Réindustrialisation, j’écris ton nom

Une vision radicalement nouvelle du modèle de production pour la France : tel est le thème central de ce premier opus de la collection des « Etudes ». Issues des réflexions d’un groupe de travail réuni autour de Jean-Louis Levet, des propositions sont avancées pour que la production soit le levier majeur d’une stratégie de développement pour notre pays.

Contributeurs : François Andabre, Dominique Bidou, Cécile Chavel, Marc Deluzet, David Dornbusch, Laurent Girard, Laurent Joudon, François Livel, Philippe Moati, Jean-Pierre Moussy, Franck Paoli, Olivier Passet, Dan Steinfeld, Jean-Noël Vieille.

Une vision radicalement nouvelle du modèle de production pour la France : tel est le thème central de cet ouvrage. Derrière une crise de la finance, notre pays subit une crise sans précédent de la production après trois décennies de choix implicite d’une économie sans industrie. Nous en vivons les effets quotidiens : montée du chômage et des emplois précaires, baisse des salaires moyens, déficit grandissant de notre commerce extérieur, freins à la croissance, dévitalisation de nos territoires, vulnérabilité accrue de notre société.

Faire de la production la priorité politique ne signifie pas qu’il faille se contenter de mesures en sa faveur. Il s’agit d’en faire le levier majeur d’une stratégie de développement pour notre pays et l’Union européenne. En mettant en œuvre un ensemble d’orientations nouvelles et puissantes. En construisant un nouveau mode de gouvernement mettant fin aux pathologies du système politico-administratif. En mobilisant l’ensemble des acteurs territoriaux, de l’entreprise, des partenaires sociaux. En agissant aux niveaux européen et mondial.

Pour mener à bien ce projet, un groupe de travail original, constitué et animé par Jean-Louis Levet, composé d’une vingtaine de membres issus du monde de l’entreprise, de la finance, des territoires, de l’université, du syndicalisme, du conseil et de la haute administration, s’est réuni de mai 2010 à janvier 2012 au sein de la Fondation Jean-Jaurès. La diversité voulue de ce groupe, tant par les trajectoires professionnelles, l’âge et les domaines de compétences de ses membres, a permis des débats intenses et de qualité, dont cet ouvrage est le fruit.

Trois étapes : comprendre, proposer, agir
Premier temps : des clés pour comprendre la mutation que nous vivons depuis plusieurs décennies. Notre pays affronte une crise profonde de la production et possède des atouts maîtres pour y répondre.
Deuxième temps : six domaines de réflexion, six chapitres pour exposer les grandes orientations, pour proposer ce que pourrait être un nouveau modèle de production.
Troisième temps : mise en œuvre opérationnelle des orientations et des propositions : rôle de l’Etat, mobilisation des acteurs, action en Europe et dans le monde.

I – Le choix implicite d’une économie sans industrie

Les quatre chapitres de la première partie donnent des clés pour comprendre les choix qui ont été faits.
1. La marginalisation progressive de l’industrie et de la production dans l’économie des pays développés n’a rien d’inéluctable. Ce choix politique implicite s’est traduit par l’application de trois dogmes durant ces trente dernières années : « la société post-industrielle », « la nouvelle économie », libéralisée et financiarisée, « l’entreprise sans usines ». C’est ainsi que l’Union européenne a placé la concurrence comme une fin en soi, délaissant les moteurs de la croissance et les coopérations politiques. Certains Etats ont pourtant su investir dans la recherche, l’innovation et l’éducation. Ils ont mieux résisté à la crise que la France qui a souffert d’une prise de conscience tardive de cette nécessité et d’une absence de stratégie globale.
2. Il faut ensuite comprendre la crise elle-même dont les auteurs ont examiné trois conceptions possibles en en tirant les leçons : mettre en œuvre un développement durable alliant justice sociale et écologie, non pas pour traiter à la marge une crise structurelle, mais pour le substituer au modèle libéral et financier de marché qui accumule et répartit les richesses d’une façon qui n’est plus soutenable.

