Si les vacances m’étaient comptées

Les Français qui ne partent pas en vacances restent encore trop nombreux, alors que les bienfaits de cette pause hors de chez soi sont avérés. Comment agir sur les freins au départ, afin d’enrayer la stagnation de la démocratisation des vacances ? Patrick Kanner1Sénateur et président de Vacances ouvertes., Muriel Antoniotti2Présidente de la section Europe de l’ISTO (Organisation internationale du tourisme social) et membre du bureau de Vacances ouvertes., Laëtitia Martinez3Responsable de la communication de Vacances ouvertes., Rebecca Meyer4Ancienne directrice des relations institutionnelles chez VVF et directrice des affaires publiques et de la communication Domplus Groupe., et Marc Pili5Délégué général de Vacances ouvertes. proposent des solutions concrètes.

Les vacances se terminent. Les Françaises et les Français rentrent chez eux et commencent la narration de leurs exploits vacanciers, tandis que, des médias aux grandes surfaces, la focale est déjà ouverte sur l’importance de la rentrée. Nous sommes en septembre, les intentions de juin sont bien loin et, à nouveau, nous déplorerons, en 2024, cette forme de « ségrégation » entre deux France, celle des vacanciers et celle des assignés à résidence. En 2025, nous ferons le même constat et, d’année en année, nous poursuivrons ces mêmes réflexions, certains se désolant de cette situation, d’autres la trouvant normale.

Dès lors, comment sortir de cette attention ponctuelle et éphémère, d’un regard parfois misérabiliste sur celles et ceux qui ne partent pas, ou de la vision selon laquelle les vacances ne seraient pas à placer au rang des priorités ?

Mais de quoi parle-t-on exactement lorsque l’on parle des vacances, ce moment tant désiré et parfois controversé ?

Les vacances : une définition, une histoire  

Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), on appelle vacances, depuis 1995, l’ensemble des déplacements d’agrément comportant au moins quatre nuits consécutives hors du domicile6Vacances, Institut national de la statistique et des études économiques, 28 juin 2019.. Il ressort de cette définition trois axes : une durée, quatre nuitées, un espace géographique hors du domicile (mobilité spatiale) et une finalité, l’agrément. Les loisirs ne sont en aucun cas des vacances et toute politique de loisirs ne peut se substituer à une stratégie vacancière. 

De l’oisiveté à la mobilité

L’homme par nature est un nomade, certes sédentarisé, mais un nomade avant tout. « Pour la mouvante humanité primitive, la grande loi de la vie et des échanges fut celle des migrations, phénomène d’une ampleur telle que rien ne peut lui être comparé de nos jours7René Clozier, « Les migrations des peuples », L’information géographique, vol. 20, n°4, 1956, pp. 127-129. ». Ces temps de migration, qu’ils soient optimistes comme dans Candide – « il s’avisa un beau jour de printemps de s’aller promener, marchand tout droit devant lui, croyant que c’était privilège de l’espèce humaine comme de l’espèce animale de se servir de ses jambes à son plaisir8Voltaire, Candide ou l’Optimisme, 1759. » – ou liés à des persécutions, de l’exode aux diasporas, sont constitutifs de notre construction ontologique.

La mobilité, quelle que soit son origine, fait corps avec l’être humain ; il était de bon ton pour les disciples d’Aristote de marcher – ces péripatéticiens qui déambulent en échangeant des propos, des réflexions intellectuelles – et jusqu’à aujourd’hui de préconiser la marche comme nouvelle modalité managériale afin d’obtenir une activité cérébrale plus importante permettant aux fonctions cognitives de s’exprimer avec plus d’aisance. Cette mobilité a engendré, à la fin du XVIIIe siècle, ce que l’on appelle le tourisme, issu du grand tour des jeunes aristocrates anglais qui fait du voyage un espace initiatique, « un outil de connaissance à efficacité générale9Daniel Roche, Humeurs vagabondes, Paris, Fayard, 2003, p. 688. » et générateur d’ouverture permettant à sa vie oisive de trouver du sens : l’idéal de Francis Bacon retrouvé.

Cette mobilité que l’on nomme voyage a toutes les vertus, comme semblerait nous le dire Mark Twain, pour qui voyager est fatal à l’étroitesse d’esprit, à l’obscurantisme et aux fanatismes. Mais cette beauté inhérente à la mobilité est, semble-t-il, réservée à une population particulière, les aristocrates. Le comte de Chabannes explique dans La noblesse oisive que « l’oisiveté est la source de l’émulation, elle aime les talents, entretient les arts, adoucit les mœurs, augmente la population10Marc-Antoine-Jacques Rochon de Chabannes, La Noblesse oisive, 1756. ». En effet, l’état d’oisiveté laisse du temps libre pour d’autres occupations. Il précise que « l’oisiveté des grands est la source d’émulation des petits ; chacun va aux honneurs à son tour »11Ibid., mais qu’en est-il au XIXe siècle ? Est-ce que chacun va aux honneurs à son tour ? Rien n’est moins sûr ! Les premières autorisations sociales voient le jour, il y a ce que la morale accepte et ce qu’elle renie. Les dames patronnesses du XIXe siècle avaient une vision bien tranchée sur les loisirs et pour qui ils étaient faits. Si les ouvriers et les « indigents » accédaient aux loisirs, ils risquaient de faire des enfants et ne pourraient les élever. « L’oisiveté est la mère de tous les vices », mais pour qui ? C’est ce que nous relate Alain Corbin dans L’avènement des loisirs de 1850 à 196012Alain Corbin, L’avènement des loisirs de 1850 à 1960, Paris, Champs Histoire, 2020., cette évolution du temps rythmé par les saisons, le temps de l’efficacité et de la productivité. Bertrand Réau, dans son ouvrage Les Français et les vacances, poursuit ainsi : « les classes populaires, quant à elles, ont longtemps eu un temps libre restreint, étant de toute façon soupçonnées d’utiliser ce temps libre à des fins peu avouables de débauche et d’alcool13Bertrand Réau, Les Français et les vacances, Paris, CNRS Éditions, 2011. ». De là à dire que le voyage et les vacances seraient moins une victoire du travail que l’accès non partagé à l’oisiveté, il n’y aurait qu’un pas. Le travail devient un indicateur social et les effets de l’oisiveté un facteur de discrimination catégorielle.

