Depuis quelques jours, on s’interroge sur un certain « vote caché » en faveur de François Fillon que les instituts de sondage ne parviendraient pas à mesurer. Qu’en-est-il réellement ? Dispose-t-il des réserves de voix et, si oui, où sont-elles ? Comment fait-il pour conserver un noyau dur ? Chloé Morin et Cécile Lacroix-Lanoë (pour la partie qualitative) apportent des éléments de réponse pour l’Observatoire de l’opinion.
Cumul Ifop 29 janvier-21 février | Cumul Ifop 8-22 mars | BVA 4 février | BVA 24 mars | OpinionWay cumul semaine 6 février | OpinionWay cumul 21-24 mars | |
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Score François Fillon | 18,6 | 18,4 | 18 | 17 | 20 | 19 |
+ de 65 ans | 32 | 34 | 36 | 37 | 39 | 42 |
CSP+ | 23 | 20 | 16 | 16 | ||
CSP- | 10 | 8 | 13 | 9 | ||
Ouvriers | 7 | 7 | 10 | 10 | 13 | 7 |
Chômeurs | 10 | 10 | 11 | 4 | ||
– de 1500 euros/mois | 12 | 11 | 14 (-1000 euros/mois) | 6 | ||
+ de 4000 euros/mois | 32 | 30 | 30 (+ de 3500 euros/mois) | 32 | ||
Symp. UDI | 51 | 61 | 64 | 62 | ||
Symp. LR | 69 | 73 | 67 | 69 | 69 | 70 |
SSP | 12 | 12 | 13 | 10 | ||
NS2012 | 58 | 54 | 60 | 57 | ||
Catholiques pratiquants | 39 | 41 | 38 | 38 | ||
Retraités | 30 | 32 | 33 | 32 | 34 | 35 |
Hier candidat auréolé de sa victoire massive à la primaire de la droite et favori pour devenir le prochain président de la République française, aujourd’hui candidat en difficulté dont la qualification pour le second tour semble hors de portée. En novembre dernier, bénéficiaire éclatant du mouvement d’élimination des favoris qui semble sous-tendre le paysage politique ces derniers mois, désormais à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle, potentielle victime de cette vague qui emporte ceux dont la victoire semblait assurée.
Les affaires vont-elles empêcher François Fillon d’accéder à l’Elysée ? Malgré le fort rejet dont il pâtit désormais dans une large partie de l’opinion publique suite aux différentes révélations, et après une baisse enregistrée dans les intentions de vote demeure ce « socle » d’électeurs arrimés au candidat de LR, dans les difficultés et les contre-accusations à l’égard du pouvoir.
Dans la foulée des premières révélations du Canard enchaîné ont enregistré une nette baisse de François Fillon. Ayant démarré l’année autour de 25% (24% chez BVA le 12 janvier ; 24-25% chez l’Ifop ; 25% chez OpinionWay), le candidat de la droite a fortement chuté au cours du mois de janvier 2017. Résultat : début février, il se situait autour de 18-19% d’intentions de vote. On pouvait craindre une chute continue, accélérée par la succession des révélations nouvelles et par l’accumulation des doutes qui gagnaient jusqu’à ses soutiens les plus proches.
Pourtant, malgré la multiplication des « révélations », la glissade s’est arrêtée là. Il est à ce titre frappant, lorsqu’on regarde avec attention la composition de son socle électoral, de constater qu’il n’a presque pas bougé en deux mois. Il forme un bloc solide, arrimé au candidat de droite par adhésion quasi viscérale à son programme de « redressement » du pays – comme le démontre notre analyse qualitative – et par profond désir de tourner la page du quinquennat qui s’achève.
Pour un candidat de « parti de gouvernement », l’électorat du candidat de droite est extrêmement concentré sur certaines catégories de population bien spécifiques. Ainsi, malgré son faible niveau global, François Fillon peut compter sur un tiers des retraités, près d’un tiers des personnes gagnant plus de 3 500 ou 4 000 euros par mois, 70% des sympathisants Les Républicains, 55 à 60% des électeurs de Nicolas Sarkozy en 2012 et une bonne part des sympathisants UDI, ou encore 40% des catholiques pratiquants. Il se révèle en revanche d’une faiblesse extrême chez d’autres catégories pourtant essentielles – en temps normal… – à tout aspirant président de la République : moins de 10% des catégories populaires, moins de 10% des ouvriers, ou encore moins de 10% des personnes gagnant moins de 1 500 euros par mois lui accordent leur suffrage.
