Logement : l’État et les Français peuvent-ils s’entendre ?

Depuis dix-huit mois, les Français subissent une dure crise du logement, que les indicateurs de ventes de biens ou de production de crédits attestent clairement. Son ampleur, inédite pour le secteur, témoigne d’une transformation profonde et durable du marché. Dans ce contexte, l’édition 2023 du baromètre Procivis-Harris Interactive, en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, livre des résultats éclairants. Analysée par Yannick Borde et Guillaume Macher, l’enquête porte la lumière sur deux problématiques majeures : l’avenir de l’accession à la propriété et le niveau d’engagement dans la rénovation énergétique des logements.

Dans la note que nous avons écrite l’an dernier pour la Fondation Jean-Jaurès1Yannick Borde, Guillaume Macher, « Crise du logement : les Français face à la pénurie et à la rénovation », Fondation Jean-Jaurès, 13 décembre 2022., nous évoquions une « crise tranquille » dans le secteur du logement : nous partagions le constat d’un écart entre une crise objective (baisse des transactions, baisse de la production de crédits immobiliers, baisse de la production de logements sociaux, explosion des coûts de construction) et une relative résignation des Français qui, certes, déclaraient consacrer une part toujours plus importante de leur budget au logement mais sans que cela ne se transforme en une revendication politique claire. Depuis, la situation objective n’a fait que se dégrader, durement. Les ventes de logements neufs en collectif ont chuté de 34% entre octobre 2022 et octobre 2023 ; la baisse atteint 39% en logement individuel. La production de crédits immobiliers a suivi la même pente : -50% en un an, ce qui ramène la production en volume au niveau de 2016. Ces mauvais indicateurs sont désormais visibles à une échelle macro-économique. La Fédération française du bâtiment (FFB) a produit le graphique suivant à partir des données de l’Insee.

Source : Fédération française du bâtiment (FFB) – Insee. 

On y observe la courbe verte, celle correspondant à l’investissement des ménages (constitué à 80% de l’investissement dans la construction et la rénovation de logement), qui fléchit nettement et vient peser sur la croissance.

Le secteur n’a sans doute jamais connu de telle crise. Le terme de crise peut d’ailleurs être questionné. Nous sommes bien confrontés à une rupture d’équilibre violente et brutale, à une situation de pénurie, mais nous faisons l’hypothèse qu’il s’agit d’une grande transformation pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Karl Polanyi2Karl Polanyi, La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983., c’est-à-dire une transformation profonde et durable du marché, et que cette période ressentie comme critique correspond à la phase de transition de cette transformation. Des éléments conjoncturels tels que l’inflation et l’augmentation des taux ont révélé un dérèglement au long cours, une mutation qui repose, selon nous, sur trois ressorts.

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Un ressort économique

L’indice du prix des logements rapporté au revenu disponible par ménage a augmenté de 70% entre 2000 et 20083Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), Pourquoi le prix des logements a-t-il presque doublé par rapport au revenu par ménage depuis 2000 ?, 16 janvier 2023.. Cette déconnexion progressive a été masquée par des taux d’intérêt très bas, autour de 1%, et par un allongement des durées de crédit. Les Français ont donc pu continuer à accéder à la propriété malgré la baisse de leur « pouvoir d’achat immobilier ». Mais avec la remontée des taux, les masques tombent : pour la première fois depuis quarante ans, l’Insee constate dans une note publiée le 10 octobre 20234Insee, 37,8 millions de logements en France au 1er janvier 2023, Insee Focus n°309, 10 octobre 2023. que le taux de propriétaires baisse en France. Nous ne nous aventurerons pas dans une prédiction de l’évolution des taux d’intérêt mais nous pouvons juste observer que sur le temps long, des taux à 1% constituent plutôt l’exception historique que la règle. Ce premier ressort semble donc bien devoir être considéré dans le long terme.

Un ressort démographique

L’espérance de vie progresse tendanciellement depuis trois siècles ; elle a quasiment doublé au XXe siècle, et particulièrement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Source : Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), Pourquoi le prix des logements a-t-il presque doublé par rapport au revenu par ménage depuis 2000 ?, 16 janvier 2023.

