France Travail : une occasion de réparer l’arrosoir percé de la formation professionnelle ?

Souveraineté économique, transition écologique, réduction des inégalités sociales : tous les grands chantiers de ce quinquennat et des suivants ne pourront aboutir qu’à la condition de disposer de travailleurs formés aux bonnes compétences. Pourtant, rarement un enjeu aussi stratégique que la formation professionnelle aura souffert d’une image aussi mitigée. Antoine Amiel, fondateur de Learn Assembly1Learn Assembly est une société de conseil en stratégie spécialisée dans la formation professionnelle et le développement des compétences. Voir le profil LinkedIn d’Antoine Amiel., propose dans cette note de s’attaquer à ce qui constitue une véritable exception culturelle française.

S’il y a un sujet qui fait rarement débat, c’est bien l’enjeu stratégique de disposer des bonnes compétences pour assurer la souveraineté économique de notre pays, réussir la transition écologique et réduire les inégalités sociales. Pourtant, rarement un enjeu aussi stratégique que les compétences aura souffert d’une image aussi mitigée. Rarement le scepticisme à l’égard d’une filière aura-t-il été autant en décalage avec l’unanimité sur son importance. C’est simple : lorsqu’un grand journal parle du sujet de la formation, ce sont les abus et le gâchis d’argent public qui sont mis en avant. Les réinsertions réussies, les réalisations personnelles, l’expertise d’une filière en pleine transformation et les reconversions facilitées font couler moins d’encre. La formation fait partie de ces ovnis sur lesquels tout le monde a un avis mais que peu de gens connaissent en profondeur, tant elle entretient son opacité. Si l’on comparait la formation à la médecine, on pourrait dire que le manque de compétences est une pathologie invisible, dont les porteurs ne sont pas conscients et l’employabilité un enjeu de santé publique. S’intéresser aux conditions qui permettent l’émergence d’une société apprenante est une nécessité, à l’heure de la réforme des retraites.

Au cours des dernières années, j’ai exploré cet univers passionnant et unique en son genre pour découvrir une véritable exception culturelle. À chaque fois, même constat : « la formation c’est important, mais on n’y comprend rien ». « La formation c’est le CPF, le CPF c’est du harcèlement ». Comment rendre la formation accessible et désirable ? Quels changements de gouvernance, de doctrine des politiques publiques et de représentations sont nécessaires ? Comme pour la transition écologique, c’est par la bataille des représentations, le fact-checking et le décryptage des croyances sous-jacentes que nous nous donnerons réellement les moyens de faire de la formation un sujet épanouissant. Les milliards d’euros dépensés n’apportent pas la solution unique au chômage – quand ils ne sont pas une partie du problème –, mais bien une révolution copernicienne des mentalités, du chef d’entreprise au demandeur d’emploi, du DRH au conseiller d’orientation, du législateur à l’opérateur de formation. La formation à tout à gagner à s’inspirer des politiques publiques de prévention pour la sécurité routière et de santé publique. Rappelons-nous qu’il y a quarante ans, l’obligation de mettre sa ceinture en voiture était loin de faire l’unanimité. Qui aujourd’hui remettrait en question cette avancée ? Le jour où mettre « la ceinture de sécurité des compétences » sera une évidence ancrée dans les mentalités, facilitée par l’innovation, l’État et les entreprises, nous aurons changé d’époque. Espérons ne pas avoir à attendre quarante ans, la France n’a pas vraiment de quoi se permettre ce luxe. 

Dans cette vidéo des Shadoks sur l’importance de la formation professionnelle diffusée en 1974, tout est déjà dit : l’importance de la « formation permanente », le rôle des managers, le rapport au temps, l’employabilité, le besoin de donner une image positive de la formation. 1974, soit presque cinquante ans. Depuis la loi Delors, fondatrice de notre système de formation, peu de choses ont changé sur le fond. 

Malgré un sondage plutôt positif réalisé par BVA en 2022, illustrant un regain d’intérêt frémissant pour le sujet, la secteur de la formation continue traîne avec lui une image globalement dégradée. Opacité de la gouvernance, illisibilité des financements, opérateurs opportunistes, faible qualité pédagogique, inadéquation avec les besoins, digitalisation à marche forcée : de nombreuses raisons expliquent ce désamour. Quelle est la part de réalité et de fantasme dans cette réputation ? Ce décalage est d’autant plus frappant que les Français se forment, et se forment de plus en plus. Loin de s’intéresser aux évolutions du travail et à ses identités multiples, la formation en France continue d’adopter une vision en stock et en flux – ce sont d’ailleurs les termes employés –, consistant à arroser le marché du travail de semences (des chômeurs) enrichies d’intrants (des formations subventionnées), sans se soucier de savoir si le terreau (un bassin d’emploi, l’environnement direct de la personne formée ) peut accueillir ces intrants – ou intrus ? – et si l’arrosoir qui les verse (l’État, les régions, Pôle Emploi) n’est pas percé. Le parallèle avec l’agriculture est frappant : la formation obéit elle aussi à une doctrine productiviste consistant à doper les rendements sans se soucier de l’écosystème et qui, à coups d’intrants, compense la pauvreté du sol. Chaque année, il faut plus d’intrants pour que la moisson soit bonne… Jusqu’à quand ? Plutôt qu’un arrosage en goutte-à-goutte, on privilégie un épandage massif. Ce n’est pas en augmentant la taille de l’arrosoir qu’on formera mieux, mais au contraire en adaptant son débit aux besoins. La formation doit se soumettre à un certain nombre d’injonctions paradoxales. Elle a d’ailleurs tellement intégré cet état de fait qu’une certaine passivité, voire une sorte de syndrome de Stockholm, semble régner dans la filière. Prisonnière mais protégée dans sa prison, la filière de la formation se trouve dans un cocon confortablement inconfortable. 

La formation-bashing : pourquoi une image si mitigée de la formation ? 

La France, l’un des pays les plus inégalitaires en matière d’accès à la formation 

Malgré 28 milliards d’euros dépensés chaque année et l’existence d’un droit à la formation, la France a l’un des taux d’accès à la formation professionnelle les plus faibles d’Europe : 40%. On le sait, créer des droits ne suffit pas à ce que les citoyens s’en saisissent. La formation n’échappe pas à l’inquiétant développement du non-recours aux droits. Comme on peut le constater dans le graphique ci-dessous, le taux d’accès à la formation chute vertigineusement à moins de 20% dans les entreprises de  moins de 50 salariés.

On constate par ailleurs de très fortes disparités selon les secteurs : dans l’industrie, le taux d’accès dépasse les 50% tandis qu’il chute à moins de 20% dans l’hôtellerie-restauration et décolle à 75% dans les métiers financiers. Ces écarts s’expliquent en grande partie par le niveau de qualification des professionnels exerçant dans ces différentes filières. La formation continue bénéficie le plus souvent aux individus ayant déjà un bon bagage, une formation initiale complète et donc une forte employabilité. 

Source : Céreq-Dares-France compétences, Enquête Formation Employeur – européenne (EFE-e), 2020.

On pourrait objecter que ces chiffres sont calculés à partir d’une définition de la formation assez restrictive, ne prenant en compte que les formations comptabilisées dans les données publiques. Il existe en effet une partie invisible de la formation, l’auto-formation. Mais les pratiques d’auto-formation ne feraient pas significativement augmenter le taux d’accès à la formation, à moins de considérer que regarder un tutoriel « comment monter un meuble Ikea » ou « réussir sa mousse au chocolat en cinq étapes » n’entre dans le champ de la formation professionnelle.  

Autre phénomène préoccupant, la croissance des NEET. En bon français, le terme « NEET » s’est imposé en quelques années pour décrire la situation de ces jeunes de 15 à 29 ans qui ont tout simplement disparu du système : ni au travail, ni en formation, ni à l’école, ces jeunes sont dans l’impasse. D’après l’Insee, 12,9% des jeunes de 15-29 sont des NEET, avec un pic à 20% pour la population des 25-29 ans. À noter : ce chiffre atteint 15,1% dans les statistiques de l’OCDE, faisant de la France le pays de la zone euro qui compte le plus de « NEET » après l’Italie, la Grèce et l’Espagne.

Décrochage scolaire, ruptures de contrats d’alternance dues à des conditions de travail indignes, enchaînement de petits boulots, reprise d’une formation voire reprise d’études : les parcours sont de plus en plus décousus et c’est tout une génération qui rôde en périphérie du monde du travail, précaire socialement et financièrement. Les NEET, c’est beaucoup de choses : des jeunes prostrés dans une angoisse de l’extérieur qui les tétanise, des mères isolées ne pouvant ni étudier ni travailler, des réfugiés ne parlant pas un mot de français, des jeunes en situation de handicap, des diplômés de l’enseignement supérieur sans expérience professionnelle et qui ne peuvent se résigner à accepter un poste de serveur ou de vendeur après un master en sciences sociales. 

À cette incapacité d’accompagner la transition vers le monde du travail, s’ajoute une nouvelle barrière. Contrairement à une idée reçue selon laquelle, « le jeune » passe sa journée sur son smartphone, ce qui ferait de lui un digital native, la fracture numérique frappe les jeunes et pas seulement les seniors. La légende du jeune ultra-connecté qui swipe plus vite que son ombre est mise à mal par de nombreuses études. La numérisation accélérée de la société fait de la littératie numérique une compétence décisive : maîtrise des écrits professionnels digitaux, connaissance des outils de bureautique et de visioconférences, capacité à effectuer des recherches sur Internet : autant de compétences très éloignées de la maîtrise des filtres TikTok et de la publication de stories sur Instagram. Alors que la France décroche sensiblement dans les classements PISA en littératie et en numératie, la formation professionnelle va plus que jamais devoir investir un rôle de tampon entre l’Éducation nationale et le monde du travail. Un rôle qu’elle peine à assumer pleinement alors qu’il est l’incarnation de sa contribution à l’intérêt général. Le terme de « voiture-balai de l’Éducation nationale » pour décrire sa mission de rattrapage, de main tendue vers les plus fragiles, est hélas souvent utilisé dans la profession. 

