Les événements marquants de la semaine de campagne : François Fillon face à la justice

La campagne qui se déroule sous nos yeux est sans doute inédite à plusieurs titres : climat des affaires qui pèse sur le candidat de droite, rebondissements spectaculaires se succédant à un rythme effrené. Une simple observation des mesures d’intention de vote ne permet pas toujours, dans un tel contexte, de comprendre ce qui se passe dans l’esprit des électeurs. Pour l’Observatoire de l’opinion, Cécile Lacroix-Lanoë analyse les résultats d’une enquête qualitative menée par Kantar Public. 

La conférence de presse organisée par François Fillon le 1er mars 2017, suite à sa convocation en vue d’une mise en examen par les juges concernant l’emploi présumé fictif de sa femme Penelope, a généré un fort intérêt parmi les Français. Il s’est notamment traduit par un pic dans les requêtes Google autour du candidat Les Républicains durant cette journée. Le sujet a également nourri la discussion sur la « communauté présidentielle 2017 » Kantar Public-Krealinks. La plupart des participants souhaitent le retrait du candidat LR ; le soutien à François Fillon est désormais cantonné à un noyau de l’électorat LR, qui adhère à la thèse d’un acharnement autour du candidat. Cette thèse est cependant plus largement partagée, dans un contexte de forte méfiance à l’égard des médias et du pouvoir politique, suspecté d’instrumentaliser les juges.

Le souhait d’un retrait du candidat

La plupart des participants à la communauté souhaitent un retrait de la candidature de François Fillon. Après sa déclaration de maintien, ce souhait est quasiment unanime chez les sympathisants de gauche, de droite et du Front national, que les propos de l’ancien Premier ministre ne convainquent pas. Il prévaut également chez une partie des sympathisants des Républicains.

Pour ceux qui réclament l’abandon de François Fillon, le retrait est justifié par les soupçons qui pèsent sur le candidat. Il est d’autant plus pressant que celui-ci avait indiqué qu’il se retirerait en cas de mise en examen. Si certains veulent bien lui accorder le bénéfice du doute sur l’« affaire Penelope », ce désaveu de la parole donnée ne trouve aucune justification. En outre, pour celui qui apparaît désormais comme un menteur, cette image résonne désagréablement avec celle qu’il avait mise en avant tout au long de sa campagne durant la primaire de la droite et du centre, celle d’un homme honnête, épargné par les affaires, à la différence de ses principaux concurrents.

  • « J’ai vu le discours de Fillon et je pense qu’il a fini de planter sa campagne. Tout d’abord, il demande à la justice d’aller vite pour éclaircir la situation et maintenant il dit que sa mise en examen est trop rapide. Ensuite son discours tenait dans le candidat « propre » qui, s’il était mis en examen, se retirerait et fait l’inverse. C’est pourquoi je dis qu’il plante sa campagne. Comment toujours suivre un candidat qui ne tient pas ses engagements avant même qu’il soit au pouvoir ? » (homme) ;
  • « Qui imagine De Gaulle reniant sa parole en moins de 15 jours ? » (homme, 35-49 ans) ;
  • ​« Je ne pense pas que la justice soit manipulée. Depuis l’affaire Cahuzac, les affaires qui touchent des hommes politiques vont plus vite. S’il était clean, il n’aurait pas affaire avec la justice. Il ne sera d’ailleurs pas mis en examen s’il apporte les preuves suffisantes de tout ce qu’il a avancé » (femme, 35-49 ans).

Le maintien de la candidature de François Fillon est vu comme dommageable pour son parti, le candidat ayant perdu toute crédibilité, a minima en ne tenant pas sa promesse de se retirer en cas de mise en examen. À ce titre, il est considéré comme étant dans l’impossibilité de solliciter la confiance des citoyens pour exercer un mandat présidentiel, a fortiori quand son programme prévoit de demander à chacun des sacrifices alors qu’il aurait lui-même détourné de l’argent public.

