Quelle politique publique en faveur des tiers-lieux culturels en milieu rural ?

Aujourd’hui, les tiers-lieux et notamment les tiers-lieux culturels sont en expansion. 34% se situent en milieu rural. Or, alors que ces lieux hybrides développent des projets qui concilient démocratie et démocratisation culturelles, ils ne font pas l’objet d’une politique publique à part entière, reconnue et soutenue comme telle. Dans la continuité du plan Culture et ruralité lancé à la suite du Printemps de la ruralité, porté par le ministère de la Culture et de la Communication, la vice-présidente du Sénat Sylvie Robert, sénatrice d’Ille-et-Vilaine et directrice de l’Observatoire de la culture de la Fondation, soumet dans cette note cinq recommandations pour que ces espaces constituent la matrice d’une politique publique culturelle et artistique.

Suite au Printemps de la ruralité lancé en début d’année, le ministère de la Culture a publié, en juillet dernier, son plan Culture et ruralité. Décliné en 23 propositions, ce plan s’articule autour de 4 axes : « valoriser la culture et les initiatives locales », « soutenir les acteurs et le maillage culturels de proximité », « faciliter la mobilité des artistes, des œuvres et des publics » et « accompagner les porteurs de projet par une ingénierie adaptée ». En théorie, il doit être doté de 98 millions d’euros sur trois ans (2024-2027), dont 18 millions alloués dès cette année. Cependant, nulle précision n’a été apportée sur les modalités de son financement, ce qui interroge grandement au regard du contexte budgétaire (nouveaux plafonds de dépenses notifiés aux ministères par Bruno Le Maire avec objectif de réaliser des économies, procédure de déficit excessif lancée par la Commission européenne contre la France, etc.) et à l’aune du prochain projet de loi de finances pour 2025. 

Néanmoins, il s’avère urgent d’agir : 22 millions de Français vivent aujourd’hui dans la ruralité1Voir la page dédiée sur le site du ministère de la Culture et de la Communication., soit un tiers de la population, et, pour certains, « notre modèle culturel semble être passé à côté de cette réalité majeure de notre pays »2Hélène Girard, « Rachida Dati lance une concertation sur la culture dans les territoires ruraux », La Gazette des communes, 23 janvier 2024.. Parmi les angles morts du plan Culture et ruralité, figurent les tiers-lieux et autres lieux intermédiaires. À peine mentionnés dans l’état des lieux, ils ne font l’objet d’aucune préconisation spécifique, alors même qu’ils bénéficient d’un ancrage territorial fort, sont plébiscités par la population et font preuve d’une transversalité moderne et innovante dans leur approche. Il est donc regrettable que les tiers-lieux culturels, réalité en pleine expansion dans les territoires ruraux, soient une nouvelle fois ignorés.

En effet, s’il est indéniable que les équipements culturels peuvent manquer dans les territoires ruraux – cf. cartes infra –, il est tout aussi manifeste que les ruralités produisent de la culture. Les zones blanches en matière d’équipements culturels n’impliquent nullement une absence de création et de production culturelles dans ces territoires. Ce contraste pose donc avec acuité la problématique du soutien du ministère de la Culture et de la Communication (MCC) aux ruralités. À cet égard, il convient de rappeler que plus de la moitié des dépenses engagées par le MCC sont concentrées en Île-de-France, soit une dépense par habitant de 200 euros, quand elle ne dépasse pas 39 euros en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 20 euros en Bretagne et 10 euros à Mayotte3Edwige Millery, Jean-Cédric Delvainquière, Ludovic Bourlès, Sébastien Picard, Atlas Culture : dynamiques et disparités territoriales culturelles en France, ministère de la Culture, 2022..

Équipements culturels (hors bibliothèques, cinémas, festivals et patrimoine)
Cinémas en France
Bibliothèques et points de lecture
Festivals

Source : Atlas Culture des territoires, ministère de la Culture, 2022.

