Qu’est-ce que l’intrapreneuriat ?

Le rapport de la Fondation Jean-Jaurès, « Entreprises engagées. Concilier l’entreprise et les citoyens », propose de développer un statut juridique pour « l’intrapreneur » afin que les salariés désireux de développer des projets innovants au sein de leur entreprise puissent s’y consacrer – sur leurs horaires de travail – tout en étant assurés d’en partager la propriété intellectuelle. Mais qu’est-ce qu’un intrapreneur ou « salarié-entrepreneur » et quel est l’enjeu derrière le développement de l’intrapreneuriat ?

Popularisé par l’américain Gifford Pinchot, l’intrapreneuriat est un mode d’organisation du travail en entreprise encore peu exploré. Mais à l’heure où le gouvernement souhaite mener une véritable discussion sur « ce qu’est l’entreprise » – le président de la République l’a évoqué dans une interview télévisée du le 15 octobre 2017 sur TF1, l’étude de ce modèle est pertinent car il apporte des éléments de réponse à l’impératif d’attractivité des entreprises françaises dans un marché globalisé.

Prendre acte des transformations structurelles de l’économie et de la société

Deux mutations majeures de l’économie mondiale – le transfert de l’oligopole productif des pays du Nord vers des pays du Sud et la révolution numérique – ont eu un impact direct sur le système de création de valeur des entreprises en France. À l’impératif classique d’augmentation de la productivité s’est substitué celui d’inventer des concepts, des idées « disruptives », ou encore des marques fortes. Avec d’autres mots, cela signifie que la création de valeur passe de moins en moins par le « produire davantage » mais de plus en plus par le « créer du nouveau ».

Les grandes entreprises semblent avoir pris la mesure de cette transformation et s’astreignent à mettre en œuvre des politiques d’accompagnement du changement. Mais l’inertie propre à la taille de leurs structures ralentit ce processus dont les prémisses se résument pour l’instant à l’imitation de la culture start-up. Or, si l’engouement médiatique autour de la création de start-ups ne supporte pas l’équivoque quant à l’attractivité de ce modèle de travail, cette liberté choisie – parfois subie – cache souvent une réalité moins flamboyante. Quelques rares talents peuvent témoigner de leurs success stories mais sa généralisation soulève des questions tant au niveau personnel – abandon d’études, problèmes juridiques et financiers – qu’au niveau sociétal – course à l’hypercroissance au détriment de modèles viables, incidence sur les cotisations sociales, destruction du collectif – en faisant craindre l’émergence pour les startupers et travailleurs indépendants d’un modèle de travail proche de celui – aboli au prix de luttes successives – du pré-salariat.

Réunir les intérêts des salariés et ceux de l’entreprise

Le pari de l’intrapreneuriat est ainsi de réconcilier l’impératif économique des entreprises de renouvellement des offres et des produits avec les aspirations individuelles des travailleurs à plus d’indépendance. Or, dans un système où il est demandé au salarié de produire des idées, ni l’organisation du travail encore empreinte de théories tayloro-fordistes, ni le système de la rémunération par prime, ni les règles de propriété intellectuelle sévères pour le salarié porteur d’innovation ne semblent incitatifs et donc adaptés. Cela peut même expliquer l’aspiration de jeunes diplômés à s’orienter vers l’entrepreneuriat et la tentation de certains de quitter la structure qui les emploie pour mener à bien leur projet. Si le salarié y perd les avantages du salariat, l’entreprise perd la primauté du développement de l’innovation et voit un concurrent potentiel arriver sur le marché.

Ainsi, dans l’intérêt de l’entreprise et du salarié, la législation – actuellement bloquante pour l’instauration réelle de ce modèle – doit évoluer vers la reconnaissance d’un nouveau statut hybride de « salarié-entrepreneur » ou « intrapreneur » protégeant les deux parties signataires du contrat de travail. Ce statut lui garantirait sa place de salarié au sein de l’entreprise, tout en lui assurant de percevoir une participation : association au capital d’une société-projet créée ou intéressement à la valeur générée par cette dernière.

Le salarié-entrepreneur : l’exemple de Seed-Up

En France, l’entreprise Seed-Up a fait le choix lors de sa création en 2015 d’éprouver le modèle du « salarié-entrepreneur ». Sous la verrière d’un immense hangar situé à Saint-Cloud, elle regroupe des ingénieurs, des designers et des développeurs qui partagent leur temps de travail entre des missions d’innovation pour des grands groupes nationaux comme Total, Hermès, Thalès, et des projets collectifs incubés en interne. Chaque membre est salarié, recruté pour deux ans et rémunéré pour son temps de travail sur les missions comme sur les projets internes. À la fin de sa résidence, il devient associé actif dans la société-projet qu’il a contribué à développer. Le dernier projet né de cette organisation intrapreunariale du travail consiste en un téléphone portable à la capacité de stockage illimitée, un franc succès pour les salariés qui sont à l’origine de cette idée et un levier de croissance pour l’entreprise.

Mais Seed-Up reste un cas isolé qui fait par ailleurs face à de nombreuses difficultés juridiques. Le cadre légal actuel, hostile à la mise en place d’un tel dispositif, ne favorise pas l’impulsion de projets innovants d’initiative personnelle au sein des entreprises. L’urgence est donc à la réforme. La création d’un nouveau statut pour le salarié-entrepreneur pourrait réconcilier les intérêts des différents acteurs de l’innovation, et ce malgré la malléabilité du secteur. Elle constituerait également un progrès social pour les salariés.

 

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