Sa défaite à l’élection présidentielle apparaît alors quasiment inéluctable. Pour les sympathisants LR qui souhaitent le retrait du candidat, le rejaillissement du comportement du candidat sur l’ensemble du parti suscite parfois une franche colère.

  • « J’ai suivi la déclaration de François Fillon en live texte. Je pense que malheureusement pour lui, son espoir de devenir président de la République est plus que compromis » (homme, 18-24 ans) ;
  • « Il m’énerve ! Il n’est pas du tout crédible et il décrédibilise tout son parti…. » (femme, 25-34 ans) ;
  • « Il souhaite un « jugement » par le vote. Je pense qu’il ne va pas être déçu. L’annonce de ce matin le décrédibilise complétement » (femme, 35-49 ans).

En outre, pour beaucoup, son système de défense pèche par excès. La remise en cause de la justice est souvent qualifiée d’inacceptable pour quelqu’un qui prétend devenir président de la République, y compris chez les sympathisants LR.

  • « C’est quand même stupéfiant qu’un candidat à la présidentielle porte des accusations graves envers les juges et les policiers. Quelle attitude pourrait-il avoir envers ces pouvoirs une fois élu ? Comme Marine Le Pen, François Fillon se pose en victime et fait une tentative de pression sur la justice pour lui imposer une trêve. Il demande au vote démocratique de jouer un rôle qui n’est pas le sien. Je pense qu’il devrait se retirer » (homme, 65 ans et plus).

Un soutien désormais limité à un noyau de l’électorat LR

François Fillon garde néanmoins le soutien de certains électeurs de son parti, qui louent sa ténacité. Ceux-ci adhèrent complétement à son discours de dénonciation d’un acharnement médiatique et judiciaire dirigé contre sa personne, en accusant parfois le Parti socialiste d’en être à l’origine. L’objectif serait d’empêcher François Fillon d’arriver au pouvoir et d’appliquer son programme.

Néanmoins, croire à un acharnement contre François Fillon n’implique pas nécessairement de croire à son innocence ou à la partialité du futur jugement. Chez les partisans du candidat, les avis sont divers sur ces questions. Ils peuvent estimer que l’« affaire Penelope » est fausse car l’emploi n’était pas fictif, que cette pratique généralisée parmi les parlementaires ne mérite pas sanction, ou que seule la justice pourra dire la vérité  – une condamnation pouvant alors paraître justifiée si les preuves sont apportées.

Outre la volonté de résister à ces attaques orchestrées, le soutien à François Fillon est également justifié par l’absence de plan B. Le renoncement du candidat se traduirait alors par une absence de candidature LR à la présidentielle, ce qui apparaît inacceptable aux électeurs du parti.

  • « Oui la justice est manipulée. Peut-être une chose que le « hollandisme » aura réussie ! […] Franchement, je trouve bas de tenter de vouloir museler un candidat, de l’empêcher de participer au débat démocratique tout cela parce que le programme est crédible » (homme, 50-64 ans) ;
  • « J’ai regardé son discours et je l’ai trouvé très bien. Il a raison de résister. C’est d’ailleurs une marque de courage. C’est un homme qui a la prestance d’un chef d’État. Après le discours, les journalistes se sont empressés de rappeler tout ce qui l’accablait depuis le début en représentant même des coupures de journaux. Trop c’est trop ! Qu’ils le laissent développer son programme et se défendre avec la justice. Qu’y a-t-il de plus important : le redressement de la France ou les erreurs du passé dans un système dont beaucoup ont profité ? » (femme, plus de 65 ans) ;
  • « De toute façon, il est impensable pour moi qu’un grand parti comme Les Républicains ne soit pas présent à la campagne présidentielle. […] Fillon ne peut compter que sur la colère des électeurs qui sont en train de se faire voler leur élection par une sorte d’entente politico-médiatico-judiciaire. Je ne sais pas si la justice est manipulée, mais je me souviens du « mur des cons » du syndicat de la magistrature… En tous cas bravo pour la célérité de cette justice !!! Quand je pense qu’elle est critiquée souvent pour sa lenteur… (le fameux « temps judiciaire ») » (homme, plus de 65 ans) ;
  • « Fillon est le seul à avoir un programme détaillé et cohérent depuis plus d’un an. Et on lui tombe dessus juste après les primaires, quand il a été élu massivement par les Français alors qu’on attendait Juppé. C’est l’homme à abattre. Il a raison de se maintenir. Il n’a rien fait d’illégal. Ce sont les conditions de travail des parlementaires qui sont à revoir. Et la droite n’a personne pour le remplacer qui soit en mesure de gagner haut la main comme il l’aurait fait. Oui, la justice est manipulée. Sinon, enquêtons sur tous les parlementaires, et pas seulement sur celui qui est en pole position pour être le futur président » (femme, 50-64 ans).

