Avec cette étude qui se fonde sur les nombreux entretiens que Xavier Crettiez et Bilel Ainine ont menés avec des islamistes djihadistes rencontrés en prison, on découvre, à travers de nombreux verbatims, leurs valeurs et visions du monde, leur rapport à la France, la démocratie, la politique, la religion ou le terrorisme.
Co-édition Fondation Jean-Jaurès/L’Aube
Les auteurs et le politologue spécialiste de l’Islam Olivier Roy en ont débattu le 14 septembre 2017 à la Fondation. Voir la vidéo
Le livre « Soldats de Dieu ». Paroles de djihadistes incarcérés est issu d’une recherche de la Fondation Jean-Jaurès avec Xavier Crettiez et Bilel Ainine, tous deux membres de l’Observatoire des radicalités politiques, qui ont, à ce titre, participé à différentes activités de la Fondation, notamment une conférence en février 2016 sur les processus de radicalisation. L’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès analyse depuis 2013 les dynamiques radicales – politiques, religieuses… – qui travaillent les sociétés européennes.
Cet ouvrage présente les cadres cognitifs (idéologies, doctrines, visions du monde, valeurs) développés par des acteurs islamistes djihadistes. Ceux qui opèrent en France au nom d’Al-Qaida ou de l’« État » islamique. Alors que beaucoup a été dit sur les trajectoires de ces militants islamistes, sur leurs fêlures ou leurs réseaux, on sait finalement peu de choses des discours qui les animent, des haines qui les habitent et de leur rapport à la France, à la démocratie, à la politique, au monde qui les entoure, mais aussi à la violence qu’ils défendent et justifient, ou à la religion qu’ils disent adorer.
Cet essai a pour objectif de comprendre et expliquer ce qui pousse des hommes à basculer dans une lutte armée contre des ennemis désignés et à cette fin soutenir des actes terroristes. Xavier Crettiez et Bilel Ainine ont pour ce faire mené des entretiens avec treize individus incarcérés pour avoir commis directement des actes terroristes ou entretenu indirectement des liens avec des groupes terroristes.
À l’origine d’un acte – aussi horrible qu’il soit – se trouve nécessairement une idée. Dès lors, il est impératif d’entendre les discours de ces personnes enrôlées, aux profils divers, dans le but d’appréhender le cadre idéologique dans lequel ils s’inscrivent afin de nous « éclairer sur le danger terroriste et la logique de radicalisation ». La volonté des deux auteurs a donc été de rapporter littéralement les différents propos des détenus, articulés en dix-neuf sujets – de leur rapport à leur religion jusqu’à leur vision de l’art.
Animés par un salafisme qui se veut à la fois « mondialiste et multiculturel » regroupant ceux qui, par leur mode de vie, suivent les pas du prophète Mohammed, les treize incarcérés livrent dans un premier temps leur rapport à l’islam. Ainsi, le Coran et la sunna ont une double acception : d’une part ils représentent des « textes conventionnels qui permettent au croyant de ne pas s’égarer dans sa vie quotidienne » et, d’autre part, des « textes constitutionnels qui précisent les contours de l’activité politique de la cité ». Dès lors, il ressort des entretiens une approche très littérale de ces textes. Ces derniers sont appréhendés comme étant non seulement des réponses à leurs questions mais encore une manière de structurer leur vie.
Le Coran et les différents hadiths représentent un dogme, une science exacte synonyme de vérité absolue mais qui appelle tout de même à une discussion quant à l’interprétation à donner. Là se trouve tout le paradoxe, puisqu’en dépit d’une approche très littérale des textes tous les acteurs djihadistes interrogés revendiquent une « raison individuelle » ainsi qu’un « dialogue contradictoire » dans leur manière d’aborder leur religion. Le texte religieux servant de fondement, c’est donc l’interprétation des textes religieux qui est soumise à discussion.
Les propos rapportés mettent également en exergue la relation intime, voire mystique, que ces personnes interrogées entretiennent avec Dieu. Ainsi, Dieu, comme l’islam, est une figure « présente pour guider, récompenser et remercier ceux qui acceptent de se mettre à son service ». Cela se traduit par des rituels religieux qui sont « survalorisés et appris dans l’isolement », souvent sur internet. Dès lors, « l’islam apparaît à la fois comme un texte à adorer, un modèle de vie privée, une Constitution politique et une épée », et son aboutissement serait l’instauration d’un territoire, au sens géographique, où une communauté pourrait vivre suivant les lois de sa religion.
Les entretiens s’attachent aussi à ce qui motive les personnes interrogées à entretenir ces rapports à la religion. Tout d’abord, les personnes incarcérées tiennent un discours victimaire sur l’islam et la communauté musulmane et disent subir une méfiance à l’égard de leur religion qui se manifeste quotidiennement. Ensuite, ces personnes font parfois état de « chocs moraux », c’est-à-dire « la confrontation avec un événement particulièrement choquant, instillant chez celui qui y est confronté un sentiment de dégoût et de colère débouchant sur la nécessité d’un engagement, jugé inévitable ». Ils sont de plusieurs ordres : les violences subies par les populations musulmanes sunnites qui sont véhiculées par le biais de vidéos et d’images sur internet ; les répressions subies lors d’interrogatoires policiers le plus souvent assorties d’actes de torture ; le sentiment de harcèlement administratif ou policier quotidien éprouvé par ceux qui affichent leur appartenance religieuse. Enfin, certains s’engagent en raison d’un « islam bienveillant, fusionnel » découvert lors de séjours à l’étranger où l’appartenance à une « communauté magnifiée » se traduit par une solidarité forte, une fraternité.