Près de 50% des électeurs de François Fillon ont plus de 65 ans (alors que les plus de 65 ans représentent 25 à 28% de l’électorat total), alors que les moins de 35 ans ne pèsent que 13% de son électorat. 69% de ses électeurs ont plus de 50 ans. Dans une société où le vote « âgé » pèse déjà un poids très important, au point de générer des débats sur une supposée « guerre des générations », cela ne va pas sans poser question… Par ailleurs, près de la moitié de ses électeurs appartiennent aux catégories aisées, ou moyennes supérieures. Enfin, 75% de ses électeurs sont des sympathisants Les Républicains déclarés – les « sans sympathie partisane » ne pèsent que 6% de son électorat, les sympathisants UDI 8%, les sympathisants FN 2%.
Bien plus que ses prédécesseurs, François Fillon est donc ramené au noyau dur de la droite française. L’électorat aisé, âgé, la droite patrimoniale, a pris – à la faveur des révélations du Canard enchaîné qui ont fait fuir les autres catégories vers d’autres candidats – un poids démesuré dans son électorat au regard de leur poids dans l’ensemble de la population française. Nicolas Sarkozy faisait certes, en 2012, des scores élevés chez les personnes âgées. Mais il parvenait par ailleurs à rallier 19% des CSP-, 16% des ouvriers, ou encore 15 à 20% des personnes gagnant moins de 2 000 euros par mois (chiffres OpinionWay). L’accumulation d’actes symboliques tels que la célébration de sa victoire au Fouquet’s ou le « bouclier fiscal » avait imposé dans l’imaginaire collectif l’image d’un Nicolas Sarkozy « président des riches » – mais au regard de la composition de son électorat, il était moins dépendant des électeurs les plus aisés que ne l’est aujourd’hui François Fillon.
Ces observations nous amènent naturellement aux questions suivantes : dispose-t-il des réserves de voix e,t si oui, où sont-elles ? Existe-t-il un « vote caché » pour François Fillon, que les instituts de sondage ne parviendraient pas à mesurer comme le soutient l’entourage du candidat ?
S’agissant de réserves de voix par transfert de vote depuis d’autres candidats, les données à notre disposition semblent indiquer qu’elles sont limitées : 8% des électeurs d’Emmanuel Macron et 4% de ceux de Marine Le Pen hésitent avec un vote pour François Fillon (données Ifop). Selon BVA, 20% des électeurs hésitants d’Emmanuel Macron et 25% de ceux de Marine Le Pen (ce qui ne représente pas énormément de voix, puisque seulement 18% de ses électeurs sont hésitants) hésitent à se tourner vers François Fillon.
On peut imaginer que les personnes les plus éloignées de la politique, celles qui déclarent ne pas s’y intéresser ou voter rarement, puissent se mobiliser dans la dernière ligne droite. Mais il n’est pas certain que leur mobilisation bénéficierait en priorité au candidat Les Républicains : au sein de ces catégories, chez ceux qui expriment dès à présent une intention de vote, François Fillon est loin de faire des scores aussi élevés qu’une Marine Le Pen (11% contre 32%) ou Emmanuel Macron (22%).
Est-ce à dire que François Fillon ne peut plus rattraper son rival d’En marche ! ? Sur ce point, rien n’est sûr. Une partie de la solution résidera sans doute dans la mobilisation différentielle des électorats. Or, on connaît la propension des plus âgés, au coeur des soutiens de François Fillon, à aller voter. Les plus de 65 ans sont également ceux qui se déclarent les plus sûrs du choix (71% selon l’Ifop) qu’ils expriment aujourd’hui dans les intentions de vote. C’est donc un avantage non négligeable pour François Fillon, même si Emmanuel Macron n’est pas si mal placé auprès de la population âgée (il est le « deuxième candidat » des plus de 65 ans et des retraités, qui représentent respectivement 25 et 29% de son électorat total).
Quant à la question du « vote caché », elle se révèle difficile à trancher. L’intérêt, pour le candidat, de le brandir pour convaincre ses électeurs que la victoire est encore possible et éviter leur démobilisation, est évident. Mais au delà des considérations stratégiques, il est par définition très difficile de valider cette hypothèse par les méthodes qualitatives ou quantitatives traditionnelles utilisées par les instituts de sondage. Un argument qui viendrait étayer cette théorie est le faible score de la droite dans les intentions de votes actuellement. Une droite qui, dans toutes les élections depuis 2012, dans un contexte de forte impopularité de l’exécutif, a réalisé plus de 30% des voix. Aux départementales comme aux régionales, l’addition du centre, de la droite et du Front national fut supérieure à 60%. Même si l’on tient compte du fait que l’abstention, dans une élection présidentielle, est beaucoup moins forte que pour les élections intermédiaires ; qu’à la logique partisane s’ajoute un degré très forte de personnalisation, qui pèse lourdement sur les choix ; et qu’Emmanuel Macron a capté une part du vote de centre droit ; il reste que le total des voix de droite et du Front national tel que mesuré dans les intentions de vote n’atteint pas les scores auxquels on pourrait s’attendre. Cette hypothèse du « vote caché » qui expliquerait la « disparition » d’une partie des électeurs de droite restera donc difficile à valider jusqu’au soir du premier tour.
