Alors que la moitié de la population mondiale est confinée, la stratégie de la Suède peut étonner puisque, comme le montre la journaliste suédoise Helena Höjenberg, le gouvernement n’a pas opté pour un confinement strict. Cette stratégie s’avérera-t-elle payante? Les mesures seront-elles amenées à évoluer ? Seul le temps le dira. Mais une chose est sûre : le modèle suédois repose sur une confiance forte de la part des citoyens envers les institutions et les scientifiques, permettant un respect des consignes et recommandations préconisées jusqu’ici.
La stratégie officielle de la Suède pour traiter la menace du coronavirus étonne dans le contexte actuel où la plupart des États ont pris des mesures autoritaires pour protéger leurs citoyens. Jusqu’à présent, les dirigeants suédois n’optent ni pour la restriction, ni pour la fermeture ou pour l’isolement contre le coronavirus. Ils émettent seulement des conseils et des recommandations.
Les Suédois ne sont pas confinés, ils sont confiants
« On me pose de plus en plus souvent des questions sur l’exception suédoise, avec une certaine curiosité et une volonté de comprendre notre démarche. Peut-être que la gestion ‘à la suédoise’ de la crise du coronavirus ne peut fonctionner qu’en Suède », se demande Veronika Wand-Danielsson, ambassadrice de Suède en France.
Le but est le même que partout : aplanir la courbe de malades pour que le nombre de cas graves qui nécessitent des soins intensifs dans les hôpitaux ne fassent pas déborder leurs capacités. L’administration de santé publique gère ce travail au jour le jour. Elle a déclaré dès le début que les mesures ne seront pas fixes, qu’elles évolueront sans doute en fonction du développement de la propagation du virus et qu’une décision prise aujourd’hui peut devenir obsolète. La communication est donc primordiale, et une conférence de presse se tient tous les jours à 14 heures pour parler à la population.
Ce sont les experts qui gèrent la situation, et non pas l’élite politique. Cela correspond aux valeurs et aux traditions profondément ancrées dans la société suédoise. Les racines remontent au temps d’Axel Oxenstierna, chancelier du roi Gustave II Adolphe, et de la reine Christina, qui au XVIIe siècle a posé les bases de l’administration de l’État. Depuis, les ministres ne sont pas aux commandes en ce qui concerne les questions quotidiennes. Ce sont des experts qui œuvrent, dans le cadre des budgets fixés et des lois. La loi de transparence dans l’administration, qui date de 1766, peut, elle aussi, expliquer une certaine confiance à l’égard des institutions officielles.
Comme en France, l’ambition est a priori de protéger les plus vulnérables de la société. En Suède, ce sont les personnes de plus de 70 ans et celles atteintes de maladies chez lesquelles une contamination de virus peut être plus compliquée.
Pour les autres – c’est-à-dire la grande majorité de la population considérée comme la moins vulnérable –, on conseille de continuer de travailler, à distance si possible. Les garderies et les écoles restent ouvertes, tandis que les lycées et les universités sont fermés, l’enseignement se faisant via Internet. Cette dernière recommandation donnée aux proviseurs vise à éviter les déplacements des étudiants, qui ont un trajet plus long que les élèves des écoles communales. Les salles et les clubs de sports, les musées, les bibliothèques communales, les salles d’attente, les piscines et les stades sont tous ouverts à condition que les utilisateurs suivent les consignes. Les restaurants peuvent rester ouverts en respectant aussi les consignes (les tables sont espacées, par exemple). Les bars, eux, doivent être fermés puisque les distances de sécurité sont difficiles à respecter.
Le principe est d’essayer de ralentir la propagation en laissant les citoyens non-vulnérables continuer à vivre, et en même temps d’avoir progressivement de plus en plus de personnes immunisées dans la société.
Pour les personnes à partir de 70 ans et les groupes à risque, on conseille de limiter les contacts physiques avec d’autres personnes, d’éviter les transports en commun, les lieux publics peuplés, les magasins d’alimentation et les pharmacies. En bref, il vaut mieux s’isoler, mais sans pour autant se priver de sa promenade quotidienne, à condition de respecter les recommandations.
Ceux qui sont atteints du virus ou de symptômes suspects doivent en revanche rester chez eux et éviter les contacts sociaux. Pour ne pas céder à la tentation d’aller travailler quand même, l’assurance maladie vous couvre exceptionnellement dès la première journée d’arrêt, alors qu’habituellement il y a un jour de carence.
Quelles sont les sanctions pour ceux qui ne respectent pas les consignes ? Aucune
Le professeur d’histoire de Ersta Sköndal högskola, Lars Trägårdh, après vingt ans dans les universités de Columbia et de Berkeley aux États-Unis, est un spécialiste des « modèles nordiques ». Dans une interview au quotidien national Svenska Dagbladet, il a indiqué, à propos de l’étonnement et des interrogations internationales soulevés par la gestion suédoise de la crise, que tout cela correspondait bien à la mentalité et à l’esprit du pays. « Dans les pays autour de nous, les dirigeants politiques pourraient être tentés de se servir de cette situation pour affirmer leur pouvoir. Mais pas en Suède, parce que les décisions sont fondées sur des expertises et des compétences dans les institutions officielles non politiques. »
Les études internationales que Lars Trägårdh a réalisées montrent très clairement que la confiance à l’égard des institutions d’État est plus forte en Suède que dans d’autres pays comparables. Il ne pense pas que les Suédois soient plus obéissants à des décrets stricts. On écoute en revanche les spécialistes et les scientifiques, qui à leur tour font confiance aux citoyens. Il s’agit donc bien d’une confiance mutuelle.
