Le non-confinement suédois scruté par les médias internationaux

La semaine dernière à Stockholm, la courbe des décès est restée stable. Dans le même temps, l’intérêt des médias internationaux pour le non-confinement a atteint un niveau inédit. La Suède n’a jamais été observée avec autant d’étonnement, de curiosité, de condamnation ou d’admiration, comme le souligne Helena Höjenberg, journaliste suédoise.

Avec l’arrivée du beau temps, les terrasses se remplissent à vue d’œil dans les grandes villes, un spectacle qui fait froid dans le dos des gestionnaires de la crise du Covid-19. Après des inspections à répétition et la fermeture de cinq restaurants à Stockholm, les établissements font beaucoup d’efforts pour que les recommandations de distanciation soient bien respectées. Les autorités font passer le message que la crise de Covid-19 est loin d’être finie et qu’il faut rester solidaire avec le personnel soignant, notamment dans la capitale qui est sous haute pression. Les régions du centre et du sud du pays commencent aussi à être affectées par le virus. Depuis le début de la crise, le nombre total de décès s’élève à 2274 au 27 avril 2020. Les Ehpad sont toujours très touchés et le manque de matériel de protection reste un vrai problème. On peut constater que 90% des décès touchaient des personnes âgées de plus de 70 ans, et 50% de plus de 80 ans. 

La ministre des Finances, Magdalena Andersson, a signalé que le taux de chômage dans le pays risque de grimper à 11% et que la chute de PIB serait de 7% cette année. Ce dernier chiffre est important car la Suède est un pays particulièrement sensible à l’exportation. La dette d’État passerait de 22% du PIB à environ 40%. Dans un sondage récent, neuf personnes sur dix affirment qu’elles s’inquiètent plus pour leur emploi et leurs économies que pour la maladie elle-même.

Avec sa stratégie de non-confinement, la Suède s’est placée dans un groupe un peu à part, composé à la fois de pays proches, comme l’Islande et les Pays-Bas, et d’autres plus éloignés, comme le Turkménistan, le Nicaragua, la Biélorussie et le Brésil. Il est indéniable que ce choix a suscité la curiosité internationale.

« Le focus sur la Suède que l’on observe en ce moment dans les médias internationaux est unique. L’Institut suédois n’a jamais enregistré une telle attention », a expliqué sa directrice générale, Madeleine Sjöstedt, au quotidien national Svenska Dagbladet. L’une des missions de l’Institut suédois est – en plus de promouvoir la culture suédoise – de suivre ce que les médias et les plateformes en ligne disent ou écrivent sur le pays. Plus de 300 000 articles ont déjà été publiés sur le cas suédois, la plupart en anglais. Au début de la crise, la stratégie de non-confinement mise en place par la Suède suscitait plutôt l’étonnement, voire un sentiment de doute, ou même franchement un rejet de la part de quelques dirigeants officiels et chefs d’État. Cela non seulement dans les pays scandinaves, mais aussi au Royaume-Uni, en Italie, en Chine et aux États-Unis.

Deux semaines plus tard, le ton avait un peu changé. On trouvait toujours du scepticisme, mais parfois une certaine reconnaissance. Dans un article publié par le magazine conservateur américain National Review, le journaliste John Fund et le chercheur Joel Hay se posent la question suivante : « La Suède a-t-elle trouvé la bonne solution pour le coronavirus ? ». Pour eux, « contrairement à d’autres pays, la Suède a jusqu’à maintenant évité, non seulement l’isolement, mais aussi la ruine ». Leur article a été partagé près de 500 000 fois sur les réseaux sociaux.

Malgré un certain succès auprès de Bernie Sanders qui tient en estime la social-démocratie suédoise, la politique du pays a pendant des années été désapprouvée par les grands médias américains qui la considéraient comme détestable, molle et naïve. Pourtant, ce n’est pas sans surprise que les Suédois ont pu voir, dans des vidéos et des photos prises lors de récentes manifestations contre le confinement aux États-Unis, des pancartes sur lesquelles étaient inscrits des messages comme « Soyons comme en Suède ! ».

On fait désormais même les louanges de la stratégie suédoise contre le Covid-19 sur la chaîne préférée du président Donald Trump, Fox News, connue pour ses positions très conservatrices. La social-démocratie suédoise et la droite conservatrice américaine se rejoignent ici, paradoxalement, sur ce point précis.

Le directeur de l’European Center for International Political Economy (ECIPE) à Bruxelles, Fredrik Erixon, s’interroge dans The Spectator UK sur les questions de liberté individuelle dans la situation actuelle : « Qui aurait cru que la Suède serait devenue le seul pays en Europe où l’on peut encore sortir boire une bière ? […] Comment ce pays de douceur et de conformisme est-il devenu si rebelle à l’égard de la culture de confinement ? » Ce chercheur suédois, après ses études à la London School of Economics et à l’Université d’Oxford, s’interroge sur la gestion du confinement qu’il juge non-libérale et impossible à maintenir à long terme. « Ce n’est pas la Suède qui fait une expérience de masse, ce sont tous les autres. […] La vraie question n’est-elle pas plutôt de savoir pourquoi les autres pays n’ont pas fait la même chose ? […] Comment peut-on condamner un chef d’État en train de s’emparer du pouvoir pour transformer son pays en une sorte de dictature, même en Europe, alors que de nombreux gouvernements appliquent des méthodes similaires ? »

Ces questions peuvent évidemment se discuter. Mais avant tout débat, il faut peut-être avoir en mémoire quelques éléments géographiques et démographiques. La Suède est un pays très étendu d’environ 2000 kilomètres de long, soit le double de la France. La population est de 10,2 millions, soit environ un sixième de celle la France. Une seule ville, la capitale Stockholm, compte plus d’un million d’habitants. Il faut ajouter à cela que 52% des logements comptent une seule personne. Cela veut dire que les bases de la stratégie de la Suède – avec une si grande partie de la population qui vit dans des villes relativement petites et à la campagne – sont très différentes par rapport à celles des autres pays.

L’opinion portée sur la stratégie suédoise peut cependant évoluer rapidement en fonction de ses résultats. Comme les autorités suédoises ne cessent de le dire, « il ne faut surtout pas croire que c’est fini ! »

Cette crise est loin d’être terminée et le virus surprend encore les scientifiques et les experts.

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