Parallèlement, l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), dans son rapport de 2024 sur L’action des labels de la création dans les zones rurales, évoque des « territoires ruraux à réinvestir » et une mission d’irrigation du territoire « constamment réaffirmée, mais insuffisamment définie et évaluée, qui ne cible pas spécifiquement les territoires ruraux »4Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), L’action des labels de la création dans les zones rurales, 22 janvier 2024.. Tout en reconnaissant la large palette d’actions déployées par les 13 labels et 367 structures afférentes, l’inspection recommande notamment de « mieux prendre en compte la ruralité dans les textes régissant les missions des labels » et de « mieux valoriser leur action »5Ibid. dans les territoires ruraux. 

Par-delà les lieux conventionnés, l’offre et les pratiques culturelles se sont développées dans de nouveaux espaces, sous le triple effet de l’affaiblissement des services publics et de l’éducation populaire ; de la disparition progressive des lieux de sociabilité (par exemple on a assisté à une division par dix du nombre de cafés/bistrots entre 1945 et aujourd’hui6Tristan Gaudiaut, « Les bistrots en voie de disparition ? », Statista via les données de l’Insee et France Boisson, 5 mai 2020. ; et de la pandémie de Covid-19 qui a accéléré les transitions liées au travail et à l’écologie notamment. Parmi ces espaces, figurent les tiers-lieux, au nombre de 3500, dont 34% se situent en milieu rural7Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), Nouveaux lieux, nouveaux liens, 2 avril 2024.. De fortes disparités marquent néanmoins leur répartition géographique ; pour preuve, en Bretagne et en Loire-Atlantique, 42% sont situés sur des territoires peu voire très peu denses au sens de l’Insee8Bretagne Tiers-Lieux, Panorama des tiers-lieux bretons 2024, mars 2024. contre 8,5% en Île-de-France9Infographie des tiers-lieux d’Ile-de-France, données 2023, Île-de-France Tiers-Lieux et Observatoire des tiers-lieux, avril 2024..

De plus, près d’un tiers des tiers-lieux – 31% – se définissent comme culturels ou comme lieux intermédiaires et indépendants ; en milieu rural, l’intensité culturelle est encore plus forte, puisqu’ils sont près de la moitié (43%) à se définir ainsi. En définitive, 58% des tiers-lieux proposent des activités culturelles et artistiques : diffusion artistique (74%), pratiques amateurs (60%), création artistique (49%), accueil d’artistes en résidence (43%), mise en œuvre d’actions d’éducation artistique et culturelle (28%) ou encore accès à un service de type bibliothèque (18%). Tous les champs sont couverts, même si les arts plastiques, le spectacle vivant et la musique sont prédominants. Enfin, 32% des tiers-lieux culturels mettent à disposition des espaces dédiés à la production artistique10Statistiques issues de l’Observatoire des tiers-lieux.. Ce panorama témoigne à la fois d’une démarche culturelle certaine et d’un potentiel qui reste à exploiter. 

Ces tiers-lieux sont de plus en plus identifiés comme incarnation de l’offre culturelle en milieu rural, leurs spécificités étant de souvent « dépasser le cadre strict des activités culturelles »11Claire Delfosse citée dans Élodie Maurot, « Quand la culture fleurit dans le monde rural », La Croix, 5 mars 2024.. Rappelons qu’en France, les tiers-lieux sont d’abord nés dans les équipements culturels, à l’image des bibliothèques « troisième lieu »12Concept forgé par le sociologue Ray Oldenburg dans les années 1980 désignant un lieu où se crée du lien social en dehors du premier lieu, celui du foyer, et du deuxième lieu, celui du travail. Voir Mathilde Servet, Des bibliothèques troisième lieu aux bibliothèques tiers-lieux, Observatoire des tiers-lieux, décembre 2022., et par ailleurs dans les cultures alternatives issues des squats artistiques13Arnaud Idelon, « Le tiers-lieu, berceau des communs ou couteau suisse des communes ? », Nectart, vol. 1, n°14, 2022.

Ainsi, bien que ces espaces mettent en œuvre des projets qui allient démocratie et démocratisation culturelles, ils ne font pas l’objet d’une politique publique à part entière, reconnue et soutenue comme telle. Pourtant, la question de la structuration et de la pérennité de ces lieux est posée, comme en témoignent les inquiétudes exprimées lors des débats relatifs au projet de loi de finances pour 2024. Le risque que la promesse se transforme en déception ne peut être écarté. Dès lors, comment les tiers-lieux peuvent-ils être acteurs d’une politique publique culturelle et artistique en milieu rural ? Comment articuler et structurer une politique publique culturelle autour de ces lieux, par nature hybrides et transversaux ?

