À l’approche des élections européennes en juin prochain, Renaud Bellais et Axel Nicolas, co-directeurs de l’Observatoire de la défense à la Fondation Jean-Jaurès, dressent le bilan de la politique de défense européenne qui a été menée. Si celle-ci s’est consolidée en réponse à la guerre en Ukraine suite à l’invasion russe, il n’en reste pas moins nécessaire pour les auteurs de relever trois défis dans la perspective de la prochaine mandature : inscrire les moyens financiers dans la durée, assurer la cohérence de la boîte à outils communautaire en articulant échelon européen et national, et renforcer le contrôle démocratique des orientations prises sur les questions de défense.
Introduction
Les élections du Parlement européen en juin 2024 vont se dérouler dans un contexte géopolitique inédit pour notre continent. La liste des périls est inquiétante : guerre aux frontières de l’Union européenne (UE), allié américain peu fiable, tensions au Moyen-Orient qui menacent les échanges internationaux, notamment de pétrole. Les Européens sont passés d’une insouciance quant à l’état du monde, caractéristique de la période d’après-guerre froide, à une inquiétude en raison du choc de l’invasion russe de l’Ukraine. Dès 2019, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, annonçait que sa nouvelle Commission serait « géopolitique »1« Discours prononcé par la Présidente élue von der Leyen à la séance plénière du Parlement européen à l’occasion de la représentation de son Collège des Commissaires et leur programme », Commission européenne, 2019.. Étant donné les événements, l’Union européenne est allée bien plus loin. Une défense européenne est en cours de consolidation en réponse à l’agression russe, marquant une accélération de la communautarisation dans un domaine jusque-là réservé aux États.
De là, il est pertinent de s’interroger sur ce qu’est cette défense européenne et sur la place occupée par les institutions communautaires pour garantir la sécurité collective sur le continent. La question se pose au moment où un nouveau Parlement va être élu en juin 2024 et où la Commission sera renouvelée en fin d’année. Quels sont les enjeux de ces élections pour les citoyens européens ? En quoi l’UE devient-elle un acteur de la sécurité collective européenne ? Quelle doit être la place de la Commission et du Parlement ? La forte augmentation des dépenses militaires contribue-t-elle à une sécurité renforcée et maîtrisée ? Ce sursaut confond-t-il vitesse et précipitation ?
Cette note dresse un état de la situation géopolitique vue d’Europe, un bilan des actions des États européens et de la Commission dans le domaine de la défense, avant de présenter les trois principaux défis des législateurs européens élus en juin prochain : les moyens financiers, la répartition des rôles entre la Commission européenne et les États, ainsi que les alliances militaires.
Recommandations
1. Consolider les moyens financiers dans la durée : l’UE a mis en place de nouvelles lignes budgétaires afin de répondre à l’urgence géostratégique. Ces outils compensent en partie un déficit d’investissement des pays européens dans leur défense sur plusieurs décennies. Ils permettent aussi de favoriser des coopérations entre Européens de manière à accroître l’efficacité de leurs dépenses. La sécurité collective se construit dans la durée et la constance de l’effort : ces investissements doivent s’inscrire dans le temps long.
2. Assurer la cohérence de la boîte à outils communautaire : la montée en puissance de l’UE dans la défense a conduit à la création très rapide de nouveaux instruments. Il convient de s’assurer que ses outils communautaires s’articulent de manière efficace à la fois entre eux, mais aussi avec les politiques nationales.
3. Renforcer le contrôle démocratique des orientations : les efforts de défense doivent être le reflet des besoins de sécurité des citoyens. Il est important que le Parlement européen joue son rôle dans la définition des objectifs et le contrôle de la mise en œuvre de la stratégie industrielle de défense de l’Union européenne. Ceci passe notamment par la création d’une commission de plein droit en charge des questions de défense.
État des lieux : une Europe confrontée à la violence du monde
En prenant la présidence de la Commission européenne en 2019, Ursula von der Leyen avait déclaré vouloir « une Commission géopolitique »2Commission européenne, op.cit.. Force est de constater que, bien malgré elle, l’Europe a dû faire face à un retour de la guerre et des risques géostratégiques sur son propre continent et au niveau mondial. L’invasion par la Russie de l’Ukraine a malheureusement montré les limites du principe du « doux commerce », cher à Montesquieu, supposant que les échanges entre pays permettent de réduire les risques de guerre.