Vacances ou congés ?

En 1936, tandis que 98% des ouvriers allemands bénéficient déjà de congés payés, la France, à la suite de quatre mois de mobilisation et à l’initiative de Léon Blum, généralise les congés payés dont ne bénéficiaient jusque-là que les fonctionnaires. Ce qui naît en 1936, c’est moins une contrepartie du travail que l’accès au bonheur pour tous14Préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 26 août 1789., base de toutes finalités politiques et idéologiques constituant le liant de la République.

« Tout cela donnait le sentiment que j’avais, malgré tout, apporté une espèce d’embellie. Dans des vies difficiles, obscures [NDLR : avec les congés payés], qu’on ne les avait pas seulement arrachés aux cabarets, qu’on ne leur avait pas seulement donné plus de facilité pour la vie de famille, mais qu’on leur avait ouvert la perspective d’avenir15Philippe Collin, « Épisode 5 : 1936, changer la vie », France Inter, 5 décembre 2022.. »

La différence d’approche entre les congés, obtenus en contrepartie du travail, et les vacances est essentielle. La place des vacances est toute particulière et peu prise en compte dans notre société, dont l’idéal républicain est le bonheur pour tous. Le fait de ne pas partir en vacances est un indicateur d’exclusion, au regard des travaux de Pierre Périer : « Les vacances seraient ainsi devenues le grand moment communautaire d’une société individualiste… le lieu privilégié d’une réconciliation avec soi-même et avec les autres16Pierre Périer,« Une forme élémentaire du bonheur : les vacances », dans Ethnologie des gens heureux , Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009. ».

L’effet bonheur des vacances est incontestable17Crédoc, Enquête « Conditions de vie et aspirations des Français », juin 2010. : partir en vacances rend 1,3 fois plus heureux que ne pas partir.

Source : Crédoc, Enquête « Conditions de vie et aspirations des Français », juin 2010.
Lecture : toutes choses égales par ailleurs, une personne partie en vacances au cours des douze derniers mois a 1,3 fois plus de chances d’être très satisfaite de son cadre de vie quotidien qu’un non-partant. Détail de la régression présenté p. 76 dans le tableau 44.

Alors pourquoi la question vacancière est-elle systématiquement un grand moment de polémique, polémique d’autant plus forte que l’on parle de celles et ceux qui n’ont pas accès au travail en simplifiant à outrance la diversité des publics touchés ? Ne serait-ce pas les résurgences d’une aristocratie, seule dépositaire légitime des loisirs qui privilégie une vision productiviste de chaque temps pour le reste de la population ? Cette question se pose.

Les inégalités d’accès aux vacances

Une démocratisation stagnante et toujours les mêmes personnes éloignées des vacances

Depuis trop longtemps, il est difficile de quantifier avec précision le nombre de partants en France mais, depuis plusieurs années, on constate de manière récurrente une stagnation de la démocratisation de l’accès aux vacances. Un constat qui interpelle d’autant plus lorsqu’on se tourne vers nos voisins européens et notamment l’Allemagne, qui détient un taux de départ en vacances très proche des 80%18Allemagne. Un marché incontournable, Atout France, juillet 2023. de la population, soit 20 points de plus qu’en France. On estime en effet qu’environ 40% des Français ne partent pas en vacances, un chiffre qui évolue peu depuis plusieurs années, et une tendance qui s’est particulièrement accrue pendant la période de pandémie de Covid-1919Étude Cofidis / CSA Research « Les Français et leur budget vacances d’été », juin 2023. puisque, d’après le Crédoc20Crédoc, Consommation et condition de vie, juin 2022., de 37% de non-partants en 2019, nous sommes passés à 46% en 2021. Enfin, la réalité de ces chiffres recouvre néanmoins des inégalités économiques et sociales extrêmement prégnantes puisque les exclus des vacances sont les personnes les plus fragiles au quotidien : demandeurs d’emploi, travailleurs précaires, familles monoparentales, personnes handicapées, seniors… et les jeunes. 

Une diversité des freins au départ en vacances 

Le principal frein au départ en vacances est économique au prime abord. D’après une étude de l’Union nationale des associations de tourisme et de plein air (UNAT) et la Fondation Jean-Jaurès, ces dernières années, quatre Français sur dix ont renoncé à partir en vacances pour des raisons financières21Dominique Marcel et Simon Thirot, Les vacances des Français : accès, pouvoir d’achat et financement, Fondation Jean-Jaurès, 8 juillet 2022..  