Cet allongement de la durée de vie entraîne trois conséquences majeures sur le marché du logement :

  • un besoin de logements spécifiques, adaptés à des personnes en perte d’indépendance ;
  • des cycles de rotation dans le parc plus longs, avec de nombreux logements de grande taille ne comprenant que deux voire un occupant ;
  • une capacité d’accéder à la propriété retardée : d’après les travaux de Thomas Piketty5Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2013., il apparaît que l’âge moyen auquel les Français héritaient étaient de 43 ans en 1980 ; il est de 52 ans en 2020 et ne cesse de progresser.

Tous les travaux des démographes convergent ; nous devrons gérer ce « vieillissement » de la population à tous égards. Il s’agit bien là encore d’une évolution structurante.

Un ressort écologique

Les coûts de l’énergie ont considérablement augmenté avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cet effet de conjoncture ne doit pas nous détourner d’une vision plus globale sur le prix de l’énergie. En l’état actuel de la technologie, l’épuisement des énergies fossiles, la rareté des matières premières, conduiront mécaniquement à un renchérissement du coût de l’énergie. De manière générale, l’objectif de préservation de l’environnement conduit à utiliser moins d’énergie, moins d’eau, moins de terres arables, et à rejeter moins de carbone. Ces orientations sont fixées par de nombreux textes législatifs et règlementaires, européens et nationaux. Pour n’en citer que deux, retenons pour la France la loi Elan qui annonçait de nouvelles normes de construction dites « RE2020 » et la loi Climat et résilience qui pose d’une part le principe de « zéro artificialisation nette » des sols, d’autre part des objectifs de rénovation énergétique des logements.

Ce troisième ressort, comme les deux précédents, s’inscrit dans le temps long. La légitimité de la transition écologique de l’activité humaine ne fait pas débat ; cette transition est indispensable.

Sur la base de ces trois ressorts, nous affirmons donc que, si le secteur du logement est en crise, cette crise « vient de loin » et que l’économie du logement a durablement changé. Voilà le contexte dans lequel s’inscrit l’édition 2023 du baromètre Procivis-Harris Interactive, en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès6Enquête réalisée en ligne du 27 septembre au 9 octobre 2023 par l’institut Harris Interactive pour Procivis, en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, sur un échantillon de 11 059 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.. Nous cherchons avec cette vaste enquête annuelle à éclairer les acteurs publics et privés du secteur du logement, face aux grands enjeux de l’actualité. En 2020, nous avons cherché à vérifier les effets liés au Covid-19 sur les attentes des Français en matière de logement et la réalité d’un « exode urbain »7Baromètre Procivis / Immo de France – Harris Interactive, Logement : « the french paradox », 16 décembre 2020.. En 2021, nous avons mis la focale sur la notion de « parcours résidentiel » et sur les attentes des Français à quelques mois de l’élection présidentielle8Yannick Borde, Guillaume Macher, « Sept vérités sur les Français et le logement », Fondation Jean-Jaurès, 17 novembre 2021.. En 2022, suite au vote de la loi Climat et résilience, nous nous sommes attardés sur le chantier urgent et nécessaire de la rénovation énergétique des logements9Yannick Borde, Guillaume Macher, « Crise du logement : les Français face à la pénurie et à la rénovation », Fondation Jean-Jaurès, 13 décembre 2022.. Cette année, nous conservons le même protocole, avec un échantillon de 10 000 répondants qui offre de grandes possibilités d’analyse, et nous portons la lumière sur deux problématiques majeures dans le contexte décrit plus haut : l’avenir de l’accession à la propriété et le niveau d’engagement dans la rénovation énergétique des logements. Nous faisons par ailleurs un focus sur quelques innovations qui touchent notre secteur car cette note est publiée à l’occasion du Salon RENT, le grand rendez-vous de l’innovation dans l’immobilier.