Le choc du retour de la guerre sur le continent européen
En février 2022, la Russie a fait basculer l’Europe dans une nouvelle ère en tentant une invasion à grande échelle de l’Ukraine. Si la conflictualité a été présente sur le continent dans l’histoire récente, avec la guerre froide entre 1947 et 1991, des conflits dans les Balkans dans les années 1990 et les tensions russo-ukrainiennes depuis 2014, cette situation signifie surtout le retour d’un conflit de haute intensité sur le continent.
En réaction à la tentative d’invasion russe de l’Ukraine, la quasi-totalité des États de l’Union européenne a décidé de soutenir Kiev, à l’exception de la Hongrie dès le début et de la Slovaquie depuis fin 2023. Si les dons d’équipements militaires varient selon les pays, certaines capitales donnent énormément en proportion de leurs capacités, comme l’Estonie, quand d’autres donnent la totalité de certains armements, comme l’artillerie pour le Danemark. En conséquence, les États européens sont indirectement liés au destin de l’Ukraine et une défaite de Kiev serait vue comme une défaite européenne. Quelle que soit l’issue de cette guerre, les pays européens ont pris conscience qu’ils doivent assumer par eux-mêmes la sécurité de leur continent. La rupture est donc profonde par rapport à l’après-guerre froide.
Un monde fragmenté par les guerres et les tensions croissantes entre puissances
Au-delà du conflit russo-ukrainien, d’autres zones de tension dans le monde ont des conséquences directes pour les pays européens. En mer Rouge, les attaques des Houthis contre les navires commerciaux ont augmenté le coût et le temps de transport des marchandises, soulignant la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnements européennes. Des tensions en mer de Chine méridionale, notamment entre la Chine et Taïwan, pourraient également entraîner des conséquences importantes pour l’Europe, d’autant qu’un pays comme la Lituanie a déjà subi un blocus chinois en 2022. Comme souligné par Thomas Gomart dans son dernier ouvrage L’accélération de l’histoire3Thomas Gomart, L’accélération de l’histoire : les nœuds géostratégiques d’un monde hors de contrôle, Paris, Tallandier, coll. « Essais », 2024., l’ensemble des crises mondiales s’enchevêtre et l’Europe le subit pleinement.
Les États européens n’étaient pas prêts pour cette nouvelle donne
En 2023, Thierry Breton a promis que l’Ukraine recevrait d’ici mars 2024 un million d’obus de 155 mm de la part des États européens4Théodore Azouze, « L’UE est “très avancée” sur la livraison d’un million d’obus à l’Ukraine, indique Thierry Breton sur LCI », LCI, 23 août 2023.. Finalement, les Vingt-Sept n’ont pas pu en livrer la moitié5Alexandra Brzozowski, « L’Ukraine déclare n’avoir reçu que 30% des obus d’artillerie promis par l’UE », Euractiv, 27 février 2023.. En février 2024, deux ans après le déclenchement de la guerre, Kiev était condamnée à tirer 2 000 coups de canon par jour, contre au moins 10 000 pour les Russes6Luc Peillon, « CheckNews – Pourquoi l’Ukraine souffre-t-elle d’une pénurie d’obus ? », Libération, 26 décembre 2023.. Le constat est simple : l’Europe n’était pas consciente de la gravité de ses vulnérabilités et est aujourd’hui industriellement loin d’être prête à soutenir un conflit de haute intensité. Cette situation rappelle cruellement que la défense est une course d’endurance et non un sprint. Les législateurs élus en juin 2024 devront faire avec un monde devenu plus dangereux et une Europe à ce stade incapable d’assurer ses approvisionnements. Dans ce contexte, la construction européenne dans la défense a pu apparaître comme une réponse aux défis auxquels nous devons faire face.
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Abonnez-vousLa défense européenne de 2019 à 2024 : un pas avant, deux pas en arrière ?
La défense européenne peut se définir comme « toute action relevant de la défense effectuée en commun, que ce soit entre deux États, plusieurs États, ou au niveau communautaire ». En ce sens, le bilan depuis 2019 est plutôt contrasté. Si la Commission européenne a eu des initiatives intéressantes, l’action des États manque de cohérence.
Le nouveau rôle de la Commission européenne dans la défense
La Commission européenne a cherché à affirmer son rôle dans les questions de défense depuis longtemps, mais elle s’est régulièrement heurtée à l’opposition des États au nom de leur compétence exclusive sur ce domaine, réaffirmée par l’article 346 du Traité fondateur de l’UE. Toutefois, nécessité faisant loi, les États lui ont accordé un rôle pour améliorer l’efficacité de l’industrie d’armement dans le cadre de ses missions de compétitivité de l’industrie.