Cependant, derrière cette approche qui semble relever de l’évidence, se cachent une diversité de situations, de freins culturels et sociaux qui demandent du temps long et de l’accompagnement pour être levés. En effet, de nombreuses personnes ne partent pas parce qu’elles ne savent pas partir – le départ en vacances demande une acculturation, des compétences multiples – ou parce qu’elles s’interdisent de partir en vacances, au regard de leur situation sociale, pour des raisons personnelles (santé, handicap…), ou par la pression sociale renvoyant à une interdiction sociale. 

Pour l’illustrer, voici quelques verbatims de familles parties dans le cadre des appels à projets portés par Vacances ouvertes en partenariat avec l’ANCV :

  • « Ça m’a aidé à m’organiser, parce que l’organisation pour moi c’est pas facile. »
  • « Je ne suis jamais partie, je sais pas comment faire donc l’accompagnement de Miriam était important. »
  • « J’étais inquiète car avec les enfants je ne savais pas comment ils seraient. »
  • « Le manque d’argent pour moi me bloquait et je ne voulais pas montrer mes difficultés. »
  • « J’avais peur de m’ennuyer c’est un moment que je connaissais pas. »
  • « Partir toutes seules c’était pas possible. » 

Le non-départ, facteur d’exclusion ; le départ, facteur de citoyenneté heureuse

Un puissant facteur d’exclusion

Si les vacances ont une place toute particulière dans notre société, c’est qu’elles révèlent une opportunité de pouvoir faire ce que l’on veut. Ce temps libéré, ce temps vide, se construit sur les bases d’un désir parfois mûrement réfléchi ou sous l’emprise d’une impulsion.

Cette vision est celle des personnes qui peuvent partir ; la compréhension de l’importance sociale de cette mobilité est parfois mal perçue. Comment concevoir ce que nous ne vivons pas ? Coluche le disait : « la misère du monde n’est pas de dimension humaine ». Et pourtant, les enjeux qui découlent du non-départ en vacances sont extrêmement forts. De multiples enquêtes nous apportent de la matière pour faire des vacances un enjeu majeur.

Les chiffres clés de la jeunesse 202322Observatoire de la jeunesse, du sport, de la vie associative et de l’éducation populaire, Les chiffres clés de la jeunesse 2023, Injep, 30 mai 2023. indiquent que le fait ne pas partir une semaine en vacances est considéré comme une privation. L’impossibilité de partir en vacances une semaine par an hors du domicile vient en troisième position des privations matérielles pour les 16-29 ans. Les travaux de Gilles Caire23Intervention de Gilles Caire, maître de conférences HDR de sciences économiques à l’Université de Poitiers, lors de la journée d’études de l’UNAT de 2012 ayant pour thème « Les départs en vacances : inégalités, enjeux et perspectives ». nous montrent que le fait de ne pas partir en vacances a « le même effet théorique négatif qu’un divorce ou une séparation dans l’année » et que, pour les populations les plus fragiles, il constitue la deuxième difficulté rencontrée la plus impactante, après l’endettement mais avant la température du logement ou le paiement du loyer et des charges.

L’enquête Les Français et les vacances, conduite en 2016 par l’institut Ipsos pour le Secours populaire, atteste du fait que partir une fois par an en vacances est important, voire essentiel pour 84% des personnes interrogées et que le fait de ne pas partir en vacances a des conséquences plutôt très importantes sur la vie de famille pour 62% d’entre elles (et respectivement pour 89% et 72% de celles qui ont au moins un enfant de moins de 18 ans au sein du foyer)24Les vacances, un droit pour tous, enquête Ipsos pour le Secours populaire, mai 2016..

Les points négatifs sont nombreux et énoncés depuis fort longtemps. À bien y regarder, ce sont entre 40 à 50% des Français non partants qui seraient touchés par ce sentiment d’exclusion ou cette privation, soit près de 30 millions de Français. C’est probablement numériquement le sentiment d’exclusion le plus important et, pourtant, le droit aux vacances n’est mentionné que dans un texte législatif : la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions et plus particulièrement dans son article 14025Article 140 de la Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions.. La lecture exhaustive de cet article met également en lumière la nécessaire mobilisation des acteurs publics et privés autour de cette question, au moyen de « programmes d’actions concertés ». Ce texte existe et, bien qu’imparfait et circonscrit sur une partie du territoire, il a une vertu, celle de transformer cet objectif national : « l’État, les collectivités territoriales, les organismes de protection sociale, les entreprises et les associations contribuent à la réalisation de cet objectif. Ils peuvent mettre en œuvre des programmes d’action concertés ». Mais sur la base de quelles données ? Il est impératif de retrouver une base statistique fiable nationale portée par l’Insee pour que toutes les actions envisagées soient construites non plus sur des sondages mais sur un référentiel statistique fort permettant de construire des politiques publiques et de renforcer les travaux de recherche.

Les vacances ont de nombreuses vertus, appuyées, documentées, tant sur les parcours individuels qu’au regard de la cohésion sociale.

La cohésion sociale

Un élément primordial ressort des résultats de la plupart des travaux conduits par les associations d’aide au départ : le fait de partir en vacances montre que l’on est « comme tout le monde ». Du Secours catholique, en passant par les Petits frères des pauvres, sans oublier Les Restos du cœur, le Secours populaire, Vacances ouvertes et bien d’autres, tous sont unanimes sur ce sujet : les vacances sont un vecteur de cohésion sociale.

