Vers une fermeture de l’Iran ?

Il y a tout juste deux ans, les États-Unis renonçaient à l’Accord de Vienne sur le nucléaire conclu en 2015 et cette décision a profondément changé la donne en Iran. Farid Vahid en analyse les conséquences actuelles et à venir au niveau international comme en Iran même, où le camp réformiste est désormais marginalisé, particulièrement à l’issue des élections législatives de février 2020.

L’accord nucléaire signé le 14 juillet 2015 à Vienne entre l’Iran et les pays du P5+1 (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni et Allemagne), fruit de plusieurs années de négociations et de diplomatie, était un moment fort dans les relations internationales mais aussi un test majeur de la confiance accordée par les Iraniens aux Occidentaux. La sortie des États-Unis de cet accord le 8 mai 2018, alors que les Iraniens respectaient pleinement leurs engagements, a eu des conséquences très lourdes sur l’économie iranienne. Mais la décision de Donald Trump a surtout eu un effet néfaste sur l’avenir des relations entre Téhéran et Washington, mais aussi sur les signataires européens de l’accord. En adoptant une stratégie de « pression maximale », l’administration américaine a fait le pari d’un changement de régime en Iran. Les manifestations de ces deux dernières années et le mécontentement général de la population iranienne peuvent être vus comme des signaux le confirmant. Mais quelle est en réalité la situation politique interne de l’Iran ? Un changement de régime est-il véritablement envisageable à court terme ? 

En élisant Hassan Rohani président de la République, le peuple iranien a clairement fait le choix de l’apaisement et de la diplomatie afin de sortir de plusieurs années de tensions internationales (les années Ahmadinejad). Rohani a été élu dès le premier tour de l’élection présidentielle alors qu’il se trouvait en face du conservateur Saeid Jalili, ancien chef du Haut Conseil à la Sécurité nationale et responsable des négociations nucléaires. La signature de l’accord de Vienne a suscité un climat d’espoir et de joie au sein de la population iranienne. Après la Révolution et des années de guerre et de sanctions, le monde d’après l’accord était supposé être un monde nouveau pour les Iraniennes et les Iraniens. Aujourd’hui, les sanctions sont de retour, l’économie se porte mal et les tensions militaires avec les États-Unis sont au plus haut niveau. Il a suffi de la sortie d’un seul État de cet accord international pour détruire plusieurs années d’intenses négociations diplomatiques.

Malgré leurs efforts, les signataires européens de l’accord n’ont pas été en mesure de continuer les échanges économiques avec Téhéran. L’impuissance européenne face à l’extraterritorialité du droit américain dégrade l’image de l’Union européenne au sein de la population iranienne. Quelle utilité à poursuivre des négociations avec les Européens ? Après les efforts de médiation du président Macron afin d’apaiser les tensions entre Téhéran et Washington, le Guide de la Révolution, l’ayatollah Khamenei, a réagi ainsi lors d’un discours : « le président français pense qu’une rencontre entre notre président et Donald Trump règlera tout les problèmes, il faut dire que soit cette personne est très naïve, soit elle joue le jeu des Américains ».

Le camp réformiste se trouve aujourd’hui complètement marginalisé et discrédité, comme le montrent les résultats des élections législatives du 21 février 2020. Alors que les réformistes possédaient jusqu’alors 46,89% des sièges au Majles (parlement iranien) contre 41,13% pour les conservateurs, ils auront seulement 13,10% des sièges au sein du futur Majles contre 71,38% pour les conservateurs. Il ne faut pas oublier de prendre en considération le taux de participation : 42,57%, le plus faible taux de participation des onze élections législatives de l’histoire de la République islamique d’Iran. En effet, force est de constater qu’à chaque fois que le taux de participation a été faible lors d’une élection iranienne, les conservateurs en sont ressortis gagnants. L’année prochaine aura lieu en Iran l’élection présidentielle. Dans le contexte actuel, la victoire d’un candidat conservateur semble inévitable. À la différence des États-Unis ou de la France, la campagne présidentielle en Iran se déroule sur une période assez courte mais intense. Le pays bénéficie alors d’une liberté politique plus importante. Pour prendre l’exemple de la précédente élection présidentielle, les candidats se sont présentés au ministère de l’Intérieur le 11 avril 2017, et ont eu au total vingt jours pour faire campagne avant l’élection du 19 mai 2017. Il est donc très compliqué de prédire quels seront les éventuels candidats au scrutin qui aura lieu l’année prochaine. Ceci dit, dans le camp des conservateurs, un nom apparaît de plus en plus dans les débats, un certain Parviz Fattah. Diplômé en génie civil de l’université de Sharif, c’est un ancien membre des Gardiens de la Révolution, ministre de l’Énergie durant le deuxième mandat de Mahmoud Ahmadinejad et actuel président du Bonyad-e Mostazafân, fonds caritatif iranien doté d’une grande capacité économique. N’ayant pas été touché par les nombreuses affaires de corruption qui éclatent régulièrement, il peut être un candidat idéal pour la prochaine élection présidentielle.