La formation, béquille de politiques de l’emploi

Dans le paradigme adéquationniste français, un chômeur est une personne non compétente. Si elle n’est pas compétente, elle doit donc être formée à un métier qui recrute « de l’autre côté de la rue ». Cette vision implacable d’un système de formation qui doit « fabriquer » des salariés en « transformant » sa matière première, des individus, sur une chaîne de production pédagogique, se heurte à de nombreuses limites : l’absence de coordination des acteurs de l’orientation et de la formation et surtout la faible prise en compte d’éléments qualitatifs extérieurs à la formation (mobilité, ancrage territorial, famille, attractivité d’un métier, discrimination à l’embauche des seniors, solution de logement, maturité personnelle, etc.).

Le désintérêt partiel pour la formation de ceux qui en auraient le plus besoin ne s’explique pas que par un passage douloureux dans l’Éducation nationale. On évoque rarement la disparition progressive de métiers artisanaux à forte identité professionnelle, l’automatisation de nombreux métiers qui transforment le travailleur en support d’une machine et non l’inverse et, corollaire économique de ces tendances, le recours massif à la sous-traitance. Peu d’études documentent l’impact du recours à l’externalisation sur le développement des compétences. Les grands donneurs d’ordre et les anciennes entreprises publiques avaient et ont encore des parcours de formation initiale longs, valorisés, avec des promesses d’ascension sociale. Elles compensaient la pénibilité par la perspective d’une évolution. Or, l’entreprise a changé de vision sur la formation au cours des années 1990-2000, passant d’une vision de contributrice de la mobilité sociale à une vision de gestionnaire d’un parc de compétences, tendance illustrée par la montée en puissance de l’externalisation. Pression sur les prix entraînant une baisse des investissements en formation, absence de mobilité professionnelle contrairement à un grand groupe qui propose différents métiers, usure professionnelle et fort turnover, absence de vie d’équipe et d’apprentissage informel : le recours à la sous-traitance contribue à atomiser des savoir-faire informels construits générations après générations. Elle attaque également l’identité d’un métier et le sentiment d’appartenance. La fierté d’exercer un métier, l’existence d’un jargon, de hiérarchies informelles entre anciens et apprentis, la transmission orale informelle sont des éléments constitutifs, fondateurs de la motivation à apprendre. Ces facteurs invisibles font d’un métier pénible un métier dont on est fier car, malgré sa dureté, on y trouve des perspectives et on y vit des moments véritablement formateurs avec ses collègues. 

Quant à l’accompagnement des demandeurs d’emploi, qui occupe la grande partie des fonds de la formation professionnelle, il obéit à une vision qui postule l’incapacité du demandeur d’emploi à définir ses propres objectifs. Pour reprendre l’expression d’Audrey Pérocheau, directrice Formation de Pôle Emploi dans son livre La formation des chercheurs d’emploi, les demandeurs d’emploi sont abordés comme des individus à « rationalité limitée ». La doctrine du « tout-formation » comme remède au chômage peut également s’expliquer par la projection de ses propres besoins sur ceux des autres : les décideurs étant tous issus de parcours scolaires brillants, il leur semble naturel qu’un passage par la case école soit la solution. C’est parce qu’ils n’ont pas été assez bons à l’école pour poursuivre leurs études que les chômeurs le sont devenus : quoi de plus naturel que de les y renvoyer, cette fois pour apprendre un métier ? Or, quel rapport entre un jeune étranger isolé parlant à peine français, un ouvrier qualifié de 55 ans qui ne retrouve pas de travail suite à un plan social, une femme qui a interrompu sa vie professionnelle pendant dix ans et un jeune diplômé parti en rupture conventionnelle de sa start-up et qui profite de son indemnisation pour « prendre du recul » en faisant un tour du monde en vélo ? Présentée comme la solution idéale, la formation est un remède mal prescrit. 

Hurler dans le désert : les compétences et la transition écologique, même combat ? 

Un détour par le sujet de la transition écologique apporte un premier élément d’explication. Dans son livre 800 jours au ministère de l’impossible, Léo Cohen, ancien conseiller au ministère de la Transition écologique, y raconte la difficulté de mettre les sujets écologiques à l’agenda : le sujet est systématiquement rogné, dépriorisé, tous les autres ministères ont leur mot à dire. L’écologie étant par essence transversale, elle ne peut se travailler qu’avec les autres ministères, les filières, les branches : son périmètre déborde, envahit celui des autres. Des investissements de long terme sont nécessaires dans un contexte politique court-termiste. Quant à la pertinence et au positionnement du ministère de l’Écologie, ils sont objets de débats : faut-il un grand ministère puissant ? Une approche interministérielle ? Toutes ces questions s’appliquent quasiment mot pour mot au sujet des compétences. Comme l’écologie, la formation est un sujet transverse : on ne forme pas pour former, on se forme à quelque chose et pour quelque chose. Comme le ministère de l’Écologie, celui de la Formation a un problème de positionnement. Entre co-construction et renoncements, la transition des compétences est en quelque sorte un covoiturage forcé avec des automobilistes nostalgiques de la voiture individuelle.

Pourquoi se former si tout est déjà joué ? La fascination française pour le diplôme

La place prépondérante du diplôme, et plus généralement de la formation initiale, dans les sociétés occidentales est un cadeau empoisonné. Empoisonné car il part d’une très bonne intention. La massification de l’enseignement supérieur repose sur les théories de développement du capital humain (Spence, Arrow) qui postulent une corrélation entre éducation et productivité du travail. Autrement dit, plus les gens seront éduqués, plus notre productivité et notre compétitivité seront élevées. Or c’est précisément ici qu’intervient un premier biais, ou tout au moins une interprétation réductrice des théories du capital humain : si l’éducation augmente la productivité, les économistes du capital humain n’ont jamais écrit que l’éducation se réduisait à l’obtention d’un diplôme. Ce glissement a des conséquences majeures. Plutôt que d’envisager l’éducation comme un état d’esprit et un processus dynamique tout au long de la vie d’un individu, on le considère comme une étape, une phase dont la « rentabilité » sera stable et définitive. Or non seulement la « rentabilité » d’un diplôme tend à baisser du fait de la massification de l’enseignement supérieur mais, en plus, l’évolution des métiers et des envies personnelles rend plus que jamais nécessaire une éducation permanente, répétée, à des moments-clefs de la vie. La formation initiale a donc un rendement décroissant sauf pour certaines élites protégées par un diplôme prestigieux. Certains analystes vont plus loin : pour eux, le diplôme n’est rien de plus qu’une manifestation de la théorie du signal. Il n’a pas pour vocation d’éduquer mais de filtrer les individus.

Cette « diplomite » aiguë n’est pas sans conséquences : il n’y a qu’en France que des sexagénaires sont encore présentés par leur diplôme. Citons aussi cette rubrique d’un grand hebdomadaire qui présente les états-majors de grandes entreprises en mettant en exergue leurs diplômes comme des cartes de visite. Ou la multiplication des classements d’universités et maintenant de lycées – à quand les écoles primaires et les maternelles ? – , inspirés du classement de Shanghai. Ou la une de cet hebdomadaire économique français qui titre sans sourciller « Tout se joue avant douze ans », un titre qui est devenu « École : pourquoi la réussite se joue dans l’enfance » suite au tollé suscité par le premier titre.

Pourquoi se former puisqu’au fond, tout semble joué dès notre plus jeune âge ? Comment légitimer le rôle de la formation continue si le diplôme de formation initiale reste de toutes façons le critère numéro 1 d’employabilité et que, lors d’un entretien d’embauche, les recruteurs élimineront automatiquement les candidatures en fonction du diplôme, quels que soient l’âge et l’expérience des candidats ? Il est particulièrement frappant de constater que les annonces d’emploi s’obstinent à mentionner en pré-requis « diplôme bac+5 », faisant de la diplomation un facteur discriminant et non un critère parmi d’autres. On se souvient de la grande promesse faite sous François Mitterrand de 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat d’ici à 2000. Que reste-t-il de cette promesse ? Un bac démonétisé, un système ParcourSup qui terrorise parents et enfants, des bacs professionnels dévalorisés et une réduction du « niveau baccalauréat » au bac lui-même. En 2018, 60% des bacheliers titulaires de bacs professionnels ne candidataient même pas à une inscription à la fac (contre 6% en bac général). Bref, la massification du baccalauréat et de l’enseignement supérieur n’est pas la solution miracle aux problèmes d’employabilité et d’épanouissement personnel. Pire, elle fait du « tout-diplôme » une injonction sociétale source de pression, de stress et de perte de sens, créant une génération de « citoyens sur-éduqués et sous-employés », pour reprendre les mots de Nicolas Mathieu.

Les gens ne veulent plus travailler

Il est fréquent d’entendre les chefs d’entreprise se plaindre du fait que de nombreux Français ne souhaitent pas travailler et profitent d’un système d’indemnisation des chômeurs trop incitatif. C’est oublier la responsabilité des entreprises dans ce désamour du travail. Notre pays souffre d’une pénurie chronique de professionnels du secteur socio-médical, et en forme chaque année plusieurs dizaines de milliers. On communique moins sur le turnover du secteur, qui dépasse allègrement les 50%. Pourquoi une telle hémorragie ? Salaires faibles, conditions de travail dégradées, intensification de la pression, horaires éclatés, temps de transport mal rémunérés (entre 3 et 4 euros de l’heure), multiplication de vacations et contrats précaires : notre système continue de former à la chaîne des futurs salariés dont on sait qu’ils quitteront le métier pour lequel on les forme à la première occasion qui se présentera. Cette démission silencieuse, ce décrochage d’un monde du travail dont les décideurs publics et privés ne veulent pas voir l’ampleur est une réalité qu’un plan de formation ne règlera pas. L’approche en silos des questions d’insertion et d’employabilité empêche toute évolution de fond permettant d’augmenter l’utilité sociale et économique de la formation continue. La terminologie en vogue pendant la crise du liée à la pandémie de Covid-19, « travailleurs de première ligne », a eu le mérite de remplacer « travailleurs peu qualifiés », encore couramment utilisée. Mais le discours ambiant sur le faible niveau de qualification véhicule une image dévalorisante de métiers pourtant essentiels. Elle entretient l’idée que le manque de compétences est le problème de fond, sans questionner la qualité du travail et sa pénibilité. La reconnaissance des métiers du back-office et leur valorisation comme des métiers de transition vers une employabilité durable commencent tout juste à être abordées.

