Dans le cadre d’un dossier que la la Fondation, en partenariat avec Conspiracy Watch, consacre à la question des vaccins, Stéphane Junique, président de Harmonie mutuelle, livre son point de vue.
La pandémie de Covid-19 rappelle brutalement que les maladies infectieuses ne connaissent pas de frontières. Tous les pays sont vulnérables, indépendamment de leurs niveaux de revenus ou de la solidité de leurs systèmes de santé. Dans notre pays, où des dizaines de millions de personnes ont été confinées plusieurs semaines et où près de 30 000 personnes sont mortes, la rapidité et les ravages causés par le nouveau coronavirus ont complètement bouleversé nos vies au quotidien.
Le besoin urgent d’un vaccin contre le Covid-19 souligne le rôle central que joue la vaccination dans la protection des vies et dans le fonctionnement de nos sociétés. Les vaccins sont l’un de nos outils de santé publique les plus précieux pour prévenir les flambées épidémiques et, plus encore dans le contexte géopolitique de l’épidémie du coronavirus, pour préserver la sécurité mondiale.
La vaccination, tout en protégeant la personne vaccinée, même si elle l’expose aux effets indésirables du médicament, contribue à la lutte contre la propagation de la maladie, voire à son éradication comme l’a montré l’exemple de la variole, et bénéficie de ce fait à l’ensemble de la collectivité.
L’importance d’une réponse vaccinale contre le Covid-19 devrait faire consensus. C’est oublier que la vaccination fait partie de ces passions françaises qui divisent notre pays : un quart des Français affirment qu’ils refuseraient un tel vaccin.
Ce paradoxe évident appelle à l’action pour que la vaccination regagne le cœur de la patrie de Pasteur.
Nous arriverons durablement à cet objectif en renouant avec les principes d’une société prévoyante, avec des mécanismes de confiance et en refaisant de la santé un enjeu de citoyenneté. Trois piliers de l’action des mutualistes.
Renouer avec les principes d’une société prévoyante
Notre impréparation collective aux impacts de l’épidémie du Covid-19 est l’illustration de la société de l’instant et des illusions dont nous nous berçons. Préservés des guerres, éloignés des principales pandémies mortelles, entourés de centenaires, notre pays a cru que les arbres pousseraient jusqu’au ciel. Le risque infectieux est devenu de plus en plus virtuel dans nos existences et l’utilité des vaccins a été fortement interrogée dans une société qui ne perçoit plus les dangers des maladies contre lesquelles ils protègent.
La rougeole est une belle illustration de ce constat. Actuellement, notre pays n’atteint pas le taux requis de 95% de couverture vaccinale qui permettrait d’éliminer la maladie, ses complications, et ainsi de protéger les personnes les plus fragiles ne pouvant être elles-mêmes vaccinées, en particulier les nourrissons de moins d’un an, les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées.
Ce risque est d’autant plus grand que la période de confinement a entraîné un net recul du recours à la vaccination. L’Assurance maladie et l’Agence XX ont ainsi mis en évidence, sur la seule dernière semaine de mars dernier, la diminution de 50% de l’utilisation de vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéole). La France n’est donc pas à l’abri de nouvelles vagues épidémiques d’ampleur de rougeole, comme cela a été observé en métropole ou dans plusieurs autres pays européens au cours de ces dernières années.
Par ailleurs, la baisse de 23% de la consommation de vaccins penta ou hexavalents (diphtérie, tétanos, polio, coqueluche, grippe B, hépatite B) est tout aussi préoccupante car cela équivaut à environ 23 000 nourrissons non vaccinés. Or, retarder la vaccination des enfants de moins de deux ans peut avoir des conséquences dramatiques, comme en témoignent les cas de coqueluches graves, avec des bébés placés en réanimation, déclarés en avril dernier.