3. La crise révèle ainsi l’importance de l’industrie qui demeure un catalyseur d’innovation, d’emploi et de puissance. Les défis à relever touchent au fonctionnement de l’industrie bancaire, aux spécialisations à réaliser face à la montée des pays émergents, au rééquilibrage géographique de la production en Europe, en France et dans les pays situés à la périphérie de l’Union européenne et à la reconquête de positions commerciales perdues au profit de l’Allemagne. Enfin, le passage à une économie fondée sur le développement durable nécessitera des investissements collectifs, des arbitrages sectoriels et technologiques en faveur desquels les gouvernements et la réalisation d’un nouveau compromis social joueront un rôle décisif.

4. Une fois ces bases posées, regardons nos forces pour mener les transformations de la production. Notre modèle social est un atout, et certainement pas un obstacle à la solidité et à la compétitivité de notre économie. Il en est de même de la force de frappe de nos entreprises, lorsqu’elle est mise au service du développement.

II – Un nouveau modèle de production pour la France : six orientations

1. Soutenir la créativité et le développement humain. Sortir de la crise par le haut exige de retrouver un régime de croissance fondé sur la principale richesse dont nous disposons : les femmes et les hommes qui travaillent et la jeunesse qui étudie. Les politiques de développement humain permettront de redonner une place aux uns et aux autres face au monde de la finance et du sens à leur travail. Elles amélioreront la confiance des salariés, leur capacité à coopérer entre eux, à prendre des risques et à innover. Elles seront de nature à développer une économie de la créativité plus compétitive sur la scène internationale.

2. Développer une économie de la qualité et des services rendus. Les doutes sur les bienfaits matériels généralisés induits par la croissance fragilisent notre pacte social. La crise écologique s’ajoute à cette remise en question de l’idée même de progrès. La nouvelle politique de la production que nous prônons implique que l’économie de la quantité fasse place à une économie de la qualité et des services rendus. Quatre priorités sont dès lors proposées pour l’action publique : rééquilibrer les incitations en faveur des secteurs exposés, repenser le ciblage de la politique de la production sur des critères rénovés, rééquilibrer les relations entre donneur d’ordre et sous-traitants, créer les conditions d’une croissance verte.

3. De l’énergie pour tous et pour longtemps. L’énergie est motrice de bien-être, de cohésion sociale et de développement. Elle doit être abordable pour les ménages et compétitive pour nos entreprises et nos territoires. Elle est synonyme de lutte contre le changement climatique et de progrès technique. C’est une énergie au service de l’intérêt général, de l’ambition industrielle et de la volonté politique : loin d’une démarche focalisée sur l’ouverture à la concurrence qui oublie la cohésion sociale et l’outil industriel ! Cette vision entraîne des propositions touchant à la politique industrielle, à la conduite d’une transition énergétique, à la lutte contre la précarité, à l’architecture et au fonctionnement du secteur électrique, au contenu d’une Europe de l’énergie.

4. Pour un Big Bang des territoires. La mise en œuvre de grands projets mobilisateurs et structurants constitue un levier puissant pour l’avenir de nos territoires. Nos propositions s’appuient sur trois leçons tirées des pratiques européennes. La diversité des territoires appelle des façons différentes de gérer leur développement productif : aucun territoire n’est condamné ! L’action collective s’inscrit dans la durée et doit être fondée sur une véritable culture stratégique. Les autorités régionales interviennent pour mener une stratégie et des projets territoriaux adaptés. L’ambition est alors de faire émerger dix à quinze grands projets territoriaux fondés sur un nouveau pacte de confiance entre l’Etat et les territoires.

5. Financer la nouvelle croissance. La crise acte la défaite de la pensée libérale et appelle de nouvelles régulations. Ce chapitre développe les axes d’une politique publique amplifiée et cohérente : réorienter l’épargne des ménages et la valeur ajoutée des entreprises vers l’investissement productif, savoir prendre des risques industriels, protéger et développer le tissu des PME, mettre fin aux excès de la financiarisation, passer d’une Europe de la concurrence à une Europe dans la concurrence. La résolution de la question des dettes souveraines passe autant par la relance à l’échelle européenne que par la consolidation des finances publiques. Des marges de manœuvre existent mais nécessitent de redéfinir le rôle de la Banque centrale européenne et de modifier la gouvernance européenne. C’est en ce sens qu’une révision du Traité sur l’Union européenne est indispensable.