La formation, temple des croyances

La formation – comme l’école – est un enjeu sociétal sur lequel tout le monde a un avis, une opinion, une certitude. De nombreux « marronniers » la caractérisent, vecteurs d’idéologies et croyances. Ces marronniers reposent la plupart du temps sur des travaux de recherche valides, étayés mais sortis de leur contexte. En voici une sélection.

Marronnier 1 : L’obsolescence programmée des compétences

À moins de vivre dans une grotte en digital detox, il est impossible que vous ayez échappé au leitmotiv « 80% des métiers n’existent pas encore » : cette affirmation est devenue un véritable totem de la pensée managériale, une évidence indiscutable. Il ne se passe pas une semaine sans recevoir un mail parlant de « l’obsolescence programmée des salariés » (sic). On ne mesure pas l’effet anxiogène de cette affirmation sur certaines typologies d’actifs. Quoi de plus rassurant pour se projeter dans l’avenir qu’un métier inconnu sur une planète qui s’effondre ? Loin de nous l’idée de réfuter que de nouveaux métiers apparaissent et que d’autres disparaissent, cela n’a d’ailleurs rien de nouveau. Ce qui nous intéresse, c’est la manière dont cette affirmation est devenue une vérité générale.

Une étude réalisée en 2019 par Andrew Weaver analyse ce biais cognitif. Ce chercheur du MIT y analyse ce qu’il appelle le « skillgap narrative », cette propension qu’ont les entreprises à se plaindre d’une difficulté à recruter et à blâmer l’inefficacité du système éducatif. Pour le chercheur du MIT, le skillgap n’explique pas tout. En effet, seule une poussée inflationniste sur les salaires pourrait justifier le skillgap : on l’observe certes dans certains métiers du digital où les salaires atteignent des sommes astronomiques, mais cette tendance n’est pas généralisée et, quand elle l’est, elle ne fait guère plus que rattraper l’inflation. Les entreprises ont tendance à surestimer la réalité du travail qu’elles offrent et à demander aux candidats un niveau de compétences qui ne reflète pas la réalité des tâches. Ce décalage est encore plus flagrant pour les jeunes qui ne cherchent pas tant un emploi qu’une ambiance de travail. Conséquence : un certain désenchantement au travail s’installe, l’écart entre le poste tel qu’il a été « vendu » et sa réalité étant important. Cela s’appelle la surqualification, et cette surqualification frappe tous les pays développés. Le skillgap permet aux entreprises de se dédouaner de la question de la qualité du travail et des biais de recrutement.

Marronnier 2 : La fin du cours magistral

« Plutôt que d’apprendre des masses croissantes de savoirs décourageant la plupart des esprits, il vaudrait mieux d’abord un apprentissage du désir et de la capacité d’apprendre » : cette phrase de l’un des grands penseurs de l’auto-formation, Joffre Dumazedier, pourrait facilement être reprise à leur compte par tous les opposants au cours magistral. Car il n’a pas le vent en poupe, le malheureux cours magistral : trop « top down », ennuyeux, pas interactif, pas personnalisé, inefficace – en un mot : dépassé. Ses opposants rêvent de vider les amphithéâtres de leurs professeurs persuadés que la transmission orale d’un savoir suffit. Le cours magistral fait partie de ces souffre-douleurs de l’éducation, sur lesquels il est facile de tomber, d’autant plus qu’ils ne peuvent pas se défendre. Le cours magistral comme unique modalité d’apprentissage est bien sûr un format dépassé ; faut-il le supprimer pour autant ? Est-ce la faute du cours magistral si les amphis de fac sont pleins à craquer et que des morceaux de plafond tombent sur les étudiants ? Le cours magistral peut se réinventer.

Marronnier 3 : Les compétences comportementales sont plus importants que les compétences techniques

Comme le relève le Céreq dans une étude sur les compétences transversales, « l’effet des compétences transversales est en général plus élevé pour le haut de l’échelle des salaires, ce qui est également le cas d’autres facteurs de sélection scolaire ou sociale, tels que la mention obtenue ou la profession du père ». Les soft skills, désignant l’ensemble des compétences comportementales, seraient-elles des compétences élitistes réservées aux cadres-dirigeants ? Le développement des soft skills s’explique par la complexification des modes de travail nécessitant de plus en plus de coordination, d’adaptabilité et de capacité à communiquer. On entend souvent des recruteurs affirmer que “ce qui compte, ce sont les soft skills car la technique on peut l’apprendre ». Cette phrase mérite pourtant qu’on s’y arrête. Elle sous-entend 1) que les soft skills ne s’apprennent pas et 2) que la technique est un non-sujet. Les compétences transversales seraient donc avant tout un élément de capital humain, un héritage, un patrimoine. Les soft skills s’apprennent et ne doivent pas s’opposer aux compétences techniques.

Marronnier 4 :  Les neurosciences pour mieux apprendre

Chaque secteur a besoin d’une marotte et d’une révolution annoncée pour se sentir vivre : la formation n’échappe pas à la règle. Si ces modes reflètent des tendances de fond et des progrès scientifiques indubitables, leur appropriation commerciale est parfois plus discutable, comme ces formations expliquant comment faire des Powerpoint adaptés au cortex pré-frontal. Après le solutionnisme numérique – le digital règlera tous nos problèmes –, on peut parler de solutionnisme neuroscientifique. La faible connaissance des sujets de fond permet à un certain nombre de gourous autoproclamés de s’engouffrer dans la brèche et de présenter – souvent via des cours magistraux, chassez le naturel et il revient au galop – des formules magiques pour apprendre. C’est ainsi que des entreprises lancent des campagnes de sensibilisation sur le thème « apprendre à apprendre » avec un champion de France de mémorisation qui, sur son site internet, se présente de la manière suivante : « Comment apprendre et mémoriser n’importe quoi en un temps record. Ma méthode pour lire jusqu’à dix fois plus vite tout en comprenant tout ce que vous lisez et en y prenant du plaisir ».

Cette apologie du gavage accéléré ne manquera pas de faire sursauter les vrais neuroscientifiques et toutes les personnes qui font de l’apprentissage bien plus qu’un processus mécanique dans lequel on empile des connaissances de manière purement quantitative. L’ère des teaching machines n’est pas encore arrivée, sauf en Chine. Est-ce l’exemple à suivre ?

La formation, une filière qui entretient sa propre opacité

Si Ionesco, Alfred Jarry ou Samuel Beckett étaient encore vivants, il est possible que le thème de la formation leur aurait inspiré des pages savoureuses. À mi-chemin entre le cauchemar kafkaïen et Ubu Roi, la formation fait partie de ces secteurs qui ne font pas preuve d’une grande pédagogie. Voici ce que pourrait être une conversation de bureau classique dans une équipe formation le lundi matin. Sans sous-titres, dur de comprendre quoi que ce soit à ce charabia technocratique : 
– Alors comment se passe le renouvellement de nos titres RNCP ? 
– Plutôt mal, on a obtenu seulement deux prolongations de deux ans et rien du tout au RS.
– Dans ce cas, il va falloir qu’on trouve un certificateur pour s’adosser à un titre. Et ton audit de surveillance Qualiopi, ça avance ? 
– Ça avance bien, on avait deux non-conformités mineures au premier audit, sur l’indicateur 18 et 24, mais on les a réglées depuis. 
– Formidable. Et côté apprentissage, on en est où ? 
– On a encore eu une baisse des NPEC et notre OPCO ne nous donne pas de visibilité sur le reste à charge ni sur l’aide exceptionnelle. Pour les contrats de professionnalisation, ça devient compliqué. Je dois aussi gérer trois dossiers de PRO-A, deux POEC, trois CPF de transition et cinq dossiers de VAE cette semaine. D’ailleurs je suis un peu embêté parce que je ne retrouve ni le code ROME ni le code NSF de la certification. C’est une certification niveau 5 anciennement niveau 3.
– Mais je croyais que la PRO-A et les CPF de transition, c’était géré par le Fongecif ?
– Ah non pas du tout, le Fongecif n’existe plus. Maintenant ce sont les At-pros qui s’occupent de TransCo.
– Ah bon. Et du coup, qui récupère notre CUFPA ? 
– Les URSSAF , depuis la réforme de 2018.

Le schéma ci-dessous récapitule l’ensemble des flux financiers de la formation professionnelle, de la collecte auprès des entreprises aux différents financeurs et guichets. En résumé, est demandé aux entreprises de verser chaque année trois taxes : la taxe d’apprentissage, une « contribution obligatoire » complétée par une « contribution volontaire » dont le montant est collecté par les URSSAF et ensuite réparti à différents financeurs : l’État via le Plan d’investissement dans les compétences (PIC) en lien avec les conseils régionaux destiné aux demandeurs d’emploi, l’agence France Compétences qui centralise et dispatche les financements de la formation (pour le CPF, la formation des salariés des entreprises de moins de 50 salariés et l’alternance via les OPCO). Depuis la loi de 2004, la compétence de formation des demandeurs d’emploi est transférée aux conseils régionaux, même si l’alternance a été de fait recentralisée en partenariat avec les branches depuis la réforme de 2018. Les régions interviennent comme des financeurs de formations via des Plans régionaux de formation (PRF). Construits sur une durée de trois à cinq ans, ces PRF identifient les besoins d’un territoire, lancent des appels d’offres et flèchent l’argent vers les organismes retenus. Mais ils ne peuvent rien faire sans lien avec les directions régionales de Pôle Emploi et les Missions locales qui orientent les demandeurs d’emploi et, surtout, prennent en charge l’indemnisation des chômeurs. C’est ici qu’intervient l’État pour compléter les fonds régionaux. Mais l’État ne parle pas d’une voix unique : la DGEFP rattachée au ministère du Travail est un premier acteur. Mais le CPF étant géré par la Caisse des dépôts, cette dernière est incontournable. Enfin, les délégations régionales des OPCO gèrent la formation des entreprises et financent l’alternance. N’oublions pas l’Agefiph, spécialisée dans l’accompagnement des handicapés. À la complexité des dispositifs, s’ajoutent une complexité territoriale et des jeux d’acteurs dignes d’un RPG. Le système de formation ressemble à un match de base-ball, le citoyen faisant office de balle.

