettre d’atteindre l’ambitieux objectif fixé par le gouvernent PiS d’avoir une armée de 250 000 hommes (contre 122 000 aujourd’hui).
En sus de cette loi, un programme massif de réarmement a été lancé grâce à l’augmentation du budget de la défense porté à 3% du PIB et à la création d’un fonds spécial pour l’armement. Dès les premiers jours de la guerre en Ukraine, des commandes ont été passées principalement auprès des États-Unis, de la Corée du Sud et du Royaume-Uni (chars, systèmes anti-aériens, artillerie, missiles, frégates…). Cependant, cette politique suscite des interrogations et des critiques.
D’abord, le constat de l’agressivité russe est fait de longue date par les responsables politiques polonais. Pourtant, des retards ont été pris dans le processus de modernisation des armées, notamment depuis que le gouvernement PiS est au pouvoir. Il y a donc une urgence à rattraper ce retard en lançant des commandes tous azimuts. Par ailleurs, certains de ces contrats ont été négociés très rapidement, ce qui posent des questions de transparence et de reddition des comptes.
De plus, les firmes polonaises ne profitent guère de la politique de réarmement menée par le gouvernement PiS. Ainsi parmi les commandes coréennes figurent des obusiers et des mortiers, alors même que l’industrie polonaise en produit pour l’armée ukrainienne qui les juge efficaces. L’appel aux firmes nationales faciliterait pourtant la maintenance, la logistique et de l’approvisionnement en munitions. Pour justifier cette décision, le gouvernement PiS invoque leur incapacité à produire en grande quantité. Mais si la modernisation avait commencé dès mi-2010 comme indiqué par plusieurs rapports et non dans la précipitation en 2022, l’industrie polonaise aurait sans doute pu progressivement augmenter ses volumes de production. Enfin, une dernière critique porte sur la nature même des commandes, qui concernent principalement le matériel lourd au détriment des moyens de communication et de l’équipement individuel du soldat. Il semblerait donc qu’il y a un hiatus entre la politique d’armement et la volonté d’augmenter le nombre de soldats.
Selon certains observateurs, les retards pris dans la modernisation de l’armée seraient dus à la création par le gouvernement PiS de la Garde territoriale (WOT), cinquième branche des forces armées. Cette Garde doit seconder l’armée en cas de catastrophe naturelle, mais aussi lutter contre la désinformation, participer au contrôle des frontières et œuvrer pour la diffusion des sentiments patriotiques. Pour ce faire, les gardes territoriaux reçoivent une formation initiale de seize jours, puis mensuelle. Le budget alloué à la Garde est plus élevé que celui de la marine ou des forces spéciales (qui est la quatrième branche des armées en Pologne) : 1,4 milliard de zlotys (300 millions d’euros) contre 1 milliard pour la Marine (220 millions d’euros) et 600 millions pour les forces spéciales (130 millions d’euros). La Garde compte actuellement 32 000 hommes, ce qui est bien en deçà de l’objectif initialement fixé de 55 000 hommes en 2019. Si les objectifs fixés par le PiS étaient atteints, la Pologne pourrait ainsi aligner près de 300 000 hommes et avoir la première armée de terre d’Europe.
Cependant, les réserves émises pour ces projets font douter de leur faisabilité. De plus, la victoire aux élections législatives d’octobre 2023 d’une large opposition composée de partis libéraux, centristes, écologistes et sociaux-démocrates (Coalition civique, Troisième Voie et Nouvelle Gauche) interrogent quant à la continuité de ces différents projets en raison de leur orientation plus pro-européenne et des réserves émises à l’encontre du projet de réarmement.
Ainsi, l’analyse des évolutions de la politique de défense polonaise montre des inflexions selon les conjonctures et les couleurs des gouvernements. L’atlantisme reste une variable lourde mais n’est pas une constante inéluctable et peut-être compatible avec une certaine forme d’engagement au sein de la politique de sécurité de l’UE. Néanmoins, l’annexion par la Russie de la Crimée et la guerre dans le Donbass démontrent qu’en cas de tension forte les pays d’Europe centrale se tournent toujours vers Washington et l’OTAN qui restent considérés comme les garants majeurs de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Pologne.
