Rwanda : un rapport balistique décisif ?

Les réactions des avocats des autorités rwandaises (en fonction aussi bien à l’époque du génocide qu’actuellement) aux conclusions du récent rapport d’expertise des juges Trevidic et Poux, ainsi que son traitement par les médias, soulignent une fois encore la complexité d’un dossier sensible et la persistance de velléités d’instrumentalisation politique.

Synthèse :
L’attentat contre le Falcon 50 qui transportait le président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994 fut le point de départ du génocide des Rwandais tutsi. L’absence de certitudes sur les auteurs de l’attaque continue de créer encore aujourd’hui un débat passionné.
La présentation le 10 janvier 2012 par les juges Trévidic et Poux d’un rapport d’expertise balistique renforçant le doute sur le point d’origine du tir qui a abattu l’appareil a donné aux avocats des dirigeants rwandais poursuivis une tribune inespérée pour absoudre leurs clients. Quant aux médias, ils n’ont pas manqué de présenter ce rapport comme la pierre angulaire d’un changement de direction dans l’enquête et dans l’identité des responsables. Mais qu’en est-il vraiment ?
Le propos du rapport était d’identifier le lieu du tir et le type de missiles utilisés pour abattre l’avion présidentiel. Il ne s’agit que d’un rapport d’étape et en aucun cas des conclusions d’une enquête qui viendrait désigner tel ou tel camp comme coupable. L’instruction sera encore longue et parsemée d’expertises et de contre-expertises.
Le rapport, qui se base sur des simulations acoustiques et les souvenirs, forcément parcellaires, des témoins du drame, ne fait qu’élaborer des hypothèses. La première est que la zone dite du « site de Kanombe » est une zone de tir plus probable que celle de la « ferme de Masaka » ; ce qui n’équivaut évidemment pas à dire qu’il s’agit assurément du lieu du tir. De plus, les experts désignent par cette zone autant la base militaire de Kanombe que le domaine poreux d’une centaine d’hectares qui l’entoure. Il n’y a donc là aucune affirmation que l’attaque aurait été perpétrée par les partisans du « Hutu power » depuis la base militaire. De plus, nombre de témoins oculaires continuent de situer la zone de Masaka comme point de départ des tirs.
Deuxième élément, les experts estiment, par élimination, que le type de missiles utilisés était de fabrication soviétique. De tels missiles existaient dans les arsenaux de l’Ouganda, allié du FPR, mais pas, en l’absence de preuves contraires, dans les arsenaux rwandais.
Ainsi, si ce rapport met à mal les certitudes de l’enquête précédemment menée par le juge Bruguière, il n’en infirme pas pour autant définitivement la direction et pourrait même la renforcer par des éléments techniques nouveaux. Comment expliquer alors une telle distorsion entre ce rapport et les propos rapportés par la presse ?
Depuis dix-huit ans, le régime de Kigali instrumentalise la charge émotionnelle du génocide afin de renforcer sa propre légitimité et son impunité au regard des crimes commis lors de cette période. Si le FPR venait à être reconnu coupable d’avoir organisé cet attentat, Paul Kagame perdrait son statut de pourfendeur du génocide et son assise politique s’effondrerait. On comprend alors l’acharnement des avocats à manipuler ce rapport, d’autant qu’ils étaient au départ la seule source des médias sur son contenu.
La seule certitude à ce jour est la suivante : toutes les options restent ouvertes. L’expertise n’accuse ni n’innocente personne. Des éléments nouveaux ont été apportés par l’enquête, qui remettent en lumière certaines hypothèses aux côtés d’hypothèses existantes. Il reste à confronter les unes et les autres, puis à les étayer aux fins de validation.

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