L’élection d’un président conservateur serait de mauvais augure pour les partisans d’un dialogue entre Iraniens et Occidentaux. Ebrahim Raissi, chef conservateur du pouvoir judiciaire iranien, avait déclaré après l’assassinat du général Soleimani par l’armée américaine qu’« un jour nous rencontrerons les assassins du martyr Soleimani, non pas pour négocier avec eux mais pour les juger et les condamner ». Cette déclaration est en réalité une réaction suite à l’évocation par le ministre des Affaires étrangères iranien, Javad Zarif, de la possibilité de nouvelles négociations avec les Américains. Contrairement aux réformistes, les conservateurs ont un véritable problème idéologique avec l’Occident. Selon eux, ces derniers cherchent à imposer leur vision du monde et leur mode de vie au monde entier. Le problème n’est pas le programme nucléaire, le programme balistique ou la situation des droits humains, car certains alliés de l’Occident dans la région sont loin d’être exemplaires à ce sujet, mais bien la volonté d’indépendance des Iraniens. Dans cette logique, la sortie unilatérale des Américains de l’accord de Vienne est un cadeau fait aux conservateurs.

Néanmoins, l’élection d’un président conservateur peut éventuellement – même s’il faut rester extrêmement prudent sur cette affirmation – faciliter une reprise des négociations. De fait, les relations seraient facilitées entre un président conservateur, un Parlement à majorité conservatrice et le Guide de la Révolution. Cette uniformisation des institutions pourrait permettre au prochain président iranien de relancer des négociations. La cohabitation politique actuelle bloque les prises de décision internes et freine le dialogue international avec des interlocuteurs qui ne comprennent pas toujours à qui ils parlent. Cette hypothèse est intéressante à envisager même si elle est à prendre avec beaucoup de précaution.

L’administration américaine et certains analystes ont fait le pari d’un changement de régime suite à la campagne de pression maximale évoquée précédemment. Toutefois, pour ce faire, un cadre intellectuel est nécessaire. Or, il n’en existe pas chez les opposants au régime qui résident à l’étranger, aux États-Unis ou en France. Ils vivent, pour certains d’entre eux, dans le passé et dans une nostalgie monarchiste. Sans un leader charismatique et un programme politique clair, ce qui était le cas en 1979, il est très difficile d’imaginer un changement de régime en Iran. Il y aura certainement des rebellions à court terme mais pas de révolution. De plus, malgré tous les problèmes économiques, l’État iranien a les moyens de résister encore plusieurs mois voire plusieurs années. Militairement, il y aura des frictions mais le scénario d’une confrontation directe est peu probable.

Enfin, d’autres analyses évoquent la mort du Guide de la Révolution comme autre facteur de changement. L’effondrement du régime à sa mort semble peu plausible. L’ayatollah Khamenei est moins charismatique, légitime et populaire que le fut Khomeiny, pourtant après la mort de ce dernier et une situation d’après guerre, les institutions de la République islamique d’Iran ont perduré. En revanche, en observant l’évolution de la situation politique en Iran, on comprend que les conservateurs préparent soigneusement l’élection du prochain guide en plaçant leurs « pions » : à la tête du pouvoir judiciaire, au sein du Majles, à l’Assemblée des experts, et potentiellement à la présidence de la République.

Cette situation politique et économique est bien triste pour la population iranienne qui avait fait le choix de l’ouverture. Le pays se trouvait sur la bonne voie des réformes. Elles étaient moins rapides que l’évolution de la société civile et de la jeunesse iraniennes en quête d’une liberté toujours plus grande mais représentaient une alternative solide. Ces dernières continueront d’avancer et de faire preuve de créativité mais le contexte politique actuel est dangereux et comprend de nombreuses incertitudes.

Les Iraniens se trouvent dans une impasse entre le sentiment d’avoir été abandonnés par les Européens et l’absence d’une alternative politique crédible à la République islamique.

Il est regrettable que l’Union européenne et plus particulièrement la France, pays possédant une bonne image et ayant eu une influence culturelle en Iran, n’aient pas davantage œuvré au maintien de l’accord.  

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