La Roumanie et la Bulgarie face aux conséquences de la guerre en Ukraine, par Florent Parmentier
Pays ayant appartenu à l’Empire ottoman, au bloc communiste et maintenant à l’espace euro-atlantique, disposant d’un accès à la mer Noire et d’une proximité avec l’espace balkanique, la Roumanie et la Bulgarie partagent des perspectives communes en matière de sécurité internationale, distinctes de celles de l’axe Pologne/États baltes. La guerre en Ukraine vient toutefois bouleverser un environnement régional de sécurité complexe, laissant ces deux États de la frontière orientale face à des défis conséquents.
Une intégration européenne réussie couplée à une faible influence interne
À la faveur de la politique d’élargissement des structures euro-atlantiques dans les années 1990, la Roumanie et la Bulgarie sont devenues membres de l’OTAN en 2004, puis de l’Union européenne en 2007. À ce titre, ces deux États participent aux exercices militaires et aux missions de maintien de la paix, et sont soumis aux règles et aux institutions de l’UE.
Bien qu’appartenant aux mêmes structures, il est important de préciser que les relations respectives des deux pays avec la Russie sont différentes : là où la Bulgarie a connu des relations étroites avec la Russie, pour des raisons historiques, culturelles (Slaves orthodoxes), politiques et économiques (notamment en matière de politique énergétique), la Roumanie, pays latin, en a toujours été plus éloignée. Ainsi, la Bulgarie est certainement davantage perméable aux entreprises de manipulation de l’opinion publique par la Russie, même si la Roumanie n’est pas immunisée non plus.
Toutefois, la capacité de ces deux États au sein des institutions européennes reste limitée. Ils n’ont pas pu créer une alliance régionale comparable à celle du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie) afin de faire maximiser leur influence. En effet, la réputation de ces États est entachée par l’importance de la corruption et de la criminalité organisée, justifiant pour l’Autriche de les laisser en dehors de la zone Schengen. De fait, les deux pays ont été critiqués par les institutions européennes au sujet de l’État de droit (en particulier les réformes en matière judiciaire) et leur niveau de développement économique reste sensiblement en deçà de celui de l’Europe centrale. Ainsi, ils participent activement à des initiatives de coopération régionale, telles que la coopération des pays des Balkans occidentaux, la coopération de la mer Noire et la Stratégie de l’UE pour la région du Danube, mais ils n’y exercent pas de leadership fort.
La guerre en Ukraine bouscule un environnement régional complexe
Avec les guerres de décomposition de la Yougoslavie dans les années 1990, la Roumanie et la Bulgarie avaient déjà été confrontées à des menaces de sécurité à leurs frontières : tensions ethniques et nationalistes, conflits non résolus, migrations et réfugiés, corruption et criminalité organisée, entreprises de déstabilisation régionales et internationales et enfin fragilités économiques et sociales.
Toutefois, la guerre en Ukraine vient davantage encore perturber cet environnement régional de sécurité, dès 2014 avec l’annexion de la Crimée, puis en 2022 du fait d’un afflux de réfugiés jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale et de transferts massifs d’armes en soutien aux troupes ukrainiennes, réduisant significativement les réserves stratégiques. De plus, la situation de la mer Noire n’a fait qu’accentuer leurs préoccupations géostratégiques en termes de sécurité maritime, de sécurité environnementale et d’accès aux routes commerciales, notamment à l’occasion de la conclusion de l’accord céréalier de la mer Noire. Pour l’heure, l’essentiel du pouvoir dans cette région se partage entre la Russie et la Turquie, les autres États riverains (Ukraine, Bulgarie, Roumanie, Géorgie) jouant un rôle plus limité.