Recevez chaque semaine toutes nos analyses dans votre boîte mail

Abonnez-vous

Tiers-lieux et politique culturelle : deux approches à (ré)concilier, en partant des territoires

Tout d’abord, l’approche des tiers-lieux culturels se distingue nettement de l’approche historique du MCC, laquelle est verticale, descendante et cloisonnée entre les diverses esthétiques de la création artistique. Cette institutionnalisation et cette segmentation découlent de la finalité première du MCC, en l’occurrence l’accessibilité du plus grand nombre aux œuvres culturelles par leur diffusion grâce à un réseau d’équipements. Toutefois, si ce dernier maille le territoire, il reste presque exclusivement implanté dans les aires urbaines – à 89%14Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), L’action des labels de la création dans les zones rurales, 22 janvier 2024.. En conséquence, cette concentration des équipements culturels présente une faiblesse ontologique : le risque d’éviction des populations habitant dans les ruralités.

Les tiers-lieux culturels, pour leur part, émanent d’initiatives territoriales. Les projets sont portés soit par des habitants, soit par des équipes artistiques, soit par des collectivités territoriales, soit par une pluralité d’acteurs locaux qui se réunissent autour de la réalisation d’un projet commun. Autrement dit, là où l’intervention culturelle étatique est avant tout prescriptive, les tiers-lieux font appel à une culture de la coopération, l’optique étant d’« agir ensemble dans un but commun »15Joëlle Zask, philosophe, extrait de Raphaël Besson, Pour une culture des transitions, Montpellier, Éditions du Lucas, 2024.. Le processus de co-construction se caractérise par une importante diversité, tant dans les acteurs impliqués que dans les actions menées. Cependant, cette pluralité peut être parfois source de conflictualité et est surtout mal appréhendée par les pouvoirs publics. 

Par ailleurs, il s’agit éminemment de lieux de proximité, répondant à un désir de sociabilité, de convivialité, de solidarité, lequel a été contrarié dans les territoires ruraux suite à la fermeture de nombreux services publics, industries et commerces. C’est pourquoi l’utopie des tiers-lieux a pris racine au début des années 1980 et est aujourd’hui en plein essor ; en miroir de l’avènement de la politique ultra-libérale et de ses effets déflagrateurs sur la cohésion sociale, les tiers-lieux comblent le vide et sont la manifestation d’une volonté citoyenne et politique de refaire communauté. 

Leur très forte intégration territoriale favorise le rapprochement entre habitants ainsi que l’appropriation du lieu, dans une perspective de reconnaissance mutuelle. Dès lors, les droits culturels trouvent un débouché naturel par la participation et la prise en considération de l’expression culturelle des habitants. En ce sens, les tiers-lieux peuvent enrayer l’éloignement socio-géographique, parfois vécu ou ressenti, à l’égard des institutions culturelles et facilitent le travail de médiation. Enfin, les tiers-lieux, dans leur grande diversité, relèvent de l’habitabilité des territoires avant même de contribuer à leur attractivité.

Autre caractéristique, ces lieux répondent à des besoins et à des aspirations territoriales singulières. À titre d’exemple, dans le Gers, le tiers-lieu On va vers le beau, en plus de son action culturelle, devait répondre à une problématique territoriale bien définie : l’accueil des marcheurs qui empruntent le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Dans l’Oise, le Café citoyen d’Auger-Saint-Vincent, créé en 2021 et labellisé Fabrique de territoire en 2023, accueille depuis un an une compagnie de théâtre féministe Les 3 coups l’œuvre, dans le cadre d’une convention pluriannuelle de trois ans, de manière à donner du temps à la création et à la densification du maillage culture local avec d’autres associations culturelles comme L’Atelier des arts et L’Art en chemin.