Il est bien sûr un peu facile de s’amuser de l’inventivité administrative de notre pays. Ces acronymes sont l’héritage complexe d’une histoire du droit du travail et de la formation. La superposition de couches, de dispositifs et de guichets de financement est le reflet d’un découpage de compétences entre l’État, les régions et la gestion paritaire de la formation. C’est parce que la formation n’est ni simplement un impôt, ni réellement une taxe, ni tout à fait une mutualisation des fonds que sa compréhension en est si difficile. La formation est considérée par l’ensemble des acteurs institutionnels comme un pot commun dans lequel il est légitime de se servir pour financer telle ou telle politique, telle ou telle priorité du moment. La volonté de composer entre différentes sensibilités (libérale vs. administrée) et l’historique du paritarisme de gestion expliquent en partie ce millefeuille. La complexité n’est pas en soi le problème : c’est plutôt l’absence de clarté sur le mode de prise de décision, l’inertie qui en découle et l’effet repoussoir pour les Français qui sont les vrais enjeux. Pour comprendre les limites du système actuel, il est nécessaire d’aller un cran plus loin dans le « back-office » de la formation. Pas moins de sept institutions différentes interviennent, soit en tant que « financeurs », soit en tant que « prescripteurs » (parfois les deux).

Surveiller et punir dans la formation professionnelle : le certificateur, œil de Moscou des compétences 

Il faut un certain temps pour comprendre à quel point la certification est le nerf de la guerre du secteur. Pour bénéficier des fonds publics, les formations ont l’obligation de s’adosser à des certifications : une certification décrit les différentes compétences d’un métier et les conditions d’obtention (en général une soutenance devant un jury d’experts, un examen et l’assiduité à la formation). Les certifications du RNCP (titres, diplômes, certificats de qualification professionnelle) attestent des compétences nécessaires pour un métier donné (conducteur routier, boucher, enseignant, infirmier) ; les certifications du Répertoire spécifique attestent des compétences nécessaires pour une activité (utiliser Excel, manager un projet, créer un site internet, parler anglais). 

Les certifications ont pour objectif d’assurer la reconnaissance d’une compétence sur le marché du travail, un objectif qu’elles accomplissent partiellement, la reconnaissance de la légitimité des certifications étant très variable selon le type de certification (diplôme d’État, BTS, titre professionnel, etc.) mais aussi et surtout les métiers, les niveaux de qualification des candidats et le niveau de pénurie de candidats. Pour y voir plus clair, des « vademecums » remplaçant les « notes de doctrine » (sic) sont mises à disposition.

Présentée comme l’alpha et l’omega de l’employabilité, la certification n’est en réalité qu’une variable parmi d’autres. Mis à part les métiers techniques, industriels et/ou réglementés (nucléaire, ferroviaire, transports, comptabilité, etc.), seul le diplôme de formation initiale compte vraiment. Problème supplémentaire, une certification professionnelle a une durée limitée pour l’organisme qui l’a déposée (en général quelques années), contrairement à un diplôme. La bataille des titres (diplômes, certifications RNCP et RS) est donc un véritable jeu d’échecs qui crée des rentes de situation importantes et ancre une certaine instabilité.

Certains organismes font d’ailleurs de la commercialisation de leurs certifications un modèle économique à part entière : en louant leurs certifications à des dizaines, voire des centaines d’entreprises de formation, sans toujours vérifier la qualité desdits organismes, c’est un chiffre d’affaires additionnel important qu’elles génèrent, une certification étant commercialisée entre 5% et 10% du prix par stagiaire. Les effets d’aubaine provoqués par cette logique de financement sont nombreux et ne contribuent pas à améliorer l’image du secteur. Les aides d’État deviennent un argument commercial pour les rentiers de la certification. Censée valider la qualité d’une formation et sa cohérence avec un besoin du marché du travail, la certification est devenue un no man’s land à la fois sur-encadré et totalement anarchique. « L’ingénierie de certification » est d’ailleurs un savoir-faire recherché tant il est complexe d’en déposer une. Des intermédiaires, que l’on peut qualifier en reprenant les mots de Jules Verne de « courtiers de l’État », sont spécialisés dans l’ingénierie de certification à la manière des cabinets de conseil en « levée de fonds publics », ces cabinets spécialisés dans l’obtention de crédits d’impôt et de subventions étatiques moyennant commission. Il est aujourd’hui quasiment impossible de déposer une certification sans expérience préalable et sans accompagnement d’un cabinet spécialisé.

Le tout-certifiant aura eu pour mérite d’écarter du marché des organismes proposant des dispositifs sans valeur ajoutée, pour ne pas dire à la limite de l’amateurisme. Elle a également des conséquences contre-productives. Ainsi, cet entrepreneur qui propose des formations en alternance reconnues par tous les professionnels du secteur à tel point que ses alternants se voient proposer des CDI dès l’obtention de leur diplôme à des niveaux de salaire élevés, et se voit refuser sa certification car il n’a pas respecté à la lettre le formalisme d’un dépôt de titre. Si le critère de certification d’une formation était le taux d’embauche à la sortie, il serait loin devant nombre de ses confrères et concurrents… Avec des délais d’instruction dépassant les six mois, des commissions d’évaluation en sous-effectifs, des critères peu transparents et parfois contradictoires entre eux (demande de personnalisation tout en ayant un référentiel de compétences commun, demande d’antériorité de trois promotions incompatible avec le fait d’avoir une certification pour former) et des durées de validité d’une certification de deux ans même pour des formation durant un an, le tout-certifiant a ses limites. La situation devient parfois ubuesque lorsque les certifications sont des diplômes d’État dont la tutelle est un ministère. La très redoutée commission certification de France Compétences donne une sensation d’arbitraire dans son mode de prise de décision.

Les prescripteurs, diagnostiqueurs des compétences

Si le chômage était une maladie et la compétence son remède, il leur faudrait un médecin généraliste capable d’établir le bon diagnostic et de prescrire des soins. C’est ici qu’interviennent les prescripteurs. On compte un nombre élevé de prescripteurs, rarement coordonnés entre eux. Missions locales, conseillers Pôle Emploi, services du conseil régional, centres de formation spécialisés dans l’insertion : tous ces acteurs ont pour mission d’orienter les demandeurs d’emploi dans un parcours vers l’emploi passant souvent par la case formation. Dans son rapport « Les dispositifs en faveur de l’emploi des quartiers prioritaires de la politique de la ville » publié en juin 2022, la Cour des comptes n’y allait pas par quatre chemins : « l’illisibilité des dispositifs de l’emploi, dont la très grande majorité n’est pas spécifique aux QPV, ne tient pas uniquement à leur nombre très élevé. Même observés par catégorie de public cible ou par nature, leur foisonnement reste en soi problématique. À cela s’ajoute le fait qu’ils sont prescrits ou mis en œuvre par de nombreuses administrations ou opérateurs publics ou privés, sans même évoquer les collectivités locales. De fait, les dispositifs de l’emploi sont d’une grande complexité pour les usagers et même pour les professionnels et les opérateurs qui sont chargés de les mettre en œuvre et qui, souvent, méconnaissent les caractéristiques et les conditions d’éligibilité des dispositifs proposés par d’autres structures, voire en méconnaissent tout simplement l’existence ». France Travail, dont la mission sera d’être le guichet unique et d’uniformiser la prescription, sera le bienvenu, s’il réussit cet ambitieux pari.

L’alternance, quoi qu’il en coûte ?

L’État a dû voler par deux fois au secours de France Compétences en injectant en dernière minute deux milliards d’euros pour un total de quatre milliards en 2022. Comment s’explique ce déficit ? La formation et plus particulièrement l’alternance doit-elle être financée quoiqu’il en coûte ? Le modèle de l’alternance fonctionne de la manière suivante : d’un côté, les opérateurs (Centres de formation en alternance, CFA) facturent des coûts pédagogiques ; de l’autre, le salaire de l’alternant est payé par l’entreprise et encadré par les branches. Les coûts pédagogiques sont largement pris en charge dans le cadre de la politique volontariste de financement de l’alternance. Ainsi, une école de marketing facturant 5000 euros l’année ne coûtera strictement rien ou presque à l’entreprise et à l’étudiant. Cette gratuité illusoire ne repose que sur la volonté politique de développer la formation en alternance, véritable moteur d’inclusion. Or, le succès de l’apprentissage a entraîné un déficit colossal : les niveaux de prise en charge des frais pédagogiques vont donc progressivement baisser afin d’équilibrer le système. Ce financement par NPEC et la quasi-gratuité pour les étudiants et les entreprises ont eu pour conséquence une véritable ruée vers l’alternance dont le business model juteux permet à des CFA privés d’augmenter leurs frais de scolarité sans limite et de facturer un « reste à charge » aux entreprises, cette hausse étant invisible pour les alternants. L’alternance, initialement pensée comme un levier d’insertion dans l’enseignement supérieur pour les niveaux de qualification les plus faibles, a aussi été investie par les opérateurs positionnés sur les diplômes de type master, et notamment les écoles de commerce. Si cette tendance contribue à revaloriser l’alternance puisque de futurs managers seront passés par cette voie, elle illustre à quel point, comme souvent dans le secteur, une intention politique louable sans cadre précis ni leviers pour contrôler le cadre engendre des effets d’aubaine importants.

L’appel à projets : saupoudrage de fonds publics ou virage stratégique ?