Présidentielle 2012 | Européennes 2014 | Départementales 2015 | Régionales 2015 | |
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Gauche | 43,41 | 33,81 | 36,30 | 37,1 |
Centre + droite + FN | 56,34 | 71,77 | 62,76 | 60,20 |
dont centre | 9,19 | 9,93 | 1,82 | 0,15 |
dont droite | 28,86 | 36,65 | 35,14 | 31,46 |
Droite + FN | 47,16 | 51,91 | 59,12 | 59,9 |
Reste à répondre à la question la plus importante : pourquoi les électeurs de François Fillon sont-ils restés arrimés à leur candidat ?
Les soutiens de François Fillon restent convaincus qu’il est le meilleur candidat pour diriger la France pour les cinq prochaines années. Et ce en dépit de la remise en cause de son honnêteté, qu’il avait pourtant mise en avant pour se distinguer lors de la primaire de son camp, et malgré une ligne très à droite qui peut effrayer les électeurs centristes. Nonobstant un programme axé sur de fortes diminutions des dépenses publiques et sur des baisses d’impôt plutôt ciblées sur les catégories aisées, qui semble peu à même de séduire les classes populaires. Bien que sa crédibilité pour appliquer ce programme d’austérité soit fortement questionnée après les accusations de détournement d’argent public et les interrogations sur son train de vie. Alors quelles sont les motivations de ces électeurs qui déclarent aujourd’hui qu’ils voteront pour François Fillon ?
Nous les avons explorées à travers un suivi qualitatif de l’opinion, réalisé grâce à la communauté présidentielle 2017 Kantar Public-Krealinks, et constaté qu’elles se raccrochent d’abord et avant tout au programme du candidat. Lors de la primaire, François Fillon avait fait la différence en s’appuyant sur un programme solide et ambitieux et celui-ci reste aujourd’hui son principal atout. D’autant plus dans une campagne où de nombreux candidats apparaissent comme de nouveaux venus, n’ayant pas forcément disposé du même temps de préparation. L’un de ses soutiens nous explique ainsi avoir lu « son livre Faire » et être « depuis convaincu qu’il est le seul à avoir un programme solide depuis plusieurs années » alors que « les autres (Benoît Hamon et Emmanuel Macron) adaptent en fonction du sens du vent. Marine Le Pen n’a pas de programme économique qui tienne la route, elle n’a qu’une idéologie ».
Ce programme séduit donc, malgré sa dureté, ou plus exactement, grâce à celle-ci. Car les soutiens de François Fillon souscrivent à l’idée que la France glisse sur la dangereuse pente d’un déclin irréversible et en appellent à un sursaut indispensable. Comme nous indique un autre de ces soutiens, « ce qui m’importe avant tout, c’est le redressement de la France, et je vote pour celui qui me paraît le plus apte à le réaliser ». Ce redressement de la France passe nécessairement par une réduction de la dette publique et donc des dépenses publiques. Or aujourd’hui, François Fillon fait la différence sur cet aspect, comme il l’avait d’ailleurs fait lors de la primaire de la droite et du centre, et notamment face au candidat d’En marche ! jugé trop timoré sur ces questions.
Les partisans de François Fillon vantent son sérieux, soulignent qu’il ne fait pas de promesses dont le financement pose question comme les autres candidats. Ils estiment qu’il porte le « seul programme réaliste dans le cadre de la faillite actuelle du pays », qu’« il faut une gestion drastique », qu’« il est le seul à proposer ». Ainsi, « les mesures drastiques du programme convergent vers un seul but : réduire la dette du pays. Cela redonnera une crédibilité à l’égard des partenaires européens et du monde économique ». Cette cure d’austérité, et notamment la suppression de 500 000 postes dans la fonction publique, est jugée nécessaire par les partisans de François Fillon, même si elle passe par des mesures difficiles, comme le report de l’âge de la retraite car « sur un plan économique, pour diminuer les déficits de l’État, il n’y a pas beaucoup d’autres solutions que celles qu’il propose ».
Son programme est également perçu comme le plus à même de relancer l’activité en France, et donc l’emploi, notamment à travers la diminution des « charges » qui pèsent sur les entreprises, en termes de fiscalité, mais également de législation, avec un symbole fort à droite, la proposition de revenir sur les 35 heures. Certes, sur ce plan, existent bien des zones d’accord avec le programme d’Emmanuel Macron, mais c’est bien François Fillon qui va le plus loin sur ces questions et est donc considéré comme celui qui aura le plus de chance de faire redémarrer l’économie.
