Quelle politique nucléaire pour la France ?

Quelle stratégie de modernisation du parc nucléaire? 

La réduction de la production électrique d’origine nucléaire dans le mix énergétique français est aujourd’hui inscrite dans la loi de transition énergétique : le nucléaire constituera toujours le socle de la production d’électricité avec une capacité plafonnée à sa puissance actuelle, soit 63,2 GW, avec l’objectif d’équilibrer sa part dans la production d’électricité à 50% à l’horizon 2025.

En 2016, EDF devra présenter sa stratégie qui comportera, à court terme, la mise à l’arrêt d’une centrale, normalement celle de Fessenheim, en contrepartie de la mise en service attendue de Flamanville pour respecter la limitation à 63,2 GW de la capacité nucléaire du pays. Notons que la procédure de « mise à l’arrêt-démantèlement » est une procédure rigoureuse et complexe qui peut durer entre quatre et cinq ans.

Le projet de réacteur EPR de Flamanville coûtera beaucoup plus que le montant initialement prévu pour des raisons de complexité technique, notamment du fait des exigences de sûreté, mais aussi et surtout pour des motifs de perte de compétence et de savoir-faire de l’industrie nucléaire française, ainsi que de ses sous-traitants, qui n’ont plus construit de nouveaux réacteurs pendant 20 ans.

Le parc électronucléaire français est porteur de trois singularités. D’abord, il est exploité par un seul exploitant nucléaire, public : EDF ; c’est une situation unique au monde. Ensuite, il est homogène par son design ; ce sont tous des « réacteurs à eau pressurisée » (REP). Enfin, il a globalement le même âge : les 58 réacteurs en exploitation ont tous été mis en fonctionnement dans les années 1970-80 ; les derniers réacteurs « N4 » de Civaux sont entrés en fonctionnement à la fin des années 1990. Ce sont là des avantages importants qui permettent des économies de coûts. Mais cela est aussi porteur de risques et d’enjeux de n’avoir qu’un seul opérateur placé sous le contrôle de l’Etat. Par ailleurs, le fait d’avoir « les mêmes réacteurs » pose le risque de problèmes génériques. L’hypothèse d’un problème touchant les cuves de plusieurs réacteurs, éléments non remplaçables d’une installation, peut conduire à l’arrêt immédiat de plusieurs réacteurs (avis de l’ASN du 16 mai 2013) ; les effets sur l’approvisionnement du pays seraient immédiats et il est nécessaire de les anticiper. Et le fait qu’ils aient « tous le même âge » fait courir le risque de laisser à nos héritiers un parc nucléaire obsolète, voire partiellement arrêté par l’ASN pour des motifs de sûreté.

 « Pour qu’il y ait du nucléaire en France, il faut qu’il soit sûr ». Ce propos d’André-Claude Lacoste, l’ancien président de l’ASN, ne fait plus débat depuis l’accident de Fukushima. Pour des motifs liés à des « risques graves et imminents », l’ASN peut arrêter immédiatement une installation (loi relative à la transparence et à la sûreté en matière nucléaire, article 29 IV). Tous les dix ans, chaque réacteur est soumis à une visite décennale par l’ASN qui peut autoriser son fonctionnement au vu de son «réexamen de sûreté», lequel comprend «l’examen de la conformité» du réacteur à son référentiel, mais aussi la «réévaluation» du réacteur par rapport aux dernières exigences relatives aux nouveaux réacteurs, de type EPR. Par ailleurs, l’ASN a pris des prescriptions « post Fukushima » pour relever les exigences de sûreté des réacteurs existants.

Tout cela permet de maintenir le parc nucléaire au niveau de sûreté requis mais ne constitue pas une autorisation de plus de dix ans, voire de plus de vingt ans. Il n’y a en effet pas de « durée de vie » d’un réacteur en France. Miser sur la prolongation d’activité du parc actuel (un million d’euros de production d’électricité par jour et par réacteur) peut constituer un pari rentable à court terme pour l’industriel mais est sans garantie à moyen et long terme pour l’indépendance énergétique du pays.

 EDF annonce actuellement une campagne « Grand carénage », avec des investissements majeurs, chiffrés par EDF à 55 milliards € (mais la Cour des Comptes l’évalue à près du double, soir 100Mds € pour une  durée totale plus longue et en y ajoutant les dépenses de grosse maintenance) pour obtenir d’aller très au-delà de quarante ans. On peut s’interroger sur l’énormité de ce programme et sur sa cohérence avec les objectifs de la loi. A noter en outre que cette volonté de prolonger l’exploitation des réacteurs existants et de ne pas en construire de nouveaux, même plus sûrs, trouve un écho favorable … dans les milieux antinucléaires opposés à tout réacteur nouveau. Pour des motifs donc diamétralement opposés !

Nous pensons plutôt qu’il convient d’afficher un plan de fermeture pluri-décennal de réacteurs existants et de construction de nouveaux réacteurs pour renouveler progressivement le parc.

L’avantage majeur de cette option politique serait de reconstruire la « pyramide des âges » des réacteurs du parc nucléaire français en évitant un possible « effet falaise » (fermeture simultanée de plusieurs réacteurs pour des motifs génériques de sûreté).

Construire de nouveaux réacteurs, mais lesquels ?

Seuls des réacteurs de niveau de sûreté G3 (c’est-à-dire celle de l’EPR), peuvent être construits en France, mais aussi partout en Europe. La France devrait s’engager politiquement au plus haut niveau pour que cette exigence du refus du nucléaire low cost soit généralisée au niveau mondial.

