Le militant d’extrême droite : militant de la violence

Quelle évolution du Bloc identitaire dans un contexte où le Front national cherche à se donner une image « moins agressive » ? Ses militants vont-ils se déradicaliser au contact de ce parti et se notabiliser ? Vont-ils pousser le Front national à accepter leurs thèmes-clés (« remigration », « guerre ethnique ») ? Analyse de ce qui symbolise la violence du militant d’extrême droite avec Stéphane François.

Les violences racistes ne cessent d’augmenter depuis le début des années 2000. Elles atteignent cette année-là leur plus haut niveau depuis 1990, avec 146 actes. Les chiffres contenus dans les rapports annuels de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) montrent depuis 1995 une augmentation du nombre des actes racistes, xénophobes et antisémites. Le dernier paru à ce jour fait état de trois recrudescences : une première à contenu antisémite ; une deuxième montrant un rejet croissant des pratiques (publiques et privées) liées à l’islam, une dernière visant les populations Roms. La presse locale nous informe régulièrement d’actes violents provenant de groupuscules extrémistes. Ainsi, les militants picards du White Wolf Klan, un groupuscule néonazi, ont été jugés fin mars 2017 pour plusieurs actes de violences commis dans les Hauts-de-France entre 2012 et 2014. L’orée des années 2000 est importante, car si elle marque une augmentation des violences de la part de groupes très radicaux, elle en fait réfléchir d’autres : elle correspond également à une évolution d’une frange de l’extrême droite, due en grande partie à la tentative d’assassinat du président Jacques Chirac par Maxime Brunerie, le 14 juillet 2002. Les militants d’Unité radicale (UR) prennent alors conscience des limites de la violence militante. 

Cet acte d’un militant de la section parisienne d’UR cause en effet la dissolution du d’UR par décret du 8 août 2002. Alors qu’une minorité du mouvement autour de Christian Bouchet fonde le Réseau radical sur des bases nationalistes-révolutionnaires, les principaux militants, dont Fabrice Robert et Philippe Vardon, fondent en avril 2003 le Bloc identitaire-Mouvement social européen (BI), transformé en un parti politique à vocation électorale en octobre 2009, et devenu simplement Les Identitaires depuis le 1er juillet 2016. Du fait de l’importance de ce groupuscule d’environ 500 personnes dans l’évolution de l’extrême droite, via la diffusion à la fois de ses stratégies de militantisme en ligne et de ses thèmes (remigration, identité, rejet de l’islam), nous centrerons notre propos sur lui et sur son évolution quant à la violence militante. Nous testerons ainsi la proposition selon laquelle le militant d’extrême droite reste l’« homme de violence ».

L’analyse des publications des différents sites du Bloc identitaire est intéressante car le chercheur y voit l’évolution de ces militants face à la violence politique. Elle était, jusqu’à l’acte de Maxime Brunerie, prônée par UR, qui faisait l’éloge des kamikazes palestiniens. Elle sera remplacée par des actions relevant du happening, inspirées des méthodes de Greenpeace. Cette évolution quant à a violence politique constitue un point central dans l’expression d’une volonté de respectabilité de la part des leaders du Bloc identitaire. Elle s’accompagne d’une nette euphémisation du discours violent et de l’utilisation d’une rhétorique contre-offensive/défensive. Cette mutation était rendue nécessaire par la mesure de dissolution de 2002, mais elle résulte aussi d’une réflexion de fond sur l’utilité de la violence politique.

La prise de conscience de l’impasse que constitue l’activisme débridé a été reléguée au second plan par rapport à l’investissement dans la promotion des idées identitaires dans le domaine proprement politique mais aussi métapolitique. Rejetant l’usage de la violence pour différents motifs, tant objectifs – stérilité de cette voie, manque d’effectifs, contexte de société apaisée en termes de violence politique – que subjectifs – il s’agit de donner une légitimité au combat identitaire présenté auprès de l’opinion publique, des médias et des politistes comme celui de la sauvegarde d’une civilisation en péril « en utilisant les mêmes armes que l’ennemi » – les dirigeants identitaires optent donc pour une stratégie gramsciste consistant à concentrer la bataille sur le plan culturel en redéfinissant à la fois la posture, la vision du monde et les moyens utilisés pour diffuser leur pensée et augmenter leur influence au sein des droites radicales et au-delà. Il s’agit à travers les différentes actions que les Identitaires lancent d’imposer des problématiques, des thématiques dans divers domaines. À mesure que les campagnes sont menées, il se dégage une vision cohérente faisant de chaque combat une partie d’un grand tout : la défense de ce qu’ils se représentent comme « notre » civilisation.

