Sept vérités sur les Français et le logement

Quel est le parcours de logement des Français ? La Fondation s’est associée à Procivis et à Harris Interactive autour d’une enquête, dont cette deuxième édition s’appuie sur 10 000 questionnaires, ce qui en fait un objet robuste et sans beaucoup d’équivalents dans le secteur. Comme en 2020, les résultats sont riches et nombreux. Le logement apparaît comme l’un des parents pauvres des programmes politiques. Il est souvent appréhendé de manière technique et désincarné, à travers des discussions normatives ou fiscales, alors que le logement est le lieu central de nos existences – celui où l’on mange, où l’on dort, où l’on vit ses amours et ses amitiés, où l’on élève ses enfants, de plus en plus celui où l’on travaille. Il faut donc lui donner la place politique qu’il mérite.

Vous êtes arrivés à destination

Ce baromètre a pour objet le parcours de logement des Français. Cette notion de « parcours » est souvent utilisée par les acteurs économiques, institutionnels et politiques. Beaucoup moins par les individus eux-mêmes. Pourtant, s’ils n’utilisent pas le mot, il apparaît que les Français vivent effectivement en matière de logement ce qui peut s’apparenter à un parcours, avec un point de départ et une destination. C’est un premier résultat marquant de cette enquête. 

Les Français vivent en moyenne dans quatre logements durant leur vie d’adulte, soit à partir de leur majorité. Que l’on appréhende le sujet par le type de logement (maison ou appartement), le lieu d’habitation (petite ville ou grande ville), la surface du logement ou encore le statut d’occupation (propriétaire ou locataire), tous les résultats convergent pour indiquer que derrière ce nombre moyen se dessine un schéma : le parcours s’arrête quand la personne a trouvé le logement qui lui convient.

Plus de 90% des sondés ont vécu moins de dix ans dans leurs premiers logements ; ils ne sont plus que 77% dans l’avant-dernier logement et 54% dans le logement actuel. Parmi les 46% qui vivent dans leur logement actuel depuis plus de dix ans, la moitié y vit depuis plus de vingt ans. Autrement dit, arrive un moment donné où la personne « pose ses valises », le parcours se termine.

Ce schéma est édifiant. Nous ne sommes pas dans la mobilité perpétuelle, ballotté par les événements de la vie : mise en couple, naissances, changement professionnel. Ces éléments ne semblent pas avoir d’incidence très notable sur le choix de déménager. Il existe une motivation purement liée au logement qui explique que les individus bougent, passent d’un logement à l’autre puis se stabilisent. Une sorte de quête de logement.

Retour en enfance

En quoi consiste cette quête ? Que cherchent au juste nos concitoyens s’agissant de leur logement ? Ils cherchent ce qu’ils ont connu enfant. Deuxième résultat fascinant de cette enquête : le poids de ce que les sociologues appellent « socialisation » en matière de logement, c’est-à-dire l’apprentissage que nous faisons dans l’enfance qui forme nos goûts et nos représentations.

Les personnes qui ont grandi dans une maison aspirent davantage que les autres à vivre dans une maison. Les personnes dont les parents étaient propriétaires aspirent davantage que les autres à devenir propriétaires. Les personnes qui ont vécu leur enfance en ruralité aspirent davantage que les autres à retourner en ruralité. Et ainsi de suite.

On constate que les premiers logements ne répondent le plus souvent pas à ces aspirations, à ces idéaux. Par exemple, 63% des enquêtés ont passé leur enfance principalement dans une maison. Ils ne sont plus qu’environ 30% à vivre dans une maison dans leurs premiers logements d’adulte. Et ils sont à nouveau 58% dont le logement actuel est une maison.

Idem pour le statut d’occupation. 43% des personnes interrogées ont des parents propriétaires. Ils ne sont eux-mêmes que 8% à l’être au début de leur parcours. Puis ce score monte à 26% sur l’avant-dernier logement et finalement à 55% sur le logement actuel.

Se manifeste donc clairement cette idée de parcours, avec un début : le logement principal de l’enfance ; et un aboutissement : le moment où l’on retrouve une situation de logement comparable à celle que l’on a connue enfant. Et dès lors que cette situation est trouvée, retrouvée, le rythme des déménagements se réduit drastiquement : on se « pose ».

Le rêve français : propriétaire d’une maison à la campagne

Les Français recherchent donc tant que possible le logement qui a caractérisé leur enfance. Mais dans l’absolu, de quoi ont-ils envie ?

Très nettement, ils veulent une maison. 79% ont indiqué qu’il s’agirait de leur logement idéal. C’est encore 3 points de plus que lors de notre baromètre 2020, ce qui laisse penser que la crise sanitaire n’a pas altéré cette aspiration, au contraire. Ce désir est d’ailleurs cohérent – c’est suffisamment rare pour être souligné – avec la vision politique des enquêtés sur ce sujet : ils ne sont que 21% à penser qu’il convient de construire davantage d’immeubles de logement plutôt que des maisons individuelles. Cela ne va pas sans interroger l’objectif de « zéro artificialisation des sols », puisque les trois quarts des Français pensent qu’il n’y a pas assez d’espaces naturels préservés, mais nous aurons l’occasion d’y revenir au moment de formuler des propositions.

De manière tout aussi nette, les Français veulent devenir propriétaires. Ils sont 72% à l’avoir exprimé parmi les locataires, c’est 9 points de plus que l’an dernier. Une progression fulgurante qu’il faut aussi interpréter dans le contexte lié à la pandémie de Covid-19. 