Les élites politiques roumaines, si elles se méfient de la Russie, ne sont guère proches historiquement de l’Ukraine, notamment dans les milieux nationalistes (ces derniers étant plus intéressés par le sort de la Moldavie). Ainsi, en mars 2023, la sénatrice nationaliste non affiliée du Parlement roumain Diana Shoshoake a soumis un projet de loi proposant d’annexer une partie de la région sud de l’Ukraine à la Roumanie et de dénoncer l’accord de bon voisinage et de coopération entre l’Ukraine et la Roumanie. Elle a également appelé à l’annexion du nord de la Bucovine, de l’Île aux Serpents et d’une partie de la Bessarabie (le sud de la région d’Odessa). Cependant, cette voix marginale est isolée dans ce type de demande. La Roumanie a été considérée comme un lieu possible pour entraîner les pilotes ukrainiens pour les F-16, ce qui montre l’implication du pays dans les opérations de soutien militaire à l’Ukraine.
La situation est assez différente en Bulgarie, qui a connu cinq élections en deux ans, entraînant une instabilité politique. Entre un tiers et une moitié des Bulgares nourrissent des sentiments pro-russes profondément enracinés (notamment au sein du parti socialiste et de la droite nationaliste). Dans la sphère politique, le président bulgare Roumen Radev, adroit politicien, est généralement considéré comme conciliant envers la Russie. De fait, l’actuel ministre de la Défense, Todor Tagarev, a déclaré qu’il était « très inquiet » de l’influence russe dans le pays, cherchant à en minimiser les effets. C’est avec difficulté que les législateurs ont pu donner en décembre 2022 leur feu vert à un paquet d’aide militaire à l’Ukraine après de nombreuses luttes intestines (bien que cela ait concerné essentiellement des armes légères, dans lesquelles la Bulgarie s’est spécialisée depuis la période soviétique). Pourtant, le pays aurait secrètement fourni jusqu’à un tiers des besoins en munitions de l’Ukraine dans les premières phases de la guerre de la Russie par le biais d’intermédiaires autorisés par son précédent gouvernement pro-européen.
Perspectives stratégiques sur la guerre en Ukraine : éléments de prospective
Face à l’évolution et à la durée du conflit, le risque de lassitude des opinions publiques est réel en Roumanie comme en Bulgarie. Si la première année a vu des succès de l’armée ukrainienne, un relatif consensus politique entre gauche et droite européennes et le sentiment d’un regain de l’Occident, l’automne 2023 commence avec un sentiment de résultats mitigés de la contre-offensive ukrainienne. La dispute polono-ukrainienne au sujet du blé, suivie par la Hongrie et la Slovaquie, illustre cette fatigue de la guerre en Ukraine.
Du fait de la guerre, les deux États ont compris l’importance d’une augmentation des budgets et de la participation à des programmes d’armement et de modernisation. Le ministre bulgare de la Défense Tagarev a ainsi déclaré que le pays était sur la bonne voie pour respecter l’engagement de l’OTAN d’augmenter les dépenses pour l’alliance à 2% du PIB « d’ici 2024 », tandis que la Roumanie est remontée à 2,5% du PIB en 2023. Les deux pays participent, avec 12 autres États membres ou partenaires de l’OTAN, à un programme d’acquisition des systèmes « Patriot » et « Arrow 3 », produits par Boeing et Israel Aerospace Industries, suivant la lettre d’intention signée en octobre 2022.
Les deux États ne rejettent pas pour autant le concept d’autonomie stratégique européenne : la Roumanie a ainsi rejoint en mars 2023 le programme d’acquisition collaborative de munitions (obus et missiles de 155 mm), à destination de l’Ukraine et des réserves nationales, dépendant de l’Agence de défense européenne. La Bulgarie a décidé de rejoindre officiellement le groupe en juillet 2023. Cela pourrait être nécessaire selon les résultats des prochaines élections américaines, qui pourraient être moins favorables aux intérêts ukrainiens et à une implication des États-Unis en Europe. Il ne suffit pas seulement de vouloir plus de présence américaine en Europe. Encore faut-il que ce souhait soit réciproque de l’autre côté de l’Atlantique. De fait, l’autonomie stratégique européenne est donc la meilleure boussole de long terme pour les intérêts des Européens.