Cependant, au BI, le goût des actions militantes de choc n’a pas disparu : celles-ci sont simplement devenues non-violentes et conçues pour générer une visibilité médiatique maximale. L’éloge de l’affrontement physique reste présent, mais la violence physique est canalisée, notamment par la création de clubs sportifs formant aux arts martiaux adaptés au combat de rue (kick-boxing ; street fight ; boxe). Comme souvent, avec le BI, il s’agit avant tout de communication externe : il faut à la fois faire peur à l’adversaire et attirer de futurs militants, fascinés par cette violence. Cet intérêt pour les sports de combat n’est pas uniquement offensif ou une forme de communication : il est aussi défensif. En effet, il faut prendre en compte le fait que les militants d’extrême droite ne sont pas toujours les auteurs des violences, ils en sont parfois les victimes. Les instances du BI organisent de plus en plus de stages d’auto-défense pour les membres de Génération identitaire (GI), garçons et filles. Ainsi, elles ont proposé en 2014 un stage national de gestion du conflit « allant de la gestion verbale d’un conflit à la défense face à une attaque à l’arme blanche en passant par la défense au sol ou encore face à plusieurs agresseurs. L’enseignement était délivré par un professionnel des sports de combat ». L’objectif était d’inciter les membres de GI à « ne pas baisser les yeux, relever la tête et serrer les poings s’il le faut ». Suite aux événements de Cologne, surfant à la fois sur la peur des migrants et sur la supposée obsession sexuelle de l’immigré arabo-musulman, l’offre du BI s’est affinée : depuis 2016, le BI propose des stages d’auto-défense à destination jeunes filles/femmes, affirmant (et reprenant incidemment un vieux thème de l’extrême droite la plus dure) qu’à Paris la majorité des viols sont commis par des étrangers, en particulier par des Maghrébins. Cette auto-défense est mise en avant dans les camps d’été du BI, en parallèle de l’activité sportive et de cours théoriques, notamment sur le choc des civilisations. Le militant identitaire se doit également de « sécuriser » le métro des agresseurs arabo-musulmans (à Lille, Paris, Rennes, Lyon) et les « tournées anti-racailles » ressemblent, en fait, à des opérations de communication. Au-delà de cet éloge de l’autodéfense, le BI reprend la tradition au sein d’une certaine extrême droite du dépassement physique, qui se veut la concrétisation de l’adage « Un esprit sain dans un corps sain ».

Le militant d’extrême droite doit être héroïque, rejetant la lâcheté. Il doit aller au combat (enfin, à la rixe), comme l’écrit avec lyrisme Philippe Vardon, dans Éléments pour une contre-culture identitaire (ID, 2011) : « Nous apprenons chaque jour à nous battre, et chaque jour un peu plus à aimer le faire ; la tête haute nous tomberons peut-être dix fois, mais nous nous relèverons à chacune d’entre elles, pour faire face à nouveau ». De fait, il y a, chez les cadres identitaires, une exhortation à une « implication réelle dans le combat » : « L’action comme défi quotidien que l’on lance à la face du monde, et avant tout à soi-même. Le militantisme n’étant pas vécu par les jeunes identitaires uniquement comme un moyen politique, mais bien comme une manière de (se) grandir et de se réaliser. La primauté de l’action (se déclinant à travers des actions, des coups, des campagnes), entendue comme un enthousiasme et une frénésie créatrice, est bien l’une des marques de fabrique du mouvement identitaire ».