Selon le professeur Trägårdh, cela explique pourquoi on peut se contenter de simples recommandations du type « Restez chez vous si vous avez le moindre soupçon d’être malade » et « Surtout évitez les foules ». « C’est la liberté et la confiance envers la responsabilité et l’intelligence individuelle. On pourrait l’illustrer en disant : ‘Utilisez votre bon sens et soyez raisonnables !’ Il s’agit d’un sens du devoir envers la société tout entière, pour laquelle on suit des bonnes manières et des règles la protégeant. »
Deux mots : confiance et civisme
« Il y a aussi une confiance entre les gens. Si je me promène dehors, je présume que les autres ne sont pas sortis avec de la fièvre et qu’ils ne vont pas tousser ou cracher n’importe comment dans la rue, qu’on respecte la distance recommandée, etc. Dans beaucoup de pays, on considère qu’on maintient l’ordre par le contrôle plus efficacement que par la confiance. En Suède, c’est le contraire. Nous essayons de traverser la crise en respectant la liberté et la volonté de chacun, sans détruire les institutions ni fermer les écoles. C’est typiquement une direction à la suédoise », dit Lars Trägårdh, même si l’épidémie de sida dans les années 1980 par exemple avait été gérée très différemment.
« À l’époque, la Suède avait pris des mesures draconiennes, sans vraiment considérer les droits individuels. Cette fois, on veille beaucoup plus à la liberté. Cela dit, il est toujours possible de basculer et d’utiliser la manière forte. La pression monte et les Suédois sont comme tout le monde. Les écoles et les restaurants sont certes toujours ouverts, mais de moins en moins de gens sortent. Les parents préfèrent garder leurs enfants chez eux. On peut arriver au même stade de protection que les autres pays, mais seulement par un chemin différent », avance Lars Trägårdh.
Ce sont alors les experts qui gèrent les mesures, bien évidemment en étroite concertation et avec le soutien des autorités politiques, également bien occupées par le sauvetage des emplois.
Un autre facteur dominant : le facteur économique
« La Suède est un pays exportateur, ce qui en fait la richesse. Le combat contre le virus et la maladie doit aussi être analysé dans une perspective économique. Nous allons tous être obligés d’affronter ensuite les désastreuses conséquences économiques », selon l’ambassadrice Veronika Wand Danielsson.
Le Premier ministre Stefan Löfven était le premier à aborder les questions économiques, le 26 mars dernier, lors de la téléconférence sur la crise du coronavirus du Conseil européen.
« Plusieurs de ses homologues dirigeants politiques d’autres États trouvaient que c’était trop tôt, et qu’il fallait d’abord battre le virus. Mais pour les Suédois, l’économie est un aspect crucial dans la gestion d’une crise. Et c’est vrai, si l’on veut éviter que la machine de la société ne s’arrête, un confinement n’est pas idéal. Mais cela peut changer aussi en Suède, bien sûr, à tout moment », déclare Veronika Wand-Danielsson.
Le fait que le Premier ministre Stefan Löfven ait parlé à ses concitoyens sur la chaîne de télévision d’État pendant la pandémie, c’est bien la preuve que la situation est extraordinaire. C’était le premier discours à la nation de la part d’un Premier ministre depuis la prise de parole de l’ancien chef du gouvernement Göran Persson suite à l’assassinat de la ministre des Affaires étrangères Anna Lind en 2003.
La chaîne Sveriges Television a senti le besoin de motiver la décision de laisser le Premier ministre parler sans être contredit. Dans un bulletin officiel, on a expliqué que ces six minutes resteront exceptionnelles, et que le discours fera l’objet de commentaires et d’analyses suite à l’émission en direct. Presque comme des excuses, on souligne qu’on est loin des élections, que les partis politiques se sont quasiment accordés sur une trêve autour la crise et que ce discours constitue seulement une petite partie de l’ensemble des programmes et émissions consacrés au Covid-19.
Stefan Löfven porte habituellement à sa boutonnière une rose, symbole de la social-démocratie, mais cette fois, devant les caméras, elle a été remplacée par l’insigne du drapeau suédois jaune et bleu. C’est exactement le même insigne que le roi Carl XVI Gustav portait lors de son discours quatre jours avant, où il s’est exprimé, entouré du gouvernement, pendant un Conseil de crise. Tous les deux ont souligné l’importance de se réunir, de travailler dans un esprit de solidarité ensemble et – bien évidemment – d’écouter les experts.
Dernièrement, cependant, la pression est montée dans le pays sous l’effet des ravages du virus et des nouvelles théories sur sa propagation. Une contestation commence à se faire entendre, l’opinion publique demande plus de rigueur et a peur que cette gestion n’entraîne une catastrophe. Seul le temps pourra dire si ce modèle de gestion de crise « à la suédoise » est plus efficace que celui d’autres pays et si cette approche n’est valable que sous certaines conditions et dans certains pays seulement.