Il est urgent de renouer avec les principes d’une société prévoyante qui agit et investi aujourd’hui pour prévenir les risques de demain. Or, notre système de santé vit lui aussi dans l’instant en préférant guérir plutôt que prévenir. La France consacre moitié moins de budget à la prévention que ses voisins européens. Les moyens consacrés à la vaccination et aux dépistages restent encore trop faibles.
Cela est d’autant plus urgent que les inégalités sociales en matière de vaccination sont fortes et que l’on ne se préoccupe pas de la même façon de sa santé à moyen ou à long terme, lorsqu’on est dans une situation sociale satisfaisante ou lorsqu’on est confronté à la précarité, au chômage, aux fins de mois difficiles.
Collectivement, nous devons redonner du sens au temps long, renouer avec des politiques de prévention et de promotion de la santé autour d’un message simple : plus il y a de personnes vaccinées aujourd’hui, plus on évitera le risque d’épidémie pour demain. Les mutuelles à cet égard sont des partenaires naturels des politiques publiques de prévention et des actions menées par l’Assurance maladie, pour y parvenir. La prévention est dans l’ADN mutualiste.
Rompre le cercle de la défiance
Nous vivons dans un bain médiatique où toute autorité, qu’elle soit scientifique, technique, politique est challengée par l’opinion. Il en découle souvent une confusion entre les savoirs et les croyances. Lorsque les controverses scientifiques débordent du cercle des publications, comme le débat récent sur l’hydroxychloroquine par exemple, peuvent survenir des passions, des peurs qui empêchent la confiance. C’est le cas pour les vaccins : les refuser est pour certains une forme de reprise du pouvoir face à un flux d’informations anxiogènes qui se trouve ainsi traité de la façon la plus radicale qui soit.
Plus que jamais, il est nécessaire de poursuivre les efforts d’accès de tous à une information concrète, honnête et transparente pour que la vaccination demeure ce qu’elle a toujours été : une des meilleures interventions en santé publique pour améliorer la santé de la population. Acteurs de proximité, les mutuelles peuvent être des tiers de confiance sur le conseil à apporter à leurs adhérents en matière de vaccination. Leur statut non lucratif doit être plus fortement reconnu et mis en avant car il constitue un rempart contre la suspicion que génèrent les liens d’intérêts entre chercheurs, laboratoires et pouvoirs publics.
Refaire de la santé un enjeu de citoyenneté
Les Français sont animés par la passion du débat public sur les sujets qui touchent à leur vie quotidienne et qui portent sur l’avenir de notre société. L’épreuve de l’épidémie du Covid-19 a mis en évidence la formidable mobilisation de nos soignants mais aussi les fragilités de notre système de soins. Il y a un espace pour favoriser le débat public autour des questions de santé, encourager le dialogue citoyen à travers de nouvelles démarches participatives sur les sujets du soin et de l’entraide.
Tout n’a pas été tenté pour reconquérir le terrain perdu sur la question de la vaccination dans notre pays. L’État ne peut pas seul porter ce sujet.
La défiance actuelle à l’égard de la question de la vaccination oblige à refaire de la santé un enjeu de citoyenneté.
Parce qu’elles sont des structures d’engagement solidaire en santé et d’éducation populaire en matière de protection sociale, les mutuelles ont porté ces dernières années des formes participatives ouvertes avec la communauté de leurs adhérents. Ce peut être le cas, par exemple, des conventions citoyennes mutualistes ou de conférences de consensus où se mêlent expertise scientifique et expertise d’usage et qui remettent du mouvement là où il y avait des blocages.
Mais plus encore que tout, les mutualistes ont vocation à contribuer avec d’autres acteurs de la société à renouer avec le sens de la fraternité et de l’appartenance à un commun. Chacun d’entre nous est comptable de la vie collective et qu’en échange des droits qui sont les nôtres nous avons un devoir d’attention aux autres. Seul, nous ne sommes rien. Le débat sur la vaccination n’est donc par terminé !
NDLR : Harmonie mutuelle est une entreprise mécène de la Fondation Jean-Jaurès.