AAP 100% inclusion, AAP DemoES, AAP Deffinum, Camps des métiers d’avenir, PIA 3 : les appels à projets se multiplient. Venu du monde de l’enseignement supérieur, l’appel à projets est une modalité de financement consistant à flécher de l’argent public vers des consortiums d’acteurs pour les aider à innover et se transformer, en général sur une durée de trois à cinq ans. Ce mode de financement a de nombreux détracteurs dans l’enseignement supérieur : il transformerait les patrons de labos en leveur de fonds, les éloignerait de leurs missions de recherche et d’enseignement, pousserait au court-termisme et à la précarisation de la recherche et ne règlerait en rien le sous-financement structurel de l’enseignement supérieur. Ses défenseurs soulignent au contraire l’importance d’investir l’argent public en fonction de priorités stratégiques et de coordonner les investissements stratégiques dans des filières d’avenir. La formation professionnelle s’est elle aussi mise à ce type de modalité avec un succès mitigé. L’appel à projets entretient un appareil de formation sous perfusion, ajoute des complexités administratives et reste inaccessible à l’écrasante majorité des acteurs. L’un des derniers grands appels à projets pour accompagner « la modernisation de la formation » est annoncé début 2021 ; il est lancé fin 2021. Les lauréats sont annoncés à l’automne 2022 et les signatures finales des conventions fin 2022, voire début 2023. Entretemps, les membres de consortium auront dû remplir d’interminables fichiers Excel et négocier avec des juristes soucieux d’éviter que ces appels à projets ne soient considérés comme des subventions illégales par l’Union européenne. Pire, devant la complexité administrative, certains consortiums décident purement et simplement d’abandonner le financement. La mécanique des appels à projets, au lieu d’analyser les besoins et de les financer, part d’une enveloppe qu’il faut dépenser. Les AAP actent le sous-investissement chronique de la filière de la formation sans vraiment y répondre.

La VAE, mal-aimée de la formation

Dans un pays fasciné par le diplôme et dans lequel la compétence n’existe que si elle est certifiée par un tiers, on ne peut imaginer plus contre-culturel que la Validation des acquis de l’expérience (VAE). On pourrait donc être compétent simplement par l’accumulation d’expériences ? Sans être passé par les bancs d’une école ou d’un centre de formation ? La VAE est le fruit d’un compromis improbable entre une volonté de faciliter la mobilité sociale de ceux qui n’ont pas de diplôme et l’omniprésence du diplôme dans notre culture. D’abord appelée VAP (Validation des acquis professionnels) suite à une loi de 1992, la VAE est créée en 2002 pour permettre la reconnaissance des compétences acquises par l’expérience. Mais obtenir une VAE relève du parcours du combattant :  les candidats doivent d’abord – on a tendance à l’oublier – être au courant que ce dispositif existe. Méconnu, trop technique, il n’est que très rarement prescrit. Après avoir dépassé cette première asymétrie de l’information, les candidats doivent présenter un « dossier d’expérience » dont la recevabilité est aléatoire : elle prend des mois et les candidats ne sont pas accompagnés. Cette première étape est souvent perçue comme une sanction ou un jury avant l’heure. Car l’étape finale est le passage devant un jury composé d’anciens professionnels du secteur. Problème, le rôle de membre de jury est méconnu, peu attractif, mal rémunéré et n’attire pas toujours les jurés les plus pertinents. Or ce jury a droit de vie ou de mort sur le dossier final du candidat. Si son dossier passe, le candidat devra suivre des modules dans un organisme pour rattraper certaines compétences et bénéficier d’un accompagnement ; après les avoir validées, il sera diplômé ou certifié de la formation qu’il aura suivie. De nombreuses personnes se découragent en découvrant la lourdeur des démarches à suivre. Le taux d’abandon en cours de VAE est estimé à 30%. Au total, 40% des candidats à une VAE obtiendront le diplôme visé. Résultat, chaque année en France moins 30 000 personnes bénéficient d’une VAE. Une « notice explicative de demande de recevabilité » est proposée par l’État. Ces quinze pages de pédagogie administrative détaillent la bonne manière de remplir le Cerfa « Demande de recevabilité », dont voici quelques extraits ci-dessous.

Extraits des pièces justificatives à fournir dans un dossier de demande de VAE

Ce dispositif est pourtant un formidable levier de mobilité et de réduction des inégalités : il touche majoritairement des femmes avec un niveau de qualification faible, dans la tranche d’âge 40-49 ans, c’est-à-dire des femmes éloignées de l’emploi par leur situation familiale. Il est peu cher, le nombre d’heures de formation étant réduit. Il est valorisant puisqu’il permet de solidifier des expériences et d’en obtenir une reconnaissance. Et il permet de fournir des professionnels qualifiés dans des métiers en tension comme les services à la personne ou le métier d’aide-soignante. Il correspond à l’essence même de la formation : donner sa chance à tous, à n’importe quel âge, avec n’importe quel parcours. Un projet de réforme ambitieux détaillé dans ce rapport a bien été proposé mais les guerres de chapelle entre ministères (de l’Éducation, du Travail, de l’Enseignement supérieur) auront retardé son application, une loi étant enfin votée fin 2022. 

Le PIC, plan d’investissement dans les compétences

Lancé en 2018, le PIC a contribué à massifier l’accès à la formation pour les chômeurs. Il est une réelle avancée dans l’accès. Mais l’accès n’est que la première étape d’un parcours semé d’embûches. Financé jusqu’en fin 2023, le PIC, mesure conjoncturelle pensée avant la pandémie de Covid-19, va s’arrêter. Que deviendront les personnes accompagnées ? Auront-elles toutes été réinsérées en décembre 2023 ? Que deviendront les chefs de projet précaires en CDD qui donnent vie à ces projets au sein des structures de formation ? Quelle suite sera donnée aux nombreuses « expérimentations » ? Les excellents guides de capitalisation produits par le Haut Commissariat aux compétences sont fort utiles. Hélas, la mémoire informelle ne se transmet pas par la lecture de livres blancs, aussi intéressants soient-ils. Le demandeur d’emploi est encore trop souvent prié de s’adapter à un système plutôt que d’espérer que le système s’adopte à lui.

La question de la prise en charge de la formation et de la rémunération des demandeurs d’emploi pendant leur formation est un aspect central. Prenons un chômeur souhaitant devenir installateur de panneaux photovoltaïques, un métier en tension et qui a trouvé une formation qui lui correspond. Notre futur installateur de panneaux photovoltaïques perçoit l’allocation de retour à l’emploi (ARE) et sera en fin de droits dans trois mois. Pas de chance, cette formation n’a pas été sélectionnée par la Région dans son PRF. Il ne pourra donc pas la faire financer, ou alors partiellement en utilisant son CPF qui ne suffira probablement pas car il n’a que 1500 euros sur son compte et elle en coûte 4000. Il arrive que Pôle Emploi abonde les CPF de chômeurs pour les aider à financer une formation. Son agence Pôle Emploi ne le fait pas. Notre chômeur doit donc reporter ou abandonner son projet de formation. Au bout d’un mois, l’organisme est finalement référencé via un « marché subséquent multi-attributaires ». La formation peut donc démarrer. Mais il y a un hic : la région se contentant de financer, charge à l’organisme de « remplir » sa promotion d’apprenants. S’il n’y arrive pas, il annulera la formation. C’est ainsi que faute de coordination entre prescripteurs et financeurs, des formations garantissant un CDI à la clef ne trouvent pas assez de gens à former ; et que, en bout de chaîne, des entreprises se plaignent de ne pas trouver de candidats. Admettons maintenant que notre organisme de formation soit un champion du marketing et arrive à trouver assez d’apprenants ayant 1) le financement 2) un logement 3) une indemnisation pour vivre pour ouvrir une promotion. Notre futur installateur peut enfin démarrer sa formation de six mois. Mais ses droits au chômage s’arrêtant deux mois plus tard (il s’est passé un mois au milieu, délai d’ailleurs très optimiste), il fera face à des difficultés financières dès le troisième mois. Comment payer son loyer ? Et l’essence pour aller tous les jours en formation, à vingt kilomètres de chez lui, sa ville n’étant pas desservie par le TER ? On lui a bien proposé une place dans une résidence mais qui s’occupera de ses deux enfants qui sont en garde partagée ? Son conseiller croit en son projet et ne veut rien lâcher ! Car le système repose sur l’abnégation et l’esprit civique de milliers d’invisibles, chevilles ouvrières de la formation professionnelle sans qui rien ne serait possible. Pôle Emploi et le coordinateur pédagogique de l’OF se démènent pour lui trouver une solution : il s’agit de la rémunération fin de formation (RFF). Pas de chance, la formation en installation de panneaux solaires n’est pas sur la liste de la préfecture (que vient-elle faire ici ?) conditionnant l’éligibilité à la RFF. Et même si elle l’était, le délai d’instruction serait tel que cette RFF arriverait beaucoup trop tard. Notre apprenti aurait ainsi un tel découvert qu’il devrait payer des agios. Solution de repli ? Se former à distance via une formation en ligne proposant un système d’entrée et sortie de formation en continu. Mais l’organisme de formation n’a pas totalement digitalisé son offre car les formateurs y sont hostiles et la direction n’a pas de budget, les coûts des contrats payés dix euros de l’heure par stagiaire lui permettant de payer les salaires, de la matière première pour les cours et la facture d’énergie, rien de plus. Et pour valider son certificat, des épreuves pratiques sont prévues que la formation à distance rend compliquées. La région met bien à disposition des tiers-lieux pour que les personnes qui se forment à distance puissent se regrouper. Ce tiers-lieu n’a pas d’équipements photovoltaïques et sont implantés dans les grandes villes de la région. Notre installateur découragé a maintenant trois solutions : s’inscrire au RSA, repartir pour un cycle de recherche de formation et de financement associé ou trouver un emploi peu qualifié en intérim qu’il complètera par la prime d’activité, le tout à côté de chez lui.

Qui sont les acteurs de la formation ?

Des milliers de personnes, indispensables et parfois invisibles, assurent la chaîne de valeur du développement des compétences.

