Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, analyse la progression dans les intentions de vote de Jean-Luc Mélenchon, candidat à l’élection présidentielle de La France insoumise, grâce aux données de la sixième vague de notre enquête électorale réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde.
Jean-Luc Mélenchon, le retour. Depuis la rentrée de septembre, le candidat de La France insoumise (LFI) oscillait entre 8% et 9% des intentions de vote ; il atteint aujourd’hui 12% et sa progression de 3 points constitue l’un des événements de la sixième vague du panel électoral. Mieux, l’écart qui le séparait d’une qualification pour le second tour était de 8 points en octobre dernier, il est désormais de 2,5 points. Peut-on en conclure que ce qui était impossible n’est plus qu’improbable ?
Pour comprendre ce qui est train de se passer, on peut se contenter d’une analyse subjective. Jean-Luc Mélenchon fait une bonne campagne : le ton est calme, le fond est dense, les moyens sont innovants. Exactement comme en 2017 – au point de faire oublier à beaucoup de Français les excès de ces cinq dernières années. Le panel ajoute surtout deux éléments plus objectifs. Il permet de comprendre, d’une part, les motivations de ses électeurs : comparé aux autres candidats, c’est la proximité idéologique (70%) et non la confiance personnelle (17%) qui explique leur choix – pour les électeurs d’Emmanuel Macron, les réponses sont presque inversées (32% et 55%). Le panel permet de connaître, d’autre part, l’origine de ses nouveaux électeurs. La progression de Jean-Luc Mélenchon s’explique peu par la mobilisation de nouveaux électeurs (+0,5 point) ; elle s’explique principalement par le changement d’électeurs qui étaient déjà mobilisés mais déclaraient auparavant vouloir voter pour Christiane Taubira (+1 point) ou Yannick Jadot (+0,5). Au total, la sociologie de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon est à bien des égards équilibrée : les scores sont proches chez les ouvriers et chez les cadres supérieurs, dans le monde rural et dans les agglomérations, entre les titulaires d’un bac+3/+4 et ceux qui n’ont pas de diplôme.
Que peut-il alors espérer dans ces dernières semaines de campagne ?
Sa dynamique n’est pas exempte de fragilités. Ses électeurs sont bien moins sûrs de leur vote que ceux des candidats qui le devancent. À peine la moitié d’entre eux déclarent que leur choix est définitif ; le score se situe aux alentours de 80% pour ceux d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour. Et l’examen des « seconds choix » – « Pour qui voteriez-vous si vous deviez ne pas voter pour votre candidat ? » – montre qu’il dispose de peu de réserves potentielles chez ceux qui déclarent aujourd’hui être certains d’aller voter sans que leur choix soit définitif : les principales se trouvent chez Fabien Roussel et Yannick Jadot mais leur addition est inférieure à 2 points…
Pourtant, la dynamique dont bénéficie Jean-Luc Mélenchon a aussi des potentialités réelles – d’autant plus fortes qu’il devance aujourd’hui nettement les autres candidats de gauche. La difficulté est qu’il doit réussir à mobiliser des électeurs aujourd’hui dans l’abstention. Il est en effet frappant de constater que Jean-Luc Mélenchon réalise un score plus élevé dans les catégories qui votent moins que la moyenne. Un seul exemple : il est fort chez les 18-34 ans (17%) et faible chez les plus de 70 ans (4,5%) ; or, les premiers ne sont que 54% à être certains d’aller voter quand le chiffre atteint les 80% chez les seconds.
Mais ce n’est pas tout. Pour amplifier sa dynamique, Jean-Luc Mélenchon est en définitive confronté à trois problèmes principaux. Le premier problème s’appelle Fabien Roussel dont la candidature prospère, rassemblant des électeurs (4%) qui, pour une bonne part, avaient voté pour celui qui était soutenu par le Parti communiste en 2017. Le deuxième problème s’appelle Jean-Luc Mélenchon – ou, pour être plus précis, la dégradation de son image. Si on la compare à celle de la fin de la campagne de 2017, le contraste est édifiant : seul Emmanuel Macron le devançait alors – et de peu – sur les principaux traits d’image ; aujourd’hui, seuls 16% des Français estiment qu’il « donne une bonne image de la France à l’étranger », seuls 20% considèrent qu’il a « l’étoffe d’un président », seuls 35% répondent qu’il « comprend les problèmes des gens comme nous ». Le troisième problème, le plus lourd, s’appelle évidemment Vladimir Poutine. Parce que la guerre contre l’Ukraine lancée par le président russe met au jour des positions difficiles à justifier a posteriori. Parce qu’elle amène la campagne sur un terrain international sur lequel Jean-Luc Mélenchon avait déjà buté en 2017 avec notamment « l’alliance bolivarienne ». S’il ne semble pas pouvoir atteindre le même score qu’en 2017, reste à savoir à quel niveau se situera le seuil de qualification en 2022.