Les politiques de défense baltes au défi de la guerre d’Ukraine, par Céline Bayou
L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, en provoquant le retour de la guerre inter-étatique conventionnelle sur le continent européen, a conforté les États baltes qui, depuis le début des années 1990, n’avaient eu de cesse de tenter de prévenir le reste de leurs partenaires occidentaux de la persistance d’une menace russe. Réputées très atlantistes (voire trop aux yeux de certains pays européens) et parfois qualifiées de russophobes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont en toute logique exprimé leur entière solidarité avec l’Ukraine et sont à l’avant-poste des demandes de sanctions à l’encontre de la Russie. Toutefois, paradoxalement, cette guerre, en suscitant une unité européenne inattendue, tend également à faire évoluer leur perception à l’égard des marges de manœuvre et du rôle de l’Union européenne en matière de politique de défense et de sécurité.
L’OTAN, sinon rien
Depuis le recouvrement de leur indépendance, les trois pays n’ont jamais cru à la fin de l’histoire et à une paix éternelle. Au cours des trente dernières années, cette période de paix n’a pas été perçue par eux autrement que comme une parenthèse, posture qui explique leurs choix en matière de politique de défense. En 1992, au lendemain de la disparition de l’URSS et de leur réapparition sur la scène internationale, ils avaient trois options : la neutralité, le maintien d’un lien de défense avec la Russie ou la création d’un lien de défense avec l’Ouest. La neutralité a été d’emblée repoussée : ils l’avaient testée durant l’entre-deux guerres, ce qui leur a valu d’être occupés à trois reprises, en 1940 (par l’Union soviétique), en 1941 (par l’Allemagne nazie) puis en 1945 (de nouveau par l’URSS et ce jusqu’en 1991). Les garanties de sécurité qui leur seront proposées en 1993 par le président russe Boris Eltsine seront, elles aussi, déclinées sans ambages, les trois pays souhaitant sortir du giron russe et effectuer un retour à l’Europe jugé naturel. Ne demeurait donc que la troisième option, à savoir la création d’un lien de défense avec l’Occident. Celui-ci s’est traduit par une priorité constante de politique étrangère, quels que soient les gouvernements en place, à savoir la double adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne (UE), effective au printemps 2004.
Depuis, les politiques de défense des trois pays s’appuient sur quatre piliers6Thibault Fouillet, « La remontée en puissance terrestre des États baltes : mise en perspective opérationnelle », Note de la Fondation pour la recherche stratégique, n°16, juin 2022. : l’Alliance atlantique, la coopération régionale, les forces conventionnelles terrestres et la société civile. En cas de conflit, les alliances doivent en effet permettre de compenser les déficits capacitaires propres à ces petites puissances (notamment dans les domaines naval et aérien) qui, compte tenu de leur taille, ne pourront, au mieux, que procéder à des manœuvres retardatoires. La mobilisation de la société civile est manifeste, se traduisant par exemple par l’édition, en Lituanie, d’un Manuel de survie largement distribué à la population et expliquant comment se protéger en cas d’attaque militaire mais également comment procéder à des actions de sabotage. Cette mobilisation se traduit également par l’existence dans les trois pays d’organisations de défense paramilitaires qui doivent contribuer à garantir l’indépendance et la souveraineté de l’État, l’intégrité de son territoire et son ordre constitutionnel. C’est le cas, par exemple, de la Ligue de défense estonienne, Kaitseliit, qui rassemble aujourd’hui environ 18 000 volontaires (sur une population totale de 1,3 million d’habitants).
