Qu’est-ce que l’alt-right ?

Le grand public a découvert la « droite alternative » (« Alternative Right » ou « alt-right ») lors de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Loin d’être une création médiatique, il s’agit d’une idéologie au sens propre du terme : cette mouvance n’est pas de « droite », mais d’extrême droite, à tendance suprémaciste blanche. Analyse par Stéphane François, membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation, de cette mouvance qui pourrait radicaliser la droite avec constance.

Le grand public a découvert la « droite alternative » (« Alternative Right » ou « alt-right ») lors de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Cette mouvance n’est pas de « droite », mais d’extrême droite, à tendance suprémaciste blanche. Elle est également ancienne, ses premiers théoriciens ayant commencé à produire dès les années 1960. Elle est enfin internationale : dès la fin des années 1960, elle a noué des liens avec l’extrême droite européenne, notamment française. Jeffrey Kaplan et Leonard Weinberg l’ont qualifiée au début des années 2000 d’extrême droite « euro-américaine  ».

L’expression « Alternative-right » a été forgée en 2008 par l’universitaire paléoconservateur (en opposition au néoconservatisme) Paul Gottfried pour définir cette extrême droite euro-américaine. Ultralibéral, inégalitaire, condamnant le multiculturalisme, ancien conseiller de Richard Nixon et de Pat Buchanan, Gottfried entretient des liens avec l’extrême droite tant européenne qu’américaine. Ainsi, il est le correspondant américain de Nouvelle École, la revue savante de la Nouvelle droite d’Alain de Benoist, et a été le mentor de l’une des figures de l’alt-right, le suprémaciste blanc Richard Spencer (l’auteur du « Hail Trump »). Figure ambiguë, Gottfried a permis le renouvellement théorique, depuis plus de vingt ans, de l’extrême droite savante américaine. Il est aussi lu et commenté en Europe, notamment dans les cercles de la Nouvelle droite.

Cette expression recouvre plus une mouvance, plutôt qu’un mouvement structuré, d’auteurs et de groupuscules, aux discours parfois contradictoires, professant un discours anti-métissage parfois raciste, parfois xénophobe, chez certains antisémite ou suprémaciste blanc ; mais elle ne peut pas être réduite à la nébuleuse néonazie, bien que certains de ses membres en fassent partie. Ses origines sont à chercher dans les années 1950, dans les milieux, dont certains universitaires, refusant l’émancipation des Afro-américains ou cherchant à montrer au travers d’études pseudo-scientifiques l’infériorité intellectuelle de ces derniers. L’un de précurseurs de cette mouvance, et aujourd’hui réédité par elle, fut l’Américain suprémaciste blanc et théoricien raciste Lothrop Stoddard (1883-1950), qui influença les nazis. Parmi les pionniers de ces années, nous pouvons citer des universitaires comme Raymond Cattell, Arthur Jensen, Donald Swan, Wesley George, Roger Pearson, fondateur de la Northern League qui fut un repaire d’anciens nazis dans les années 1950. Ces milieux faisaient de la préservation de l’identité blanche des États-Unis leur cheval de bataille. Ils sont toujours présents dans l’Université américaine aujourd’hui, avec par exemple le psychologue évolutionniste racialiste et antisémite Kevin MacDonald, ou le pédagogue Roger Griffin.

Parmi les précurseurs de l’alt-right, nous avons l’universitaire d’origine britannique Roger Pearson, fondateur en 1957 de la Ligue nordique (Northern League), réseau de théoriciens néonazis. Il fut également le fondateur, en 1972, du Journal of Indo-European Studies, ainsi que de l’Institut pour l’étude de l’homme (Institute for the Study of Man). Le Journal of Indo-European Studies est devenu dans les années qui suivirent une revue universitaire de référence dans le domaine des études indo-européennes, à laquelle ont participé des indo-européanistes de grande renommée. Anticommuniste, il fut responsable de la World Anti-Communist League, cette dernière structure recyclant d’anciens nazis, tel le SS Otto Skorzeny (le SS à la tête du commando qui libéra Benito Mussolini en 1943), ou des fascistes comme Horia Sima (membre de la Garde de Fer roumaine). Lors de son éviction de la World Anti-Communist League, il fonda le Journal of Social, Political and Economic Studies, qui prit la relève de la revue de la ligue anticommuniste, The Journal of American Affairs. Des auteurs connus pour leurs positions négationnistes et racistes, comme Wayne Hutton et Kerry Bolton, y participèrent. Pearson fut une référence pour différents groupes néo-nazis et suprémacistes blancs de par le monde qui reprirent ses thèses.

Il existe en effet aux États-Unis une longue tradition d’universitaires d’extrême droite, racistes, racialistes et/ou antisémites qui défendent ouvertement leurs positions, ce qui est difficilement compréhensible pour un Français. Ces chercheurs ont élaboré des spéculations anthropologico-raciales, qui fusionnèrent dans les années 1980 avec les thèses « paléoconservatrices » sur la préservation de l’identité blanche des États-Unis. Ainsi, le très Sudiste Samuel Francis (1974-2005), universitaire et « paléoconservateur », estimait que la culture et la civilisation occidentales étaient génétiquement indissociables de la race blanche et des peuples européens, donc qu’elles n’étaient pas transmissibles, en leur fond, à d’autres races, quels que fussent les phénomènes d’acculturation. La fusion entre les thèses « paléoconservatrices » et celles du « racisme universitaire » donnera naissance à la fin des années 1970 à une « droite » – en fait une extrême droite – qui se dit indifféremment « racialiste » ou « nationaliste blanche » (« White Nationalist »), et dont l’un des représentants est le théoricien raciste Jared Taylor.