Peuvent également être cités les cas emblématiques des cafés collectifs en Bretagne, de Pancé à Saint-Sulpice-La-Forêt, qui sont le reflet de volontés de citoyennes et de citoyens, souvent partagées avec leurs maires, de recréer de l’offre culturelle et du lien sur le territoire16« En Bretagne, des cafés associatifs font battre le cœur des villages », Nouvel Obs/AFP, 24 janvier 2020.. Christian Paul, maire de Lormes dans la Nièvre, y voit peut-être un « apport singulier des tiers-lieux en matière culturelle, dans laquelle on commence à trouver une solution plus ancrée et durable » après avoir longtemps cherché à solidifier l’offre sur le territoire par des résidences d’artistes17Guide tiers-lieux et collectivités, France Tiers-Lieux, 2023.

« Faire lieu », dans une dynamique de tiers-lieu, peut aussi s’envisager en l’absence de lieu ancré à un endroit donné. Le territoire investi devient alors le lieu du projet. Dans cette perspective, Derrière Le hublot, association installée dans le sud du Massif central dans le Grand-Figeac (Aveyron et Lot), œuvre en faveur d’une irrigation culturelle continue, déplaçant le cœur de son action au gré des lieux parcourus. Il s’agit donc d’une forme de tiers-lieux éclatée territorialement qui prend part, de façon innovante, à la fabrique de la vie culturelle et à la production artistique. 

Recommandation n°1 : Éviter toute politique nationale de labellisation et tout cahier des charges uniforme à destination des tiers-lieux culturels en milieu rural 

Ces exemples démontrent qu’aucun tiers-lieu n’est duplicable et qu’aucun cahier des charges national ne peut englober leur diversité et leur plasticité. Toute politique publique culturelle et artistique structurée autour de ces lieux doit éviter le schéma traditionnel de labellisation qui présenterait l’inconvénient d’uniformiser ces espaces et de brider la créativité et l’innovation qui s’y expriment. Il faut les considérer comme des alternatives aux institutions culturelles, complémentaires tant dans leur forme que dans les objectifs poursuivis.

Structurer une politique publique en créant un levier financier en faveur des tiers-lieux culturels en milieu rural : quelques pistes

Les tiers-lieux mettent en lumière l’innovation qui émerge des ruralités et concrétisent des projets culturels de territoire(s). Pourtant, les politiques publiques se saisissent imparfaitement de ces espaces. Fonctionnant dans leur grande majorité en silo, elles intègrent mal la transversalité propre aux tiers-lieux, ce qui crée un déficit de reconnaissance et de soutien.

Or, l’enjeu de reconnaissance n’est pas seulement symbolique. Les implications sont concrètes en matière d’accès aux financements publics, qu’ils soient pilotés par le MCC, par d’autres ministères ou par les opérateurs de l’État tels que l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Aujourd’hui, le caractère hybride des tiers-lieux culturels est encore trop souvent un facteur pénalisant, les empêchant d’accéder aux financements de l’État ou, à l’inverse, les obligeant à entrer dans un cadre qui ne correspond pas à leur projet. Dans les deux cas, cet état de fait est insatisfaisant.

Par ailleurs, le soutien financier qui leur est apporté souffre d’un écueil : le manque de continuité des dispositifs. Le foisonnement des initiatives et des appels à projets rend l’action publique difficilement intelligible : citons les manufactures de proximité, les fabriques de territoires, le programme Nouveaux Lieux, Nouveaux Liens qui gère les deux précédents, les maisons France Services, sans compter les 133 aides locales et nationales recensées sur le portail de l’ANCT. Elle nécessite aussi une ingénierie complexe qui se révèle inégalitaire, excluante de certaines collectivités territoriales et chronophage pour les porteurs de projets. En aval, le contrôle parlementaire sur l’exécution budgétaire et les finalités de ces programmes est également rendu compliqué.

Quant à la cible territoriale de ces dispositifs, elle ne vise pas spécifiquement les zones rurales. Certes, certains tiers-lieux culturels situés en milieu rural ont de fait bénéficié d’un accompagnement financier ; mais celui-ci est dilué au cœur de programmes dont la portée territoriale est beaucoup plus large. Si l’ambition politique du Printemps de la ruralité est d’inscrire les ruralités comme priorités durables de l’action publique culturelle et artistique, alors ce soutien devra être à la fois assumé et démultiplié. 