Le grand écart

Ce qui nous a frappé à la lecture des résultats de l’enquête de cette année, c’est le grand écart entre la direction que prennent les politiques publiques du logement et l’aspiration des Français sur de nombreux points essentiels.

Sur l’accès à la propriété

Depuis une dizaine d’années, l’État se dessaisit progressivement des instruments de soutien à l’accession à la propriété. Sans que la responsabilité ne puisse lui être incombé à lui seul, il a accompagné la fin des banques spécialisées qu’étaient le Crédit immobilier de France en 2012 et le Crédit foncier en 2018. Tandis que les banques généralistes prêtaient largement et à taux bas, les acquéreurs ont trouvé une offre alternative. Aujourd’hui que les taux remontent et surtout que les conditions de crédit se resserrent au point que la production de crédit a chuté de 50% en un an, beaucoup se retrouvent exclus. En 2018, le gouvernement décide de supprimer un dispositif phare du soutien à l’accession à la propriété : l’APL accession. Cette aide destinée aux primo-accédants aux revenus modestes venait baisser de 25% les mensualités des acquéreurs. Suite au Conseil national de la refondation dédié au logement qui s’est tenu en juin 2023, c’est le prêt à taux zéro (PTZ) qui se retrouve dans le collimateur. Et de fait, le projet de loi de finances pour 2024 prévoit un « recentrage » du PTZ qui conduit à en exclure 75% des personnes éligibles et 93% des territoires.

Les Français ne s’y trompent pas ; ils ont le sentiment qu’il est de plus en plus difficile de devenir propriétaire.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Et cela pour des raisons strictement économiques liées aux conditions d’acquisition.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Le désengagement marqué de l’État vis-à-vis de l’accession vient-il conforter un désintérêt des Français pour la propriété ? Est-ce que les nouvelles générations à qui l’on prête facilement une préférence pour l’usage sur la propriété annoncent un changement de paradigme anticipé par l’État ? Les résultats de notre enquête indiquent radicalement le contraire.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Il apparaît que non seulement que les Français restent très majoritairement attachés à la propriété, puisque 61% de ceux qui ne sont pas propriétaires déclarent en faire un objectif important ou prioritaire, mais que cet attachement est encore bien plus fort chez les jeunes générations ! En effet, plus de quatre répondants sur cinq de 18 à 34 ans affirment leur volonté de devenir propriétaire. D’ailleurs, les difficultés observées n’ont pas raison de l’aspiration des Français à investir dans l’immobilier.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Et cet investissement immobilier est clairement centré en France sur l’acquisition de sa résidence principale.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Les Français s’inscrivent dans une démarche existentielle et patrimoniale, bien plus que financière. Ils sont tout simplement beaucoup plus nombreux à trouver plus d’avantages au statut de propriétaire que d’inconvénients.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Probablement pour des raisons analogues, ils sont 49% de propriétaires à être très satisfaits de leur logement, contre 27% des locataires.

Pour tenter de maintenir la possibilité de l’accession à la propriété, différents modèles sont proposés, certains anciens, d’autres plus récents.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Ces différents modèles sont relativement méconnus : deux Français sur trois connaissent le prêt à taux zéro et le système du viager – dans lequel le vendeur cède son bien à l’acquéreur mais conserve son droit d’usage et d’habitation et peut donc continuer de l’occuper jusqu’à son décès – mais seulement un sur trois est à l’aise avec les concepts de démembrement10Le démembrement de propriété est un acte juridique qui consiste à diviser la pleine propriété en nue-propriété et usufruit. C’est un mécanisme souvent utilisé en famille lors d’une donation ou d’une succession. Son principal avantage est de réduire les coûts fiscaux., de SCI11Une société civile immobilière (SCI) est une structure juridique constituée a minima de deux personnes, chacune ayant le statut d’associé, permettant de gérer un ou plusieurs biens immobiliers. Le patrimoine immobilier est détenu par la société civile immobilière et chaque associé reçoit des parts sociales proportionnelles à son apport. ou de location-accession12Le mécanisme de la location-accession permet à des ménages d’acquérir un logement (avec ou sans apport personnel) pour l’occuper à titre de résidence principale. L’opération de location-accession se décompose en deux temps : une période de jouissance pendant laquelle le ménage est locataire, puis l’exercice de l’option, au terme de la période de jouissance, où le ménage doit faire faire un choix, acheter ou renoncer à acheter. et encore la moitié sait ce qu’est le bail réel solidaire13Le principe du bail réel solidaire (BRS) est la dissociation du foncier et du bâti qui permet de baisser le prix des logements : vous achetez uniquement le logement et vous louez le terrain à un organisme foncier solidaire (OFS) pour un loyer faible, en signant un bail réel solidaire, d’une durée comprise entre 18 et 99 ans. L’organisme foncier solidaire détient uniquement le terrain, vous n’achetez donc que la partie bâtie du logement, ce qui représente entre 20% à 40% d’économie en fonction du secteur géographique..