La rupture de 2022 s’inscrit, pour les instances communautaires, dans une montée en puissance depuis quinze ans. Dès 2009, la Commission européenne joue un rôle dans la régulation du marché de l’armement avec deux directives sur les transferts intra-communautaires et sur les marchés publics de défense et de sécurité. En 2016, Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission, a ouvert une nouvelle dimension en proposant de financer des projets de recherche et développement grâce à un Fonds européen de défense (FED), mis en œuvre depuis 20217« Le discours sur l’état de l’Union 2016 du président Juncker », Commission européenne, 2016.. Cependant, 2022 marque une véritable rupture avec le lancement de nouvelles initiatives directement liées à l’équipement des armées, prises à la demande des États suite au sommet de Versailles un mois après l’invasion russe8« Sommet de l’UE à Versailles : quelles perspectives européennes pour l’Ukraine ? », Vie publique, 2022..
Le rôle majeur de la Commission européenne depuis 2019 dans le domaine de l’industrie de défense est un élément indéniable, aboutissant à une multiplication des initiatives et à l’accélération de leur mise en œuvre. Concrètement, Bruxelles dépense depuis 2021 un milliard d’euros par an dans la R&D de défense via le FED9« Fonds européen de la défense : 1,2 milliard d’euros pour renforcer les capacités de défense de l’UE et nouvelles mesures en faveur de l’innovation en matière de défense », Commission européenne, 2023., tandis que la guerre en Ukraine a amené à la création de deux nouveaux instruments pour soutenir les acquisitions communes d’armements (EDIRPA) et la production de munitions (ASAP), avec à chaque fois plusieurs centaines de millions d’euros10« ASAP, Boosting Defence Production », Commission européenne.. L’élément notable est que la Commission européenne a été capable d’agir relativement rapidement dans un domaine qui lui était récemment inconnu. Par ailleurs, un relatif consensus émerge concernant l’avenir, les États et les parlementaires s’accordant à relever le niveau de dépenses communautaires à l’avenir.
Une « boîte à outils » communautaire à consolider
Depuis 2016, la mise en place de nouveaux instruments constitue un progrès notable pour renforcer le niveau des dépenses et leur cohérence, en s’assurant que les pays ne dépensent pas leurs budgets nationaux « façon puzzle », c’est-à-dire de manière dispersée et peu efficace. Cependant, ces outils présentent deux risques. D’une part, ils ont été mis en place dans la précipitation, ce qui ne garantit pas des règles de fonctionnement optimales au regard des objectifs recherchés à court et à long terme. D’autre part, ces instruments répondent à des enjeux spécifiques : ils ne s’inscrivent pas dans une politique industrielle d’ensemble.
Il est donc important d’assurer que ces instruments répondent bien aux objectifs recherchés, ce qui nécessite :
- une définition claire des attendus à court terme et long terme ;
- une articulation cohérente entre eux ;
- une logique d’ensemble avec l’ensemble des politiques industrielles menées par l’Europe, étant entendu que la défense ne se limite pas à la dimension militaire.
La mise en cohérence entre les échelons nationaux et le communautaire
En mars 2022, les États européens ont adopté une « boussole stratégique », avec une analyse commune de la situation géopolitique11« Une boussole stratégique pour renforcer la sécurité et la défense de l’UE au cours de la prochaine décennie », Commission européenne, 2022.. Cependant, dans un contexte où les États restent à la manœuvre en matière de défense, cette boussole n’a eu que peu de conséquences. Elle n’est souvent que mentionnée. De même, les États ne semblent pas se concerter dans le cadre de leurs travaux nationaux. L’Allemagne et la France n’ont, par exemple, pas développé ensemble leurs revues stratégiques publiées en 2022 et 2023. Concrètement, ce manque de mise en cohérence des échelons nationaux entre eux et avec l’échelon communautaire amène à des incohérences préjudiciables, avec des redondances et des mises en commun manquées.
