Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, réalise la synthèse des enseignements de la sixième vague du panel électoral réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde.
Le terrain de la vague 6, conduit auprès de notre panel électoral de 13 651 personnes, s’est déroulé du jeudi 24 – jour du déclenchement de l’attaque russe sur l’Ukraine – au dimanche 27 février. Compte tenu de l’actualité, il a semblé prudent à l’institut Ipsos de compléter cette vague 6 par une vague 6 bis, auprès de 2 274 personnes elles aussi issues du panel électoral, les mercredi 2 et jeudi 3 mars. Les résultats de l’intention de vote ainsi que la hiérarchie des préoccupations sont issus de cette vague 6 bis.
Trois enseignements majeurs
Premier enseignement majeur : des mouvements d’ampleur sans précédent. Jusqu’à présent, la mobilité électorale était forte mais les intentions de vote étaient stables. Aujourd’hui, la mobilité électorale est très forte (23% des Français ont changé d’avis entre la vague 5 et la vague 6 et, en intégrant la vague 6 bis, on doit être au-dessus de 30%) et les intentions de vote évoluent sensiblement. Par rapport à la vague du 7 février, on note une progression de 6 points pour Emmanuel Macron (30,5%), de 3 points pour Jean-Luc Mélenchon (12%) et une baisse de 1 point pour Marine Le Pen (14,5%), de 1,5 point pour Éric Zemmour (13%) et de 4 points pour Valérie Pécresse (11,5%).
Deuxième enseignement majeur : Emmanuel Macron était favori avant la guerre, il est hyper favori aujourd’hui. Avec 30% d’intention de vote au premier tour, il fait le double du score de Marine Le Pen qui est en deuxième position. Avec 72% de ses électeurs qui déclarent que leur choix est « définitif », il a la base la plus solide. Avec 67% des personnes interrogées qui font le pronostic qu’il sera élu, il devance celle qui est en deuxième position de 54 points (l’écart n’était que de 40 points en janvier avec Valérie Pécresse).
Troisième enseignement majeur : la guerre en Ukraine devient la première préoccupation des Français. Elle occupe tout l’agenda médiatique mais fait aussi une irruption spectaculaire en tête des préoccupations des Français. Posée pour la première fois dans la vague 6 bis, elle se situe au même niveau que le pouvoir d’achat. On mesure surtout le niveau d’inquiétude : 90% des Français sont inquiets des conséquences économiques, 84% redoutent une extension du conflit et même 76% un possible conflit nucléaire.
Nota bene : il y a, comme on pouvait s’y attendre, une corrélation très forte entre l’intensité de l’inquiétude de la situation en Ukraine et le niveau des intentions de vote pour Emmanuel Macron.
Sept enseignements complémentaires
Premier enseignement complémentaire : la participation reste stable… et faible. 66% d’électeurs se déclarent certains d’aller voter – le même chiffre qu’il y a un mois. Entre la guerre en Ukraine qui peut sonner comme un rappel du prix de la démocratie et un suspense qui se réduit, il est difficile de prévoir comment cette donnée évoluera.
Deuxième enseignement complémentaire : Jean-Luc Mélenchon s’installe comme le candidat central de la gauche. Avec 12% d’intentions de vote, il progresse de 3 points, bénéficiant notamment du retrait de Christiane Taubira. L’écart qui le séparait de la qualification pour le second tour était de 8 points en octobre dernier, il n’est plus que de 3,5 points aujourd’hui. Mais, lorsque l’on analyse les seconds choix, on voit que sa marge de progression reste limitée et dépend d’abord de sa capacité à mobiliser des électeurs – notamment les jeunes – aujourd’hui peu impliqués.
Troisième enseignement complémentaire : Valérie Pécresse décroche. Valérie Pécresse était en deuxième position ex aequo dans la vague 5. Elle est aujourd’hui en cinquième position, devancée y compris par Jean-Luc Mélenchon – ses électeurs perdus étant pour une grande partie allés chez Emmanuel Macron et pour une petite partie démobilisés dans l’abstention.
Quatrième enseignement complémentaire : on vote Emmanuel Macron par confiance dans sa personnalité (55%) ; on vote Jean-Luc Mélenchon ou Éric Zemmour par proximité idéologique (70% et 63%). La situation est intermédiaire pour Marine Le Pen et Valérie Pécresse, avec une majorité mais plus courte déclarant voter par proximité avec leurs idées.
Cinquième enseignement complémentaire : les Français sont pessimistes sur l’impact de l’élection, aussi bien pour le pays que pour eux-mêmes. Quel que soit le vainqueur, mais dans des proportions différentes, ils sont plus nombreux à penser que la situation va se dégrader que s’améliorer. Le solde le moins négatif est pour Emmanuel Macron (-17 points), le solde le plus négatif est pour Éric Zemmour (- 44 points ; 64% considérant que la situation se dégraderait s’il était élu).
Sixième enseignement complémentaire : les choix fiscaux divisent les Français. Ils sont divisés si on regarde la moyenne : 55% considèrent qu’il faut « augmenter les impôts des riches et des entreprises afin de pouvoir financer plus de politiques de soutien aux ménages défavorisés » ; 45% estiment à l’inverse qu’il faut baisser les impôts de ces catégories « afin d’encourager l’investissement et la croissance ». Les divisions sont plus fortes encore lorsque l’on analyse les électorats : il y a un « bloc libéral » – les électeurs d’Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Éric Zemmour – qui choisissent la seconde option aux alentours de 60%. Il y a un « bloc redistributif » – les électeurs de tous les candidats de gauche – qui choisissent la première option aux alentours de 85%. Et, entre les deux, il y a les électeurs de Marine Le Pen.
Septième enseignement complémentaire : l’arbitrage croissance / environnement divise également les Français. Là encore, ils sont divisés si l’on regarde la moyenne. 51% privilégient des mesures rapides et énergiques pour faire face à l’urgence environnementale, même si cela demande des sacrifices financiers aux entreprises et aux ménages. 49%, à l’inverse, privilégient des mesures rapides et énergiques sur le plan économique, même si cela implique de mettre la question environnementale au second plan. Cette fois-ci, le clivage central se fait entre les électeurs de gauche et les électeurs de droite et d’extrême droite et ce sont les électeurs d’Emmanuel Macron qui se situent entre les deux.
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