Comme le précise Jean-Didier Urbain, «comme on offre aux soldats une permission pour éviter les désertions. L’homme politique qui n’aurait pas compris cela commettrait d’ailleurs une grave erreur : il ne s’agit pas d’encourager l’oisiveté, mais de (re)donner au peuple un espace-temps qui lui appartient. Car c’est bien là que se joue le sentiment de liberté. En vacances, on ne se contente pas de reposer le corps et les neurones, on reconstitue aussi des valeurs, des références communes26Vincent Olivier, « Cent ans d’idées reçues sur les vacances », L’Express, 21 juillet 2013.. » Tout est dit, la République se fonde sur des valeurs communes, des symboles partagés qui ne se structurent pas toujours là où on l’imagine et qui font syncrétisme. C’est ce temps de narration d’un moment hors du temps qui se partage posément. De ce fait, ce partage fait autorité. 

Il est bon de penser l’autorité sous toutes ses formes. Deux communes du Pas-de-Calais, Avion et Méricourt, en constituent certainement une illustration exemplaire. Grâce à la volonté des deux municipalités, qui ont à la fois mobilisé tous les dispositifs d’aide à leur disposition, mais aussi formé leurs agents à cet accompagnement spécifique, près de 2 500 personnes ont pu partir en vacances en 2022, soit près de 10% de la population totale de la commune d’Avion27Agustina Serrano, « Se saisir du droit aux vacances au niveau local : l’expérience de la ville d’Avion », Revue Partances, n°4, 2022.. Cette démarche a été initiée en 2021 à Avion et s’est étendue en 2022 à Méricourt. Elle est reproductible.

Des premiers éléments sont déjà constatés par les acteurs locaux : des relations plus apaisées entre les habitants et les fonctionnaires de la commune, le sentiment d’être reconnu car plusieurs familles pensaient « n’avoir droit à rien ». Les plus velléitaires se rapprochent des associations et de la commune pour voir comment ils pourraient partir en vacances. Les dossiers d’urgence sociale se déclenchent plus rapidement car il y a une meilleure compréhension de la situation des personnes. Si tous ces points sont certes à confirmer par une étude plus poussée, ils confortent clairement la qualité du lien social entre associations, collectivités locales et habitants lorsque le point de convergence sont les vacances28Agustina Serrano, « Se saisir du droit aux vacances au niveau local : l’expérience de la ville d’Avion », Revue Partances, n°4, 2021, pp. 53-58..

Outil de prévention

De manière générale, les vacances ont un impact sur la santé de celles et ceux qui en ont. Pléonasme direz-vous, alors pourquoi une politique de prévention n’est-elle pas mise en œuvre dans le pays où le thermalisme est remboursé par l’Assurance maladie ?

Voici quelques faits avérés pour étayer le postulat.

  • L’exposition au soleil peut combler de 80 à 90% des besoins en vitamine D, prévenir le rachitisme chez les enfants et lutter contre l’ostéoporose et bien d’autres maladies29Pierre Toulemonde, « Vitamine D et foie », Hegel, vol. 1, n°1, 2015, pp. 10-18..
  • D’après Bryce Hruska, professeur assistant à l’université de Syracuse et auteur principal d’une étude sur le sujet, « Les personnes qui ont pris des vacances plus fréquemment sur une année ont moins de risques de développer des symptômes métaboliques. […] Le syndrome métabolique est une collection de facteurs de risques pour la maladie cardiovasculaire. Plus vous en présentez, plus vous avez un risque de développer une maladie cardiovasculaire30Bryce Hruska, Sarah D. Pressman, Kestudis Bendinskas, Brooks B. Gump, « Vacation frequency is associated with metabolic syndrome and symptoms », Psychol Health, 35 (1), 2020, pp. 1-15.. »
  • Nous ne parlerons pas de l’enjeu des vacances sur les effets du Covid-19 avec son confinement et les troubles psychiques qui y sont durablement liés, et tout particulièrement chez les 11-25 ans31Pierre Bouchat, Hannah Metzler et Bernard Rimé, « Crise et pandémie. Impact émotionnel et psychosocial du confinement », Le Journal des psychologues, vol. 380, n°8, 2020, pp. 14-20..
  • Les vacances sont perçues comme un temps de repos mais aussi de bonheur. La fonction « bonheur » des projets vacances semble avoir des effets sur le système endocrinien : des travaux manquent sur le sujet en lien avec les vacances, mais le bonheur produit de la dopamine, de l’ocytocine, de la sérotonine et des endorphines. Alors pourquoi pas les vacances ?  
  • Cette fonction chère à Vacances ouvertes peut avoir un impact positif contre l’apathie sociale donnant de l’allant aux personnes âgées. « Lorsque le système de récompense est détruit ou endommagé, les patients présentent une apathie parfois extrême. Une incapacité à se motiver pour se lever. On parle ici de perte d’autonomie psychique. Incapacité à motiver la moindre action et la moindre pensée32Lionel Naccache, neurologue, professeur à la Pitié-Salpêtrière, intervenant dans l’émission Parlez-vous cerveau ? sur France Inter en août 2017.. »

Prendre des vacances a un rôle très positif sur la baisse du niveau de stress. Comme l’explique Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, lors d’un des colloques à Bercy sur les cités éducatives, le stress est un obturateur des fonctions cognitives, qui impacte fortement l’apprentissage. Peut-être ces éléments ont-ils nourri l’idée des « colos apprenantes ». Il y a beaucoup à dire sur le sujet des colonies de vacances et leur fonction involontairement ségrégante. Nous y reviendrons ultérieurement. Soulignons cependant qu’elles sont également vectrices de joie pour les enfants qui en bénéficient et d’apprentissages informels impactant le positionnement dans la vie de la cité. Ne pas partir en vacances et ne pas pouvoir le montrer à l’époque des réseaux sociaux constituent une forme d’exclusion sociale (particulièrement chez les jeunes) qui n’est pas sans conséquence sur la santé33Marlène Mélon, « Les vacances embellissent-elles vraiment notre vie ? », Revue Centre Avec, n°133, été 2020..