Guerre en Ukraine : des acquisitions d’armement court-termistes pour une dépendance de long terme
À la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, la plupart des États européens a voulu acheter rapidement des équipements de défense pour se rééquiper. Or, l’industrie de défense européenne n’était pas en capacité d’absorber une augmentation aussi soudaine de la demande. De plus, les États voulaient parfois donner une dimension politique à leurs acquisitions, notamment en achetant du matériel américain, s’offrant ainsi la protection de Washington. En conséquence, entre février 2022 et juin 2023, seulement 20% des achats d’équipements européens l’ont été auprès d’entreprises européennes. Deux tiers des acquisitions étaient américains12Philippe Chapleau, « Sur 100 euros d’achats européens dans le cadre du réarmement de l’UE, 63 vont aux USA, 22 aux Européens et moins de 3 à la France », Lignes de Défense, 26 février 2024.. Ces achats dans la précipitation pourraient entraîner des conséquences compliquées à moyen terme et à long terme, en créant des dépendances, et en n’encourageant pas les États européens à développer des alternatives. Par exemple, les avions F-35 acquis ces dernières années par les États européens seront en service jusqu’en 2050-2060, ce qui bouche des marchés pour un éventuel avion européen. Cette situation démontre que les renoncements d’hier entraînent les dépendances d’aujourd’hui. En achetant à l’étranger, les États européens ne maîtrisent pas leur approvisionnement et ne progressent pas vers une autonomie stratégique.
Face au retour de la guerre sur le continent européen, les Européens ont à la fois pris des initiatives utiles, notamment via la Commission européenne, et réagi dans la précipitation, manquant ainsi des occasions de se concerter. Alors que l’année 2024 s’annonce critique, les législateurs européens vont affronter trois défis stratégiques pour la défense européenne.
2024 : faire face aux dilemmes cornéliens
Défi n°1 : les moyens financiers et la façon de les employer
Si la Commission européenne accomplit des pas de géant en investissant directement dans l’industrie de défense européenne, les sommes restent faibles par rapport à certains budgets nationaux et aux enjeux. Dans le domaine de la R&D, le budget annuel du FED ne dépasse pas le budget annuel français de R&D de défense13Le FED était initialement doté de 7,9 milliards d’euros entre 2021 et 2027, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 prévoit 10 milliards pour l’innovation., ce qui limite l’effet d’entraînement. La situation est la même avec le programme pour encourager les acquisitions communes (EDIRPA), avec un budget de 310 millions d’euros en 2024 (un seul char Léopard 2 coûte 5 millions d’euros). Il y a donc une absence d’économies d’échelle, avec des moyens financiers insuffisants pour améliorer et intégrer une industrie de défense européenne. Au-delà des budgets communautaires, le manque de coordination des achats nationaux pénalise la souveraineté européenne, en créant potentiellement des redondances.
En ce sens, la coordination des objectifs et des budgets nationaux et communautaires de défense est un premier défi majeur pour les prochaines années. S’il est clair que cet enjeu nécessite la coopération des États, les législateurs européens devront faire face à cet enjeu, d’autant qu’ils devront tirer les conclusions sur les outils communautaires créés ces dernières années.
Défi n°2 : définir les rôles respectifs des États et de la Commission européenne
La défense européenne n’a pas vocation à être « une et indivisible », avec une armée unique et une industrie élaguée à quelques champions. Pour autant, il est nécessaire que les rôles et les attendus de chacun soient clairement définis. En effet, certains États européens s’agacent que la Commission, dans sa tradition d’effet d’entraînement (spill-over effect) pour accroître ses compétences, cherche à grignoter des prérogatives des États, comme sur le contrôle des exportations d’armements ou l’accès à des informations sensibles ou confidentielles sur l’industrie de défense. S’il est compréhensible que des États soient sensibles à cette situation, les blocages doivent être surmontés. Des institutions multilatérales existent, comme l’Agence européenne de défense (AED) ou l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr), et pourraient monter en puissance pour résoudre cette tension. À terme, le Parlement européen et les États pourraient avoir à discuter de l’architecture institutionnelle dans la défense, d’autant plus si un commissaire à la Défense est nommé.
Défi n°3 : créer un pilier européen au sein de l’Alliance atlantique
L’élection américaine de novembre 2024 pourrait aboutir à l’élection de Donald Trump. Or, celui-ci a récemment remis en question la clause de solidarité de l’Alliance atlantique en affirmant qu’il ne protégerait pas les pays ne dépensant pas au moins de 2% de leur PIB dans la défense, voire qu’il encouragerait l’attaque de ces nations par la Russie14« Donald Trump dit que ses menaces contre l’OTAN étaient une “manière de négocier” avec ses membres », Le Monde avec AFP, 2024.. Or, les États-Unis représentent les deux tiers des dépenses militaires de l’Alliance atlantique et sont donc un élément central de son caractère dissuasif. La façon dont réagiront les États européens sera central : les pays européens vont-ils négocier leur sécurité de façon bilatérale avec Washington, ou vont-ils s’engager plus fermement dans une défense européenne ? Si la réponse sera probablement entre les deux, la cohésion des États européens et la cohérence de leur positionnement seront scrutées par Moscou.
