La Suède poursuit sa stratégie de non-confinement strict de la population, suscitant des inquiétudes dans le monde scientifique et créant un débat sur l’interprétation des chiffres liées à la mortalité due à l’épidémie de Covid-19. En dépit de cette stratégie affirmée, la journaliste suédoise et ancienne collaboratrice de Svenska Dagbladet et d’Expressen Helena Höjenberg nous rappelle que la population reste prudente et respecte les règles de distanciation sociale.
Dans le seul pays d’Europe épargné par les discussions sur le déconfinement – puisqu’il n’y a jamais eu de confinement – règne un léger soulagement. À Stockholm, l’épicentre de la maladie, le nombre de morts du Covid-19 diminue. Les autres régions du pays attendent l’arrivée de l’épidémie, avec pour objectif de mieux protéger leurs Ehpad que dans la capitale, où on y a enregistré plus de 30% des décès de la ville.
Le non-confinement certes, mais avec prudence et distanciation
Les derniers chiffres de l’administration de la santé publique ont été reçus avec tristesse : 1540 personnes sont mortes du Covid-19 (au 19 avril 2020), la plupart à Stockholm. Mais une petite lueur d’optimisme existe aussi, car la courbe a diminué dernièrement, et les hôpitaux sont encore en capacité d’accueillir tous les malades gravement atteints.
À Stockholm, le problème n’est pas le manque de lits d’hôpitaux et de réanimateurs, mais celui de personnel médical et d’équipements de protections, blouses et masques. Cette semaine, dans tout le pays, le personnel qui a un rôle à jouer dans la gestion de la maladie – les médecins, les infirmières, les aides-soignants des Ehpad, mais aussi les policiers, les pompiers et les techniciens qui gèrent la qualité de l’eau – va être testé au Covid-19.
On recommande toujours aux personnes âgées de plus de 70 ans et à celles ayant des maladies à risque de rester chez elles, mais on les encourage cependant à sortir quotidiennement, en respectant les distances de sécurité et les règles d’hygiène.
Pour les autres citoyens, presque tout reste ouvert, mais l’activité a malgré cela bien ralenti, notamment dans les restaurants, les salons de coiffure ou dans les salles de sport. Si la vie continue, c’est avec prudence et distanciation. Les déplacements qui ne sont pas indispensables sont à remettre à plus tard, afin d’éviter tout risque de contamination. Les événements qui rassemblent plus de 50 personnes sont toujours interdits, que ce soient les spectacles, les fêtes, les cérémonies de mariage ou les funérailles.
La vive critique internationale qu’a soulevée la Suède du fait de son absence de confinement semble maintenant moins importante, surtout parce que tous les pays voisins sont en train de discuter leurs déconfinements respectifs.
La stratégie de la Suède semble effectivement supportable à long terme pour les individus et pour les entreprises, même si elle suscite aussi des interrogations et des critiques dans le pays.
Un débat sur les chiffres
Dans une tribune publiée dans la page « Opinion » de Dagens Nyheter, le plus grand quotidien suédois, 22 sommités du monde scientifique et médical ont appelé, alarmés, le gouvernement au remplacement des plus hauts responsables de l’autorité de la santé publique, et ce « pour éviter une catastrophe ». Mais la parution de cette critique a plutôt suscité un débat sur l’interprétation des chiffres, et sur leur comparaison avec ceux d’autres pays. Quelques signataires ont depuis officiellement regretté leur participation, et le Premier ministre Stefan Löfven a déclaré être convaincu que la stratégie choisie jusqu’ici est la bonne.
Il est clair que les méthodes et définitions varient beaucoup entre chaque État, et que les comparaisons peuvent donc parfois être hasardeuses. En Suède, il faut savoir que l’on recense officiellement tous les décès, à la fois dans les hôpitaux, Ehpad et domiciles. Ils sont rapidement intégrés à la statistique nationale, réputée comme étant un outil très fiable.
Cela s’explique historiquement par le fait que chaque citoyen suédois reçoit, à sa naissance, un « numéro personnel » individuel, qui le suivra toute sa vie et dans toutes ses démarches, qui concernent les soins de santé, l’école, l’université, le permis de conduire, les informations de banque, celles des impôts, du travail, etc. Ce numéro d’identification, introduit en 1947 et numérisé en 1967, permet donc de facilement créer une statistique quasiment infaillible.
Mais pour vraiment s’assurer de la réalité des chiffres de mortalité du Covid-19, les autorités vont maintenant vérifier, et surtout préciser, la cause exacte de la mort dans chaque cas. Une personne qui décède d’une autre maladie est-elle bien considérée et enregistrée comme étant morte de celle-ci, ou du Covid-19 après avoir été testée positive ? Avec les actes de décès établis par des médecins, la cause de la mort va désormais être considérée au cas par cas, en essayant de bien faire la distinction. Dans ce nouveau contexte, le taux de mortalité exact dû au Covid-19 va probablement changer.
Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut pas comparer les chiffres de la Suède avec ceux d’autres pays comme l’Italie ou les Pays-Bas, où les décès dans les Ehpad ne sont pas nécessairement enregistrés comme provenant du Covid-19. L’autorité de santé norvégienne a même reconnu que si l’on comptait les décès comme en Suède, le taux de mortalité augmenterait probablement aussi chez eux.
L’impact du Covid-19 sera certainement aussi très important pour l’économie suédoise, qui vit essentiellement de ses exportations. Même si l’activité commerciale ne s’est pas encore arrêtée, les commandes internationales n’arrivent plus comme avant. Les secteurs de la restauration, du tourisme et de la culture sont également très touchés. Les Suédois peuvent toujours aller au restaurant, faire leurs achats quotidiens ou pratiquer des activités sportives ; mais, très solidaires et respectueux des consignes, beaucoup restent chez eux. Le taux de chômage devrait être de 9% l’été prochain, soit son plus haut taux depuis vingt-cinq ans.