Le projet vacances : un vecteur pour l’estime de soi

Si le fait de partir génère en soi des effets très positifs, le départ n’est pas la seule finalité de la démarche. La diversité des freins au départ évoquée plus haut, et notamment les freins sociaux et culturels, induit la nécessité d’un accompagnement au départ en vacances qui se traduit, pour de nombreuses associations, par la construction d’un projet vacances qui implique les personnes accompagnées. Le projet vacances dans sa globalité – préparation, départ, évaluation – permet d’évoquer les questions de mobilité, d’autonomie, de citoyenneté, d’aide à construire un budget, et les liens intrafamiliaux ; il agit sur des ressorts qui relèvent de l’intime.

Depuis de longues années, les associations qui travaillent sur l’accompagnement des personnes vulnérables constatent qu’il y a un « avant » et un « après » les vacances. Certaines de ces associations voient une évolution dès le moment où le projet se met en œuvre, donc bien longtemps avant que les vacances ne se concrétisent. Si pour le travail social le projet vacances peut être un outil d’accompagnement global et qu’il peut remettre en action le système de récompense sociale, il n’y a pas loin à construire un raisonnement sur les effets bénéfiques pour les personnes éloignées des vacances et, de ce fait, à détecter les impacts dès le début du projet.

Plusieurs effets, et particulièrement l’impact sur l’estime de soi, sont déjà démontrés. De multiples travaux le démontrent. Gilles Caire a analysé les données de l’enquête des conditions de vie de 2009 du Crédoc et a démontré que 90% des personnes en situation de pauvreté ou ayant un revenu modeste se placent elles-mêmes en bas de l’échelle sociale, contre 75% si elles sont parties en vacances dans les douze derniers mois34Gilles Caire, intervention citée.. En outre, les personnes parties en vacances ont une meilleure image d’elle-même.

D’autres travaux plus récents démontrent que la période du retour de vacances est propice aux projets nouveaux. Les jeunes à faibles opportunités ont une image plus positive d’eux-mêmes, ce qui impacte positivement la persévérance, l’anticipation, et l’organisation35Parcours vacances, véritable outil pour l’autonomie des jeunes, Vacances ouvertes, 31 octobre 2018.. Ces éléments sont confortés par une étude d’impact de dix ans de dispositif Sac Ados porté par le département du Pas-de-Calais36Sac Ados Pas-de-Calais, favoriser l’autonomie des jeunes, Vacances ouvertes, 17 juin 2019. qui montre que 65,8% des jeunes ont réalisé des choses dont ils ne sentaient pas capables avant le départ. Cette (re)mobilisation obtenue dans le cadre du projet vacances se constate également dans les témoignages de jeunes partis dans le cadre d’un autre dispositif de Vacances ouvertes, Parcours Vacances :

  • « J’imagine ma vie d’adulte autrement. J’ai donc eu le courage de démissionner et j’ai commencé une formation d’aide-soignante, en septembre 2021. Je suis très heureuse d’avoir fait ce choix et je me sens épanouie » ;
  • « Ces vacances m’ont permis de mettre de l’ordre dans mes idées, de confirmer mon projet et mes ambitions professionnelles. »

Il en va de même pour les familles, mais ceci est plus institué à travers les politiques de soutien à la parentalité par les vacances portées par les Caisses d’allocations familiales (CAF) structurées autour de VACAF.  

Si les vacances sont un bienfait pour le vivre-ensemble, si elles ont un impact démontré sur la santé, si elles produisent, en plus, sur les personnes une reconstruction de l’estime de soi, alors comment s’approprier cet objet pour en faire un vrai levier d’action ?

Les prémices d’une politique des vacances

Il serait inexact de dire que rien n’est organisé aujourd’hui en France sur la fonction des vacances, mais se perçoit toujours un tiraillement entre l’enjeu du vivre-ensemble et la prise en compte d’un besoin individuel. La prise en compte des freins au départ en vacances est bien connue avec sa répartition entre freins financiers, freins sociaux et culturels. Mais parfois l’on met dans les freins économiques des questions de connaissance : l’épargne en est un exemple flagrant, est-ce un manque d’argent ou un manque de culture d’épargne ? Les sondages qui nous sont rapportés37Antoine Bristielle, Cécile Cottereau, Les inégalités face au départ en vacances, Fondation Jean-Jaurès, 12 juillet 2023. ne vont pas plus loin, nous livrant une réponse socialement acceptable. De ce fait, la question de l’accompagnement devient une clé de lecture à réinvestir.

Nous porterons notre attention uniquement sur les structures d’aide à la personne mettant de côté les questions d’aide à la pierre, très importantes également mais qui, à bien y regarder, ne sont pas liées à l’accueil des non-partants, mais plus à une adaptation de l’offre au regard de l’évolution des partants. Lorsque « le vacancier néophyte » est dans un équipement, tout le travail de lever les freins est réalisé, l’accès aux vacances est transformé !