Cette extrême droite est également d’un genre nouveau, car elle consulte les productions intellectuelles élaborées par l’extrême droite européenne, ce qui est rare, les Américains ne lisant que peu ce qui n’est pas écrit en anglais. Ces militants entretiennent en effet des liens assez forts avec l’extrême droite européenne dans leurs tendances nationalistes-révolutionnaires, identitaires et néo-droitières. Ils développent un discours racial identitaire, cherchant à défendre l’identité blanche partout où elle se trouve, et promouvant une solidarité ethnique, avec parfois des positions « socialisantes ».

Elle s’intéresse particulièrement à la Nouvelle droite européenne, qu’elle considère comme la « vraie droite » selon l’expression de Samuel Francis. Ainsi, le site très influent dans ce milieu, www.countercurrents.com, traduit régulièrement des articles et des textes des principaux théoriciens néo-droitiers francophones (Alain de Benoist, Guillaume Faye, Robert Steuckers, Dominique Venner). Cet intérêt est réciproque : des collaborateurs de ce site sont considérés en retour par les néo-droitiers francophones comme proches idéologiquement, voire comme des amis. C’est le cas, par exemple, de Greg Johnson pour le Belge Robert Steuckers, tandis que Tomislav Sunic, également membre de l’American Third Way Position, est le correspondant de Nouvelle École, la revue théorique de la Nouvelle Droite fondée par Alain de Benoist, pour la Croatie, après avoir consacré un livre à cette même Nouvelle Droite et participé à l’ouvrage collectif Le Mai 68 de la Nouvelle Droite (Labyrinthe, 1998), aux côtés des néo-droitiers historiques. Cet intérêt s’est d’ailleurs concrétisé à partir de novembre 2011 par la création d’une revue annuelle intitulée North American New Right, qui reprend leur thématique habituelle : racialisme, séparatisme blanc (« White Republic »), histoire et préhistoire européennes, métapolitique, traditionalisme (au sens ésotérique du terme), etc.

Ce site traduit en effet différents auteurs relevant du champ de l’ésotérisme d’extrême droite, comme l’Italien Julius Evola, la Franco-Indienne Savitri Devi Mukherji ou le Chilien Miguel Serrano, tous plus ou moins néopaïens d’ailleurs. Ces auteurs connaissent plus largement un regain d’intérêt dans ces milieux aujourd’hui, Evola étant traduit aux États-Unis dès la fin des années 1990 par Michael Moynihan, journaliste, musicien, universitaire, néopaïen et militant séparatiste blanc. Si la mouvance de l’alt-right promeut le nordicisme (l’origine nordique, et plus précisément polaire, de la « race blanche »), elle défend également, du moins pour une partie non négligeable de ses membres, une spiritualité néopaïenne et antimoderne du monde. Il faut garder à l’esprit qu’aux États-Unis, le néopaganisme d’extrême droite dépasse en nombre et en influence les groupuscules nazis locaux, ainsi que les franges radicales du Ku Klux Klan.

En 2003, environ 50% des adeptes du paganisme nordique dans ce pays sont des extrémistes de droite, en particulier en prison, promouvant la supériorité  de la race aryenne, l’antisémitisme, le racisme et le négationnisme. Depuis, ce chiffre a continué d’augmenter, pour se situer actuellement aux alentours de 60% des adeptes, selon l’universitaire suédois Matthias Gardell, qui a consacré une étude au paganisme d’extrême droite aux États-Unis. En effet, l’essor du paganisme raciste aux États-Unis au début des années 2000 est lié à une radicalisation de ses militants et/ou adeptes, dont les prémisses sont à chercher dans la décomposition de l’extrême droite de ce pays, et surtout dans sa recomposition multiculturelle. Ces adeptes partent du postulat que le gouvernement fédéral est hostile aux Blancs. De ce fait, les différents groupes aryens américains dénoncent à la fois la droite conservatrice, jugée bigote et à l’origine du problème, et les progressistes américains qui favorisent les minorités de couleur. En réponse, ces groupes font la promotion du projet ouvertement révolutionnaire d’un séparatisme blanc, qui défendrait la majorité blanche délaissée. Dans une certaine mesure, ces militants, qui se mettent en marge de la société américaine et qui refusent ses valeurs, peuvent être vus comme des anti-Américains, dans le sens où ils refusent explicitement les valeurs de l’American Way of Life. Il est donc logique qu’ils se réfèrent à des théoriciens de l’extrême droite européenne qui condamnent régulièrement l’« anti-civilisation » américaine.

Nous sommes donc loin d’une création médiatique, bien au contraire : il s’agit d’une idéologie au sens propre du terme, ayant créé sa contre-culture, ses propres références et grilles de compréhension du monde. Cette mouvance radicale est ancienne et a ses théoriciens, qui sont d’ailleurs souvent des universitaires. Sa relative confidentialité est compensée par son usage d’Internet qui lui a permis de diffuser ses thèses au-delà des milieux restreints d’origines. En outre, elle est traduite, publiée et commentée par l’extrême droite européenne, et notamment française, comme le montre le catalogue de l’éditeur négationniste Akribeia. De fait, nous sommes face plutôt à une extrême droite euro-américaine. L’émergence d’une contre-culture radicale occidentale dresse des ponts entre les populismes tant européens qu’américains, et pourrait bien contribuer à ce que les expériences étatiques n’évoluent pas vers une simple pratique durcie de la droite mais, au contraire, se radicalisent avec constance.

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