Si on essaie de démystifier ce que ces notions recouvrent, quel est l’intérêt des Français pour chacun de ces dispositifs ?

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Dans ce cas, la location-accession reprend quelques couleurs. Pour le reste, on voit que les Français n’ont pas d’enthousiasme pour ces modalités originales de l’accès à la propriété. Nécessité faisant loi, peut-être que les difficultés qu’ils rencontrent pour devenir propriétaires les amèneront à faire preuve de pragmatisme.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Ce qui est certain, c’est que les jeunes sont beaucoup plus ouverts à ces modalités particulières d’accession à la propriété. Est-ce justement parce qu’ils sont les moins bien dotés pour devenir propriétaires et que donc ces alternatives les intéressent, ou est-ce le signe d’une évolution culturelle ? Effet d’âge ou effet de génération ? Nous chercherons à mesurer cela dans le temps pour trancher cette question importante. Notons toutefois qu’un focus sur la région Île-de-France semble orienter la réponse vers l’approche « pragmatique ». Ce marché tendu, aux prix particulièrement élevés, voit ses acteurs plus ouverts. Et en poussant la lecture à une échelle plus fine encore, on constate que plus le marché est central et donc cher, plus l’appétence pour l’alter-propriété est forte.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Sur la maison individuelle

Une autre orientation très forte du gouvernement est de stopper la construction de maisons individuelles. Il a d’abord été décidé d’exclure ce type de constructions du dispositif Pinel, et il est désormais quasiment acté avec le PLF 2024 que les aspirants à la maison individuelle ne seront plus éligibles au PTZ. À nouveau, nous avons interrogé les Français pour comprendre si cette orientation accompagnait une évolution de leurs aspirations.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Avec une constance remarquable, les Français plébiscitent la maison individuelle. Trois quarts d’entre eux souhaitent vivre dans ce type d’habitat. Pourquoi donc mener la chasse à la maison individuelle ? Pour des raisons d’artificialisation des sols ? Les opérateurs savent parfaitement construire des maisons individuelles denses, comme le font nos voisins anglais ou hollandais. Cette aspiration à la maison individuelle traverse les classes sociales mais est manifestement corrélée au type d’environnement dans lequel les individus vivent.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Les plus fervents aspirants à la maison individuelle vivent dans les zones rurales et dans les petites villes, et plutôt sur la façade ouest du pays.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Sur le logement neuf