De manière similaire, la culture ne fait l’objet d’aucun dispositif particulier, alors même qu’un tiers des tiers-lieux se définissent comme culturels et que plus de la moitié proposent des activités culturelles. Si le numérique se révèle le point commun entre les différents programmes d’appui aux tiers-lieux, le développement culturel apparaît bien plus subsidiaire. Il semble être regardé comme une éventuelle externalité positive qui dériverait des actions réalisées dans le cadre de ces programmes et n’est considéré ni comme un point de départ, ni comme un objectif à atteindre, structurant pour les territoires. Ici, réaffirmons-le : le prisme et le primat du numérique ne suffisent pas à penser la réalité et l’avenir des territoires. S’il est évident qu’il en est une composante essentielle dans un monde ultra-connecté, il ne peut constituer l’alpha et l’omega des politiques publiques.

Recommandation n°2 : Créer un accompagnement financier spécifique à destination des tiers-lieux implantés en zone rurale et comprenant une dimension culturelle incontestable

Bâtir une politique publique culturelle autour des tiers-lieux en milieu rural revient donc à sortir du dualisme théorique selon lequel ces espaces étant par essence hybrides, il ne serait pas pertinent de valoriser une activité spécifique – culturelle en l’espèce. Les carences de la politique publique culturelle à l’égard des ruralités combinées à l’intensité culturelle qui se déploie dans les tiers-lieux plaident en faveur d’un dépassement de cet antagonisme.

Pour ce faire, plutôt que d’envisager une complète remise à plat complète des programmes existants, qui risquerait de déstabiliser l’écosystème des tiers-lieux, il est préférable d’ajouter une brique à l’édifice, simple et lisible. Ainsi, l’accompagnement financier de l’État pourrait être amplifié, en attribuant une double bonification aux tiers-lieux, dès lors qu’ils comprennent une dimension culturelle avérée et qu’ils sont implantés en zone rurale.

Ce calibrage présenterait alors deux avantages : reconnaître et pérenniser les activités et pratiques culturelles qui se déroulent dans les tiers-lieux d’une part ; inciter les tiers-lieux à construire une politique culturelle et artistique consistante d’autre part. Par cet intermédiaire, l’État concevrait un véritable levier qui concourrait à étendre sa politique publique culturelle dans les territoires ruraux.

Recommandation n°3 : Établir un conventionnement pluriannuel après évaluation, en y intégrant les collectivités territoriales volontaires

Ce mécanisme serait particulièrement bénéfique lorsque les tiers-lieux parviennent en phase de consolidation et que leurs coûts de fonctionnement augmentent. À cette étape, le soutien financier de l’État peut être défaillant, alors même qu’il s’avère capital afin d’éviter que le soufflet ne retombe. 

Idéalement, cet accompagnement pourrait prendre la forme d’un conventionnement pluriannuel, a minima sur trois ans, lequel offrirait de la visibilité et serait de nature à consolider le modèle économique des tiers-lieux culturels. En effet, bien souvent, leurs recettes propres sont limitées, le financement participatif et le recours au mécénat peu élevés et les subventions publiques, certes vitales, fluctuantes.

Ce conventionnement, étant un engagement réciproque, ne pourrait intervenir qu’après une évaluation préalable du tiers-lieu, mesurant ses retombées sur le territoire ainsi que ses réalisations culturelles et artistiques. Cette évaluation serait menée conjointement par l’État et les collectivités impliquées, en y associant la population le cas échéant. Comme explicité précédemment, il n’est pas question de définir un cahier des charges au préalable, listant des obligations uniformes ; la logique est plutôt d’évaluer l’impact territorial et culturel du tiers-lieu, en fonction des particularités de son territoire d’implantation, des acteurs engagés dans le projet et de sa politique culturelle. Ce conventionnement pourrait naturellement associer et intégrer les collectivités territoriales volontaires. En procédant ainsi, l’État aurait une approche moderne et décentralisée, s’adaptant à la réalité et à la vitalité des territoires.