L’organisme de formation, une exception culturelle française
L’OF (prononcer haut-ef) est une exception française. À première vue, il ressemble à une école. On y reçoit une « convocation » à une formation contenant un programme détaillé et des horaires précis jusqu’à l’heure des pauses. Des « objectifs » pédagogiques sont présentés. À l’arrivée au centre de formation, l’OF vous fait signer une « feuille de présence » dans le cadre de sa « démarche qualité ». Puis le formateur, après avoir plus ou moins facilement branché son ordinateur sur un rétroprojecteur, vous formera dans une salle pas toujours de première jeunesse, équipée d’un paperboard ou de matériel pour les formations techniques, seul ou presque, face à un groupe de 5 à 15 personnes. Un questionnaire de satisfaction encore souvent papier vous sera soumis à la fin. 

Personne ne sait avec précision combien d’organismes de formation existent en France. France Compétences parle de 75 000, la plateforme data.gouv de 87 000. Moins de la moitié d’entre eux a comme activité principale la formation. Moins de 10% des organismes dépassent un million d’euros de chiffre d’affaires et le nombre de sociétés unipersonnelles est élevé. Les organismes peuvent être issus de l’enseignement professionnel, du secteur privé, du secteur public : de nombreux modèles de gouvernance et d’organisation existent, allant de la grosse PME détenue par un fonds d’investissement au centre de formation associatif quasiment militant pour qui le mot « client » est un gros mot. Le clivage identitaire entre une vision secteur public orientée vers la réduction des inégalités et une vision privée considérant la formation comme un marché de prestations intellectuelles reste fort. L’organisme de formation est une structure bousculée par une ouverture à la concurrence du marché et le digital.

La startup qui « disrupte » l’éducation
D’après une étude EY-Parthénon pour Edtech France, le chiffre d’affaires de la filière edtech représente un milliard d’euros en 2021. Ces startups proposent aussi bien des contenus pédagogiques que des logiciels de création de contenu ou des logiciels de gestion. Là encore, de nombreuses petites structures, qualifiées par certains de « forêt de bonsaïs », et quelques leaders qui partent à la conquête du monde. Ces nouveaux acteurs digitaux de la formation apportent avec eux un changement de mentalité : ils contournent les corps intermédiaires de la formation que sont les branches, les OPCO, Pôle Emploi ou les organismes eux-mêmes en s’adressant directement au client final, qu’il soit un individu ou une organisation. Même si les startups doivent in fine jouer le jeu des institutions, leur absence totale de complexes secoue un secteur ronronnant. Depuis les premiers cours e-learning en cassettes VHS envoyés par La Poste, la formation en ligne a bien changé et s’est considérablement professionnalisée. La loi de 2018 a renforcé le droit des individus à choisir eux-mêmes leur formation en utilisant leur CPF, se passant des prescriptions jusque-là nécessaires. Les forfaits 4G sont abordables et le taux d’équipement élevé. Les entreprises veulent réduire leurs dépenses logistiques et être plus réactives et se tournent plus qu’avant vers des formations à distance ou hybridées. La maturité technologique de certaines solutions permet un vrai changement. On peut toutefois relever les limites de l’esprit « Startup Nation » dans la formation : une certaine méconnaissance, pour ne pas dire un certain mépris des acteurs historiques de la formation est de mise dans certaines startups, ce qui ne contribue pas à réduire le clivage entre l’ancien monde et le nouveau monde. De fait, les startups edtech qui réussissent le mieux travaillent pour des entreprises, l’accès aux marchés publics étant encore très verrouillé et procédurier.

L’Executive Education, terrain de chasse des grandes écoles
Les pratiques de management anglo-saxonnes ont amené avec elles des besoins en formation massifs des cadres et managers d’entreprise. C’est sur le créneau des « exécutifs » que se sont développées les activités « executive education » des grandes écoles de commerce et, dans une moindre mesure, d’ingénieurs. Elles regroupent des programmes longs (MBA, executive MBA), des programmes courts appelés « certificates » généralement précédés de l’épithète « executive » et des programmes sur mesure en entreprise. Elles représentent plusieurs dizaines de millions d’euros d’activité pour les acteurs de premier plan. Leur cible privilégiée : les managers qui n’ont pas fait de grande école au cours de leur formation initiale et cherchent à compléter leur CV par un diplôme prestigieux, illustrant là encore la théorie du signal. Passer par un parcours executive education permet de compléter des expériences managériales, de solidifier des bases notamment en finance ou en marketing et surtout, de prendre confiance en soi.

Le formateur
Le formateur est une figure plus complexe qu’il n’y paraît. Comme l’explique Florent Gomez dans son article consacré à la formation des enseignants, Représentations et identité professionnelle du formateur d’enseignant, « les formateurs se voient assigner comme tâches non seulement la transmission de savoirs académiques, de savoir-faire professionnels, mais aussi l’assistance dans la constitution d’une identité professionnelle ». Les formateurs ont bien un rôle qui dépasse le strict développement des compétences. Ils construisent un individu, contribuent à la construction de son identité. On attend des formateurs un ensemble de « postures » variant selon le contexte et la personnalité du formateur. Le tableau ci-dessous synthétise ces différentes postures.
PostureDestinataireFonction
AnimateurMembre du groupeFaciliter le travail et réguler le groupe
ChercheurPraticienInviter à la recherche
ClinicienPersonneClarifier les relations interpersonnelles
Confident (écouteur)PersonneRestaurer l’image de soi
ExpertPraticienAnalyser et conseiller pour améliorer la pratique
IngénieurPraticienInstrumenter la pratique
MentorPersonne/PraticienGuider, accompagner
ModèlePraticien/PersonneÊtre support d’imitation
PerturbateurPersonneDéstabiliser
ProfessionnelPraticienFaire valoir sa capacité à enseigner
SavantPraticienInformer, documenter
On le voit, les formateurs sont des caméléons hybrides, jonglant entre les rôles offerts dans le cadre d’une formation. S’ils sont plutôt mentors, animateurs, confidents, ils auront tendance à s’adapter à leur public, et se verront avant tout comme des accompagnateurs, des « aidants » de la compétence. Les profils plus savants ou experts accorderont une place plus importante à leur savoir, se sentant chargés d’un devoir de mémoire et de transmission. Tous les formateurs sont un peu tout cela à la fois et il serait caricatural de les réduire à telle ou telle caractéristique. Ce ne sont pas tant les personnalités qui comptent que les institutions qui les façonnent. Un formateur dans un contexte industriel n’aura pas les mêmes postures et les mêmes comportements qu’un expert formant d’autres experts ou un guide amenant ses apprenants à développer leur réflexivité dans une formation de managers. Le formateur peut aussi bien être un maïeuticien, un mentor ou un prompteur robotisé suivant un déroulé coupé au cordeau, en fonction du cadre pédagogique qui lui est donné.

L’ingénieur pédagogique : le mal-aimé de la formation dont plus personne ne peut se passer
Dans un article du 13 octobre 2020, Le Monde Campus titrait « Dans l’enseignement supérieur, l’heure de gloire des ingénieurs pédagogiques« . Comment expliquer qu’un métier peu connu devienne aussi essentiel ? La pandémie de Covid-19 y est pour beaucoup : tous les étudiants, élèves, formateurs et professeurs de France ont expérimenté la difficulté d’enseigner à distance. La valeur ajoutée de l’ingénierie pédagogique a pu devenir une réalité pour tous les apprenants. Une bonne formation se scénarise, se prépare, donne du rythme, crée des surprises. Mais qu’est-ce qu’un ingénieur pédagogique ? Un article écrit par Elizabeth Armao Méliet sur le thème « l’évolution des métiers de l’ingénierie pédagogique » proposait une synthèse des compétences les plus fréquemment listées dans dix principaux référentiels métiers. On retrouve : 
– la maîtrise de la réglementation ;
– l’application d’une méthodologie de recherche d’informations et de veille ;
– l’ingénierie des politiques de formation ;
– l’ingénierie de la formation et l’ingénierie pédagogique multimédia ;
– le travail en mode projet multi sites ;
– la valorisation du dispositif dans le développement.

Cette définition assez austère illustre bien l’un des angles morts de ce métier et plus globalement de l’univers de la formation : l’enjeu de la formation est d’abord de « coller » à des contraintes administratives et réglementaires. La pédagogie en tant que telle est diluée dans l’un de ces six grands blocs de compétences et mélangée avec la production multimédia. Les ingénieurs pédagogiques ne sont heureusement pas que de simples bureaucrates de la pédagogie. Un certain esprit de rébellion s’est d’ailleurs emparé d’une profession qui a su s’imposer dans le privé comme dans le public, dans un contexte de forte concurrence et d’attentes accrues des bénéficiaires sur la question de la qualité pédagogique. L’ingénieur pédagogique se transforme de plus en plus en designer, adoptant des méthodes venues du design de services. Il mène des entretiens et focus groups, analyse les besoins, réfléchit aux bonnes modalités pédagogiques, produit un déroulé, supervise et produit les contenus. Il s’intéresse au contenu et au contexte, au fond et à la forme. Les recrutements sont en hausse et la formation à la pédagogie n’est plus un tabou, même pour l’enseignement supérieur.

Le chargé de formation
Dans les entreprises et dans les organismes de formation, le chargé de formation est un métier central, véritable courroie de transmission entre le terrain et le management. C’est en effet le chargé de formation qui a la lourde tâche de récupérer, consolider et envoyer tous les documents administratifs liés aux actions de formation : envoi des convocations, inscriptions aux sessions, récupération des feuilles d’émargement et questionnaires post-formation. Il est le garant de la conformité administrative, qu’on appelle exagérément « qualité », et de la logistique. Métier peu reconnu et peu valorisé, il reste néanmoins essentiel et s’apparente à ces fourmis ouvrières qui assurent l’approvisionnement de la fourmilière.

