Les principaux candidats à l’élection présidentielle disposent-ils encore de réserves de voix ? Les indécis d’hier sont-ils en passe de choisir ? Analyse de Chloé Morin et Adrien Abécassis pour l’Observatoire de l’opinion.
Nous avons actualisé la typologie de vote réalisée il y a trois semaines, avec les résultats de l’intention de vote réalisée le week-end juste avant le débat par l’institut de sondages Kantar-Sofres. Voici les principales conclusions que nous pouvons en tirer.
– À gauche, les choses semblent être en train de se décanter. Le groupe d’indécis de gauche « de Mélenchon à Macron » que nous observions, dans lequel les trois candidats pouvaient indifféremment puiser, est en voie de résorption : la plupart de ces électeurs ont désormais pris parti pour l’un ou l’autre. Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon voient ainsi chacun leur base électorale confortée (11% pour Jean-Luc Mélenchon et 13 % pour Benoît Hamon), soit + 1 et +3 points (même si elle n’est pas entièrement « activée »). Et s’il reste des passerelles entre eux deux, signe d’une fongibilité possible, il y en a de moins en moins avec les électeurs de gauche tournés vers Emmanuel Macron. Il n’y a plus, non plus, de grand réservoir d’indécis dans lequel ils pourraient facilement puiser pour la suite de la campagne (à l’exception d’un tout petit groupe d’électeurs représentant 3,5% des votants, qui se déclarent plutôt de gauche mais semblent assez perdus puisqu’ils mettent une probabilité de vote équivalente sur tout le spectre politique).
Autrement dit, Benoît Hamon peut remplir Bercy et mieux mobiliser ses soutiens, cela ne veut pas dire qu’il a de quoi élargir nettement son potentiel électoral. Sa stratégie l’a bel et bien « collé » à Jean-Luc Mélenchon et éloigné du centre-gauche au point de limiter les passerelles et transferts possibles. C’est un élément que l’on retrouve également dans les souhaits de victoire de l’électorat socialiste, qui vont vers Emmanuel Macron et Benoît Hamon en proportions quasi-égales.
Si nous devions donner à ces tendances une valeur prédictive – et sous réserve des effets potentiels du premier débat entre les candidats, qui seront forcément plus limités sur cette typologie que sur les intentions de vote elles-mêmes –, cela signifie que désormais, et sauf changement radical de stratégie, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ne peuvent plus conquérir de nouveau terrain électoral (au-delà de 2 ou 3 points sans doute) : chacun est condamné à tenter de conquérir les électeurs de l’autre, dans un territoire restreint et de plus en plus clos.
– Cette stratégie conduite par Benoît Hamon, de même que les déboires de François Fillon avec la justice, ont ainsi bel et bien contribué à dégager l’espace électoral d’Emmanuel Macron. Son socle s’élargit à 20%, soit une progression, importante, de 4 points en deux semaines. Cela tranche avec les faibles taux de sûreté de choix exprimée dans les intentions de vote traditionnelles. Pourquoi ? Car il y a dans ce socle beaucoup d’électeurs qui, sans encore se déclarer tout à fait « certains » de voter pour Emmanuel Macron, disent qu’ils n’ont que de « fortes chances » de voter pour lui tout en étant désormais sûrs qu’ils ne voteront pour aucun autre (ils répondent « très peu probable » ou « ne votera jamais » pour les autres candidats). Emmanuel Macron peut ainsi compter sur une base d’électeurs auparavant positionnés sur lui par « défaut » mais qui, sans être encore tout à fait certains de voter pour lui, consolident de plus en plus leur vote. Cela augure probablement d’une augmentation des certitudes de choix dans les jours ou semaines à venir.
Au-delà de cette base quasi-acquise, Emmanuel Macron semble par ailleurs encore disposer de réserves, notamment dans le groupe (pesant 7% du corps électoral) « d’indécis anti-système », que nous observions à l’état de formation lors des dernières mesures, et qui est maintenant nettement constitué : il n’hésite plus qu’entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
Ce groupe, qui peut paraître atypique, illustre la polarisation – que l’on peine parfois à déceler dans les intentions de vote mais que l’on ressent bien sur le terrain – autour des candidats portant cette volonté de renouveler profondément le cadre politique dans le rejet des partis constitués… C’est sans doute ce groupe d’électeurs qui déterminera dans les semaines qui viennent celui qui sera en tête de Marine Le Pen ou d’Emmanuel Macron, et pèsera certainement également dans la dynamique de second tour.
– À droite, les choses paraissent encore pouvoir bouger, mais on note des dynamiques intéressantes : d’abord, le socle de François Fillon résiste, et augmente même un peu (13%, +2). Ensuite, un groupe d’indécis Marine Le Pen/François Fillon semble désormais constitué, ce qui n’était pas le cas lors de nos précédentes mesures. Il semble s’agir essentiellement d’électeurs très fortement tentés ou ayant basculé vers Marine Le Pen, mais qui peuvent envisager de revenir vers François Fillon à la faveur de sa stratégie de droitisation et de l’éloignement des affaires. On note d’ailleurs que le socle dur de Marine Le Pen, tout en restant fort, est le seul à s’affaisser (16% contre 19%), pris sous la double concurrence idéologique de François Fillon et anti-système d’Emmanuel Macron… Autrement dit : non seulement François Fillon semble parvenir à freiner les bascules des électeurs de droite vers le Front national, mais il ne semble plus impossible qu’il parvienne même à enclencher une pompe inverse : arracher, ou du moins faire hésiter, une frange d’électeurs qui avaient basculé vers le Front national.
Les intentions de vote bougent peu mais les mouvements et structures sous-jacents manifestement davantage… Il y a une logique à ce que les réponses des électeurs sur des probabilités de vote, qui leur laissent un choix plus large, fassent mieux apparaître ces mouvements que les intentions de vote, qui par construction forcent un peu les choix alors même que les électeurs sont encore très indécis et que leur choix ne s’est pas cristallisé. Nous continuerons à rendre compte de nos observations réalisés avec cet outil exclusif et innovant jusqu’au vote.