Se sachant trop petits pour se défendre seuls face à une menace qui viendrait probablement de l’Est, les trois pays n’ont eu de cesse, depuis qu’ils en sont membres, de mettre en place des politiques de mise en conformité avec les critères des institutions euro-atlantiques et de se montrer particulièrement loyaux. Ainsi, lorsqu’un soldat est décédé en Afrique dans le cadre de l’opération européenne Takuba, le Premier ministre estonien, interrogé sur le sens de la présence estonienne au Mali, a répondu sans hésitation : « Nous y sommes pour notre propre sécurité. » Cette loyauté, ou cette attente d’un retour, a pu heurter en Europe, par exemple lorsqu’elle a conduit les Baltes à participer à l’opération menée en Irak par les États-Unis, valant la célèbre remarque du président français Jacques Chirac, en février 2003, reprochant aux pays d’Europe centrale d’avoir « perdu une occasion de se taire » et dénonçant de fait un alignement jugé aveugle sur Washington.
Déjà en 2001, lors de ses visites officielles dans chacun des trois pays, le président français avait tenté d’argumenter sur la nécessaire et proche adhésion à l’UE qui constituait, selon lui, une garantie de sécurité suffisante (économique et politique, donc militaire puisque les dividendes de la paix tendaient à rendre la question moins cruciale). Il avait alors provoqué l’incompréhension des Baltes qui s’étaient interrogés : nous avons deux bras, pourquoi nous demander de nous en couper un alors que nous savons notre situation suffisamment fragile pour souhaiter nous adjoindre tout ce qui peut ressembler à une garantie de sécurité ? Si l’Europe de la défense existe, alors nous en voulons également, avaient-ils précisé (sous-entendant en creux que, d’une part, ils ne la voyaient pas et que, d’autre part, il ne s’agissait pas d’entrer dans une démarche d’exclusivité).
Ce que change l’invasion de l’Ukraine par la Russie
De fait, les fondements des politiques de défense des pays baltes se révèlent donc relativement adaptés aux enjeux soulevés par la guerre d’Ukraine et ces pays n’ont pas eu à réviser leur approche. Ou du moins pas autant que d’autres pays européens.
Les Baltes n’ont pas attendu février 2022, ni même mars 2014 avec l’annexion illégale de la Crimée ukrainienne par la Russie ou encore août 2008 avec la guerre de Géorgie pour évaluer une menace russe qu’ils ont d’emblée considérée comme sérieuse. S’ils ont tenté avec peu de bonheur d’alerter l’UE et l’OTAN, il leur aura fallu attendre l’hiver 2022 pour avoir le sentiment d’être enfin entendus et voir leurs craintes reconnues comme légitimes.
Lors de sa première campagne électorale à la présidentielle américaine en 2016, le candidat Donald Trump s’était vu poser par un journaliste américain la question de savoir si les États-Unis viendraient défendre les pays baltes en cas de problème avec la Russie. Tout à trac, le candidat avait répondu que cela dépendrait du respect de leurs engagements auprès de l’Alliance. Message reçu : à l’époque, seule l’Estonie consacrait 2% de son PIB à la politique de défense. Tallinn s’était alors tourné vers Riga et Vilnius, leur reprochant de mettre en danger la région par leur négligence. Depuis, des efforts ont été fournis (en 2022, l’Estonie consacrait 2,34% de son PIB à la défense, la Lettonie 2,10% et la Lituanie 2,36%).
Désormais, et c’est un discours récurrent dans la région, l’objectif est de passer rapidement à 3% du PIB et d’en faire non pas un plafond mais un plancher. Il ne s’agit évidemment pas, pour eux, d’envisager une remontée en puissance déterminante des forces terrestres puisque, même à 5%, celles-ci resteraient incomparables avec la puissance russe en cas d’attaque. L’enjeu est bien, une fois encore, de s’avérer loyaux dans le cadre d’une alliance défensive et solidaire même si, plus souvent qu’à leur tour, ces pays s’interrogent sur une activation de l’article 5 de l’OTAN les concernant : qui serait prêt à mourir pour Daugavpils, interrogent-ils.