6. Civiliser la mondialisation. Pour réussir, le modèle de développement doit tenir compte du nouveau cycle de mondialisation entamé depuis la fin du XXème siècle, en tirant parti de ses acquis positifs et en mettant fin à ses excès. Il s’agit ainsi de civiliser la mondialisation sans pour autant la diaboliser. Ni repli sur soi, ni « démondialisation », le choix préconisé consiste à agir sur deux fronts : l’amélioration de notre compétitivité et le rééquilibrage de la concurrence entre pays émergents et pays industrialisés comme au sein de l’Europe. Nous proposons ainsi de rapprocher les standards sociaux et environnementaux par la fiscalité, les normes et les technologies, par exemple en liant davantage les règles de l’OIT, des accords environnementaux et de l’OMC. Nous donnons enfin des clés à l’Union européenne pour se doter d’outils offensifs équivalents à ceux d’autres pays industrialisés.

III – Gouverner différemment pour produire autrement
Tracer des orientations et proposer des politiques publiques rénovées ne suffit pas. Sans réformes de la gouvernance de l’économie, leur mise en œuvre ne réussira pas. Les maîtres mots de cette dernière partie, organisée en quatre chapitres, sont donc : agir et transformer.

1. En France, un ensemble de facteurs freine l’émergence d’un Etat stratège, indispensable pour concrétiser les orientations proposées dans la seconde partie : le système de formation des élites et la captation oligarchique des lieux de pouvoir, le déséquilibre de l’organisation gouvernementale au profit d’un ministère de l’Economie plongé dans le conformisme de la pensée, la complexité du dispositif d’aide aux entreprises, la distance grandissante entre le système politico-administratif et la société civile. Assimilant l’Etat à une entreprise, la révision générale des politiques publiques (RGPP) est en échec. Une analyse approfondie révèle des déficits cachés et graves de l’Etat : de prospective, de stratégie, d’évaluation.

2. Comment aller vers cet Etat stratège et développeur dont on a tant besoin ? D’abord, en retrouvant une légitimité accrue par la réappropriation de l’intérêt général, du long terme et du dialogue social. Puis, en clarifiant les principes d’action – l’Etat n’est pas un acteur parmi d’autres – et en focalisant l’administration centrale sur la stratégie, l’information et l’évaluation. Un grand pôle ministériel de la production durable et de la créativité s’attacherait ainsi à la préparation de l’avenir, à la dynamisation du tissu productif dans les territoires, à l’équilibre des relations entre les grands groupes et les PME ainsi qu’à la redéfinition du rôle de l’Etat-actionnaire. Il piloterait d’une main cohérente les « agences de régulation » afin d’en faire de réels leviers d’action pour l’Etat. Enfin, il s’agit de repenser et reconstruire notre dispositif d’intelligence économique en lien avec ces nouvelles priorités.

3. Comment mobiliser les acteurs de l’économie, territoires, entreprises, partenaires sociaux ? A travers un nouveau pacte entre l’Etat et les collectivités territoriales, nous proposons notamment le renforcement des régions, l’accélération de l’intercommunalité et une révision fiscale plus juste pour les territoires. La participation accrue des salariés au gouvernement de l’entreprise est souhaitable, notamment via l’information et le débat sur le projet d’entreprise et le pluralisme des organes sociaux.

4. Quels sont dès lors nos leviers européens et mondiaux d’action ? En Europe, il s’agit de faire de la crise l’opportunité d’avancées politiques : passer de la gouvernance libérale au gouvernement économique fédéral, réformer la politique de la concurrence au profit d’une politique industrielle et commerciale plus offensive. Agir au niveau mondial, c’est aussi militer pour humaniser l’économie, rapprocher les acteurs internationaux pour avancer dans cette voie et renforcer la présence française dans les institutions multilatérales (OMC, OIT…), y compris par le développement de la francophonie.
 

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