Les acteurs du droit aux vacances

Les acteurs sont nombreux, comme le souligne le rapport du Conseil national du tourisme de 2004, intitulé Coordonner et optimiser les aides au départ en vacances des familles38Marie-Magdeleine Hilaire, Coordonner et optimiser les aides au départ en vacances des familles, Conseil national du tourisme, 2004.. Chaque acteur développe sa propre stratégie et cette juxtaposition ne contribue pas à une politique globale efficiente des vacances.

L’Agence nationale pour les chèques-vacances (ANCV)

L’ANCV est le bras armé de l’État pour le droit aux vacances. Son modèle économique est exemplaire puisque les excédents issus de la commercialisation des chèques-vacances servent à financer la politique sociale de l’agence. L’ANCV porte dans ce cadre plusieurs dispositifs à destination de différents publics ; elle accompagne et finance des associations têtes de réseau œuvrant dans le champ du droit aux vacances. L’action de l’ANCV favorise ainsi le départ de 244 000 personnes chaque année39Rapport annuel 2021, Agence nationale pour les chèques-vacances, 2022..

Les Caisses d’allocations familiales (CAF)

Les Caisses d’allocations familiales sont des actrices prépondérantes. Elles interviennent sur la question vacancière par le biais du soutien à la parentalité au travers de VACAF, proposant des aides aux familles et aux enfants. Chaque CAF définit ses modalités d’intervention en fonction de critères qui généralement sont liés au quotient familial. Le taux d’intervention n’est pas unifié, de même que la fréquence des départs ou la durée des séjours. Les CAF touchent entre 6% et 8% de leurs allocataires rentrant dans les critères qui leur sont propres, ce qui représenterait 450 000 personnes40La Caf vous aide à partir en vacances cet été !, Caisse d’allocations familiales, 11 mai 2022.. Certaines CAF peuvent également soutenir des dispositifs associatifs liés aux vacances, dans le cadre de leur action jeunesse par exemple. À noter également l’intérêt de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) sur la question vacancière dans le cadre du soutien à la parentalité.

La Mutualité sociale agricole (MSA)

Comme les CAF, les MSA peuvent accorder à leurs allocataires une aide financière pour le départ en vacances, soit sur fonds propres soit en partenariat avec l’ANCV.

Les comités sociaux et économiques (CSE)

Au-delà de leur fonction de représentation des salariés, les CSE ont pour mission de mettre en place des activités sociales et culturelles (ASC) dans l’entreprise afin d’améliorer les conditions de travail des employés. Bon nombre d’entre eux font appel à l’ANCV et aux chèques-vacances. Ils peuvent également, dans le cadre d’un excédent des ASC, donner 10% de ce montant à une association reconnue d’utilité publique41Article R2312-51, Code du travail..

Les collectivités locales et les EPCI

Communes, Établissements publics de coopérations intercommunales (EPCI), départements, régions : chaque strate de collectivité locale ou d’EPCI est susceptible d’intervenir en faveur de l’accès aux vacances. Dans la majeure partie des cas, les financements ne sont cependant pas identifiés dans une rubrique « aide aux vacances ». En fonction des compétences, de l’histoire, des priorités politiques, le soutien au départ en vacances se traduit dans le cadre de politiques d’action sociale ou de solidarité, de politiques jeunesse, de soutien à la vie associative, voire d’approche touristique.

On peut également souligner la mobilisation de CCAS et CIAS (centres communaux / intercommunaux d’action sociale) soit seuls, soit en collaboration avec des associations nationales qui portent le droit aux vacances, telles que l’UNAT et ses membres, soit à travers les politiques mises en place par l’ANCV.

L’État

L’État joue également un rôle important, par la loi de financement de la Sécurité sociale qui exonère de charges sociales les chèques-vacances, dans le cadre des « colos apprenantes » et de la Stratégie de lutte contre la pauvreté où les vacances ont trouvé une place dans l’ancienne programmation. La situation est cependant beaucoup moins claire dans le cadre du Pacte des solidarités qui doit se mettre en œuvre en 2023.

L’État intervient dans le cadre de la politique de la ville et des contractualisations avec les collectivités locales, dans les orientations données à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), dans le cadre de la Convention d’objectifs et de gestion (COG) avec la Cnaf.

L’État intervient également au titre du tourisme : même si les subventions de la Direction générale des entreprises (DGE) n’existent plus depuis 2021 pour les associations d’aide au départ en vacances, celle-ci n’en reste pas moins active sur le sujet. Cette administration centrale se mobilise sur la question du droit aux vacances en lançant une concertation en 2023 auprès des opérateurs de tourisme, et plus particulièrement ceux des membres de l’UNAT.

Bien évidemment, l’ensemble de ces acteurs s’appuie sur le dynamisme et la richesse du tissu associatif :

  • les hébergeurs, globalement réunis au sein de l’UNAT ;
  • les associations caritatives ou de solidarité, membres de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) ;
  • les associations dédiées à l’action sociale par les vacances.

Chaque acteur développe ainsi des actions spécifiques, mais quelle organisation et quel pilotage pour une organisation plus efficiente ? Et quelle solution pour répondre à ce défi majeur de permettre au moins chaque année à 80% de la population de pouvoir partir quatre nuitées consécutives en vacances, comme le font les Allemands ?

Un objet politique, un vecteur de citoyenneté

L’enjeu lié à la massification de l’accès aux vacances est double : celui de l’effectivité du droit aux vacances pour tous et celui des effets induits, à titre individuel comme collectif, l’ensemble venant légitimer la question vacancière comme objet politique, les vacances comme outil d’inclusion sociale.