Leur mise en conformité avec les normes et attentes de l’OTAN va donc de pair avec une autre demande, exprimée avec force, en vue d’obtenir des éléments de dissuasion sur leurs territoires. Depuis 2004, les pays de l’OTAN assurent par rotation la police du ciel balte. Puis, lors de son sommet de 2016, l’Alliance a décidé de répondre aux attentes du flanc est et de déployer, l’année suivante, des hommes et du matériel, en particulier sur les territoires des trois pays baltes et de la Pologne. La Présence avancée renforcée (Enhanced Forward Presence, eFP) de l’OTAN a d’abord été présentée comme une mesure de réassurance, depuis devenue force de dissuasion. Elle a été encore rehaussée en 2022, tentant de répondre aux inquiétudes de ces pays qui semblent renchérir en permanence, demandant plus d’hommes, plus de matériels et des rotations plus longues, à défaut d’obtenir la création d’un quartier général et la pérennisation de l’engagement.
L’impulsion nouvelle donnée à l’OTAN, sans les satisfaire en totalité, les réjouit néanmoins. Toutefois, paradoxalement, les candidatures de la Finlande et de la Suède à l’Alliance ont suscité chez eux des réactions mitigées. Pour les Baltes, cette transformation de la mer Baltique en lac otanien, qui marginalise d’autant la Russie, est évidemment une excellente nouvelle. Elle permet, entre autres choses, de desserrer l’étau que faisait peser sur eux la conjonction, d’une part, d’un système russe de déni d’accès maritime et aérien déployé dans l’enclave russe de Kaliningrad et, d’autre part, de la fragilité liée à la trouée de Suwalki, bande de terre d’une centaine de kilomètres qui fait frontière entre Pologne et Lituanie mais place à ses deux extrémités l’enclave de Kaliningrad et le Bélarus, et donc à ce titre levier d’isolement terrestre des Baltes vis-à-vis de l’OTAN. Avec les adhésions suédoise et finlandaise à l’OTAN, les Baltes peuvent donc considérer qu’ils seraient plus facilement accessibles à leurs alliés en cas de besoin. Mais cette sécurité potentielle nouvelle les a pourtant, un moment, inquiétés : et si l’OTAN, sous tension mais forte de cet argument, décidait d’alléger le système déployé sur leurs territoires ?
Une nouvelle perception du rôle de l’Union européenne dans la défense
Par ailleurs, la guerre d’Ukraine a également renforcé la cohérence de l’Union européenne qui manifeste depuis le début de l’invasion une unité sur laquelle tous n’auraient sans doute pas parié. Or, les États baltes n’avaient pas manifesté d’enthousiasme particulier en 2017, lorsque le président français Emmanuel Macron avait articulé quelques propositions sur l’Europe de la défense et l’autonomie stratégique. Ces propositions ont même dans un premier temps été perçues avec méfiance, la France étant soupçonnée de ne pas aimer l’OTAN. Il faut dire que la mention de la mort cérébrale de l’Alliance puis, en 2019, la reprise du dialogue bilatéral avec la Russie n’ont pas contribué à les convaincre que Paris ne risquait pas de dupliquer des processus otaniens existants et ne tentait pas d’évincer les Américains du continent européen.
Depuis, ces hypothèques semblent levées et le discours de Bratisalava, en mai 2023 dans le cadre du forum Globsec, a contribué à rassurer dans un contexte où, depuis février 2022, l’UE est engagée de manière claire et durable au côté de l’Ukraine, a condamné sans ambiguïté aucune le geste de la Russie et joue une partition que l’OTAN ne peut assurer.
Cette montée en puissance de l’UE dans le secteur de la défense, via en particulier le dossier ukrainien, a contribué à l’évolution de la perception des capitales baltes qui semblent investir plus sérieusement dans le volet militaire de l’UE. On peut citer deux initiatives portées par la Première ministre estonienne Kaja Kallas, la première portant sur l’achat en commun de munitions financé par la Facilité européenne de paix (FEP) et la seconde sur l’émission d’eurobonds à hauteur de 100 milliards d’euros pour renforcer l’industrie européenne de défense. Quelles que soient les formes et chances de concrétisation de ces suggestions, elles traduisent une foi nouvelle dans l’Europe et ses capacités et, si le projet de pilier européen de l’OTAN a sans doute encore du chemin à faire, il ne semble plus perçu comme une incongruité.
