Relancer la politique multilatérale de la France

Le multilatéralisme a toujours été un outil puissant de la politique étrangère française. Mais Nicolas Sarkozy n’a jamais réuni la condition essentielle d’une politique multilatérale efficace : la définition d’objectifs stratégiques et leur patiente mise en œuvre. La relance de la politique multilatérale de la France ne pourra faire l’économie de cet effort.

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Le multilatéralisme est un invariant de la politique étrangère française, qui lui permet de mieux défendre son rang, de promouvoir ses valeurs et de maximiser son influence face aux puissances (ré)émergentes. La créativité de la diplomatie française en la matière est saluée dans beaucoup de chancelleries comme l’une de ses principales qualités. De la création du G5 à Rambouillet en 1975 (précurseur du G7), à la mise en œuvre du principe onusien de la « responsabilité de protéger » pour intervenir en Libye, en passant par la défense de l’ONU contre son instrumentalisation par les néo-conservateurs en 2003, toutes ces initiatives apparaissent comme un marqueur d’identité de notre politique étrangère. La France est un acteur central, attendu et regardé de la scène multilatérale. Sa voix compte.
Si l’approche sarkozyste du multilatéralisme, commencée dans un fatras occidentaliste et néo-conservateur en rupture avec l’héritage gaullo-mitterrandien est soudainement devenue plus réaliste a l’occasion de la crise financière en septembre 2008, la politique multilatérale de Nicolas Sarkozy laisse un gout d’inachevé. Sous l’activisme de façade pointe une absence de stratégie de long terme. La continuité dans l’action, principe constitutif d’une politique multilatérale efficace, a cruellement manqué.
La relance de la politique multilatérale de la France ne pourra faire l’économie de cet effort. Le nouveau monde multipolaire n’annonce pas forcément plus de multilatéralisme. Au contraire. Les puissances (ré)émergentes contestent le leadership des pays occidentaux à l’ONU, au FMI, veulent faire entendre leur différence, et faute de consensus, ces organisations se retrouvent souvent grippées. La volonté coopérative tend à s’émousser, et le consensus devient plus difficile à construire.
La France n’a pourtant pas d’autre choix que de militer inlassablement pour la coopération. Son poids (1% de la population mondiale, 5% du PIB mondial), son statut (puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de Sécurité), ses valeurs humanistes, sont autant de facteurs qui doivent la pousser à explorer les possibles espaces de convergence avec les autres puissances. Et surtout avec les émergents, eux-mêmes travaillés par d’importantes divergences d’intérêt. Ces coopérations doivent être définies au cas par cas, car si des convergences peuvent être trouvées ici, là, les divergences peuvent être profondes. Le Brésil, par exemple, est un partenaire dans la lutte contre le changement climatique, mais un opposant actif sur d’autres dossiers sensibles (Iran, Libye, Syrie). Sans a priori, des coalitions d’idées pourraient donc être recherchées avec l’objectif de stimuler un effet d’entrainement. Quatre axes de travail méritent une attention particulière en raison de leur actualité et de leur effet de levier sur la position et l’influence de la France dans le nouveau concert mondial.
1. Engager sans tarder la réforme de l’ONU. L’ONU reste un cadre indispensable. Mais la dramatique crise syrienne montre que sa réforme est plus urgente que jamais. La France doit faire le choix de l’élargissement du Conseil de Sécurité et de la limitation de l’usage du droit de veto, inapplicable par exemple lorsque la communauté internationale doit assumer sa responsabilité de protéger. Les Etats-Unis ne seront pas le moindre des partenaires à convaincre. Pour autant, la France y a un intérêt évident, car seule la réforme peut conforter son propre statut au sein d’une institution aujourd’hui en crise de représentativité et d’efficacité.
2. Soutenir les objectifs du développement durable. Ban Ki Moon souhaite placer son second mandat sous le signe du développement durable, avec l’adoption à Rio des objectifs du développement durable en remplacement des Objectifs du Millénaire pour le Développement qui prennent fin en 2015. Les intérêts économiques de la France en matière énergétique, de réseaux de transports, de gestion de l’eau notamment sont ici évidents. La France a intérêt au succès de l’agenda du G20 pour renforcer la volonté coopérative à la conférence de Rio.
3. Faire du développement un stabilisateur de l’économie mondiale. La coopération aider à résorber les déséquilibres mondiaux actuels. Les pays en surplus (Chine, Corée, etc.) sont appelés à augmenter leur demande intérieure pour absorber leur gigantesque épargne. Mais incapables de le faire sans risquer la surchauffe et l’inflation, ils doivent trouver de nouveaux débouchés pour leurs investissements. L’Afrique est le continent le moins endetté et peut contribuer au rééquilibrage de l’économie mondiale par le financement d’investissements productifs. Plutôt que de laisser ces relations Sud-Sud se déployer sans contrôle, la France pourrait appeler au renforcement de la coopération multilatérale pour canaliser ces flux financiers.
4. Une charte de l’interdépendance. La concomitance du sommet du G20 au Mexique et de la conférence de Rio+20 en juin fournit l’occasion d’appeler à la négociation d’une charte de l’interdépendance. Une telle discussion aurait vocation à se dérouler sous les auspices du Secrétaire Général des Nations Unies, et elle permettrait de traiter tous les sujets de l’interdépendance (commerce, climat, finance…), de la coordination des organisations internationales (ONU, OMC, FMI, BIT…), de la hiérarchie des normes et du renforcement de la cohérence entre leurs politiques. Nul doute que cette entreprise serait longue et difficile tant les intérêts de court-terme peuvent diverger, mais la France montrerait ainsi sa volonté de mieux réguler la mondialisation et de répondre en responsabilité aux intérêts communs de long-terme.
Dès après l’élection présidentielle, la mise en œuvre de ces quatre axes serait une bonne façon de renouer les fils d’une politique étrangère singulière de la France dont l’humanisme, la responsabilité et le multilatéralisme sont des piliers. Face aux interdépendances, seules une politique multilatérale active et la construction d’alliances thématiques peuvent assurer la défense des intérêts du pays et le renforcement de son influence.

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