Quant au basculement vers Marine Le Pen, il semble quasiment impossible, tant la perspective d’une sortie de l’euro effraie, quand ce n’est pas un refus de principe pour le vote d’extrême droite. La porosité entre ces deux électorats semble donc limitée à ce stade de la campagne, même si évidemment l’intransigeance de François Fillon concernant les questions de sécurité, de terrorisme et d’immigration reste, pour ses soutiens, un aspect essentiel de son programme.
Chez ses partisans, la pertinence du programme de François Fillon passe avant tout et relègue les « affaires » au second plan. Même chez les convaincus de la première heure, ces dernières ont entaché l’image du candidat. Ils ne pensent pas nécessairement qu’il est innocent, et avouent avoir parfois douté et envisagé de voter pour un autre candidat. Mais ces affaires et leur traitement médiatique sont souvent perçus comme un « acharnement », alors qu’ils jugent que la plupart des élus ont des pratiques discutables (« Ceci dit ils le font tous, la femme de Macron se fait habiller par LVMH »). Certains envisagent même un vrai complot (« On a voulu nous faire douter avec toutes ces histoires débiles », « On a juste tenté de nous forcer la main »). Reste que, même si « c’est vrai qu’il y a une part de vérité, cela n’enlève pas à François Fillon le fait qu’il est le plus à même de gouverner la France par rapport aux autres candidats ! ».
Paradoxalement, les affaires peuvent même avoir pour effet de renforcer les qualités attribuées au candidat. Il apparaît comme un homme qui sait rester solide dans l’adversité, ce qui augure d’un chef de l’État qui saura rester ferme et constant dans l’exercice du pouvoir. Comme nous l’indique l’une de ses partisanes, « il a l’étoffe d’un bon président qui saurait faire face en cas de crise. Il nous a montré sa force de caractère ». Pour certains, cette épreuve l’a même enrichi et « c’est un homme nouveau qui résulte de cette triste histoire ! ». La carrure et l’expérience constituent des qualités essentielles pour exercer la fonction de chef de l’État pour ces électeurs de droite. C’est également sur ce plan que François Fillon dispose d’avantages certains par rapport à ses adversaires. Comme l’indique l’un de ses partisans, « de tous les candidats, Fillon reste le seul qui a une expérience de gestion publique à haut niveau ».
De surcroît, face à celui qui apparaît aujourd’hui comme son principal adversaire, Emmanuel Macron, la différenciation passe également par un ancrage clair dans un camp, qui le fait apparaître comme « l’alternative dont le pays a besoin », mais également comme le seul « susceptible d’avoir une majorité parlementaire pour appliquer son programme ». Des arguments qui seront sans doute largement utilisés par François Fillon et son équipe dans les prochains jours. Mais ceux-ci devront également s’attacher à mobiliser leur électorat, car si les affaires n’ont pas forcément détourné les électeurs de droite de François Fillon vers d’autres candidats, certains nous confient qu’elles pourraient les inciter à bouder les urnes ou à voter blanc ou nul.
Au regard des éléments quantitatifs et qualitatifs analysés ci-dessus, nous aurions tort de considérer dès à présent cette élection perdue pour François Fillon. La mobilisation de son électorat représente pour lui un enjeu essentiel en vue du premier tour – d’où son insistance sur la radicalité de son programme de redressement de la France, sur le fait qu’il est le seul à « porter une véritable alternance », et sa volonté de faire porter à Emmanuel Macron le poids du bilan du président sortant. Mais si François Fillon venait à se qualifier, défiant une fois de plus tous les pronostics – ce qui au regard des données présentées ici n’est pas impossible – , voire même s’il parvenait à être élu en mai prochain, se présenterait à lui un défi peut être encore plus grand que son parcours du combattant actuel. En effet, comment le candidat « des personnes âgées et des plus aisés », portant dans toute sa radicalité l’idéologie d’une droite dans laquelle se reconnaissent actuellement moins de 20% des français (selon les préférences partisanes, mesurées par l’institut Kantar-Sofres), et qui paraît si rejeté par les autres catégories de population, pourrait-il unir la Nation ? Comment François Fillon président pourrait-il éviter d’être le président clivant d’une France fracturée ?
(Les auteures remercient les instituts qui ont eu la gentillesse de mettre à notre disposition leurs données : OpinionWay, Ifop, BVA).
À l’occasion de cette élection présidentielle « hors norme », la Fondation Jean-Jaurès s’associe au Huffington Post pour apporter son éclairage sur la campagne électorale : rapport de forces, thèmes et enjeux structurants, opinion des Français. La Fondation mobilise un certain nombre de chercheurs et de personnalités pour fournir des analyses jusqu’au scrutin, et après.