En guise de conclusion, par Thibault Delamare
L’expérience politique de l’Union européenne démontre que la paix n’est jamais mieux servie que par la coopération supranationale entre démocraties, dont les relations ne sont pas exemptes de compétition, mais qui adhèrent par nature à la résolution pacifique des contentieux. À l’inverse, le comportement de la Russie a démontré que la nature impérialiste de son régime la mène à toujours plus de conflits à ses frontières en raison du déni de la souveraineté de ses voisins.
Depuis la chute du mur de Berlin, la guerre n’a jamais effectivement complètement quitté le continent européen : conflits armés en ex-Yougoslavie (années 1990), en Géorgie (2008), en Crimée (2014) et maintenant contre l’ensemble du territoire de l’Ukraine (2022- ?).
Nous assistons aussi au détricotage de l’architecture de sécurité en Europe avec, en particulier, la fin du traité sur les forces conventionnelles en Europe après le retrait de la Russie en mai 2023, alors que ce traité constituait l’acte fondateur de la relation OTAN-Russie. Ce retrait ne vient d’ailleurs qu’acter le fait que la Russie ne se sentait plus liée à ce traité pour lequel elle avait adopté un moratoire dès 2007.
Les démocraties européennes doivent donc être en mesure de se défendre. Pour cela, elles peuvent compter sur leurs ressources propres, leurs alliés de l’Alliance atlantique et les différents programmes de coopérations politiques, militaires et industriels de l’Union européenne. Ces États se distinguent néanmoins par leur histoire et leur vie politique propres. La guerre en Ukraine sert de révélateur et permet d’envisager ces questions à l’aune de la construction d’une défense européenne.
De Tallinn à Bucarest, on observe un rapport généralement opposé à la Russie, excepté un rapport ambigu en Bulgarie. Ils recourent à des politiques de coopération régionalisée (groupe de Visegrad, mais aussi la Stratégie de l’Union européenne pour la région du Danube par exemple) pour renforcer leur poids dans le jeu complexe des institutions européennes. Au-delà de la solidarité avec l’Ukraine, les différents éclairages de cette note permettent de rappeler que chacun réfléchit aux menaces internationales à l’aune de ses intérêts nationaux. Il en est ainsi de certaines velléités nationalistes en Roumanie, des considérations sur le blé ukrainien en Pologne ou des États baltes s’inquiétant de l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN au détriment de leur propre sécurité.
Néanmoins, tous perçoivent bien l’intérêt à la coopération supranationale en matière de défense. L’investissement politique dans les programmes de défense européenne séduit dans la majorité des pays européens, au-delà de la décision d’acheter en dehors d’Europe une partie des matériels nécessaires à un réarmement qui peut être perçu comme un choix complémentaire et non de substitution.
Alors que de nouvelles élections européennes se dérouleront en juin 2024, le présent panorama établi à la fin de l’année 2023 souligne qu’un chemin vers la réalisation d’une défense européenne est possible, dans le respect de ses partenaires et dans un intérêt commun pour la sécurité de tous.
Cette publication s’inscrit dans la continuité des échanges qui se sont tenus lors de la conférence publique « L’Europe de la défense vue d’Europe centrale et orientale » le 26 juin 2023 à la Fondation Jean-Jaurès.
- 1Co-directeur de l’Observatoire de la défense – Orion de la Fondation Jean-Jaurès.
- 2Chercheuse spécialisée en sécurité européenne à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem).
- 3Secrétaire général du Cevipof, chercheur associé à HEC.
- 4Chercheuse associée au Centre de recherche Europe-Eurasie (CREE) de l’Inalco.
- 5Docteur en droit public.
- 6Thibault Fouillet, « La remontée en puissance terrestre des États baltes : mise en perspective opérationnelle », Note de la Fondation pour la recherche stratégique, n°16, juin 2022.