Le responsable formation en entreprise
Communément appelé « RF », le responsable formation est l’acteur en charge de la gestion du plan de développement des compétences d’une entreprise, rattaché à une direction des ressources humaines. On retrouve des RF dans toutes les grandes structures et dans la majorité des PME de plus de cent salariés. Le RF analyse les remontées de besoins individuels et collectifs des salariés après les entretiens annuels, contacte des sociétés de formation, lance des appels d’offres et assure le pilotage budgétaire. Il a une autonomie limitée dans les organisations et arrive souvent en bout de chaîne dans les plans stratégiques de transformation. Souvent considéré comme un tiroir-caisse par les managers qui souhaitent former leurs équipes, il peine à s’imposer comme un partenaire de la transformation des compétences, ce parfois même avec ses collègues responsables des ressources humaines qui méconnaissent grandement la formation, quant ils ne la dévalorisent pas. Dans les organisations les plus matures, les RF adoptent souvent une posture de consultant interne, chargés de créer sur mesure des dispositifs de formation. On observe une tendance à angliciser ces métiers, pour les « premiumiser » : le responsable formation deviendra alors un « learning partner » ou un « learning manager », suivant la tendance des RRH désormais appelés HR Business Partner.
L’enseignement supérieur attire les convoitises

Quel est le point commun entre la célèbre école de théâtre Cours Florent, la non moins célèbre école de cuisine Ferrandi et l’École du parfum ? Toutes en commun d’appartenir à des géants de l’enseignement supérieur privés, dont l’actionnariat est constitué des plus gros fonds d’investissement de la place. Il est tout à fait possible que vos enfants étudient en ce moment-même dans l’une de ces écoles. Car l’enseignement supérieur est un marché énorme et pour ceux qui savent l’opérer, très rentable. Profitant de la brèche ouverte par un enseignement supérieur public sous-financé, saturé et pas assez professionnalisant et des grandes écoles hors d’atteinte pour la majorité des Français, ces acteurs ont su se positionner sur deux besoins bien réels : rassurer des parents inquiets pour l’avenir de leurs enfants et aider des étudiants à qui l’on a promis qu’en faisant des études ils réussiraient leur vie professionnelle. La consolidation de l’enseignement supérieur privé a permis à quelques géants d’émerger en France et de devenir des champions internationaux. Les chiffres de ces acteurs montrent la consolidation du marché des écoles privées en conglomérats géants prêts à se développer à l’international : Galileo Education, le leader du secteur, compte 54 « marques », 170 000 étudiants dont 110 000 en France, 89 campus et vient d’être refinancé par Téthys, la holding des Bettencourt-Meyers et un fonds de pension canadien. Citons également AD Education (32 000 étudiants, 20 écoles, 69 campus, fond majoritaire : Ardian), Eureka Education (32 000 élèves, 150 campus, 20 écoles, fonds majoritaire : Naxicap Partners), Omnes Education (40 000 étudiants, 13 écoles, 19 campus, fonds majoritaire : Cinven).

On estime que 25% des étudiants en France étudient aujourd’hui dans des écoles privées. Ils étaient moitié moins il y a dix ans. La croissance de la part de marché du privé a encore augmenté de 10% suite à la pandémie de Covid-19 contre 0,7% pour le public. Et ce chiffre ne va faire qu’augmenter. Les écoles privées ont réussi à maîtriser les deux aspects de la chaîne de valeur éducative : le sourcing et le placement. Via des salons, des publicités ciblées et un « marketing des admissions » rôdé, ces écoles maîtrisent le sourcing d’étudiants et ont une connaissance exceptionnelle des financements éligibles. Côté placement, des équipes entières sont chargées d’entretenir des relations avec les recruteurs et les campus managers d’entreprise. Pour couronner le tout, les groupes privés ont su proposer des offres de formation en alternance, largement subventionnées par l’État. À coups de bachelors, de MBA et de diplômes en anglais, le succès de ces écoles est incontestable. Et il serait réducteur d’y voir une réussite opportuniste : les écoles privées savent analyser finement les besoins du marché du travail et y répondre avec agilité. Elles se sont affranchies des parfois très contraignantes accréditations des business schools (AACSB, Equis). Elles réussissent objectivement à placer en CDI la majorité de leurs étudiants et, en ce sens, elles tiennent leur promesse d’employabilité. Leur succès illustre en miroir les limites de l’approche méritocratique devenue la propriété privée d’une élite qui se reproduit et de la massification de l’enseignement supérieur public qui, faute de moyens et d’esprit entrepreneurial, fait au mieux.

Jusqu’où ce système peut-il aller ? Aux États-Unis et au Royaume-Uni, la dette étudiante est devenue un problème majeur. Aux États-Unis, l’effacement d’une partie de la dette étudiante est une décision que le président Biden a dû défendre personnellement, signe de son caractère inflammable. En France, le modèle des écoles privées repose indirectement sur de la subvention via la prise en charge des coûts pédagogiques par l’État pour l’alternance. Si l’État venait à revoir les niveaux de prise en charge, les actionnaires seraient moins intéressés. La Suède fait partie des pays qui voient les limites de cette semi-privatisation de l’enseignement (scolaire, secondaire et supérieur). Les écoles se voient en effet distribuer un « chèque éducation » pour chaque nouvel élève, payé par les collectivités locales en échange de frais de scolarité gratuits. Augmentation du nombre d’étudiants et mutualisation de fonctions supports permettent ensuite de réduire le coût marginal d’un étudiant. En soi, rien d’illégal ni de choquant si la qualité pédagogique est au rendez-vous. Mais les impôts des contribuables ont-ils vraiment vocation à financer les retraites de nos amis canadiens, via un fonds de pension actionnaire d’un groupe privé français d’écoles ?

Propositions : changer de regard pour changer les choses

Le système français de formation professionnelle, malgré ses dysfonctionnements systémiques, a un mérite qu’il n’est pas inutile de rappeler : il existe. De nombreux pays nous envient ce droit inscrit dans la loi à se former, et les moyens alloués pour faire de ce droit une réalité. Les grandes entreprises l’ont bien compris et construisent des politiques de développement des compétences de plus en plus structurées. La formation attire des milliers de créateurs d’entreprise intéressés par le secteur. Des champions nationaux émergent. La formation reste pourtant trop souvent perçue comme anonyme, désincarnée, éloignée des réalités du terrain, parfois même infantilisante. Que faire pour améliorer le système de formation ? Une énième réforme ? Notre conviction est au contraire que l’approche législative a montré ses limites en matière de développement des compétences en superposant les dispositifs, en détricotant ce qu’elle avait tricoté. Les études d’impact répètent toutes la même chose : absence de coordination entre acteurs, silos entre acteurs du financement de la formation, critères d’éligibilité à la fois flous et restrictifs, absence de diagnostic en amont des besoins, absence d’implication des entreprises, absence de collecte de données. Aucun enseignement n’est tiré de ces retours d’expérience. C’est en partie parce qu’elle obéit à un agenda politique et non aux besoins du terrain que la formation ne prend pas.

La conformité, meilleure ennemie de la formation

Sur le papier, quoi de plus logique que d’imposer une formation pour faire évoluer des comportements et faire appliquer des normes ? C’est ce qu’ont décidé les législateurs français et européen en imposant à certains secteurs un nombre d’heures annuel à effectuer sur la loi Sapin 2 ou la directive européenne sur la distribution d’assurance (DDA). Le BTP est également très concerné par les formations sécurité. Cette approche de la formation comme un levier de mise en conformité est devenue le casse-tête des DRH et des salariés qui sont contraints de faire défiler des modules e-learning très inégaux pour cocher la case du nombre d’heures passées. Cette approche ancre la vision ennuyeuse, abrutissante de l’enseignement et fait naître chez les apprenants adultes des comportements régressifs d’évitement de la formation dignes d’une cour de récréation d’élèves de collège.

Simplifier, simplifier, simplifier

La filière de la formation n’a pas besoin d’attendre une hypothétique réforme systémique pour se moderniser. Cette approche des politiques publiques par grandes réformes complexes à déployer est d’ailleurs une tentation facile, au détriment d’une approche humble et pragmatique d’amélioration continue. Les décrets et circulaires se noient dans la masse et ne sont pas appliqués en raison du nombre d’acteurs impliqués. La fusion des différents régimes d’indemnisation des demandeurs d’emploi en formation serait une première avancée dans l’accès et donc dans l’image de la formation. Plus l’indemnisation sera synchronisée avec l’entrée en formation, plus l’accessibilité sera élevée. Il serait également bienvenu de fusionner les nombreux dispositifs qui peinent à trouver leur public (Transitions Collectives, Pro-A, POEC, FNE) et faire d’un CPF élargi à tous types de formation (certifiantes ou pas, en alternance ou pas, en présentiel, hybride ou distanciel) la véritable place de marché de la formation, donnant aux particuliers la liberté de choisir leur avenir professionnel, et non une petite partie de cet avenir. Plutôt que de filtrer du côté de la demande et ne pas contrôler l’offre, rééquilibrons ces deux dimensions. Cette stabilité réglementaire est une nécessité pour faire de la formation autre chose qu’une bureaucratie opaque. 

Une inévitable évolution de la gouvernance

La simplification des dispositifs peut-elle faire l’économie d’une évolution de la gouvernance de la formation ? Aujourd’hui émiettée entre différents acteurs dont les agendas politiques diffèrent, une reprise en main par l’État semble inévitable, ne serait-ce qu​​e pour mesurer l’utilité des sommes dépensées. La création de France Travail, si elle permet cette inflexion, sera la bienvenue. Il faut avoir entendu un haut fonctionnaire un peu gêné expliquer qu’il y a encore peu de temps, l’État n’avait aucun moyen de savoir combien de personnes étaient formées par les conseils régionaux pour réaliser à quel point la relation État-collectivités locales relève plus de la guerre froide que de l’intelligence collective. Au regard des enjeux de société, cette guerre des tranchées n’est pas viable. Les Français n’ont que faire des guerres de chapelle.

Sauver le soldat CPF

« Le CPF coûte cher. Le CPF est rempli d’escrocs. Le CPF finance des permis de conduire qui n’ont rien à faire là ». Tout le monde veut la peau du CPF. Ce dispositif représente pourtant une avancée historique quoiqu’imparfaite. Car si le CPF coûte cher, ce n’est rien en comparaison de l’alternance. S’il y a des escrocs, des contrôles efficaces de la puissance publique permettraient de les stopper. Et le permis de conduire est un pré-requis pour l’employabilité dans les territoires ruraux et en banlieue. Plutôt que de revenir en arrière, améliorons un dispositif qui a fait ses preuves. Les limitations sur le démarchage commercial et les condamnations d’escrocs sont une bonne avancée. Le CPF a permis de démocratiser la formation via son système par capitalisation et de toucher tous types de publics, toutes les CSP, tous les âges. A-t-on supprimé les routes parce qu’il y avait des accidents de voiture ? A-t-on interdit la médecine parce qu’elle faisait des erreurs ? La réponse est évidemment non. Le choix de d’imposer France Connect + est par exemple un retour en arrière préoccupant. Présenté comme un moyen de sécuriser l’offre, le dispositif ne sécurise absolument rien et introduit une barrière dans l’accès qui pénalise les plus fragiles. La solution : faire du CPF la place de marché centrale de la formation en facilitant les co-financements et les abondements.