L’objectivation des besoins en logements neufs est un sujet récurrent de commentaires et de discorde entre les acteurs. L’absence de système d’information fiable quant à la « donnée logement » ne facilite pas le dialogue. Pour autant, la qualité de la donnée ne fait pas tout ; il existe manifestement des écarts de vision et d’interprétation des principaux paramètres : démographie, évolution du nombre de personnes par ménage, obsolescence du parc, localisation respective de l’offre et de la demande, etc.  Dans une étude récente confiée à HTC14Étude HTC pour l’USH, Quels besoins en logements sociaux à l’horizon 2040 ?, Paris, 26 septembre 2023., l’Union sociale pour l’habitat (USH) estime qu’il est nécessaire de construire 518 000 logements nouveaux par an entre 2024 et 2040. La Fédération des promoteurs immobiliers avait quant à elle sollicité les étudiants de l’ESCP pour réaliser un travail analogue en mai 2023. Il en était ressorti que le besoin en logements neufs s’établissait à 449 000 logements par an pour les dix prochaines années. Les calculs de la Cour des comptes15Cour des comptes, La production et l’utilisation des données utiles à la politique du logement, référé rendu public le 18 juillet 2022. livrent un résultat sensiblement plus bas : 370 000. Le ministre de la Transition énergétique, Christophe Béchu, semble valider ce chiffre quand il affirme en mars 2023, au Marché international des professionnels de l’immobilier : « Quand on construit l’équivalent de 1% du parc immobilier par an, c’est une bonne année »16Christophe Béchu, discours d’ouverture du Marché international des professionnels de l’immobilier, Cannes, 14 mars 2023.. L’Insee comptabilisant 37,6 millions de logements en France, on retombe effectivement sur le chiffre de 370 000. En introduction du CNR Logement17Lancement du CNR Logement le 29 novembre 2022., la cheffe économiste de Bercy avançait un besoin de 200 000 logements par an, 2,5 fois moins que les évaluations des professionnels mais encore le double de certains scénarios de l’Ademe dans son travail de prospective « Transition(s) 2050 »18Ademe, Rapport « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », Paris, novembre 2021..

Notre baromètre n’a aucunement la prétention de participer à ce travail d’objectivation que nous appelons par ailleurs de nos vœux. Nous nous bornerons là encore à traduire les aspirations des Français et à constater leur grande appétence pour le logement neuf.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Près de la moitié d’entre eux voudraient faire leur prochain achat dans le neuf alors que cette production représente plus ou moins 1% du parc, comme évoqué plus haut. D’ailleurs, il suffit de constater que depuis des années, aucun logement construit ne se retrouve sans acquéreur.

Si les dispositifs de soutien publics – essentiellement le PTZ pour celui qui reste – sont systématiquement recentrés sur les zones les plus denses, la géographie des appétences semble plus diffuse.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

De manière générale, notre baromètre indique, depuis sa première édition en 2020, un désir des Français à vivre dans des territoires moins denses. En 2023, cette inclination est encore vérifiée.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Il nous semble que la solidité de ce résultat devrait interroger la tendance des pouvoirs publics à centrer leur action sur les métropoles. Certes, le nombre d’habitants y est le plus élevé mais avec une autre politique d’aménagement du territoire, on pourrait aussi imaginer une répartition plus équilibrée de la population. Les Français y sont prêts.

Sur la mobilité dans le parc

Autre point de blocage actuellement dans le secteur du logement : la baisse des transactions et des locations. L’État mise sur une baisse des prix. Celle-ci est perceptible, bien que limitée, dans plusieurs grandes villes. Pour le reste du marché, les prix ne bougent pas, voire continuent de progresser. Le fait est que les Français ont toujours autant le souhait de déménager.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Cela est d’autant plus vrai qu’ils sont locataires, ce qui rejoint nos analyses précédentes sur l’appétence très forte pour la propriété. En tout état de cause, ils sont plus d’un tiers à exprimer ce souhait de déménagement, comme en 2022 et en 2021. C’est en outre un souhait de court terme, les demandeurs ne sont pas dans une posture « d’attente ».