Recommandation n°4 : Réserver ce conventionnement aux projets servant l’intérêt général et actant le principe d’une lucrativité limitée

Afin d’écarter tout effet d’aubaine, ce conventionnement ne pourrait être réservé qu’à des projets servant l’intérêt général, mettant en œuvre une politique de service public culturel et artistique, et se fondant sur le principe d’une lucrativité limitée. Ce principe d’économie sociale et solidaire préserve les activités commerciales que peuvent développer les tiers-lieux –notamment de restauration, de bar, etc. –, tout en se prémunissant d’un éventuel opportunisme économique.

Recommandation n°5 : Placer le pilotage de l’accompagnement financier sous l’égide de l’ANCT, dans le cadre d’une coopération étroite avec le ministère de la Culture, le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et le GIP France Tiers-Lieux

De par les programmes transversaux et interministériels que porte l’ANCT, celle-ci paraît la structure idoine pour mettre en place ce nouveau soutien financier. Ce pilotage a vocation à être inclusif et à être accompli en coopération étroite avec les ministères concernés et volontaires : le ministère de la Culture naturellement, mais aussi le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Le GIP France Tiers-Lieux, dont il serait opportun de pérenniser l’existence au-delà des trois ans initiaux, et l’Association nationale des tiers-lieux sont également des partenaires évidents.

Conclusion

In fine, la gouvernance collaborative (ministères, ANCT, GIP) à laquelle nous appelons témoigne d’une volonté de décloisonner l’action publique et de la rendre plus efficace, plus conforme à l’essence et aux besoins des tiers-lieux, friches et autres espaces intermédiaires qui prennent part à la transformation sociétale et territoriale18Voir Fabrice Lextrait et Marie-Pierre Bouchaudy (coord.), (Un) abécédaire des friches. Laboratoires, fabriques, squats, espaces intermédiaires, tiers-lieux culturels, Paris, Éditions Sens & Tonka, 2023.. Cette coopération institutionnelle serait alors en miroir des coopérations multiples, plastiques et évolutives qui se déploient dans chaque tiers-lieu en vue de la réalisation d’un projet commun. 

Laboratoires qui travaillent les transitions – écologiques, démocratiques, sociétales –, ces espaces constituent des terrains d’expérimentation où se façonnent de nouvelles sociabilités et où la citoyenneté s’exerce sur le registre participatif, par confrontation aux problématiques territoriales. Ayant peuplé les ruralités en réponse aux vides et carences de l’action publique, les tiers-lieux peuvent constituer la matrice d’une nouvelle politique publique culturelle et artistique. Il y a urgence désormais à la développer et à la structurer.

Cette note a fait l’objet d’auditions et d’échanges avec :
Raphaël Besson, directeur de Villes Innovations, chercheur associé à l’université de Grenoble-Alpes et membre du laboratoire de sciences sociales Pacte ; 
Arnaud Bonnet, directeur du programme Nouveaux Lieux, Nouveaux Liens, Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ;
Marie-Pierre Bouchaudy, coordinatrice avec Fabrice Lextrait de (Un) abécédaire des friches, laboratoires, fabriques, squats, espaces intermédiaires, tiers-lieux culturels, Paris, Sens et Tonka, 2023 ;
Fabrice Dalongeville, maire d’Auger-Saint-Vincent (Oise) ;
Timothée Duverger, co-directeur de l’Observatoire de l’expérimentation et l’innovation locales de la Fondation Jean-Jaurès ; ingénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux (en visioconférence) ;
Arnaud Idelon, responsable éditorial de l’Observatoire des tiers-lieux, fondateur d’Ancoats, maître de conférences associé à l’université Paris 1 ;
Frédéric Maurin, ancien président du Syndicat national des scènes publiques (SNSP) ;
Franck Montaugé, sénateur du Gers ;
Cyril Novakovic-Béteille, collaborateur de Sylvie Robert, vice-présidente du Sénat, sénatrice d’Ille-et-Vilaine ;
Frédéric Sancère, directeur de Derrière le hublot, scène conventionnée d’intérêt national – art en territoire ;
Ingrid Solignac, co-directrice du tiers-lieu On va vers le beau, Gers ;
Laurent Solignac, co-directeur d’On va vers le beau, Gers ; 
Emmanuel Vergès, co-directeur de l’Observatoire des politiques culturelles à Grenoble.
 Qu’ils et elles en soient chaleureusement remerciés.

 

Du même auteur

Sur le même thème