Les jeunes sont particulièrement intéressés à acquérir leur logement : 85% des 18-34 ans ont cette ambition qui s’estompe avec l’âge. Il faut donc se garder de conclusions hâtives sur une génération qui prendrait ses distances avec la propriété au profit de l’usage. Et s’ils consentent plus que leurs aînés à vivre en colocation, il semble que ce soit plus par pragmatisme que par goût. Deux tiers des personnes en colocation ont mené des démarches pour déménager dans l’année écoulée, c’est le score le plus élevé toutes catégories confondues. En revanche, pour devenir propriétaire, les jeunes n’excluent pas de passer par une étape de copropriété d’un logement partagé. Surtout pour ceux qui sont en région parisienne. On peut faire l’hypothèse que l’essentiel pour eux est de rentrer dans le circuit de l’accession, quel qu’en soit le moyen.

Enfin, il se confirme ce que nous avions détecté avec l’édition 2020 du baromètre : la forte appétence pour les petites villes et la ruralité. 65% des Français qui envisagent de déménager espèrent le faire pour une commune rurale ou une petite ville. Plus en détail, on observe que les personnes qui vivent dans la ruralité y ont le plus souvent grandi et souhaitent y demeurer. Celles qui vivent dans des petites villes ont grandi dans des petites villes et continuent à préférer les petites villes (ou la ruralité). En revanche, les habitants des grandes villes ont grandi majoritairement dans des villes petites et souhaitent y retourner. De la même manière, les Franciliens aspirent à quitter la vie métropolitaine : 13% pour la ruralité, 35% pour une petite ville, 34% pour une ville moyenne, ils ne sont que 18% à imaginer rester dans une ville de plus de 100 000 habitants. 

J’aime plus Paris

Ces chiffres nous invitent à faire un focus sur le cas de la région parisienne. Un Francilien sur deux indique vouloir quitter l’Île-de-France s’il devait déménager, c’est le score le plus élevé des régions françaises, le double de ce que l’on observe en Normandie, en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine, en Occitanie, en PACA, en Auvergne-Rhône-Alpes, etc.

Parallèlement, il apparaît que le parcours des Franciliens comporte en moyenne un logement de moins que la moyenne nationale. On peut avancer que le parcours des Franciliens est un parcours « incomplet » : il est un parcours plus court et pas vraiment satisfaisant. Le logement idéal, celui dans lequel on s’installe durablement, est plus difficile à trouver pour les habitants de la région parisienne. Ces habitants sont comme empêchés, captifs d’un marché du logement cher, où chaque mobilité a généralement un coût. Quatre Franciliens sur cinq considèrent que le logement représente une charge financière importante pour eux et ils sont plus nombreux que les autres à avoir engagé des démarches pour déménager : 57% contre 49% en moyenne.

Chacun chez soi

La qualité du cadre de vie et du logement d’une part (58%), le fait de devenir propriétaire d’autre part (31%), sont les deux principales motivations des personnes qui ont déménagé. Ces chiffres sont cohérents avec ceux que nous indiquions précédemment sur l’aspiration à être propriétaire, si possible d’une maison dans une petite ville. Quand on ajoute que l’isolation, thermique et phonique, est la première qualité attendue d’un nouveau logement par 95% des répondants, on peut, sans trop extrapoler, dire que le logement idéal est un refuge, un cocon, qui protège de l’extérieur et permet de se sentir strictement « chez soi ». D’ailleurs, le principal objet d’inquiétude pour les Français qui déménagent est de se retrouver avec des voisins indélicats (26%).

La deuxième attente après l’enjeu du bruit est que l’appartement dispose de suffisamment de pièces pour que chacun puisse s’isoler (91%). L’idéal de l’espace à soi vaut aussi vis-à-vis du conjoint et des enfants. On doit pouvoir choisir les moments où on est ensemble et ceux où l’on peut se retrouver seul.

Le logement, un problème de pouvoir d’achat ?

Quand on interroge les Français sur ce qui leur semble prioritaire en termes de politiques publiques, le pouvoir d’achat arrive en tête avec un score de 75% alors qu’il était de 68% dans notre édition 2020. Le logement arrive en sixième position. S’en préoccupent surtout les jeunes, les catégories populaires, les locataires et les urbains. En quelque sorte, le portrait de ceux dont on expliquait plus haut qu’ils peinaient à boucler leur parcours de logement. La question du logement semble aujourd’hui surdéterminée par la question sociale. Le logement d’un point de vue « politique », c’est d’abord le premier poste de dépense des ménages.

Cela explique sans doute que la mesure qui recueille le plus fort assentiment est l’encadrement des loyers. 59% des Français y sont favorables, plus encore ceux qui sont sympathisants de gauche ou se sentent proches des « gilets jaunes ». Ils sont aussi nombreux (40%) à penser qu’il convient de construire plus pour faire baisser les prix, une opinion particulièrement partagée par l’arc gauche jusqu’à La République en marche. Au contraire, les sympathisants du Rassemblement national sont les plus nombreux à considérer qu’il faut arrêter de construire, qu’il y a trop de logements et plus spécifiquement trop de logements sociaux.

Construire plus, mais où ?

Les Français estiment très majoritairement (62%) que nous manquons de logements, mais ils ne sont pas pour autant demandeurs de construire plus haut : seuls 16% revendiquent cette solution au niveau national et le chiffre tombe à 7% quand il s’agit de leur propre commune. Ils sont également 75% à penser qu’il n’y a pas assez d’espaces naturels en dehors des villes, l’étalement n’apparaît donc pas davantage comme une piste possible, quand bien même la loi ne l’interdirait pas. Il y a donc matière à poser un débat important sur l’avenir de la construction dans notre pays pour trouver la bonne manière de concilier des aspirations et des besoins en apparence contradictoires. Nous y prendrons modestement, mais activement, notre part dans les prochains mois.

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