Partir en vacances n’est pas anodin. Marqueurs sociaux forts, les vacances participent de la construction de la citoyenneté, produisent des résultats efficients, permettent de se construire, se reconstruire, se développer, se surpasser.

Ressenties comme un luxe ou comme un rêve inaccessible pour une partie de la population, elles sont pourtant un moyen d’expression visible de notre triptyque républicain : liberté, égalité, fraternité.

Le sentiment de relégation sociale se nourrit de cette privation. Or l’égalité, valeur primordiale de la dignité des individus, est le préalable nécessaire au vivre-ensemble, à une société apaisée. Ne pas donner les moyens effectifs à une partie de la société d’avoir des souvenirs à raconter, à partager, d’être comme tout le monde, est un facteur excluant, de fait, l’expression d’une citoyenneté pleine et entière.

Vecteurs de cohésion sociale, d’expression de la fraternité, les vacances sont le lieu de toutes les socialisations et donc de l’apprentissage et de l’expression du mieux vivre-ensemble. Le « nous » se revendique naturellement au travers de l’expérience partagée.

Comme sur nombre de sujets de société, un arsenal législatif existe, mais comme sur nombre de sujets de société, il est limité, mal appliqué. Comme sur nombre de sujets de société, cet arsenal n’est rien sans une réelle volonté politique.

Certes, le frein financier étant prégnant, l’objectif de massification de l’accès aux vacances demandera des moyens supplémentaires. Mais la question de la coordination de l’ensemble des actions de soutien aux vacances est une partie de réponse à la mobilisation de moyens, mais aussi un préalable nécessaire à la construction d’une véritable politique publique.

Mais pour que ce projet soit effectif, il faut renforcer l’organisation territoriale, penser les vacances comme une véritable politique publique, l’intégrer dans les blocs de compétences, avoir un chef de file et bien entendu un processus d’évaluation tant quantitatif que qualitatif qui s’inscrive dans le temps long.

Mais une fois partagée l’idée d’un engagement commun, portée politiquement, en faveur de l’accès aux vacances du plus grand nombre, reste à partager la nécessité de l’accompagnement aux vacances.

L’accompagnement : la clé de voûte du droit aux vacances

Nous l’avons évoqué précédemment, l’aide financière seule ne suffit pas pour permettre un départ. Il faut compter avec les logiques d’auto-interdiction et de légitimité sociale. Parfois se cachent, derrière l’unique besoin financier, d’autres situations.

En outre, un des enjeux de l’accompagnement est la reproduction autonome des départs. Pour atteindre cet objectif, il est question de la méthode et de la place laissée aux personnes quant à la construction de leur projet. La connaissance totale du coût des vacances est un facteur déterminant permettant d’objectiver le travail à réaliser pour construire son projet vacances.

Parfois, les familles ne visualisent que leur reste à charge, ne donnant pas la visibilité totale du coût des vacances lorsque que les aides s’arrêtent. L’écart est tellement important qu’elles ne peuvent repartir en vacances, engendrant très probablement une perte des bénéfices acquis lors de la construction de leur projet initial.

Ainsi, une politique publique d’aide aux départs ne doit pas faire fi de l’accompagnement, qu’il soit réalisé par des salariés ou par des bénévoles ; l’enjeu de la méthode et de la compréhension est fondamental pour que l’investissement public soit le plus efficient.

Formation et place du travail social

Cette dimension demande à être appropriée par les décideurs et décideuses politiques mais aussi par celles et ceux qui la rendent opérationnelle au quotidien. Les effets des projets vacances et plus généralement tout le sens que recouvre la question vacancière – le lien au temps libre, à la mobilité, à l’autonomie… – sont aujourd’hui bien compris par celles et ceux qui se servent du projet vacances dans leur accompagnement. 

Quels sont aujourd’hui les objets qui permettent de travailler le budget, l’alimentation, l’accès aux logements, la capacité à se projeter, voire à construire de l’épargne et ce, dans le cadre d’un projet positif ?

Pour autant, le projet vacances est généralement peu utilisé dans le travail social, faute de son intégration dans le cursus de formation. Pourtant, le projet vacances cadre tellement bien avec la finalité du travail social : « le travail social vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté. Dans un but d’émancipation, d’accès à l’autonomie, de protection et de participation des personnes, le travail social contribue à promouvoir, par des approches individuelles et collectives, le changement social, le développement social et la cohésion de la société. Il participe au développement des capacités des personnes à agir pour elles-mêmes et dans leur environnement42Décret n° 2017-877 du 6 mai 2017 relatif à la définition du travail social.. »

Le projet vacances mérite d’être intégré au sein des cursus de formation initiale du grand champ du travail social ; il peut également faire l’objet de modules spécifiques tant dans la formation continue que dans la formation des bénévoles, au travers du Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) par exemple.

Il participe ainsi également du sens du travail social, secteur d’activités fortement chahuté, en perte d’attractivité, de moyens, avec des conditions d’exercice de plus en plus difficiles.

Cependant, si l’accompagnement au projet vacances relève plus d’une mobilisation du travail social que d’autres secteurs, comme le tourisme par exemple, la formation et la sensibilisation à ses effets devraient pouvoir concerner un spectre bien plus large de secteurs d’activités. Les biais d’une action publique fortement en silo ont déjà été pointés dans de nombreuses situations, et parfois le simple fait de favoriser l’interconnaissance de culture et d’approches professionnelles différentes peut changer beaucoup de choses. Un projet réussi, porté par Gironde Tourisme, en est une parfaite illustration. Ce projet avait pour objectif de permettre à plusieurs hébergeurs et assistantes sociales du département de se rencontrer dans la perspective de départs en vacances de personnes accompagnées ; celui-ci a permis de faire évoluer les représentations respectives dans une finalité dont les vacanciers ont été les premiers bénéficiaires43Gironde : une expérimentation pour rapprocher les acteurs du tourisme et de l’action sociale, Vacances ouvertes, 7 septembre 2022..