Qu’ils le veuillent ou non et quelle que soit l’issue du scrutin aux États-Unis, les Européens devraient prendre en main la sécurité de leur continent. La montée en puissance de la défense européenne ne se fait pas à l’encontre de l’Alliance atlantique, puisqu’elle y contribue pleinement. Les Européens ont pris conscience de la nécessité d’investir dans la sécurité du continent et, pour être de bons alliés vis-à-vis des États-Unis, ils peuvent concerter leurs efforts non seulement à l’aide des instruments communautaires mais aussi en agissant ensemble au sein de l’OTAN en créant un pilier européen.
Conclusion
Pendant trois décennies, l’Europe a cru à la fable d’un monde apaisé par le libre-échange. Le retour à la réalité est soudain et cruel, d’autant que l’allié américain semble rechigner à l’aider. La plupart des décideurs européens s’accorde à dire que la défense sera le défi principal de la prochaine Commission européenne. La publication d’une stratégie européenne pour l’industrie de défense (EDIS) en mars 2023 est un jalon qui devra être suivi d’actes.
Cependant, la défense européenne n’est pas qu’une question technique de mécanismes budgétaires et d’armement. Les avancées ont pris ce chemin en raison des compétences dans l’industrie et la compétitivité dont la Commission européenne dispose. Il est aussi nécessaire d’avoir une réflexion sur les attentes des citoyens quant aux modalités et aux finalités de cette défense commune par les Européens, pour les Européens et pour la sécurité de notre continent. Cela suppose de penser la défense dans un contrat social plus large définissant un projet commun au sein de l’Union européenne. La défense est nécessaire pour protéger notre modèle démocratique : sans sécurité internationale, il n’y a pas de société pérenne. Toutefois, un tel projet collectif et la construction de sécurité qui l’accompagne restent un débat en devenir, dont le nouveau Parlement européen pourrait se saisir.
Enfin, la défense ne se résume pas aux questions militaires et l’UE devra sortir de sa paresse et de sa naïveté quant aux réalités géopolitiques. C’est dans un agenda global de souveraineté qu’un projet de défense prendra pleinement sens.
- 1
- 2Commission européenne, op.cit.
- 3Thomas Gomart, L’accélération de l’histoire : les nœuds géostratégiques d’un monde hors de contrôle, Paris, Tallandier, coll. « Essais », 2024.
- 4Théodore Azouze, « L’UE est “très avancée” sur la livraison d’un million d’obus à l’Ukraine, indique Thierry Breton sur LCI », LCI, 23 août 2023.
- 5Alexandra Brzozowski, « L’Ukraine déclare n’avoir reçu que 30% des obus d’artillerie promis par l’UE », Euractiv, 27 février 2023.
- 6Luc Peillon, « CheckNews – Pourquoi l’Ukraine souffre-t-elle d’une pénurie d’obus ? », Libération, 26 décembre 2023.
- 7« Le discours sur l’état de l’Union 2016 du président Juncker », Commission européenne, 2016.
- 8« Sommet de l’UE à Versailles : quelles perspectives européennes pour l’Ukraine ? », Vie publique, 2022.
- 9« Fonds européen de la défense : 1,2 milliard d’euros pour renforcer les capacités de défense de l’UE et nouvelles mesures en faveur de l’innovation en matière de défense », Commission européenne, 2023.
- 10« ASAP, Boosting Defence Production », Commission européenne.
- 11« Une boussole stratégique pour renforcer la sécurité et la défense de l’UE au cours de la prochaine décennie », Commission européenne, 2022.
- 12Philippe Chapleau, « Sur 100 euros d’achats européens dans le cadre du réarmement de l’UE, 63 vont aux USA, 22 aux Européens et moins de 3 à la France », Lignes de Défense, 26 février 2024.
- 13Le FED était initialement doté de 7,9 milliards d’euros entre 2021 et 2027, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 prévoit 10 milliards pour l’innovation.
- 14« Donald Trump dit que ses menaces contre l’OTAN étaient une “manière de négocier” avec ses membres », Le Monde avec AFP, 2024.