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Le nombre de transactions a augmenté un peu plus vite que la démographie ces dernières années. Mais si les transactions se font, c’est qu’elles sont motivées. Ce ne sont pas les professionnels qui décident de vendre, mais bien les Français eux-mêmes. On le perçoit bien dans la stabilité de ce souhait de mobilité à un niveau élevé. Comme nous l’avions montré dans notre analyse de 2021, le parcours dans le logement s’apparente à une quête existentielle : celle du retour en enfance. Les Français cherchent au fil des déménagements à retrouver les caractéristiques du logement dans lequel ils ont grandi. Cette quête est un facteur puissant de mobilité et donc de maintien d’une demande, notamment à l’achat.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Les Français sont nombreux à faire des démarches en vue de l’acquisition d’un bien immobilier, et même de plus en plus nombreux au fil des années.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Tous les types de démarches sont en croissance continue depuis 2020. Ce qui est remarquable aussi, c’est que ces recherches peuvent durer mais ne faiblissent pas dans le temps.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Ces recherches nombreuses et parfois longues indiquent un appétit mais révèlent sans doute aussi des difficultés à trouver… On observe que les Français sont pour une part significative d’entre eux prêts à revoir leurs exigences.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Il est évident que les Français souffrent de la cherté des logements. Ils sont de plus en plus nombreux à estimer que leurs dépenses de logement sont très importantes.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Dès lors que l’État a fait le choix de laisser le marché se réguler, nous ne pouvons qu’espérer que l’ajustement par les prix se fasse vite et bien. La très grande majorité des acteurs n’ont pas d’intérêt à conserver des prix élevés. Mais force est de constater que cela prend du temps et n’est pas très probant. Le déficit structurel d’offre et le maintien d’une demande élevée – bien que contrariée – ne favorisent pas cette régulation.

Le grand défi de la rénovation

Sur cet enjeu de la rénovation énergétique, l’État ne peut pas être accusé d’attentisme. Il a pensé un nouveau système d’aides aux particuliers, notamment à travers « MaPrimeRenov », mis des moyens importants et fixé des objectifs de performance énergétique des logements. On voit aussi que la multiplication des discours sur la transition énergétique infuse puisque de plus en plus de Français pensent que la performance énergétique de leur logement pourrait être améliorée.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Les Français mettent d’ailleurs à nouveau en tête de leurs attentes vis-à-vis d’un nouveau logement la qualité de l’isolation thermique.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Et pour ceux qui envisagent un achat immobilier, ils sont quasi unanimes quant à l’importance de la classe énergétique du logement, même si l’on déplore un léger retrait par rapport à l’an dernier.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Face à ce défi gigantesque de la rénovation du parc de logements, la partie « carotte » de l’action publique semble efficace.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Deux tiers des propriétaires qui ont fait des travaux ou souhaitent en faire indiquent que les aides publiques les y ont incités. Et ceux qui n’ont pas encore sauté le pas sont presque la moitié à dire que ces aides pourraient les y amener.

En revanche, la partie « bâton » pourrait avoir des effets contrastés.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Les propriétaires bailleurs ont assez bien conscience qu’ils doivent faire des travaux d’amélioration et ce chiffre progresse de 4 points par rapport à l’an dernier, mais dans le même temps, nombreux sont ceux qui pensent qu’ils vont devoir retirer leur logement de la location et la progression est encore plus marquée (7 points).

De fait, en intention comme en acte, il n’y a pas d’accélération des travaux de rénovation énergétique, les chiffres sont sensiblement les mêmes que ceux de l’an dernier.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Pourtant, il apparaît qu’une majorité des locataires seraient prêts à voir leur loyer raisonnablement augmenté en contrepartie d’une rénovation énergétique de leur logement.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Alors, quels sont les freins ? Peut-être que le défaut de connaissance est un élément de réponse.

Source : Baromètre Habitat – vague 4 – Harris interactive / Procivis / Fondation Jean-Jaurès.

Les Français connaissent assez mal la performance énergétique de leur logement. Les sérieuses réserves émises sur la fiabilité des diagnostics de performance énergétique n’a sans doute pas facilité les choses. Nous continuons pour notre part à penser que les subventions publiques, aussi efficaces soient-elles, ne pourront pas compenser la relative absence de financement privé. Plus que jamais, nous croyons à la création d’une « banque de la rénovation énergétique », instrument de place associant les grandes banques françaises et les professionnels du logement, pour déployer des financements à la hauteur de l’enjeu, tout en sécurisant la qualité des travaux.

Les grandes résolutions

Les orientations prises par l’État ces dernières années semblent essentiellement guidées par des considérations environnementales et budgétaires. Ces considérations sont évidemment très légitimes ; il nous apparaît simplement que les Français ne doivent pas être oubliés dans ces réflexions hautement stratégiques. On peut toujours estimer que cela est fait pour leur bien, au nom de l’intérêt général, mais il faut entendre leurs aspirations, surtout quand elles sont aussi clairement et massivement exprimées. Le logement est un bien vital et les politiques du logement ne peuvent pas s’affranchir de l’humain.