Cet exemple peut se décliner plus fortement à travers un maillage territorial plus fin et ce, à travers le réseau de 1 500 offices de tourisme (OT) dont les missions sont, entre autres, de :

  • donner des conseils éclairés aux visiteurs et aux habitants ;
  • collecter, trier et hiérarchiser l’information touristique : connaissance fine de l’offre du territoire, organisation de base de données.

Ce travail de proximité est sans doute un enjeu majeur pour l’implication philanthropique des opérateurs de tourisme et de loisirs, impliqués qu’ils sont dans la gestion des OT, car il faut compter avec la solidarité des entreprises également – le fonds de dotation Essentiem l’a bien compris à travers son modèle organisationnel et ses déclinaisons territoriales possibles.

Conclusion

Les vacances sont un objet qui ouvre un champ de réflexion immense et parfois aussi d’une grande actualité. Elles posent la question de notre rapport au temps et au travail. Dans son rapport du 26 mars 2023, Goldman Sachs44Joseph Briggs et Devesh Kodnani, The potentially large effects of artificial intelligence on economic growth, Goldman Sachs, 26 mars 2023. nous dit que l’évolution de la place de l’intelligence artificielle pourrait remplacer ou automatiser deux tiers des emplois et plus particulièrement ceux du tertiaire avec une augmentation de richesse annuelle de 7% du PIB mondial. Dès lors, comment anticiper cette situation et accompagner les temps libérés qui en découleront ? André Gorz écrit ainsi : « Le travail tend à devenir une force de production secondaire […] La libéralisation du travail devient pour la première fois possible45André Gorz, Métamorphoses du travail. Critique de la raison économique, Paris, Folio essais, 2004. ». Il pense que « le travail ne peut plus servir de fondement à l’intégration sociale46Ibid. ». Ces réflexions interrogent profondément l’organisation de la société ; elles prédisent un renversement de paradigme qui nécessite une vigilance extrême car c’est là que se joue la cohésion sociale. En paraphrasant Pascal, « ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force47Blaise Pascal, Pensées, 1670. ».

Elles posent la question du champ des possibles, y compris sous un angle géographique, militant pour une transformation de l’assignation à résidence – dont chaque personne a perçu la puissance des effets en période de confinement – à la villégiature pour le plus grand nombre de nos concitoyens. L’accès aux vacances semble être aussi une réponse à la perception du surtourisme qui prend une place de plus en plus grande dans la presse comme étant un nouveau danger48Théo Putavy, « Venise, Amsterdam, Portofino… Victimes du surtourisme, des villes d’Europe prennent des mesures », BFM, 7 août 2023..

Les modèles économiques existent ; en les déployant de manière plus harmonieuse, où la place de chacun est respectée et les associations d’aide au départ, anciennes et nouvelles, remises au cœur du processus, ils seraient plus efficients. Les opérateurs du tourisme dans leur généralité, au regard des volumes traités, ont une place moins centrale dans l’accompagnement, mais non moins importante, car ils seront les réceptionnistes de cette politique avec ce que cela signifie de prise en compte des principes de mixité sur les lieux de vie des vacanciers. 

De nombreux oublis émaillent cette note, mais l’exhaustivité n’est pas de mise dans un exercice aussi difficile. Plus qu’une grande loi, c’est une ambition politique qui est à porter, et qui ne serait peut-être pas aussi dispendieuse qu’on pourrait l’imaginer. Des pistes potentielles pour attaquer effectivement le sujet existent, les besoins sont criants et les effets positifs, tant pour les personnes que sur l’organisation harmonieuse de notre République, ne sont plus à démontrer. Il reste maintenant à créer l’espace de concertation, de coordination et d’actions transverses. La voie des vacances est ouverte depuis bien longtemps et ce sont plus de 20 millions de nos concitoyens qui en sont toujours exclus.  

À tous les décideurs, le message est lancé pour que notre République ne laisse plus sur le côté 40% de la population. Le moment de mettre en œuvre des actions concrètes pour l’enfance, la jeunesse, les familles, les seniors, quelle que soit leur situation sociale, économique ou physiologique, est venu. Pourquoi ne pas faire des vacances une excellence à la française ? Cette ambition peut devenir réalité d’autant que le territoire est maillé, aux côtés des collectivités territoriales (État, régions, départements, communes), de grandes institutions, les acteurs du paritarisme et de la société civile. La France et ses territoires se veulent les premières destinations touristiques, mais cela n’est nullement antinomique avec le fait de devenir des territoires affichant le plus fort taux de départ en vacances, bien au contraire ! Retrouvons-nous pour que la fonction bonheur des vacances soit effective. 

Alors reprenons cette citation de Victor Hugo qui résonne d’une terrible actualité : « Travailler au peuple, ceci est la grande urgence. L’âme humaine, chose importante à dire dans la minute où nous sommes, a plus besoin encore d’idéal que de réel. C’est par le réel que l’on vit ; c’est par l’idéal que l’on existe49Victor Hugo, William Shakespeare, 1864, livre 5, chapitre 2.. » 

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