La thèse d’un acharnement contre le candidat LR déborde cependant de ce cercle

Les soutiens de François Fillon ne sont pas les seuls à parler d’un acharnement médiatique et judiciaire contre le candidat des Républicains. D’autres participants partagent le sentiment que, d’une part, les médias ont trop parlé de cette affaire, au détriment de celles touchant d’autres candidats comme l’affaire des assistants parlementaire de Marine Le Pen ou la question du financement de la campagne d’Emmanuel Macron et que, d’autre part, la justice n’a pas été impartiale.

L’impartialité supposée de la justice s’appuie sur plusieurs doutes, partagés par les soutiens de François Fillon :
– sa célérité : pourquoi la justice a-t-elle réagit si rapidement (alors qu’elle peut être par ailleurs très lente dans les affaires du citoyen lambda) ?
– le moment de sa mise en branle : pourquoi en pleine campagne électorale alors que les faits sont anciens ?
– le ciblage de François Fillon : pourquoi le candidat à la présidence de la République alors que la pratique des emplois familiaux semble être répandue parmi les parlementaires (les autres concernés n’étant eux pas poursuivis) ? Pourquoi une affaire touchant le candidat qui semble le plus à même de remporter l’élection présidentielle et pas un autre ? Dans ce cadre, certains font le parallèle avec l’éviction de Dominique Strauss-Kahn en 2011 et s’interrogent sur la capacité de la justice à « éliminer » les candidats favoris.

  • « La justice fait son travail… C’est une bonne chose. Dans ce cas, elle traite peut-être (à comparer aux précédents) plus rapidement des dossiers. C’est la seule critique que l’on peut faire si c’est avéré » (femme, 50-64 ans) ;
  • « Je pense que la justice a un rôle à jouer et que derrière, certains tirent les ficelles pour faire tomber ceux qui dérangent. Je n’ai aucune confiance en ce milieu. Et pour moi chaque politicien doit avoir des choses à se reprocher, plus ou moins importantes, mais les investigations ne portent que sur Fillon et Le Pen, comme par hasard ! Vous croyez vraiment que les autres sont blancs comme neige!? Si oui, réveillez-vous ! » (femme, 25-34 ans) ;
  • « Chaque citoyen doit être jugé de la même manière, normalement… Que deux candidats – François Fillon et Marine Le Pen – soient auditionnés, c’est tout à fait normal, mais à environ 50 jours de l’élection… Ces dossiers existent depuis longtemps… Là il y a, un problème » (homme, 35-49 ans).

Méthodologie

Cette note s’appuie sur les réactions de la « communauté présidentielle 2017 » Kantar Public-Krealinks. Cette communauté compte environ 120 participants, avec des profils diversifiés en termes de :
– sexe
– âge
– catégorie socioprofessionnelle
– lieu d’habitation
– sympathie partisane.

L’animation de la communauté, hébergée sur une plateforme Krealinks, est assurée par Kantar Public. Les participants réagissent aux sujets postés par Kantar Public et peuvent également poster leurs propres sujets sur la plateforme. 

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