Cela dit, nous ne sommes pas de ceux qui veulent faire porter à l’État toute la responsabilité du marasme dans lequel est plongée l’économie du logement depuis dix-huit mois. Et pas plus, de ceux qui en attendent toutes les solutions. C’est pourquoi nous parlons de transformation plutôt que de crise : c’est aux acteurs économiques de prendre la mesure des changements en cours, et d’y apporteur leurs réponses.

  • 1
    Yannick Borde, Guillaume Macher, « Crise du logement : les Français face à la pénurie et à la rénovation », Fondation Jean-Jaurès, 13 décembre 2022.
  • 2
    Karl Polanyi, La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983.
  • 3
    Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), Pourquoi le prix des logements a-t-il presque doublé par rapport au revenu par ménage depuis 2000 ?, 16 janvier 2023.
  • 4
    Insee, 37,8 millions de logements en France au 1er janvier 2023, Insee Focus n°309, 10 octobre 2023.
  • 5
    Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2013.
  • 6
    Enquête réalisée en ligne du 27 septembre au 9 octobre 2023 par l’institut Harris Interactive pour Procivis, en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, sur un échantillon de 11 059 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
  • 7
    Baromètre Procivis / Immo de France – Harris Interactive, Logement : « the french paradox », 16 décembre 2020.
  • 8
    Yannick Borde, Guillaume Macher, « Sept vérités sur les Français et le logement », Fondation Jean-Jaurès, 17 novembre 2021.
  • 9
    Yannick Borde, Guillaume Macher, « Crise du logement : les Français face à la pénurie et à la rénovation », Fondation Jean-Jaurès, 13 décembre 2022.
  • 10
    Le démembrement de propriété est un acte juridique qui consiste à diviser la pleine propriété en nue-propriété et usufruit. C’est un mécanisme souvent utilisé en famille lors d’une donation ou d’une succession. Son principal avantage est de réduire les coûts fiscaux.
  • 11
    Une société civile immobilière (SCI) est une structure juridique constituée a minima de deux personnes, chacune ayant le statut d’associé, permettant de gérer un ou plusieurs biens immobiliers. Le patrimoine immobilier est détenu par la société civile immobilière et chaque associé reçoit des parts sociales proportionnelles à son apport.
  • 12
    Le mécanisme de la location-accession permet à des ménages d’acquérir un logement (avec ou sans apport personnel) pour l’occuper à titre de résidence principale. L’opération de location-accession se décompose en deux temps : une période de jouissance pendant laquelle le ménage est locataire, puis l’exercice de l’option, au terme de la période de jouissance, où le ménage doit faire faire un choix, acheter ou renoncer à acheter.
  • 13
    Le principe du bail réel solidaire (BRS) est la dissociation du foncier et du bâti qui permet de baisser le prix des logements : vous achetez uniquement le logement et vous louez le terrain à un organisme foncier solidaire (OFS) pour un loyer faible, en signant un bail réel solidaire, d’une durée comprise entre 18 et 99 ans. L’organisme foncier solidaire détient uniquement le terrain, vous n’achetez donc que la partie bâtie du logement, ce qui représente entre 20% à 40% d’économie en fonction du secteur géographique.
  • 14
    Étude HTC pour l’USH, Quels besoins en logements sociaux à l’horizon 2040 ?, Paris, 26 septembre 2023.
  • 15
    Cour des comptes, La production et l’utilisation des données utiles à la politique du logement, référé rendu public le 18 juillet 2022.
  • 16
    Christophe Béchu, discours d’ouverture du Marché international des professionnels de l’immobilier, Cannes, 14 mars 2023.
  • 17
    Lancement du CNR Logement le 29 novembre 2022.
  • 18
    Ademe, Rapport « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », Paris, novembre 2021.

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