Ces réacteurs peuvent être de conception française, EPR ou AP 1000 américain. Des modèles « plus petits » et « plus simples »  de type EPR « optimisé » (ou « Nouveau modèle ») ou Atmea (design Areva de 1000 MW) de génération III diversifient les offres et pourraient également être installés en France. EDF a également des projets avec des exploitants chinois (CGNPC) ainsi peut-être qu’avec Areva (ACE) pour lancer des réacteurs « milieu de gamme ».

Au plan politique, une cohérence doit donc être trouvée entre une politique de renouvellement partiel du parc nucléaire national et des projets exports des industriels français. Pour ceux-ci, des références en France tant en construction qu’en exploitation sont utiles pour l’exportation ; des effets de série et le renouvellement des compétences humaines seront bénéfiques à tous égards.

C’est dans cette perspective que doit, à notre avis, être repensé le projet d’EDF des deux réacteurs de Hinkley Point C en Grande Bretagne : plutôt que d’être une fin de série du modèle de type Flamanville, mieux vaudrait qu’il soit une tête de série de l’EPR « optimisé » ! Nous pourrions dans l’intervalle augmenter nos exportations d‘énergie vers la Grande-Bretagne.

Enfin, la question des réacteurs de la future génération (G4) devra également progresser.

A qui vendre du nucléaire dans le monde ?

Pour des motifs de sécurité intérieure, mais aussi pour des raisons éthiques, la France ne devrait pas tenter de vendre des réacteurs nucléaires à des pays ne remplissant pas les prérequis suivants :

– Etre un pays démocratique permettant d’assurer un contrôle citoyen et le respect des contraintes de sûreté ;

– Posséder une réglementation conforme aux standards de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ;

– Posséder une autorité de sûreté formée et compétente.

Il convient par ailleurs que les nécessaires transferts de technologie ne se fassent pas au détriment des intérêts de la France.

Cinq propositions

Les choix du nucléaire obéissent toujours à la règle du « temps long ». Evitons que les choix stratégiques nécessaires ne soient pas pris, car les « non-décisions vaudraient décisions ». Elles engageraient l’avenir et seraient, un jour, à mettre au passif de nos générations.

  1. La Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), qui doit donner la traduction opérationnelle de la LTECV et à laquelle EDF prendra la part active qui lui revient, devra établir une structuration possible du parc électrique tirant les conséquences de l’objectif de 50 % de nucléaire dans la production d’électricité selon les hypothèses d’évolution de la demande d’électricité en France et à l’exportation et en déduisant plusieurs scénarios de programmation des investissements tenant compte des délais de mise en service des installations et de leur nature.
  2. Plutôt que l’allongement de la durée de vie de toutes les centrales existantes (soit une perspective de 20 ans de plus, mais il reviendra à l’ASN de délivrer les autorisations de fonctionnement) s’orienter vers le lancement progressif de nouveaux réacteurs (dont la perspective de durée de vie sera de 60 ans). EDF doit chiffrer les coûts respectifs des différentes options, en fonction, d’une part, des investissements induits par les impératifs de sécurité post Fukushima et la perspective d’allongement de la durée de vie des centrales et, d’autre part, le coût de nouveaux réacteurs.
  3. Clarifier les conséquences, en termes d’emploi, de l’arrêt de Fessenheim ou d’autres : on ne peut laisser dire que la fermeture de la centrale n’aura aucune conséquence sur l’emploi. Les activités de démantèlement impliqueront fortement EDF et ses sous-traitants mais ne seront pas exercées par les agents EDF actuellement présents sur le site, leur activité étant liée à la production électrique. Il conviendra par ailleurs de clarifier le timing entre l’arrêt démantèlement et sa traduction sur les effectifs. EDF sait organiser et accompagner la décroissance d’un site et prendre les mesures sociales qui s’imposent.
  4. Un volet « politique industrielle nucléaire » : s’il est exclu que la France mette sur le marché des centrales low cost, il faut sortir de la confusion régnant sur la puissance des centrales. Une centrale de 1000 MW, comme l’ATMEA, ou les modèles sur lesquels travaille la Chine ne sont pas des centrales « au rabais » et répondent aux normes de la troisième génération. Elles peuvent être tout aussi sûres que les centrales de 1750 MW comme l’EPR, tout en étant mieux adaptées aux besoins de clients dont le réseau électrique n’est pas configuré pour des installations de très forte capacité.
  5. Renforcer la surveillance démocratique et instituer un Haut Conseil de la sûreté nucléaire qui se substituerait à l’actuel Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire mis en place à l’initiative du gouvernement de Lionel Jospin, où la société civile – confédérations syndicales, associations de défense de l’environnement, sociétés savantes,… – sera pleinement associée. Ses compétences seront étendues aux conditions de sécurité des installations nucléaires militaires. Il disposera d’un budget lui permettant de faire procéder à toute expertise jugée nécessaire. Il pourra faire appel à des personnalités internationales et s’impliquer dans la coordination européenne. De plus, ce Haut Conseil aura à connaître de la prolongation ou de la cessation d’activité des centrales, sans se substituer à l’ASN quand le sujet est la sûreté. Il contribuera à éclairer le gouvernement et le Parlement.

Ensuite, les deux fonds – de démantèlement des centrales, d’une part, de gestion des déchets, d’autre part – gagneraient à être externalisés des comptes d’EDF, pour des raisons de transparence, et gérés par l’un des instruments dont dispose l’Etat (Caisse des Dépôts, BPI, Agence France Trésor). Le niveau pertinent de leur montant et les conditions de leur utilisation seront soumis à l’avis du Haut Conseil de la sûreté nucléaire.

Enfin, l’indépendance de l’ASN doit être renforcée. En contrepartie, elle devra rendre compte de son action au Parlement de façon plus organisée.

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