La question terroriste et du djihad est partie prenante de ces entretiens. La violence est un élément central dans le discours des personnes rencontrées. Ils la voient comme un aboutissement de leur croyance ou encore incarnant une réaction juste à une répression venue de l’occident. Cette violence est perçue comme une justice à laquelle la croyance ne saurait se soustraire ; elle a une portée prophylactique permettant de protéger la communauté musulmane. Pour ces personnes incarcérées, cette violence vise certes l’Occident mais surtout la communauté chiite qui apparaît comme l’ennemie suprême. Les treize détenus manifestent, assez logiquement, une fascination pour les deux organisations islamistes combattantes les plus présentes sur le terrain militaire, à savoir l’État islamique et Al-Qaida. L’attrait est d’autant plus marqué pour l’État islamique qui, contrairement à Al-Qaida, a réussi à administrer un territoire et propager une idéologie singulière.
Au-delà des questions religieuses, l’essai s’intéresse à la vision de ces djihadistes de la France ou de la démocratie. S’agissant de la France, une contradiction apparaît entre d’un côté un respect pour la France, ses valeurs et ses institutions et, d’un autre côté, un rejet de ce pays en raison du sentiment de stigmatisation qu’ils éprouvent. La démocratie en général est elle aussi largement contestée. Les personnes interrogées en ont la vision d’un système politique fragile, faible, corruptible tandis que la religion est juste et droite. De même, d’un point de vue philosophique, en substituant à Dieu le peuple comme source de légitimité la démocratie fragilise la religion. Les entretiens exposent également une réflexion géopolitique récurrente chez les détenus qui condamnent des agressions jugées systématiques de l’Occident envers le monde musulman.
Quant à leur vision de la vie en société, les personnes interrogées sanctionnent la laïcité qui représenterait une guerre culturelle et idéologique menée contre l’islam en France. Ils prônent, par ailleurs, une virilité axée sur l’image de « l’homme guerrier ».
Ainsi, malgré la dangerosité du cadre idéologique qui anime ces détenus interrogés, ils ne sont ni fous – puisqu’ils savent livrer un argumentaire étayé – ni ignorants – car certains ont pu faire montre de centres d’intérêt intellectuels et quelques-uns ont validé un niveau d’études supérieures. Les entretiens contenus dans cet essai permettent de comprendre la vision du monde de ces hommes qui font état d’une volonté forte de vivre dans un système islamique où la dangerosité s’incarne dans un lien littéral établi entre le texte religieux et l’exigence de violence à l’encontre des mécréants et renégats.
Dans les médias :
- « Attentats: « Les djihadistes sont des soldats politiques menant une guerre folle »», Anna Benjamin (L’Express, 21 août 2017)
- « Terrorisme : une enquête pour comprendre la radicalisation des djihadistes », Pascale Egré (Le Parisien, 3 septembre 2017)
- « Djihadisme : au parloir avec les « Soldats de Dieu »», Doan Bui (L’Obs, 6 septembre 2017)
- « Terrorisme : pourquoi sont-ils devenus jihadistes ? », Grand Soir 3 (France 3, 7 septembre 2017)
- « Xavier Crettiez et Bilel Ainine (CNRS): « L’Etat doit comprendre le phénomène djihadiste pour mieux faire face »», Ivanne Trippenbach (L’Opinion, 8 septembre 2017)
- « En sol majeur : Bilel Ainine », Yasmine Chouaki (RFI, 9 septembre 2017)
- « Les djihadistes sont bien plus rationnels qu’on ne veut le croire », Jean-Luc Martin-Lagardette (Ouvertures, 15 septembre 2017)
- « Du choix des mots au choix des armes : la radicalité partout ? (2ème partie) », Guillaume Erner (France Culture, 15 septembre 2017)
- « Les Chiites ? L’Occident ? Israël ? Mais au fait, qui est vraiment « l’Ennemi » selon les djihadistes ? », bonnes feuilles (Atlantico, 17 septembre 2017)
- « Bilel Ainine : « Les jeunes djihadistes développent un discours très ambivalent sur la France »», Edouard de Mareschal (Le Figaro, 21 septembre 2017)
- « Soldats de Dieu. Un islamiste à propos des Français : « ils sont déjà vieux, ce n’est pas un pays de combattants… »» (Breizh Info.com, 24 septembre 2017)
- « Soldats de Dieu : dans la tête des djihadistes incarcérés », Sibylle Laurent (LCI, 26 septembre 2017)
- « Lu pour vous : Soldats de Dieu », Sarah Pineau (L’Auditeur. Bulletin de l’Association nationale des auditeurs de l’Institut national des hautes études de sécurité et de la justice, septembre 2017)
- « Comprendre ce qui se passe dans la tête des djihadistes », Le 64 Minutes (TV5 Monde, 9 novembre 2017)
- « Interview. Bilel Ainine : « Ces djihadistes ne sont ni fous, ni ignares » », Roxanne D’Arco (Middle East Eye, 13 novembre 2017)
- « Xavier Crettiez : « Les jihadistes sont des guerriers politiques », Jean-Manuel Escarnot (Libération, 13 novembre 2017)