Cette conception de l’action est intéressante, car elle offre une « image directrice » au militant. Ce dernier est encouragé à se voir comme un chevalier. Ainsi, l’université d’été du Bloc identitaire des 11-16 août 2014 était intitulé « Un mythe pour une nouvelle chevalerie. D’Excalibur au Graal ». De fait, les responsables identitaires mobilisent les mythes du chevalier et de la reconquête pour donner du sens à leur action politique. Ainsi, en janvier 2015, après les attentats, ils ont lancé une campagne d’affichage « Je suis Charlie Martel ». Cette affiche mobilise deux idées importantes pour la mythologie identitaire : la première, celle des identitaires héritiers de Charles Martel ; la seconde d’une immigration-colonisation musulmane hostile à « nos valeurs ». Cette référence à Charles Martel est régulière : elle fut déjà utilisée lors de l’occupation de la mosquée de Poitiers le 20 octobre 2012. Le chevalier/militant identitaire se doit de combattre l’« invasion » migratoire, dans le cadre d’une nouvelle Reconquista. Ainsi, la ville de Calais et sa « jungle » sont analysées par le BI comme le symbole et la manifestation de la crise migratoire à venir et de cette nécessaire reconquête, voire de la guerre ethnique qui découlera de cette « immigration-colonisation ». Nous trouvons ici avec thématique deux idées-forces : 1/l’Autre est inassimilable et foncièrement hostile ; 2/il faut défendre « notre identité » et « notre sol ». 

Enfin, il ressort de la lecture de cet abécédaire que le militant identitaire doit être spartiate, se construire intellectuellement, apprendre à se battre et devenir dur.

Les vieux militants du Bloc identitaire, Fabrice Robert et Philippe Vardon en tête, ont donc tourné la page de la violence physique au profit du combat métapolitique, parfois très violent comme le montrent leurs différentes campagnes sur Internet. Cependant, le mythe de la violence salvatrice et créatrice de monde reste très vivace à l’extrême droite. Ils ont donc dû mettre en place des stratégies de contrôle de celle-ci. Cependant, des militants identitaires refusent cette violence canalisée et recherchent l’affrontement avec les ennemis, dont les militants d’extrême gauche : les rixes à Lyon ou à Toulouse restent courantes, avec parfois des blessés graves, comme en 2012. Enfin, il faut tenir compte du fait que le BI cherche à la fois à attirer des militants provenant de la classe moyenne, souvent catholiques, peu motivés par la violence militante, et à garder des membres provenant, à l’inverse, de l’extrême droite radicale (skinheads, hooligans, etc.), via la mise en place de lieux d’entraînement aux sports de combat et de championnats entre différentes sections locales. L’abandon de la violence militante de la part du BI risque de les faire fuir vers d’autres groupuscules, plus violents, comme L’œuvre française, avant sa dissolution par l’État en 2013, et refondée en 2015 sous l’appellation Parti nationaliste français. Ce fut le cas vers 2005, avec le départ d’anciens d’UR, au profil skinhead, GUD. Lors du Printemps français, le BI a cherché, et réussi, à attirer de nouveaux militants, catholiques pour la plupart, moins idéologiquement marqués par un passé d’extrême droite radicale. L’analyse du BI est donc des plus intéressantes pour comprendre l’évolution de certains groupes radicaux : en effet, nous passons du mythe de la violence révolutionnaire présente au sein d’UR, un groupuscule nationaliste-révolutionnaire, au constat désabusé de l’échec de cette forme d’activisme. Puis, dans un second temps, à l’éloge de l’auto-défense : d’agresseurs assumés, ils deviennent les agressés sur la défensive. Cela a dû être difficilement accepté de la part des militants historiques, qui viennent, pour la plupart, de groupes (GUD, UR, skinheads) connus pour leur violence assumée. Ainsi, leur Reconquista se fait avec des sports d’auto-défense et des sit-in non-violents (comme à Calais, par exemple). Cela ne les empêche pas, malgré tout, de reprendre la vieille tradition, héritée du groupuscule raciste et fascisant Europe Action, de camp de formation militante, où différents groupes nationaux se forment aux sports de combat, se préparent à la « guerre ethnique » et étoffent leur idéologie. Toutefois, cela cadre mal avec la politique d’entrisme au sein du Front national, parti qui cherche à se donner une image moins agressive, mais où leur savoir-faire dans le domaine de l’« agit-prop » et du « buzz » médiatique est très apprécié. Vont-ils se déradicaliser au contact de ce parti et se notabiliser, comme le firent les trotskistes au sein du Parti socialiste ? Ou vont-ils pousser le Front national à accepter leurs thèmes-clés (« remigration », « guerre ethnique », etc.) ? La question reste ouverte.

Du même auteur

Sur le même thème