Regards européens sur la guerre en Ukraine, deux ans après : principaux enseignements

Plus de deux ans après le début du conflit en Ukraine, et alors qu’approchent les élections européennes, Antoine Bristielle, docteur en science politique et directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès, analyse l’évolution de l’opinion en France, en Allemagne et au Royaume-Uni à partir des résultats d’une enquête menée par l’Ifop.

À quelques semaines des élections européennes, la guerre en Ukraine n’est pas l’élément central de la campagne. Si Raphaël Glucksmann, candidat du Parti socialiste et de Place publique, a essayé de faire entendre sa voix sur ce sujet, la question ukrainienne ne sera néanmoins pas l’élément déterminant pour les électeurs français au moment de poser leur bulletin dans l’isoloir. Interrogés sur le sujet dont ils tiendront le plus compte au moment de faire leur choix de vote, 22% des Français citaient le pouvoir d’achat et 16% l’immigration. La guerre en Ukraine arrivait ainsi en queue de classement, seulement citée par 4,2% des répondants, selon la vague 4 de l’Enquête électorale française.

Dans cette note, nous explorons l’évolution de la perception des citoyens de trois pays européens, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, vis-à-vis des enjeux liés à la guerre en Ukraine, grâce à la septième vague d’une enquête de l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès initiée il y a maintenant deux ans.

Le soutien à l’Ukraine et à la Russie

Force est tout d’abord de constater que depuis deux ans, le soutien à l’Ukraine s’est largement effrité, que ce soit en France ou en Allemagne (graphique 1).

Graphique 1. Évolution des opinions positives concernant l’Ukraine et la Russie, en France et en Allemagne

En France en effet, en mars 2022, 82% des répondants déclaraient avoir une bonne opinion de l’Ukraine, c’est vingt points de plus que le score constaté aujourd’hui (62%). Cette évolution est quasiment identique à celle constatée outre-Rhin, où le soutien à l’Ukraine est passé de 86% à 63% sur la même période. À noter néanmoins qu’en France, le soutien à l’Ukraine progresse de quatre points depuis notre dernière vague d’enquête en février dernier, une évolution certes à la hausse, mais qui ne parvient néanmoins pas à masquer cette dégradation de l’opinion vis-à-vis de l’Ukraine sur la longue période.

Par ailleurs, notons également qu’en France comme en Allemagne, les bonnes opinions vis-à-vis de la Russie sont toujours extrêmement faibles, atteignant seulement 14% en France et 18% en Allemagne.

Plus surprenant encore, la dynamique de soutien à l’Ukraine en France et en Allemagne est totalement différente de celle visible au Royaume-Uni (graphique 2).

Graphique 2. Évolution des opinions positives concernant l’Ukraine et la Russie, au Royaume-Uni

Comme on le constate en effet sur le graphique 2, les niveaux de soutien à l’Ukraine restent extrêmement élevés au Royaume-Uni : à l’heure actuelle, 80% des Britanniques ont une vision positive de l’Ukraine.

Comment expliquer ces différences ? Peut-être par une politisation de la question ukrainienne particulièrement marquée en France et en Allemagne. En France, le positionnement politique des répondants influe en effet particulièrement sur l’opinion vis-à-vis de l’Ukraine. Si 88% des proches de Renaissance, 74% des proches du Parti socialiste (PS) et 73% des proches des Républicains (LR) ont une opinion positive de l’Ukraine, ce chiffre chute drastiquement lorsqu’on arrive aux extrémités de l’échiquier politique : 51% de bonnes opinions seulement chez les proches de la France insoumise et 49% chez les proches du Rassemblement national. C’est une situation assez similaire que l’on constate en Allemagne : si 85% des proches du SPD et des Verts et 67% des proches de la CDU ont une bonne opinion de l’Ukraine, ce chiffre tombe à 28% chez les proches de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand.

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L’adhésion aux sanctions et aux livraisons d’armes

Venons-en maintenant à un point encore plus concret, l’opinion vis-à-vis des sanctions économiques adoptées contre la Russie et le soutien aux livraisons d’armes à l’Ukraine.

Sur le premier sujet, les opinions publiques européennes restent très majoritairement favorables aux sanctions économiques : 62% des Français, 67% des Allemands et 76% des Britanniques y sont ainsi favorables. Certes, en Allemagne et en France, le soutien a baissé depuis 2022, même s’il reste très élevé. Notons également qu’en France, cette question vient fracturer La France insoumise (LFI) et le Rassemblement national (RN) : 54% des proches de LFI et 58% des proches du RN sont favorables aux sanctions économiques contre la Russie.

Sur le second sujet, les opinions publiques française et allemande sont beaucoup plus sceptiques vis-à-vis de la livraison de matériel militaire à l’Ukraine : seulement 54% des Français et 53% des Allemands y sont favorables. À nouveau, c’est une évolution à la baisse que l’on constate dans ces deux pays, avec une chute de plus dix points en l’espace de deux ans. Encore une fois, la dynamique française et allemande n’est pas partagée au Royaume-Uni, où près de sept Britanniques sur dix sont toujours favorables à la livraison d’armes à l’Ukraine.

L’Ukraine dans l’Union européenne ? La France et l’Allemagne fracturés

À l’heure actuelle, 50% des Français et 52% des Allemands sont favorables à la candidature de l’Ukraine dans l’Union européenne. À nouveau, ces chiffres sont en forte baisse depuis deux ans (treize points de moins en France et seize points de moins en Allemagne). En France, c’est essentiellement à l’extrême droite que ce refus se manifeste : si 79% des proches de Renaissance, 59% des proches du PS et 64% des proches des Écologistes sont favorables à la candidature de l’Ukraine, ces chiffres tombent à 31% chez les électeurs de Marine Le Pen et à 30% chez ceux d’Éric Zemmour. LFI, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres liés à la question ukrainienne, apparaît également fracturée : 51% des proches du parti de Jean-Luc Mélenchon y sont favorables.

En Allemagne, l’opposition de l’extrême droite à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne est également manifeste : seulement 18% des proches de l’AfD y sont favorables. Enfin, notons que parmi les trois pays testés, c’est bien le Royaume-Uni qui est le plus favorable, à 82%, à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union. Une différence d’autant plus marquante, dans la mesure où c’est le seul des trois pays à avoir lui-même choisi de quitter l’Union européenne.

Conclusion

Plusieurs points ressortent de cette étude :

  • si l’opinion positive vis-à-vis de l’Ukraine a légèrement remonté en l’espace de quelques mois en France, elle suit néanmoins une tendance à la baisse dans l’Hexagone depuis le début de la guerre, tout comme en Allemagne ;
  • les pays européens ne considèrent pas tous l’Ukraine de la même façon : si le soutien a baissé en France et en Allemagne, il reste extrêmement élevé au Royaume-Uni ;
  • le positionnement politique est toujours le facteur principal pour expliquer le soutien à l’Ukraine, l’extrême droite étant indéniablement, en France tout comme en Allemagne, un marqueur de défiance vis-à-vis de l’Ukraine ;
  • en France, La France insoumise apparaît assez divisée sur le sujet ukrainien. Le soutient global à l’Ukraine explique d’ailleurs le départ d’une partie des anciens soutiens de Jean-Luc Mélenchon vers la candidature de Raphaël Glucksmann. Nous l’avions montré dans une précédente note.

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