Créer la carte vitale de la compétence

La formation est une médecine douce et la compétence un muscle. Il ne manque plus qu’une carte vitale. Parce que la formation est un enjeu de santé publique, le système pourrait laisser aux particuliers toute liberté de se « soigner », de choisir ses « praticiens », dans la limite d’un remboursement encadré ou en dépassement d’honoraires financé par les particuliers. Le reste à charge pourrait être calculé en fonction de l’assiette fiscale de la personne et d’un prix moyen à l’heure de formation. L’État serait en charge de lutter contre les « déserts de la compétence », ces zones où l’offre de formation est réduite. Enfin, il organiserait l’imbrication des « soins » et le retour dans le monde du travail. Il centraliserait dans un guichet unique les financements, évitant ainsi les migraines administratives. Cette logique de financement par capitalisation ne fonctionnerait qu’à une condition : une offre encadrée, professionnalisée pour éviter tout abus. Elle serait accessible via une carte vitale et des complémentaires pour certains types de besoin de formation plus coûteux ou complexes. Les entreprises pourraient compléter les mutuelles de la compétence sous la forme d’un avantage social (crédit d’impôt, allègement de charges patronales). L’État, Pôle Emploi et les régions de même, plutôt que de créer des dispositifs en doublon. Tout flécher vers une seule plateforme aurait le mérite de faciliter le suivi, l’accessibilité et le contrôle.

Créer les journées du patrimoine de la compétence

La création d’une journée obligatoire de formation aurait le mérite symbolique de créer une journée commune à tous les Français, un rituel, à la manière du Téléthon ou de la Fête de la musique. Les entreprises sont déjà friandes de ce format : elles créent pour leurs salariés des « Learning Days », des « Learning Festivals », véritables événements au service de l’envie d’apprendre. Le potentiel « entertainment » de ce type d’actions est d’ailleurs déjà exploité par les émissions de télévision sur les compétences et les talents. 

Faire le ménage dans la profession

Les escrocs du CPF ont fait des dégâts dramatiques, espérons pas irréparables, à la profession. Faut-il attendre que Tracfin s’en mêle pour réagir ? Que des YouTubeurs fassent leur propre enquête ? Les premières condamnations tombent, et elles sont bienvenues. Mais le mal est fait. Les filtres à l’entrée sont  aisément contournables et les contrôles actuels insuffisants. L’une des pistes serait de créer une unité dédiée à la DGCCRF, de systématiser la publication des évaluations des apprenants et de sensibiliser les Français à apprendre à acheter une formation. Dès le lycée, des sessions d’information confiées à des associations professionnelles pourraient être planifiées ; quant aux acteurs de l’orientation, ils ne devraient en aucun cas se substituer au bénéficiaire dans le choix de son parcours mais le guider, le conseiller et, si besoin, alerter en cas de fraude ou de projet irréaliste.

Investir dans les transports en commun 

Il peut paraître étonnant qu’une note sur la formation préconise de créer des TER. Pourtant, si l’on souhaite éviter que la France de la formation soit une France à deux vitesses, seuls les transports le permettront ; en effet, de nombreux centres de formation ne peuvent pas maintenir une offre sur tous les métiers dans toutes les régions sans subventions. Conséquence : les habitants d’une région ne pourront se former que sur des métiers bien précis, qui embauchent dans leur région. Cette assignation territoriale introduit une rupture d’égalité des chances. S’ils souhaitent se former sur d’autres thèmes, ils pourront le faire mais à distance, avec une offre encore très hétérogène d’un point de vue qualitatif. Ce distanciel subi et non choisi ancrera encore plus la France périphérique dans la périphérie des compétences. L’absence d’offre de formation accentue l’exode rural alors même que la vie dans les métropoles n’est pas ce que souhaitent tous nos concitoyens.

Faire de la formation en entreprise un investissement visible dans les bilans comptables des entreprises

Cela fait des années qu’on entend dire que la formation doit être considérée comme un investissement et non une dépense. Ce vœu pieu se heurte à une réalité économique bien concrète. En finance d’entreprise, un investissement doit se comptabiliser et se valoriser comme tel. Que ce soit sous la forme d’un crédit d’impôt ou d’une dotation aux amortissements sur cinq ans, la formation ne sera jamais considérée comme un investissement tant que cet investissement ne se verra pas dans les bas de bilans. La notion d’immobilisation incorporelle existe dans la loi : pourquoi ne pas l’étendre à la formation ? De timides avancées en la matière ont eu lieu, largement insuffisantes. Le jour où un comité exécutif pourra valoriser financièrement le bilan de ses actions de formation tout en satisfaisant ses actionnaires sera un grand jour pour la reconnaissance de l’investissement dans les compétences.

Accompagner les mutations du travail plutôt que les subir

La reconversion est la partie émergée de l’iceberg des mutations du monde du travail : citons également les reprises d’étude en fin de formation initiale après une petite période de chômage, les formations de fin de première partie de carrière, les reconversions de milieu de carrière, les formations de rattrapage pour salariés de moins en moins employables, l’explosion du nombre d’indépendants, la question de l’employabilité des seniors, l’évolution de la notion de pénibilité, etc. À ces dimensions sociétales, s’ajoutent la polarisation du marché du travail et la distinction entre les métiers télétravaillables et les autres. Plutôt qu’une offre de formation adéquationniste qui a prouvé ses limites, une offre par typologie de besoins permettrait de répondre à des besoins réels et non à des besoins théoriques. Cette approche permettrait d’adapter la formation aux situations de vie : un adulte ayant la charge d’une famille ne pourra pas se former de la même manière qu’un jeune adulte qui vit encore chez ses parents. Cela ne signifie pas qu’il faille cloisonner les formations par segments de population, bien au contraire, mais adapter le financement et la pédagogie aux situations vécues par les apprenants.

Débrancher les branches

Il existe en France des centaines de branches, de toutes tailles. Si les branches sont un espace central pour le dialogue social, leur légitimité dans la gestion de la formation professionnelle et notamment dans le dépôt de titres professionnels est de moins en moins évidente. L’opacité des branches sur la formation ne serait pas si problématique si l’approche par branche n’était pas en totale contradiction avec l’évolution du monde du travail. Car à l’heure de la reconversion et de l’approche par compétences, nous sommes amenés à changer de branche. Or, l’approche par métier et par branche freine des mobilités. Ainsi certains métiers ne trouvent pas de candidat car les prescripteurs orientent en fonction de familles de métiers. Un boulanger pourra devenir pâtissier mais pas préparateur de pharmacie : pourtant, certains gestes métiers se retrouvent. Prisonnier d’un héritage corporatiste par grandes familles de métiers, notre système n’arrive pas à penser de manière plus horizontale, en partant des besoins fondamentaux des gens et des réalités d’un territoire.

Hybrider les acteurs de la formation

Les opérateurs de formation restent très silotés, par type de public (demandeurs d’emploi, salariés, alternants) ou par modalités (distanciel, présentiel). Ce cloisonnement des publics s’explique par la multiplication de dispositifs et d’interlocuteurs qui obligent les opérateurs à se spécialiser pour émerger et survivre. Or, la raréfaction des financements et les balanciers réglementaires permanents fragilisent les structures de formation et nuisent à leur capacité de renouvellement. En clair, elles passent tellement de temps à suivre les changements législatifs qu’il ne leur reste pas beaucoup d’énergie à consacrer à des sujets stratégiques comme l’hybridation de la pédagogie ou la transition écologique. Cette absence de diversification se retrouve dans les modalités pédagogiques ; rares sont les acteurs capables d’accompagner un individu de bout en bout, de l’orientation à la formation et à l’insertion, avec l’aide de formateurs mais aussi d’orientateurs, de psychologues du travail, d’experts du digital. Certaines régions ont d’ailleurs choisi d’accompagner la modernisation des organismes et leur diversification pédagogique et économique. Mais le chemin reste long.

Conclusion 

Ne cédons pas au déclinisme ambiant. Revendiquons au contraire l’esprit pionnier des fondateurs de notre système de formation, leur sens du consensus et leur esprit intrapreneurial. C’est parce que notre pays a su trouver un compromis entre les trois visions idéologiques de la formation qu’elle a réussi : entre une vision libérale de la formation qui en fait un droit individuel, l’équilibre par le marché et la concurrence, une vision sociale qui fait de la formation un droit de l’homme et de l’apprentissage un enjeu de citoyenneté et une vision industrielle qui voit dans la formation la chasse gardée de l’entreprise et doit servir à l’adaptation au poste de travail, nous avons tenté un consensus parfois bancal mais méritant et au final puissant. Il est temps de lui donner un nouveau souffle. La formation a besoin d’oxygène. Elle étouffe d’une vision administrative en silos et d’être la variable d’ajustement des politiques de l’emploi. Faisons simple en introduisant une mécanique de capitalisation tout au long de la vie et en contrôlant les opérateurs de manière plus systématique. La confiance dans un système n’exclut pas qu’on le contrôle.

Un changement de paradigme qui aborderait la formation non pas comme une dépense mais comme un enjeu de santé publique tout au long de la vie permettrait de valoriser l’utilité de la formation et les nombreuses externalités qu’elle dégage. La création annoncée de France Travail comme un guichet unique serait une belle opportunité de se réconcilier avec la formation.

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    Learn Assembly est une société de conseil en stratégie spécialisée dans la formation professionnelle et le développement des compétences. Voir le profil LinkedIn d’Antoine Amiel.

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